mardi 28 décembre 2021

Une (petite) année 2021 de lectures

Tiens, pour finir l’année ; les titres qui ont suscité un billet sur ce blog depuis janvier dernier :

Arlequinus Arlequinus, d’Enjoh Toe, traduit du japonais par Sylvain Cardanel, aux éditions La Ronde de Nuit.

Derrière la gare, d’Arno Camenish, traduit du suisse allemand par Camille Luscher, chez Quidam éditeur.

Isola, de Joëlle Varenne, aux éditions Médiapop.

Mon citronnier, de Samantha Barendson, aux éditions JC Lattès.

Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe, de Deborah Heissler, chez Cheyne éditeur.

La folie de ma mère, d’Isabelle Flaten, aux éditions Le Nouvel Attila.

nique, d’Ana Tot, aux éditions Louise Bottu.

Cassandre à bout portant, de Sandra Moussempès, aux éditions Flammarion.

Finir les restes, de Frédéric Fiolof, chez Quidam éditeur.

Déblais, d’Alexander Dickow, aux éditions Louise Bottu.

Détails II, suite et fin, de Marcel Cohen, aux éditions Gallimard.

Le premier souper, d’Alexander Dickow, aux éditions La Volte.

Hotel Andromeda, de Gabriel Josipovici, traduit de l’anglais par Vanessa Guignery, chez Quidam éditeur.

La mort de Masao, de Didier da Silva, chez Marest éditeur.

Tes ombres sur les talons, de Carole Zalberg, aux éditions Grasset.

Sez Ner, d’Arno Camenish, traduit du suisse allemand par Camille Luscher, chez Quidam éditeur.

La fille que ma mère imaginait, d’Isabelle Boissard, aux éditions Les Avrils.

Nous allons perdre deux minutes de lumière, de Frédéric Forte, aux éditions POL.

Autoportrait, d’Edouard Levé, aux éditions POL.

Les filles de Monroe, d’Antoine Volodine, aux éditions du Seuil.

Vie du poème, de Pierre Vinclair, aux éditions Lignes intérieures.

Esquisses de la poussière, de Jean-Pierre Le Goff, aux éditions des Grands Champs.

Plasmas, de Céline Minard, aux éditions Rivages.

Des îles, Lesbos 2020 Canaries 2021, de Marie Cosnay, aux éditions de l’Ogre.

Amoureuse ? d’Estelle Fenzy, aux éditions La Boucherie Littéraire.

Tu m’aimes-tu ? de Samantha Barendson, aux éditions Le chat polaire.

Entre les lignes, d’Estelle Dumortier et Bernard Ciancia, aux éditions La rumeur libre.

Promenades avec le déplaisant P., d’Olivier Hervy, aux éditions Denis.

On peut boire la transpiration d’un cheval, d’Antoine Boute & co, aux éditions Les petits matins.

Les joies simples, de Félicie Dubois, aux éditions François Bourin.

Remerciements, de Guy Bennett, traduit de l’américain par Frank Smith et l’auteur, aux éditions de l’Attente.

j’aurai été, de Marc-Émile Thinez, aux éditions Louise Bottu.



Je comprends pourquoi je n’ai jamais fait ce genre de billet récapitulatif jusqu’à présent : c’est très fastidieux. Notamment tous ces liens à insérer. Surtout que plus personne ne clique sur les liens.

Il faudra quand même que je le fasse aussi pour l’année 2020 ; 2020 c’était compliqué aussi pour les livres.

Et puis l’année 2019, ça me rappellera des souvenirs.

Et puis les précédentes, tiens.

dimanche 26 décembre 2021

j’aurai été

rencontré monsieur songe à la page 135 qui faisait sa promenade du matin retrouvai mon sourire de petite fille en le reconnaissant lui dis émue que j’allais mettre sous presse un nouveau recueil poétique en oubliai de trembler il me dévisage étonné comme si j’avais ressuscité

j’aurai été

Louise Bottu



C’est le quinzième « j’aurai été » de j’aurai été, de Marc-Emile Thinez, ou plutôt de j’aurai été ceux que je suis, car il aura été aussi bien Bernardo Soares, Joseph K, Julien Sorel, Bartleby, Louis de Funès, Gargantua ou même Fou trop poli (car nous avons quelques références en commun) ainsi que beaucoup d’autres et c’est paru dans la collection Contraintes des éditions… Louise Bottu évidemment.



mercredi 22 décembre 2021

Avec les Remerciements de Guy Bennett

Après les Poèmes évidents (2015), Ce livre (2017), et Œuvres presque accomplies (2019), voici que les éditions de l’Attente publient Remerciements, du même Guy Bennett (vous pouvez cliquez : il y a des billets Hublots sous les liens). Encore une fois, Bennett travaille avec l’autoréférentiel : ces Remerciements sont en effet de ceux que l’on trouve, de manière souvent plutôt convenue, en fin d’ouvrage (c’est une convention dont je m’amuse moi-même à la fin de mon petit DIRELICON, regardez à la fin si vous l’avez). Mais dans Remerciements, ils deviennent le livre lui-même ; et de fait, ce qui le plus souvent n’est qu’une formule de politesse reprend vraiment tout son sens : non content d’écrire un jeu sur la convention des remerciements, Bennett en profite pour remercier vraiment tout ceux et tout ce qui rend(ent) ce livre (et sans doute Ce livre aussi, et les autres, pourquoi pas) possible. Il en résulte un texte à mi-chemin entre hommage et art poétique où l’on est surpris, au détour d’une page, d’être presque ému par ce qu’on aurait été de prendre pour une simple blague intellectuelle.

« À ceux qui ont soutenu ce projet dès le début mais qui ont semblé s’en désintéresser par la suite : je comprends. À ceux qui ne le soutiennent toujours pas : idem. À ceux qui ne me connaissent peut-être pas, qui n’ont pas la moindre idée que j’ai écrit ce livre et qui ne le verront vraisemblablement jamais si un jour il est publié : je vous remercie quand même. Votre indifférence à mon sujet ainsi qu’à mon projet nous lie d’une façon qui me touche, me réconforte même. »

Guy Bennett, Remerciements, traduit de l’américain par Frank Smith et l’auteur, éditions de l’Attente, 2021, p. 8.




mardi 21 décembre 2021

J’ai toujours peur que quelqu’un disparaisse sans laisser de traces.

– J’ai toujours peur que quelqu’un disparaisse sans laisser de traces, dis-je.

– Comme dans une marnière, commente La Mouche.

– Une quoi ?

– Dans l’temps, on tirait de la marne en creusant des galeries dans la terre, m’explique Yvon. La marne, c’est une pierre tendre, très friable, jaunâtre, qu’on récupérait pour construire les maisons à colombages. Ils ont fermé les puits, mais avec les éboulements d’terrains, on sait plus très bien où ils étaient. Alors y a des bêtes, ou même des gens, qui disparaissent engloutis. Tu te promènes pénard, à travers champ, et hop ! t’es ensev’li.


La Mouche me tend son verre à moitié plein pour que je le resserve.



Félicie Dubois, Les Joies simples, éditions François Bourin, 2018.



lundi 20 décembre 2021

Brèves animales (66)

Que fait donc le coq avec la poule, alors qu’à l’évidence c’était la coque qui était faite pour lui ?




mercredi 15 décembre 2021

mardi 14 décembre 2021

Ma sœur imaginaire est fan de rangement japonais.

Petite, j’ai choisi d’être la banane quand mes parents m’ont dit que j’étais le fruit de leurs amours.


On est tous tellement vulnérables, c’est marrant.


Si j’étais riche, je mangerais h24 jusqu’à ce que mort s’ensuive.


J’ai pris du LSD avec des potes, on a parlé de caca toute la soirée.


Je me ronge les ongles même en temps de covid.


Si je ne tue pas les araignées c’est parce que je déteste encore plus les mouches.


Je ne suis jamais fier de ce que je produis, une raison de ne pas faire de gosses.


Être riche ça craint, être pauvre ça craint, être normal ça craint.


J’imite mes potes et eux m’imitent.


Les boîtes de nuit sont de vrais terrains de chasse ; l’alcool c’est les munitions et les filles les proies. Il n’y a pas de chasseurs car les types sont des chiens.


C’est bien vu de manger des pommes.


Je suis mariée avec deux filles, la cérémonie s’est déroulée dans les vestiaires du rugby il y a trois ans.


Ma sœur imaginaire est fan de rangement japonais.




J’ai recopié tout ça dans le dernier livre d’Antoine Boute : On peut boire la transpiration d’un cheval ; il est paru cette année aux éditions Les Petits matins, mais dans la collection Les grands soirs (comme Les morts rigolos, du même Antoine Boute). Là, c’est un extrait des pages 90-91, qui font partie de la partie intitulée « LIRE = BOIRE LA TRANSPIRATION D’UN CHEVAL = ÉCRIRE ». Dans la première partie de ce livre (intitulée « VOUS AVEZ ÉCRIT CE LIVRE ? »), l’auteur nous précise : « … j’ai « récupéré » des phrases chez des jeunes personnes croisées et en ai fait ce livre – avec ma préférée comme titre » ; alors moi j’ai écrit cet article avec des phrases d’une page de ce livre d’Antoine Boute avec ma préférée de la page comme titre), parce que « Avec des mots tout est rigolo ».



mercredi 8 décembre 2021

Mi-Livre, Mi-Raisin

Dimanche 12 décembre dès 14 heures, je serai en dédicace au Salon Mi-Livre Mi-Raisin qui se tient à la Bellevilloise, 19-21 rue Boyer dans le 20e arrondissement, sur le stand des éditions Quidam, lesquelles, ça tombe bien, me publient depuis Liquide (avec les Singes rouges ça me fait quand même sept titres à ce beau catalogue).



vendredi 3 décembre 2021

(Il paraît qu’Olivier H. se promènerait avec le déplaisant P.)

Promenades avec le déplaisant P. est le tout nouveau livre d’Olivier Hervy, tout petit et disponible pour quatre euros seulement aux éditions Denis. C’est un recueil d’aphorismes : c’est écrit sur la couverture. Mais faut-il croire ce qui est écrit sur les couvertures ? En regardant dessous (la couverture), j’ai découvert plutôt un recueil de nouvelles, de micro-nouvelles certes mais de nouvelles quand même. Avec un héros récurrent : le déplaisant P. du titre. Et tout autour, une certes réduite mais néanmoins réelle galerie de personnages, réduits en effet eux aussi à leur initiale à l’exception d’un : le narrateur. Car il y en a un aussi, trop lisse pour ne pas être suspect, trop complaisant avec la déplaisance du déplaisant P. pour que cela ne chatouille pas notre imagination ; il faut de bonnes raisons en effet, de bonnes et fortes raisons soigneusement cachées pour accepter de se promener ainsi pendant 70 pages, autant dire une vie entière, avec un personnage aussi déplaisant que le déplaisant P. Finalement peut-être que Promenades avec le déplaisant P. n’est pas du tout un recueil d’aphorismes sur le déplaisant P. Peut-être est-ce plutôt un roman, voire, qui sait, une autofiction, dont le personnage central n’est pas le déplaisant P. mais bien plutôt celui qui trouve – quoi ? son plaisir, n’ayons pas peur des mots, son plaisir dans la plus déplaisante des compagnies.



mercredi 1 décembre 2021

mercredi 24 novembre 2021

Dimanche on sort, lundi aussi.

Dimanche (qui vient, le 28 novembre), comme c’est un dimanche, je reste au Salon : mais ce sera celui des Essarts-le-roi, rue du 11 novembre ; c’est facile à trouver, et moi aussi : je serai avec les Singes rouges, Mon petit DIRELICON et beaucoup de mes nombreux autres titres qui manquent encore à votre collection. Lundi (qui suit, le 29 novembre), comme c’est un lundi, je retourne au travail : ce sera la parution du mon petit dernier, aux éditions Louise Bottu (qui ont déjà publié ma Vie des hauts plateaux, rappelez-vous) ; ça s’appellera Biotope et anatomie de l’homme domestique, et jamais titre d’un recueil d’aphorismes n’aura été aussi fidèle à son contenu.

mardi 23 novembre 2021

lundi 22 novembre 2021

L’absence de la marque est la marque de l’absence.

(Re)travaillant sur un projet où le mot homme a son importance, me voici de nouveau confronté à sa polysémie (qui en l’occurrence m’est plutôt un problème) : individu de sexe masculin ou être vivant relevant de l’humanité ? On en regretterait de ne pas être né Romain ; en latin au moins les choses étaient clairs : on avait vir/viri pour l’un, homo/hominis pour l’autre. Vir a disparu par excès de brièveté ; l’amuïssement des voyelles finales en passant du latin au français lui aurait ôté presque tout son corps, il n’en serait resté presque rien à se mettre sur la langue ; homo l’a remplacé. On en a gardé viril et virilité. Mais pas seulement. Le latin avait aussi virtus, qui désignait la qualité de l’homme (vir) par excellence, et que l’on traduit couramment par courage. Avec la disparition de vir, virtus a perdu toute sa virilité, mais n’a pas disparu pour autant : il est devenu la trop souvent féminine vertu. Quant au courage, il a lui aussi perdu de son exclusive virilité pour venir se loger dans le cœur, dont il n’est que le dérivé par suffixation (j’aime bien sa collocation avec l’amour, je le reconnais volontiers).

Il y a dans le vocabulaire même de la langue française cette démasculinisation parallèle à celle de la morphologie, dont n’ont pas fait cas les grammairiens – rappelons que la grammaire n’est jamais qu’un discours qui tente de décrire des faits langagiers et que, comme tout discours, il est naturellement défectueux – surtout quand il est décalqué d’une autre langue au système différent (le latin) et tenu d’abord par des hommes qui avaient sans doute du mal à concevoir qu’une langue puisse ne pas faire cas d’un genre qu’ils considéraient comme le leur. Car il n’y a pas non plus de marque du masculin en français (contrairement au latin et à bien d’autres langues). Il y a juste le e, comme marque du féminin. Il n’y a d’ailleurs pas non plus de marque du singulier – mais j’ai l’impression que pour le coup il n’y a que moi que cela intéresse. Pourtant, si je vous propose du fromage, et du vin pour l’accompagner, ni vin ni fromage ne sont, à proprement parler, au singulier, puisqu’ils sont en emploi indénombrable, et que l’indénombrable, par nature, ne connaît pas la catégorie du nombre. Les emplois qui ne connaissent pas la catégorie du genre aussi sont légion, je vous les laisse chercher.

Pour revenir à la langue, quand on veut la décrire (quand on veut faire de la « grammaire »), on ne devrait jamais perdre de vue que les effets de sens n’ont pas tous une forme qui leur est dévouée. L’absence de marque du singulier est la marque de l’absence de singulier en français. L’absence de marque du masculin est la marque de l’absence de masculin en français. Ce devrait être un préalable à toute réflexion grammaticale.

(Tiens, pendant que j’y suis : l’absence de marque du temps présent est la marque de l’absence de présent en français ; et ce que vous avez appris à conjuguer à l’école sous le nom de « présent de l’indicatif » n’est pas du présent : c’est juste de l’indicatif tout court. C’est d’ailleurs pour ça qu’il sert aussi à tous les procès atemporels.)



mercredi 17 novembre 2021

sa pudique délicatesse à ne pas dire

sa pudique délicatesse à ne pas dire

qu’il ne sait plus qui vous êtes

où il vous a rencontré

vous qui semblez si sûr de le connaître

lui ne sait plus

même si le sourire au bord des lèvres

ne trahit pas

puis les yeux perdus

s’apaisent

dans l’apprivoisement



En résidence à la résidence l’Arche où elle a animé des ateliers, recueillis des paroles, Estelle Dumortier a composé Entre les lignes, ce livre de poèmes qui dialoguent avec les photos de Bernard Ciancia, en hommage ou en amour des personnes dont la vie se prolonge. C’est aux éditions La rumeur libre.




dimanche 14 novembre 2021

Quatre extraits de Tu m’aimes-tu ?

 

Un


J’ai voulu partir

sans quitter mon lit

traverser les frontières

en restant ici

abolir les décalages horaires

pour faire du monde

un seul sol

une seule destination


(…)


Deux


Je n’ai rien dormi


Les jours se fondent

en nuits

infinies


Les verres vont

de ma main

à ma bouche


Et l’on entend

un train

dans l’obscurité


Je n’ai rien dormi


(…)


Trois


Vous

aviez pris place

à mes côtés

convive

anonyme

et étranger


Vous m’aviez tendu la main

prononcé un nom

proposé du vin


(…)


Quatre


Quatre murs blancs

brident mes pensées

j’écoute ce lit qui craque

comme le grincement

de ton absence

ici à Montréal


Il me faudra dormir

quelques nuits encore

de ce côté-ci de la flaque

far away from home

far away from you



Samantha Barendson, Tu m’aimes-tu ?, éditions Le chat polaire, 2019.



mardi 9 novembre 2021

Amoureuse ?

Nous sommes tous une jeune fille amoureuse de l’amour et je ne fais sans doute pas exception à la règle car j’ai été très touché, presque familièrement, par ce livre d’Estelle Fenzy qui, par instantanés successifs, fait grandir une petite fille jusqu’à l’âge à peine adulte, au gré des rencontres dont on se demande à chaque fois si elles sont, ne sont pas, sont peut-être quand même – amoureuses ?

Amoureuse ? d’Estelle Fenzy est paru tout récemment aux éditions La Boucherie littéraire.



dimanche 7 novembre 2021

Autopromotion alphabétique 10 : Par temps clair

C’était à prévoir : je me suis lassé de ce feuilleton auto-promotionnel. L’alphabet sans doute ne m’a pas suffi ; d’ailleurs il me manque trop de lettres. Et (puisque c’est à P qu’on arrive déjà) ce serait donc encore Par temps clair qui en ferait les frais ? Alors non. J’ai déjà raconté, dans un autre feuilleton plus personnel, comment ce roman a failli être mon deuxième aux éditions du Seuil et ne l’a pas été (pour mémoire on peut cliquer ici), puis comment il a fini par paraître quasi sans éditeur chez Melville (et l’on peut cliquer là). C’est certainement et fatalement le moins lu de tous mes livres, pourtant en l’écrivant je le jugeais supérieur à Une affaire de regard, et je le pense encore. Le protagoniste, Paul Bonfils, un quadragénaire qui jusque-là a toujours vécu dans l’illusion de sa propre réussite aussi bien sociale que sentimentale, est pris d’un doute, lors d’une semaine de vacance imprévue. Un message de fin de partie de jeu vidéo sur l’écran d’un ordinateur, « Tu es mort », est le germe d’un monologue intérieur à la deuxième personne, une accusation discrète envahissante comme un cancer de la pensée. Inspiré par ses lectures sur la théorie de l’évolution (il y a une épigraphe de Steven Jay Gould qui est aussi, en soi, un vrai conseil de lecture), Paul en vient à se demander s’il est encore celui qu’il a cru être.



vendredi 5 novembre 2021

Sa petite sœur, disparue, le hante.

Ahmed, qu’on appelle ainsi depuis le début, dit qu’il s’appelle Amadou, en vrai. Ahmed, pour ses séjours en pays musulmans. Il dit aussi son nom de famille : c’est que nous cherchons sa sœur. Nom et prénom. Prénom, Makoko. Même père, même mère, dit Ahmed. Les premières démarches : auprès des sauveteurs qui sont dans les parages. Je suis sûre, ou plutôt son frère est sûr (son frère évangélique, alors que je ne pensais pas me tromper en lui souhaitant un bon Aïd), est sûr qu’elle est arrivée. Ahmed dit : partie de Dakhla, arrivée à Las Palmas le 21 décembre 2019. Prenez la photo, allez dans les centres, ouvrez les yeux, vous trouverez. Plus de cinq mois, dont deux d’isolement, en Espagne.

Les centres dans le sud de l’Espagne sont vides, les Canaries saturées. Première interlocutrice de la Croix-Rouge, à Las Palmas : on donne une carte SIM à toutes les personnes qui arrivent afin qu’elles préviennent les familles qu’elles sont saines et sauves.

Ahmed pense donc que sa sœur, Makoko, est arrivée le 21 décembre à Las Palmas. Au matin, on cherche des listes. Celle des personnes transférées en Espagne, dans un de ces centres qu’on nous dit vides en ce moment. Celle des personnes expulsées. Il y a eu en effet des vols de retour en Mauritanie, au mois de janvier, au nom d’un vieil accord de réadmission datant de 2003. On ne trouve ni l’une ni l’autre.

Si Makoko a voulu, quand cela était possible, faire comme son frère : prendre un avion pour la péninsule avec un document alias ? Ahmed n’a pas dormi. Sa petite sœur, disparue, le hante. Il l’attend ici. Elle est arrivée à Las Palmas, Gran Canaria, répète-t-il. D’abord la police, puis la Croix-Rouge. Puis on est transféré sur une des sept îles. Ce qui s’est passé : elle n’avait pas un bon téléphone. Mais un peu d’argent (il confirme : c’est lui qui le lui a donné).


Marie Cosnay, Des îles Lesbos 2020 Canaries 2021, éditions de l’Ogre, 2021, p. 80-81.



mercredi 27 octobre 2021

Les temps mythiques

Il a assisté à des colloques où certains de ses congénères, encore demi-larves, se prévalaient d’une imagerie mentale complète en rapport avec les temps mythiques. Selon eux, avant les grandes Corrections, les Vieux-Ancêtres se traînaient au-delà de la surface. Ils avaient la queue divisée en deux jusqu’au milieu du corps, et se dressaient sur ces deux sections chancelantes en essayant de maintenir la tête dans l’axe de l’épine dorsale. Leurs mains n’étaient pas palmées, leur peau était raboteuse, ils portaient des algues au-dessus des yeux et sur le front, leur entrejambe étaient bizarrement ouvert ou gonflé, ils étaient mous. Très faibles, peu disposés à la survie, ils s’accrochaient pourtant à une culture exosomatique aux dimensions inimaginables. Leurs Amas étaient immenses et couvraient en grande partie les étendues désertiques. Ils ne les quittaient jamais. La maturité ne les atteignait pas. La politesse n’étaient pas le régime politique commun, ils n’en avaient pas. Leur fragilité était compensée par une fécondité proliférante, comme chez toutes les espèces mal armées, ils corrigeaient les pertes par une reproduction massive. Quand les pertes diminuèrent, ils ne prirent aucune mesure. Avant la formation de la Poussière, les Amas se touchaient les uns les autres, entraient les uns dans les autres, jusqu’à s’empiler les uns sur les autres. Les Vieux-Ancêtres grouillaient complètement sur le désert.

Céline Minard, Plasmas, Rivages, 2021, p. 136



mardi 26 octobre 2021

La chauve-souris et l'ange vous saluent bien.

Je m'envole au Vent pur des étables. Ce très beau livre est un "traité de chiroptérologie poétique" ; il était donc naturel que j'y participe.


Il y a du beau monde, jetez donc un œil au sommaire (trilingue).



Et c'est avec d'autres ailes et à l'invitation d'Estelle Fenzy que je m'envole, aux côtés notamment de Samantha Barendson, dans un cahier consacré au saut de l'ange (puisque évidemment nous en sommes) de la revue Écrit(s) du Nord.

(Je ne vous ai photographié que le haut de mon saut - peut-être y a-t-il une chute - ou pas.)




lundi 18 octobre 2021

Autopromotion alphabétique 9 : Notes sur les noms de la nature

Il ne sera pas dit que je n’irai pas jusqu’au bout de ce feuilleton idiot. Après M, N enfin. Après Mémoires des faille, Mon jeune grand-père et Monsieur Le Comte au pied de la lettre, Notes sur les noms de la nature.

Dans ma toute petite enfance, je me suis pris de passion pour la zoologie. Au début des années 90, je me suis pris de passion pour la mycologie. Vers la fin des années 90, je me suis pris de passion pour la botanique. C’est un peu la même passion, mais qui s’est élargie, quoi. Le vivant, puisque j’en suis. Et comme par ailleurs, j’entretiens avec le langage une autre sorte de relation passionnelle (faite d’amour, de méfiance et de dérision), j’ai fini par écrire sur les noms qu’on donne à ce qui vit, pour l’identifier, ou parfois simplement pour être en mesure de simplement le voir, et comme ces noms sont donnés avec toute l’insuffisance du langage pour rendre compte du monde, c’est devenu un livre de, comment dire autrement, « poésie ». C’est pour ça qu’il s’intitule Notes sur les noms de la nature. Il est paru aux éditions des Grands Champs en 2017.



mercredi 13 octobre 2021

News

Samedi prochain à 11h30, dans le cadre du Festival Feuilles d’automne, je dédicacerai à la Bergerie Nationale de Rambouillet Les Singes rouges, Mon petit DIRELICON et mes autres titres chez Quidam et Lunatique. C’est un bel endroit, il fera beau ; venez donc !

Le même week-end, ce sera le Salon de la Revue à la Halle des Blancs Manteaux. Il y aura notamment La Moitié du Fourbi où l’on pourra m’y lire dans Seul à voir.

Sur Youtube, la vidéo de la soirée de lancement de la revue Catastrophes, avec mes Trois ductions de Koubla Khan. Il manque les premières secondes où je lis, dans mon plus bel anglais pourtant, les premiers vers du poème de Coleridge ; je vous les recopie :

In Xanadu did Kubla Khan
A stately pleasure-dome decree:
Where Alph, the sacred river, ran
Through caverns measureless to man
     Down to a sunless sea.



lundi 11 octobre 2021

Autopromotion alphabétique 8 : Monsieur Le Comte au pied de la lettre

Après M encore, M toujours. Après Mémoires des failles et Mon jeune grand-père, Monsieur Le Comte au pied de la lettre – mais avant, chronologiquement parlant.

Je suis encore en train d’écrire Liquide lorsque, dans un besoin d’autre chose (l’écriture de Liquide était très contraignante), j’écris à brûle-pourpoint un texte à vocation d’abord hygiénique – l’édition n’est pas en but en soi –, un texte qui deviendra « Les toilettes du bibliothécaire », c’est-à-dire le sixième chapitre de Monsieur Le Comte au pied de la lettre – celui de la rencontre entre les deux personnages principaux. Car sous ses allures de pochade langagière à dix gags la ligne qu’il est aussi (c’est un roman dont l’un des sujets est la langue même dans laquelle il s’écrit), Monsieur Le Comte au pied de la lettre est à mes yeux une parabole sur les relations mystérieuses et vaguement cruelles qu’entretient l’auteur, toujours plus ou moins déguisé, avec son personnage – qui existe peut-être davantage que lui.

Monsieur Le Comte au pied de la lettre est paru chez Quidam en 2010.



samedi 9 octobre 2021

moi réduit en poussière

Je découvris d’abord une rognure d’ongle qui m’avait sans doute appartenu, puis un cheveu dont la couleur et l’épaisseur étaient semblables aux miens. Petit à petit, je constituais sous mes yeux un tas dans lequel j’étais amené à reconnaître des productions, maintenant mortes, de mes cellules. Alors se développa l’idée que l’ensemble de cette poussière, que je poussais maintenant dans la pelle, reflétait toutes les parties de mon corps, c’était moi réduit en poussière que j’allais précipiter à la poubelle. La parcellisation de mon corps physique, devenu indiscernable, se profilait dans cette matière inqualifiable. J’étais devenu un sachet de râpé.


Jean-Pierre Le Goff, Esquisses de la poussière, éditions des Grands Champs, collection inframince, avec une préface de Didier Semin.


Du même étonnant et méconnu Jean-Pierre Le Goff, membre du Collège de Pataphysique, les Grands Champs ont déjà publié CoQuillages (rappelez-vous) et Métaux adjacents. Le titre est fidèle au contenu : Le Goff esquisse pour nous tout ce que la poussière esquisse à nos sens et notre esprit.



lundi 4 octobre 2021

Autopromotion alphabétique 7 : Mon jeune grand-père

Après M, M encore. Après Mémoires des failles, Mon jeune grand-père. Des failles de la mémoire à la mémoire absente. Car je n’ai jamais connu mon grand-père, décédé en 1928. Même mon père ne l’a pour ainsi dire pas connu. Cela fait comme un trou dans la mémoire familiale, autour du nom d’Annocque. Je ne m’étais jamais jusque-là vraiment préoccupé d’autobiographie, mais mon père m’avait confié, cela faisait déjà quelques années, les cartes que mon grand-père, tout jeune officier, écrivait à ses parents tandis qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne, du printemps 1916 jusqu’à la fin de la guerre. J’en avais longtemps reporté la lecture, rebuté par l’écriture minuscule et pâle, à peine lisible. Et puis un jour j’ai sorti la pile, et j’ai commencé à recopier la première carte qui m’est tombée sous la main. Ce n’était pas vraiment la première : j’avais maladroitement par deux fois coupé le paquet, comme on le fait avec un jeu de cartes. Je me suis mis à recopier et à commenter surtout ce que je n’arrivais pas à lire, ou à comprendre, les noms familiers devenus inconnus. Petit à petit, j’ai fait connaissance avec mon grand-père, mon grand-père à l’âge de mon fils, mais dans un cadre qui n’était pas sans m’évoquer fortement celui de la Grande Illusion de Jean Renoir. J’ai vu l’annonce de sa disparition, puis de sa réapparition – ce n’est pas dévoiler le contenu que de dire ici qu’à la guerre du moins il a survécu, il a bien fallu qu’il réapparaisse pour que je puisse écrire maintenant ; et j’ai vu aussi les premiers symptômes, par lui banalisés, de ce qui allait l’emporter dix ans plus tard. C’est un travail qui a duré longtemps, quelques années aussi, à peu près autant que le temps qu’il a passé dans les camps. La coïncidence a voulu qu’un siècle tout juste sépare sa captivité de la relation que j’en ai faite, laissant le lecteur lire en direct, par-dessus mon épaule, mon travail de déchiffrement. Mon jeune grand-père est paru aux éditions Lunatique, en novembre 2018, forcément.




jeudi 30 septembre 2021

Brèves animales (53)

Pourquoi donc la pipistrelle et le cacatoès se retrouvent-ils si rarement dans la même phrase ?




mardi 28 septembre 2021

lundi 27 septembre 2021

Autopromotion alphabétique 6 : Mémoires des failles

Après L, M. Après Liquide, Mémoires des failles. Il est, ou plutôt ils sont parus après en effet : en 2015, aux éditions de l’Attente. Mais ils ont été commencés bien plus tôt, en 1982 au moins, voire encore avant, selon le degré de conscience que j’en avais. C’est qu’il y a toute une vie à l’intérieure. Une vie non tangible, certes, une vie non vécue, mais toute une vie quand même.

Mémoires des failles n’est pas un roman. Mémoires des failles n’est pas une fiction. Je n’y invente rien, je ne fais que m’y souvenir, et pourtant rien de ce que j’y raconte n’a été vécu. Les personnes que j’y évoque parfois, et qui pourtant pour la plupart sont des personnes « réelles », n’en ont aucun souvenir. C’est un récit poussé au plus degré de la subjectivité. Je l’ai construit à la force de l’attention, l’attention à ce qu’on ne voit pas, ce qu’on n’entend pas, ce qu’on oublie. Ma fascination y est à l’œuvre ; j’essaie de la partager.

Je me rends bien compte qu’il n’est pas facile de mettre des mots sur ce travail. En tout cas, c’est l’une des faces de mon travail qui compte vraiment à mes yeux.


« Dire les choses est vraiment un problème. Et on n’a cependant pas la naïveté de prétendre dire les choses telles qu’elles sont. Les choses n’ont vraiment rien à voir avec les mots. Sans doute faut-il, pour dire les choses au plus près, dire carrément n’importe quoi d’autre ; oui, c’est bien cela : dire carrément n’importe quoi d’autre, et compter sur la chance pour tomber juste. C’est la seule manière sérieuse d’écrire. »


Mémoires des failles, « Deuxième album, vingt-deuxième pellicule : château de sable, cuvette de WC, faune locale. » Éditions de l’Attente, 2015.




dimanche 26 septembre 2021

Brèves animales (50)

Le gorille et la zorille vivent sur le même continent, contrairement à la morille – mais elle, c’est un champignon.




samedi 25 septembre 2021

nous n’avons pas besoin de cette fiction récente

« Cette crise – la prise de conscience que la littérature n’existe pas, que les textes ne sauraient avoir de valeur en soi – peut déboucher sur des attitudes bien connues, comme celle de Rimbaud : on fait cesser la mascarade. On claque la porte, on part s’occuper de choses sérieuses. Il est alors amusant de voir les fidèles de la secte littéraire, pour justifier de rester quant à eux bloqués de l’autre côté de la sortie, déployer des trésors de rhétorique pâmée afin de faire de ce geste même un acte éminemment littéraire : toute une apologétique du renoncement essaime, le claquage de porte devient sacré. Les uns disent : Rimbaud au Panthéon ! Et les autres : Oh non ! Rimbaud est trop sacré pour le Panthéon ! Comme dans la Vie de Brian des Monty Python, toute tentative, par le pauvre écrivain, de nier l’existence de la littérature (comme il est raisonnable de le faire), apparaît aux disciples endoctrinés comme la preuve même de son génie littéraire.

Je dis « par le pauvre écrivain » : autant nous n’avons pas besoin de cette fiction récente, et sans doute ridicule, de la littérature, autant l’écriture est une activité tout ce qu’il y a de plus concrète et digne. Elle existe depuis longtemps et consiste à s’adresser, par le moyen de traces visibles dans le monde 1, à une subjectivité, afin de produire des effets dans le monde 2. En ce sens, montrer que le roi est nu, claquer la porte de la littérature, n’implique pas de renoncer à écrire : seulement d’arrêter de croire que des textes pourraient avoir une valeur indépendamment de leurs conditions de réception dans le monde 2. (...) »


Pierre Vinclair, Vie du poème, Lignes intérieures, 2021, pp 90-91.