jeudi 29 octobre 2009

comme un frère

C’est par son blog que j’ai eu connaissance du travail de François Matton. Ce que j’y ai vu / lu – car les yeux en effet y sont doublement convoqués, c’est pour cela sans doute qu’on en a deux – m’a donné l’envie d’aller plus loin. J’ai demandé à une amie, grande lectrice, si elle avait quelque chose de lui à me prêter – elle avait : c’était El, où François dessinait pour une voix autre que la sienne, celle de Renaud Camus. Puis j’ai acheté J’ai tout mon temps, rien qu’au titre je savais déjà que c’était pour moi. A mon libraire j’expliquais : « François Matton, un auteur qui dessine de la poésie chez POL ». (POL, faut-il le rappeler, est aussi – est surtout ? – un éditeur de poésie.) Ou qui écrit avec des dessins. Peu importe, c’est le même trait qui trace les deux : lettres et images. Un trait fin, je dessine et j’écris, et c’est entre les deux, la case et le texte en-dessous, que quelque chose se joue.
Autant la mer, qui vient de paraître, ressemble comme un frère à J’ai tout mon temps. Comme un frère. C’est-à-dire cet évident air de famille : même format horizontal, illustration de couverture décentrée à droite, évocation d’enfance et de transport ; même épaisseur (je n’ai pas compté les pages), et à l’intérieur même structure à trois cases, avec de temps en temps dans Autant la mer une entorse à la règle qu’on n’avait pas dans J’ai tout mon temps. Mais les frères, ça ne se ressemble jamais complètement, pour peu qu’on les connaisse un peu. J’ai tout mon temps avait quelque chose d’un recueil de haïkus graphiques, Autant la mer assume d’être aussi un récit. (Aussi – car à mes yeux il ne cesse pas pour autant d’être de la poésie. Et puis tiens, pendant que j’y pense, le haïku détourné en particule de récit atomisé, ça existe.) C’est le récit d’un jeune homme, son frère ai-je appris sur son blog, qui à l’issue de son service militaire en Guyane, s’invente une vie à laquelle la matière et la mer en paysage donne la forme d’un bateau. Tout jeune encore mais adulte quand même, dégoûté d’avance de « la société » qu’il refuse en bloc, il projette une sorte de jouet géant pour l’enfant qui a grandi avec lui – comme ça les règles du jeu seront les siennes. Peu importe que la réalisation ne soit pas, objectivement, à la hauteur du rêve ; puisqu’en fin de compte c’est le rêve qui est la vraie réalisation : à même le sol, les mains derrière la tête, le narrateur rêve, son rêve devient dessin et François le double de son frère, au visage hachuré.
(Et on aura profit à lire ce que l'auteur lui-même en dit.)



Commentaires

Un "jouet géant pour l'enfant qui a grandi avec lui", c'est un superbe éloge du rêve et de l'univers de François Matton - un des univers, puisque je n'ai lu de lui que cet Autant la mer. Et je crois que tous ceux qui auront la curiosité d'ouvrir ce livre ne le refermeront pas, pas vraiment : parce qu'il vous "saute" aux yeux.
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 30/10/2009 à 00h27
Mon commentaire perdu dans les tuyaux d'overblog? Ah ça promet, c't'affaire...
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 30/10/2009 à 00h31
Ah, je n'ai rien dit. Super overblog!
Commentaire n°3 posté par Depluloin le 30/10/2009 à 00h32
François Matton 4 president!
Commentaire n°4 posté par L.....................uC le 30/10/2009 à 07h12
Ah pour une bonne surprise c'est une bonne surprise !
(Il doit bien me rester un fond de rhum...) À la vôtre !
Commentaire n°5 posté par François Matton le 30/10/2009 à 10h45
Tchinnn!...
Commentaire n°6 posté par L.....................uC le 30/10/2009 à 10h58
CLING !! (bruit de la bouteille contre la coque)
Commentaire n°7 posté par PhA le 30/10/2009 à 12h00
J'ai demandé à la bibliothèque d'acheter les livres de François Matton. Je ne sais pas lequel ils vont choisir mais je suis assurée d'en lire un bientôt. Merci Philippe de nous en avoir parlé.
Commentaire n°8 posté par Pascale le 10/11/2009 à 19h26

samedi 24 octobre 2009

Beckett, Federman (et moi) sans les femmes

LE WHISKEY ET LA BANANE DE SAM
 
une méditation po-épique
 
de Federman (toujours avec nous) :
 
Ah les femmes !
qu’est-ce qu’on ferait sans elles… ?
se disait Sam un soir
quand le boulot ne marchait pas
et que sa femme lui avait dit :
Sam arrête de nous emmerder
avec ton writer’s block
débloque y en a marre !
et va nous écrire
un petit truc chouette
tu sais genre illisible
comme tu sais si bien faire !
 
Alors quand sa femme
est sortie de son bureau
pour aller faire ce qu’elle fait
quand Sam bosse ou prétend bosser…
 
Ce que la gentille femme
de Sam fait ou ne fait pas
quand Sam bosse
ça on le saura jamais,
c’est ses oignons à elle…
 
Sam a fait un petit hochement de tête
et a même ébauché un sourire
ce qui pour lui est déjà un gros effort
et il s’est dit à lui-même à voix basse
en hochant la tête encore une fois
 
Qu’est-ce qu’on ferait sans les femmes… ?
Puis il a pris un morceau de papelard
il a taillé son crayon préféré
et il a écrit en toutes petites lettres illisibles :
que ferions nous sans les femmes
comme ça sans ponctuation
 
Il hésita un moment et puis
il mit le - qui manquait
entre ferions et nous
ensuite les trois petits… à la fin
et après le point d’ ?
 
Comme ça
 
que ferions-nous sans les femmes… ?
Comme ça
 
Épuisé de cet effort de création,
Sam posa la tête sur le papier
et s’endormit doucement
lentement… calmement
mais non pas avant d’avoir
sorti du tiroir de son bureau
une bouteille de Irish whiskey
et de s’en être tapé trois bons
glou-glou-glou au goulot
avant de glisser lentement
dans le grand trou du sommeil…
 
Quand il s’est réveillé
d’un seul coup
comme si effrayé
par un cauchemar
il était minuit
et tout était noir
autour de lui…
 
Pendant quelques moments
il fixa le noir de ses yeux vaseux
avant d’allumer pour pouvoir
rire la suite de cette phrase…
...... cette phrase en suspens…
qu’il fallait maintenant finir
en la rendant symétrique
avec une réponse…
 
Cette phrase qui dira tout
en semblant ne rien dire
tout en se moquant
avec une nuance ironique
de sa propre présomption…
 
Donc quand Sam releva la tête
et trouva sous ses veux vaseux
les mots qu’il avait écrits
avant de s’endormir :
que ferions-nous sans les femmes… ?
 
exactement comme ça
 
Il se jeta sur son crayon,
qui était toujours sur le papier
et il laissa ses doigts écrire
le reste de la phrase
la réponse quoi
de la même écriture illisible :
nous explorerions d’autres plis !
 
Mais cette fois-ci
il ne mit pas trois
petits… à la fin
il mit un point d’ !
 
(…)
 
Ça ne s’arrête pas là. La suite est dans Coups de pompes, publiés par Le Mot et le Reste en 2007.
 
Le 22 décembre 1989, une femme a pensé à me passer un coup de fil. Le 6 octobre dernier, une autre a pensé à m’envoyer un petit mail. Et sans une autre, la seule, je n’aurais jamais eu la chance (ou plutôt le cran) d’être lu.

mardi 20 octobre 2009

comme un écho

Et en y repensant, tout à l’heure dans la forêt, ceci aussi, lu en juillet (c’est-à-dire loin du blog), mais pas oublié, forcément – là aussi, comme un écho.
  
Elle souffle, le souffle s’arrête, appellent-ils cela mourir, le cœur deux fois bat et bloque, reprend, elle est collée à une peau d’arbre qui s’effrite, les ramures maigres grises font de petits manteaux, parapluies tristes, tout autour sont les champs déserts, des grumeaux de sable. Elle a des muscles comme des nœuds dans de l’écorce d’arbre. Elle penche, au loin est un bosquet de silhouettes, ce sont les poursuivants, ils sont verts et feuillus, droits, ils sont dans le creux, l’ombre foncée, la bouche de la plaine, ils parlent une parole d’arbres feuillus, de pins. Elle leur dit ce qu’il en est, je suis morte deux fois, une fois et l’arrêt brusque de ce qu’on dit le cœur, la deuxième fois ça reprend au-delà, au-delà du cœur ça reprend, quand l’image de moi s’en est allée, une buée. Je ne dirais pas le cœur, mais par (ou dans ou hors) la bouche.
 
Marie Cosnay, Noces de Mantoue, Laurence Teper, 2009, p. 40.


Commentaires

Ouf ! celui-ci, je l'ai déjà lu (déjà à cause de vous à l'époque, d'ailleurs)
Commentaire n°1 posté par Anna de Sandre le 20/10/2009 à 22h37
Et pourtant j'avais justement oublié d'en parler, pour cause de vacances ! C'est aussi à l'occasion de la parution de Noces de Mantoue que MC a été immatriculée chez les Anges.
Commentaire n°2 posté par PhA le 20/10/2009 à 22h52
Oui, je l'ai lu. Et j'avais trouvé que c'était un des plus mauvais dossiers de TG d'ailleurs.
Commentaire n°3 posté par Anna de Sandre le 21/10/2009 à 07h20
A ce point-là ? C'est vrai que je ne découvrais pas Marie Cosnay, et que j'avais surtout été curieux de l'interview.
Commentaire n°4 posté par PhA le 21/10/2009 à 13h52
Oui. J'ai cru qu'il décrivait une quiche inculte, ce qui n'est pas le cas.
Commentaire n°5 posté par Anna de Sandre le 21/10/2009 à 14h04
En effet (ce qui ne m'empêche pas, par ailleurs, d'apprécier certaines quiches). (Mais ce n'est pas si courant que TG et ses complices nous servent de la quiche au menu, tout de même.)
Commentaire n°6 posté par PhA le 21/10/2009 à 14h26
Et une quiche angélique, c'est bon. Mangez-en.
Commentaire n°7 posté par Anna de Sandre le 21/10/2009 à 22h44
 

dimanche 18 octobre 2009

je sus aussitôt où je me trouvais

L’autre livre au fond de mon sac noir ce jour-là, c’était celui-ci, dont l’auteur était à mes côtés. Sa lecture, achevée il y a déjà quelques jours, résonne encore.
 
L’averse cessa. La station prolongée à plat ventre avait achevé de me rincer. La pluie avait transpercé les brodequins d’Elébotham, et c’est au son d’une armée d’éponges que je courus vers ma cabane. Je me donnai une bonne heure de course pour l’atteindre.
Il ne devait être pas loin de dix heures du matin à ce moment-là, et je m’arrêtai, figé par la stupeur : la nuit tombait. Une énorme chape de peinture noire semblait s’abattre sur la forêt, tandis que la pluie qui avait repris n’était qu’épines de glace, m’agressant sans ménagement. Je sortis de ma besace une lampe de poche que j’avais emmenée je ne sais trop pourquoi. Elle éclairait faiblement mais il allait falloir s’en contenter. Cette étrangeté climatique tombait au plus mal. Pour rejoindre la cabane, je devais bifurquer à travers bois et je n’étais plus du tout sûr de me repérer. Je pris le parti de m’orienter vers l’est, mais au bout de quelques mètres je dus avouer que je faisais fausse route : nulle trace de l’aulne solitaire qui me servait de borne. Je filai à l’aveuglette, priant pour que la torche ne rende pas l’âme. Alors que je commençais à désespérer de pouvoir retrouver mon chemin, la nuit s’esquiva aussi brutalement qu’elle était apparue, faisant place à une blancheur des plus énigmatique. Je sur­plombais alors un marais. Je sus aussitôt où je me trouvais.
Ce marais se situait aux confins du Bois du Loup Gris, proche d’un courant naturel qui de l’océan sinue loin dans les terres. Le courant est navigable, et la plupart du temps magnifique, les saules s’avançant au-dessus de l’eau, les pas­sages larges succédant à d’autres bien plus étroits et touffus. Il fait office de frontière entre deux grandes forêts. Le marais lui-même ne dépasse pas la douzaine de mètres de largeur. L’eau stagnante et grisâtre était couverte de feuilles et de nénuphars ; de temps à autre, la surface se troublait sous l’action de grenouilles entreprenantes. Tous les arbres autour de l’étang étaient morts, sans exception. Deux chênes fourbus penchaient exagérément, comme si le marais cher­chait à les avaler. Certaines de leurs branches mortes tou­chaient presque l’eau ; les brindilles blanches et sèches y étant encore attachées se rejoignaient pour former une chevelure de vieille dame épuisée et en pleurs. Plus loin, les premiers pins, chênes et autres aulnes se tenaient à distance, pour éviter d’être happés à leur tour. L’herbe sur la berge était jaunie par le soleil qui ici trouvait à s’activer sans relâche à la belle saison. La lumière froide et blanche renforçait l’atmosphère surnaturelle qui s’en dégageait.
Je ne pus m’empêcher de rire. C’était la mare de lou cade­toun ! L’idiot du village, le toujours dans la lune. Il y a long­temps, le pauvre gars d’un village voisin avait accompagné les gemmeurs dans cette zone. Pour se moquer de lui, ils lui avaient expliqué qu’il leur fallait un plan d’eau à proximité pour qu’ils puissent se désaltérer. La mare était donc un étang artificiel creusé par le type, après qu’il eut abattu les arbres qui le gênaient. Ça lui avait pris une dizaine d’années. Comme le courant n’est pas très loin, il avait pioché et pioché pour faire une tranchée reliant les deux, et voilà comment il avait rempli son trou !
Je continuai ma route, lorsque je distinguai une petite forme blanche à une dizaine de mètres devant moi. Je sus qu’il s'agissait de mon écureuil couvert de givre. Il ne parais­sait pas s’en émouvoir. Et il ne bougeait pas.
 
Jérôme Lafargue, Dans les ombres sylvestres, Quidam éditeur, p. 145-147.



Commentaires

Je savais que ces photos ne venaient pas d'une seule promenade. Si je me laisse prendre, je vais finir entre l'écorce.
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 19/10/2009 à 00h20
Ah, je vois qu'il y a ici une haute concentration d'hommes vers lesquels on doit se déplacer si on veut les voir, parce que dans l'autre sens, hein? On les voit pas beaucoup et pour certains même, jamais. Depluloin, ramenez votre burette, j'ai ma porte qui grince. Philippe, zallez bien ?
Commentaire n°2 posté par Frédérique M le 19/10/2009 à 00h34
@ Depluloin : Eh bien, si ! (L'appareil est tout récent, c'était sa première sortie en forêt.)
@ Frédérique : Pas mal, Frédérique, mais l'emploi du temps de Spiderman est un peu surchargé ces derniers temps ; Peter Parker a du mal à honorer tous ses rendez-vous !
Commentaire n°3 posté par PhA le 19/10/2009 à 08h47
Eh bien bravo! Pour un coup d'essai, ça vaut le coup de naître! (Mes à-peu-près datent un peu!)
Commentaire n°4 posté par Depluloin le 19/10/2009 à 11h55
Je suppose, Annocque, que vous vous doutez de ce que vous faites à Loïs ?
Commentaire n°5 posté par Anna de Sandre le 19/10/2009 à 14h07
Certes (mais je n'ose l'écrire).
Commentaire n°6 posté par PhA le 19/10/2009 à 15h59
Philippe, je tiens à vous signaler un abus sur le blog de François M... mais vous êtes sûrement au courant. Voilà ce que c'est d'être bien coiffé!
Commentaire n°7 posté par Depluloin - décoré de la Francisque le 19/10/2009 à 17h17
Ce dessinateur m'envie parce que j'ai tous les Tifs Tondus et pas lui.
Commentaire n°8 posté par PhA le 19/10/2009 à 17h54

vendredi 16 octobre 2009

leur aptitude à survivre

Je ne sais pas si le buddleia davidii, en fait de lépidoptères, attire vraiment aussi les grands paons-de-nuit – mais aujourd’hui ce sera oui. (Ils ont en tout cas une qualité en commun : leur aptitude, envers et contre tout, à survivre.)
 
Un entomologiste s’échine à élever en laboratoire des lépidoptères en voie d’extinction. Parce que les femelles ne pondent qu’exceptionnellement en captivité, c’est un combat à peu près vain, il le sait, pour la plupart des espèces diurnes, décimées par les pesticides. Quelques papillons nocturnes, en revanche, s’accouplent en cage et, remis en liberté, flairent une unique fleur à dix kilomètres. C’est pourquoi, il en est convaincu, le Grand Paon-de-Nuit, vieux de trente millions d’années, survivra presque seul au dernier papillon diurne.
 
Marcel Cohen, Le Grand Paon-de-Nuit, Gallimard, 1990, p. 131.


Commentaires

Je ne suis pas faché qu'on parle enfin de moi - ici. Et vous en remercie.
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 17/10/2009 à 01h48
"Le contempler longuement trouble, paralyse, endort. Qu'un anneau clair et brillant autour d'un centre obscur et comme vide lui fasse en outre figurer un œil, c'est assurément une source supplémentaire de trouble et d'effroi, une possibilité accrue de fascination et de vertige." Caillois, Méduse et Cie, 1960.
Commentaire n°2 posté par Romain le 17/10/2009 à 11h37
Belle piste de lecture, merci Romain.
@ Depluloin : Vous nous enterrerez tous !
Commentaire n°3 posté par PhA le 17/10/2009 à 13h44
Pha, sans rire cette photo de Depluloin en grand-paon-de-nuit m'intéresse au plus haut point. L'auriez vous en version suffisamment bonne pour être imprimable (et, de là, découpable) ?
Commentaire n°4 posté par Souricette le 11/11/2010 à 13h11
Je vais vois ce que je peux faire pour vos nuits, Souricette ; je comprends que ce poster de Depluloin au-dessus de votre lit vous fasse rêver.
Réponse de PhA le 11/11/2010 à 14h41
 

mardi 13 octobre 2009

l’étrange odyssée du Buddleia davidii

Mes histoires (à suspense comme il se doit) de buddleia m’en rappellent une autre, quasi épique et pas de moi celle-là (le buddleia est en effet un excellent sujet de littérature ; je ne comprends pas que nous soyons si peu à nous y être attelés) :
 
 
XLVI
 
Notes en vue d’une étude sur l’étrange odyssée du Buddleja davidii, ou arbre à papillons :
– 1894 : originaire des hauts plateaux tibétains, l’arbuste est introduit dans les collections du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Produisant des fleurs en grappes mauves, parfois blanches, il a pour particula­rité d’attirer les lépidoptères. Ce plant est une curio­sité puisqu’il s’agit du premier spécimen jamais vu en Occident.
– 1934 : botaniste au Muséum, et originaire d’Athis-Mons, Paul Jovet (1896-1991) a la stupeur de retrouver un jour la haute tige du Buddleja davidii se balançant élégamment dans une carrière de l’Oise où il herborise. En quarante ans, l’arbuste a donc par­couru une centaine de kilomètres, peut-être plus. Une évasion stupéfiante si l’on tient compte du faible nombre de plants conservés au Muséum et de l’am­pleur du désert de pierres parisien qui lui sert de pri­son.
– 1940-1944 : le mauvais état de la voirie pari­sienne (les matières premières font défaut et beaucoup d’employés municipaux sont prisonniers en Allemagne) ainsi que la désorganisation des services du Muséum équivalent, pour le Buddleja davidii, à une porte ouverte : l’arbuste profite de la guerre pour coloniser en toute tranquillité les chantiers abandonnés de la capitale, les cratères de bombe des banlieues industrielles, les fissures des trottoirs, les terrains vagues des boulevards de ceinture, les quais de la Seine, les tranchées des voies ferrées. Lors de la Libération de Paris, il n’est pas rare de voir les vélos-taxis, les tractions avant noires des FFI, et les panzers allemands sur le point de se retirer, évoluer au milieu des papillons qu’attire et nourrit l’arbuste.
– Été 1944 : à défaut de pouvoir le suivre à la trace, il n’est pas douteux que le retrait des troupes allemandes, et l’avancée des troupes alliées vers l’est, ait largement favorisé l’expansion du Buddleja davi­dii : les chenilles des chars, les pneus des jeeps et des GMC sont seuls en mesure, à l’époque, de transpor­ter de la boue sèche sur de très grandes distances et, avec elle, des graines d’arbre à papillons. Lorsque les botanistes, dans les années de l’après-guerre, repren­dront leurs travaux, ils découvriront le Buddleja davidii dans presque toute l'Europe.
– 2003 : dans l’Øresund, le bras de mer séparant le Danemark de la Suède, le botaniste suédois Bengt Ørneberg a la stupeur de découvrir un plant de Buddleja davidii sur une île danoise de quatre kilo­mètres de long sur quatre cents mètres de large. L’île porte le nom de Peberholm (l’île au poivre). A l’évi­dence, ce n’est pas la présence de l’arbuste sur le ter­ritoire danois qui étonne le botaniste, mais bien le fait qu’il se soit développé à cet endroit : l’île, en effet, est totalement artificielle et constituée, pour l’essentiel, de matériaux sous-marins dragués au fond de la mer afin de servir de support au pont-tunnel reliant Malmö à Copenhague.
Ce n’est pas la seule singularité de Peberholm : l’île est interdite au public. Si trains et voitures la par­courent jour et nuit, nul ne peut s’y arrêter et les botanistes eux-mêmes ne sont autorisés à la visiter que quelques jours par an. Cette interdiction est tout à fait intentionnelle : il s’agit, à l’instigation des botanistes eux-mêmes, de disposer d’un laboratoire permettant d’apprécier, année après année, le déve­loppement du peuplement végétal sur une île totale­ment vierge. Qu’on ait pu trouver sur Peberholm un plan de tomate et un jeune pommier n’a donc rien de mystérieux : il aura suffi de jeter distraitement des tro­gnons depuis une voiture. Mais la graine de Buddleja davidii ?
 
Marcel Cohen, Faits, II, Gallimard, 2007, p. 151-153.
 
Marcel Cohen, dans Faits, II, ne parle pas de buddleias ailleurs que dans cette note sobrement numérotée XLVI. En revanche, qu’il y évoque l’histoire de cet arbuste, les conditions des marins sur un porte-conteneurs, le refus d’un tout petit garçon anonyme à la puissante volonté de son père, les derniers messages des déportés sur les murs de Drancy, il parle de la vie, de la capacité à résister, et ce d’une manière très directe, sans passer ni par la fiction ni par l’effet de style, dans une sorte d’urgence de dire ; et vraiment c’est très fort (je parle de l’effet qu’il produit sur son lecteur : moi).
 



Commentaires

et les papillons ? quels papillons ? tous les papillons ?
Commentaire n°1 posté par tor-ups le 14/10/2009 à 10h21
Ah pardon, mais il y a longtemps que je m'intéresse au buddleia, sans le savoir, et sans en faire un sujet littéraire bien sûr. Marcel Cohen a (volontairement?) écarté le vecteur de propagation le plus redoutable : la fiente des oiseaux, surtout s'ils sont migrateurs et de retiennent assez longtemps. Responsable de cette plaie qu'est le gui (loranthacée).

Sinon, je ne retrouve plus ce qui m'a fait penser à votre écriture, je n'ai pas rêvé pourtant.
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 14/10/2009 à 12h38
Je comprends mieux votre surnom. Pha : ça fait penser à un papillon !
Quelle histoire.
Je vais la relire.
Commentaire n°3 posté par Souricette le 14/10/2009 à 13h05
@ Tor-Ups : Tous les papillons du monde... Le buddleia est le Dom Juan des papillons.
@ Depluloin : Mais enfin ! Le buddleia est une loganiacée, voyons !
@ Souricette : Me trouvez-vous donc si léger ? (Mais oui, c'est à lire et à relire ; ça papillonne bien moins qu'il n'y paraît, chez l'auteur du Grand Paon de Nuit.)
Commentaire n°4 posté par PhA le 14/10/2009 à 15h27
Raconte-nous une histoire du monarque, maintenant, s'il te plaît, Pha!
Commentaire n°5 posté par tor-ups le 16/10/2009 à 08h57
Du monarque, je n'ai pas, mais du Grand Paon de Nuit, laisse-moi fouiller !
Commentaire n°6 posté par PhA le 16/10/2009 à 10h11

vendredi 9 octobre 2009

j’ai un souvenir de Gérard Bobillier





C’est une lettre de refus. N’empêche, ça m’a bien remonté le moral, à une période de sacrés doutes…
 
 
Paris, mercredi 14 avril 2004
 
Cher Monsieur,
 
Nous avons lu avec intérêt Chroniques imaginaires de la mort vive, le chant de cet homme de retour en son village d’enfance, Moustier, que sépare de Vauvert un bois. C’est un lieu minuscule que l’imaginaire de l’enfant rendait infini : les hommes visibles, la Bête invisible et la princesse inaccessible. Le lieu que retrouve l’adulte est tout aussi insaisissable : les morts se succèdent et face à ces morts, le silence de la meute des hommes. Ils ont perdu le pouvoir de dire. Les mots, vidés de leur substance, se murmurent comme des litanies. Le narrateur lui-même ignore ce qui le rend désormais étranger à ces gens et à lui-même, sans nom propre. Il s’interroge sur ce qui meut la langue : « La mort de Marie avait fait taire Vauvert, celle de François lui avait rendu la parole. » L’ennemi commun surgit sous le nom du Malin dans la bouche des femmes ou du loup, selon la nécessité du langage commun.
Derrière le silence, il y a les soldats inconnus sans sépulture et derrière encore, la mort de Dieu, dont la lumière chue nappe indifféremment les objets. La mort du maître, du roi, livre les hommes à la « volonté lubrique et rigolarde de leur membre », en toute impunité.
Et derrière la princesse inaccessible, il y a l’étreinte du corps de Mina aux mains sales, la desservante d’Hécate. Cette étreinte n’abolit pas la différence sociale qui, fixée dans son inaccessible origine, est éternelle. La goutte visqueuse luit du mystère éternel de « l’origine de la vie dans l’ombre », la semence de trop, que l’on essuie. La mort de Mina replace l’homme à la tête de la meute des chiens, à charge de nommer.
 
Le récit, maintenu par l’imparfait et le plus que parfait dans un temps quasiment immobile, se situe aux limites de l’indicible.
Ses qualités font qu’il devrait sans peine trouver son éditeur.
 
Bien à vous.
 
Bobillier
 
Chroniques imaginaires de la mort vive a en effet trouvé un éditeur, il est paru chez Melville en 2005.

jeudi 8 octobre 2009

nous vous remercions de votre attention

nous vous remercions de votre attention – et reprenons notre récit qui décrivait le frottement des carcasses entre elles – il faut préciser que dans la zone des carcasses ces frottements n’aboutissent à rien – totalement vains dans le sens qu’ils ne donnent aucun fruit ni aucun plaisir – ce ne sont que de vieux réflexes – dans la zone une carcasse ne peut pas engendrer une autre carcasse – elle ne peut que la frotter – l’engendrement est possible seulement quand la carcasse est transmutée dans une nouvelle forme de vie – humaine ou animale – et peut-être même en tant que plante ou objet – mais cela demanderait des confirmations qui ne sont pas à notre disposition pour le moment – en tout cas c’est en se frottant les unes contre les autres que les carcasses se stimulent entre elles dans la zone – mais sans aucune raison ni aucun résultat – c’est un peu comme de l’art pour l’art – du frottement pour du frottement – nous disons frottement parce que nous n’avons pas pu trouver un meilleur terme pour décrire l’activité sexuelle propre à la zone des carcasses – sans doute que baiser ne conviendrait pas – et offenserait sûrement les lecteurs potentiels de cette fable – surtout que ces frottements peuvent se faire aussi bien avec la carcasse d’en dessous qu’avec celle du dessus – donc disons que depuis des temps immémoriaux ces carcasses empilées les unes sur les autres sans aucune espèce d’ordre ou de logique forment un énorme tas de vieilles peaux vides qui frémissent ensemble – un tas de la forme d’une haute pyramide – plus large à sa base puisque le nombre de carcasses jetées sur ce tas de toute antiquité est forcément plus grand – durant depuis une éternité ce n’est qu’une hypothèse que nous proposons – ce tas de carcasses empilées les unes sur les autres pourrait avoir d’autres formes géométriques – ou non géométriques - nous laissons ces conjectures à l’imagination des lecteurs potentiels – parlons maintenant du processus cyclique de la transmutation – imaginons un instant chaque carcasse potentielle – humaine ou animale – faisant la queue leu leu – tenant sa position dans le circuit qui mène de la vie à la mort – et vice versa de la mort à la vie – la mort la mort toujours recommencée – comme aurait pu dire Paul Valéry – passant d’un état à l’autre par transmutation – de bas en haut – de la terre vers le ciel pourrait-on naïvement dire – pour ceux qui s’illusionnent encore de mensonges religieux – de haut en bas ou de droite à gauche – pour ceux qui se foutent de quitter la place dans une direction ou dans une autre – vivant mort – mort vivant – et revenant encore et encore – ou plutôt se répétant comme une rumeur transmissible à l’infini dans n’importe quelle direction – c’est ce processus qui permet la reproduction – grâce au sexe – disons-le tout net – ce qui confirme ce que nous énoncions plus haut – la transmutation et le sexe ne sont qu’une seule et même chose – mais laissons là ces considérations d’ordre métaphysique
 
Raymond Federman, Les Carcasses, LaureLi Léo Scheer, 2009, p. 50-52.
 
Quand j’ai choisi cet extrait pour illustrer le dernier livre de Federman, je ne savais pas que c’était le dernier. Quand j’ai lu la nouvelle chez son éditrice, je me suis trouvé heureux d’avoir eu une fois l’occasion d’entendre sa voix. J’ai un peu regretté que ma timidité vaguement bêtasse m’ait empêché de lui dire en face tout ce que je pensais de son œuvre – mais de toutes manières je n’en aurais pas eu le temps. Ici j’en ai un peu plus (enfin, pas beaucoup plus en fait).
Des Carcasses de Federman, on en parle aussi notamment chez Claro, Libr-critique, et sur Lignes de fuite



Commentaires

C'est donc le Federman que je connaissais grâce à Beckett. L'émotion est encore plus forte. (Un instant, j'ai cru à la disparition de l'éditeur Verdier.) Je m'en vais lire cet auteur - un de plus grâce au blog, ça devient une ruine cette affaire! Mais merci tout de même! plutôt deux fois qu'une!
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 08/10/2009 à 16h06
C'est bien lui - et moi aussi, je l'ai "connu" il y a bien longtemps grâce à Beckett. (Je mets "connu" entre parenthèses car à l'époque, il n'était à mes yeux qu'un universitaire américain...)
Commentaire n°2 posté par PhA le 08/10/2009 à 17h05
Depluloin, quel esprit !
Mais arriverez-vous à tout lire ? Monsieur Pha, raisonnez-le ce n'est pas bon pour son arthrose!
Commentaire n°3 posté par Souricette le 08/10/2009 à 18h23
Rassurez-vous, Souricette ; la lecture de Federman est un excellent remède contre l'arthrose (entre autres).
Commentaire n°4 posté par PhA le 08/10/2009 à 18h34
Me voilà rassurée. Mais savez-vous pourquoi Depluloin ne veut plus m'épouser? Une mauvaise lecture, peut-être ?
Commentaire n°5 posté par Souricette le 08/10/2009 à 18h49
Souricette!! La Surintendante vous demande!! Ne vous dispersez pas!!
Commentaire n°6 posté par Depluloin le 08/10/2009 à 18h56
Oui !
(regardant partout)
Où ça ?
Commentaire n°7 posté par Souricette le 08/10/2009 à 19h23
Au fait, chère Souricette, j'ai pensé à vous en regardant la couverture des Carcasses.
Réponse de PhA le 09/10/2009 à 07h28
Mon Dieu, Philippe! Trop tard! Tout le monde aux abris!!
Commentaire n°8 posté par Depluloin le 09/10/2009 à 10h01
Oui, j'ai oublié les guillemets dans mon premier commentaire qui pourrait laisser penser que je tapais sur l'épaule de l'un et de l'autre!
Commentaire n°9 posté par Depluloin le 09/10/2009 à 10h27
Non non, Depluloin, mes guillemets n'étaient pas une invitation à vous en orner vous aussi ; je voulais juste souligner les différentes identités que la vie a fait assumer à Raymond Federman, et le manque de visibilité qui, à la fin de mes études, me le faisait voir juste comme un universitaire américain spécialiste de Beckett - qu'il était aussi - mais ô combien pas seulement.
Commentaire n°10 posté par PhA le 10/10/2009 à 16h49

mercredi 7 octobre 2009

payer les élèves, après tout...

 
  ... ça doit sûrement revenir beaucoup moins cher que de donner des moyens suffisants à l'école.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Commentaires

Ce monde à l'envers... Arff !
Commentaire n°1 posté par François Matton le 07/10/2009 à 19h02
Vaste débat! Avant de m'y engager, je vais tout de même calculer ce que pourrait me rapporter de m'inscrire en auditeur libre à L'Ecole des Mines. Ne critiquons pas trop vite...
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 07/10/2009 à 19h27
Au-delà de toute autre considération, cette idée "vulgaire", bourgeoise tendance "bling bling", que tout peut s'arranger avec de l'argent.
Commentaire n°3 posté par Depluloin le 08/10/2009 à 12h11
Comme vous dites !
Commentaire n°4 posté par PhA le 08/10/2009 à 12h58
Depluloin, Depluloin !
2000... 2500... 3000...4500...5000... 6500
Je vais me couler un bain de dollars bling-bling, vous venez?
Commentaire n°5 posté par Souricette brassant de grosses liasse de dollars le 08/10/2009 à 17h45
Souricette attention ! Il y a des jeunes qui vous regardent...
Commentaire n°6 posté par PhA le 08/10/2009 à 17h57
Ça n'est pas grave !
Ça les changera un tout petit peu de vos conversations intellectuelles.
Elles sont charmantes, mais elles me fatiguent un peu les yeux.
Commentaire n°7 posté par Souricette le 08/10/2009 à 18h21
Dans ce cas je vais le crier bien fort, ça fera venir du monde : SOURICETTE EST DANS LA BAIGNOIRE !
Commentaire n°8 posté par PhA le 08/10/2009 à 18h36
 

mardi 6 octobre 2009

Qu’est-ce que vous faites, vendredi soir ?

 
MARIA SOMBRANO
de Timon Lunoilis
 
Par lassitude, espièglerie ou simple défi, des auteurs se mesurent par­fois aux périls qui les guettent, ceux-là mêmes qu’ils s’évertuent à nier le reste du temps. Ils s’installent alors confortablement à leur table de travail, ou à une ter­rasse de café, ou sous les arbres de leur vaste jardin, et, sur un ton qui se veut dégagé, répertorient puis commentent les idées de romans, de poèmes ou de contes qu’ils ont eues, et qu’ils se sentent incapables de mettre en forme pour diverses raisons (paresse, incompétence, manque de temps ou d’intérêt). Dans le meilleur des cas, ils parviennent à façonner un livre échelonné de débuts, d’es­quisses, de bouts de premières phrases. Ces jolis instruments de subversion littéraire sont autant de modestes cailloux dans la gravière des aphasies en tous genres. Je ne sais si ces auteurs dispersés dans le monde et le temps ont au moins une fois au cours de leur vie en­tendu parler de Maria Sombrano : les troubles révélés en négatif dans leurs livres furent pour cette pauvre femme d’une cruelle réalité, une malédiction.
A ses dépens, cette Chilienne est devenue la muse terrifiée et malheureuse de nombre d’auteurs latino-américains de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. Alors qu’elle aurait pu deve­nir l’une des premières femmes écrivains de renom issues de cette partie du globe, avant Silvana Ocampo et Lydia Cabrera, elle est restée confinée dans les mémoires friables de ceux qui ont recueilli ses idées avec un brin de malice. Mais, comme on le verra, en les lui filoutant, ils lui rétrocédaient simultanément ses facultés physiques et un minimum de santé mentale. (…)
 
Jérôme Lafargue, L’Ami Butler, Quidam, 2007, p. 11-12.
 
C’est comme ça que ça commence. Je veux dire : c’est comme ça que commence l’Ami Butler de Jérôme Lafargue, et c’est comme ça que commence mon aventure avec Quidam. C’était un mardi, comme aujourd’hui (j’essaie d’avoir toujours mon mardi libre, c’est devenu quasi rituel), et je roulais dans ma non moins rituelle Chamade bleu marine ; j’étais en panne d’éditeur, le dernier ayant fondu comme neige au soleil ; j’allais faire reproduire quelques manuscrits de Liquide. (En fait je crois bien avoir déjà raconté ça, je radote un peu, c’est le(s) métier(s) qui veu(len)t ça. Ceux qui connaissent peuvent sortir discrètement, sans claquer la porte.) C’était donc un mardi et à la radio j’écoutais les Mardis, précisément, littéraires bien sûr, de Pascale Casanova (qui ne sont plus le mardi, d’ailleurs). Je ne me souviens plus bien de ce qui s’est dit dans le détail mais ce dont je me souviens, c’est de mon envie immédiate de lire l’Ami Butler. Le lecteur y a trouvé son bonheur, il en a glissé deux mots à l’auteur qui, après quelques autres lectures, a décidé d’aller vers Quidam (« aller » c’est une façon de parler, j’y suis allé par la Poste, comme d’habitude), convaincu qu’il faudrait dans l’avenir compter avec cette petite maison (j’ai déjà gagné des paris plus improbables). C’est pourquoi je suis vraiment content d’être invité vendredi par la librairie Atout Livre en même temps que Jérôme Lafargue, qui y présentera son nouveau roman Dans les ombres sylvestres. En plus il y aura aussi Jacques Jouet, François Beaune et Jean-Michel Guenassia ; c’est un peu viril comme plateau mais ça ne manque pas de qualité. 


Commentaires

Texte terrible... Je me sens soudain gravillon dans la gravière. Il y a un proverbe à inventer pour me rassurer - un peu.
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 06/10/2009 à 18h53
Oui, il y a quelque chose de vertigineux dans ce roman. (Pour le coup, avec Lafargue, le mot roman, dont personnellement je ne suis pas grand fan, prend une nouvelle noblesse.) Je sens bien le nouveau aussi (entre pinède et océan) (je viens juste de l'acheter).
Commentaire n°2 posté par PhA le 06/10/2009 à 19h00
"Les petits graviers font les grandes gravières", tel était le poème censé me rassurer. Ah oui, la seule mention "roman" suffit à me rendre méfiant. Peut-être un peu moins maintenant.
Commentaire n°3 posté par Depluloin le 07/10/2009 à 12h31
Errata : "le poème", quelle prétention, c'est "le proverbe" qu'il fallait entendre.
Commentaire n°4 posté par Depluloin le 07/10/2009 à 12h32
Roman, car précisément, il faut voir ce que Jérôme Lafargue fait de la fiction.
Commentaire n°5 posté par PhA le 07/10/2009 à 13h52

vendredi 2 octobre 2009

chumulukada

 
Lui, il a la chance d’être entouré du langage parlé, de cette symphonie à mille voix, dans la rue, sur les places, à l’hô­tel, dans le métro : il n’aurait qu’à faire bien attention, à écouter et à séparer chacune de ces voix, il serait toujours temps de noter plus tard leur partition. Il décide donc d’écarter, tout au moins pour l’instant, son journal et ses documents, pour désor­mais bien ouvrir les oreilles.
À proprement parler, n’importe quel habitant de la ville serait en mesure de lui enseigner sa langue, les mots, les règles au fur et à mesure, à condition de lui consacrer suffisamment de temps et de patience. Mais c’est précisément cela qui manque le plus dans les gens d’ici, un peu de courtoisie, de serviabilité, de disponibilité dans leur hâte immodérée et leur éternelle bousculade, quelqu’un qui l’écouterait demander ce dont il a besoin, qui une fois au moins daignerait témoigner de l’intérêt pour ses gesticulations de sourd-muet. Jamais personne n’a pris le temps pour cela depuis son arrivée, personne ne lui a permis de nouer une quelconque relation humaine. Sauf peut-être une seule…
Il commence par noter les chiffres de un à dix sur une feuille de carnet, il se dirige vers l’ascenseur, cherche Pépé, l’invite à l’étage supérieur, lui tend son papier et désigne le chiffre un. La fille ne donne pas de réponse claire, elle ne comprend pro­bablement pas de prime abord ce qu’il demande, elle rit, allume une cigarette, hausse les épaules en modulant quelque chose comme :
– Tououlli ouloumoulou alaoulp tléplé…
Cela ne peut pas être le nom d’un numéral. Budaï ne se laisse pas démonter, il lève son pouce en l’air, désigne le chiffre « un » sur un billet de banque, insiste. Bébé donne cette fois une réponse brève, monosyllabique :
– Dutt !
Alors il demande le deux, puis le trois, puis le quatre et ainsi de suite et il note phonétiquement chacune des réponses. Il arrive jusqu’à dix, cependant la sonnerie se met à retentir, il doit y avoir un monde infernal à l’ascenseur. Avant de se sépa­rer, en guise de contrôle, il lui redemande le « un », mais la fille prononce cette fois tout à fait différemment :
– Chumulukada.
 
Ferenc Karinthy, Epépé, éditions In fine, p. 139-140.
 
C’est Didier da, notre récent disparu de la toile, qui le premier m’a recommandé cette lecture d’un roman qu’à l’évidence l’auteur a écrit d’abord à mon intention, mais dont je veux bien partager avec vous la lecture. Comme je suis un peu lent, j’ai eu le temps de le retrouver mentionné dans Une petite cure de flou, de Philippe Garnier – et c’était aussi de bon augure. Si j’avais attendu davantage, les avis de Pascale Arguedas, de Didier Garcia et d’Eric Faye auraient achevé de me convaincre de mon ingratitude. 



Commentaires

Quel bouquin, mais quel bouquin ! Oui, des années après lecture, on n'a encore que ces faibles mots à la bouche...
Commentaire n°1 posté par Pascale le 02/10/2009 à 23h49
PS : moi c'est dans un des premiers livres de Philippe Claudel que j'ai appris son existence. Ce livre a marqué beaucoup d'écrivains qui le passent encore et encore dans leurs ouvrages. Combien ils ont raison!
Commentaire n°2 posté par Pascale le 02/10/2009 à 23h52
C'est dommage mais à l'heure où je vous parle, les commentaires sont muets. Overblog est-il le bon endroit?
Commentaire n°3 posté par Depluloin le 03/10/2009 à 00h15
Hola! N'oubliez point Depuloin, dont le subconscient irradie le blog. (Irradie?) Je commence à prendre la grosse tête avant même d'y avoir droit, ni la nécessité. J'ai beaucoup appris : tout d'abord la générosité. Etre généreux, voici le but.
Commentaire n°4 posté par Depluloin le 03/10/2009 à 01h28
Mais bien évidemment à votre intention!! Allons, ces répliques relèvent du chef-d'œuvre!! Je tiens pour certain que nombre d'écrivants vous ont choisi. De même que les écrivains - surtout. Mon dieu! A moi F. M.  vous et vos armées de l'ombre.
Commentaire n°5 posté par Depluloin le 03/10/2009 à 02h30
Ai-je raté quelques épisodes ? Pourquoi Deplusloin déblogue tant ? Je ne le comprends plus, que lui arrive-t-il, a-t-il zappé sa séance chez le psy ?
Commentaire n°6 posté par Pascale le 03/10/2009 à 09h13
Oui, c'est étrange. Je dirais même... cela demande un enquête. D'autant que je... ça parait bizarre tout de même.
Commentaire n°7 posté par Depluloin le 03/10/2009 à 10h20
Je confirme : c'est de plus en plus étrange : je réponds à quelqu'un qui est sur un autre blog. Il va falloir qu'overblog s'explique.
Commentaire n°8 posté par Depluloin le 03/10/2009 à 10h25
Vous m'inquiétez, Depluloin. C'est vrai qu'hier il y avait un bug sur les commentaires, mais il me semble qu'aujourd'hui tout est rentré dans l'ombre. Je crains bien que vous ne vous adressiez à un interlocuteur imaginaire. (A mois que ce pauvre Budaï, loin d'avoir débarqué dans une ville au langage inconnu, soit simplement atteint d'une forme aiguë d'aphasie hallucinatoire contagieuse, dont vous voici la seconde victime.)
Commentaire n°9 posté par PhA le 03/10/2009 à 12h08
Certes, hier soir j'ai trop regardé la pleine Lune qui passait à une vitesse effarante derrière le Panthéon. J'en ai conclu que notre Terre tournait de plus en plus vite. Cela dit, le mystère demeure. Bien, je vais creuser un trou où me cacher.
Commentaire n°10 posté par Depluloin le 03/10/2009 à 13h03
Bien, Overblog, vous commencez à entrevoir la fonction labyrinthique pour laquelle vous avez été créé!
Bientôt la cacophonie sera immense et nous devrons envisager de migrer sur une autre planète pour tout reprendre à zéro.
Vous faites parti du grand Plan.
Commentaire n°11 posté par Souricette à Overblog le 07/10/2009 à 10h45
@ Souricette : Tououlli ouloumoulou alaoulp ?
Commentaire n°12 posté par PhA le 07/10/2009 à 12h17