lundi 29 février 2016

pas absolument liquide

Tiens, la dernière fois que nous étions un 29 février, j'avais posté ceci :

























L'épaisseur de la goutte suggère le caractère relatif de l'état liquide.
(Et comme la question de l'échelle n'est probablement pas sans aucun rapport avec le coefficient de viscosité, n'hésitez pas à cliquer pour agrandir.)
(C'est quand même une goutte d'eau.)

samedi 27 février 2016

Le coït vampyroteuthique est un événement politique.



… Le coït vampyroteuthique constitue en revanche un véritable événement politique. Il est par exemple ce que l’académie ou la place du marché étaient à la cité grecque. Et ce, pas uniquement parce que la société naît et se renouvelle par son biais, mais aussi parce qu’il imprègne l’ensemble de la conception du monde. Toute ontologie est analyse sexuelle, est différenciation entre essences mâle et femelle. Les règles qui régissent la réflexion sont des règles sexuelles. La syntaxe de la langue (des modifications chromatiques et lumineuses de la peau) est une logique sexuelle. En abstrayant les lois des phénomènes par l’activité philosophique, en exerçant donc une science pure, il découvre la structure du sexe pur. Cette vision théorique lui procure un orgasme.



Vilém Flusser & Louis Bec, Vampyroteuthis infernalis, traduit de l’allemand par Christophe Lucchese, éditions Zones sensibles 2015, p. 47-48.



Une vision céphalopode et abyssale du l’homme et du monde. Les curieux peuvent cliquer ici.

Avec son étrange et belle couverture signée par Louis Bec :





 (Bien sûr on pense à ça aussi.)


vendredi 26 février 2016

autre lettre d’amour



Les lettres de la vierge sont très clairement la verge, où chaque homme reconnaît en sus le dessin dressé de la sienne, éjaculant son point.

jeudi 25 février 2016

mercredi 24 février 2016

faux frères



L’homme blanc et le raisin blanc ont tout de même un point commun : aucun des deux ne l’est vraiment.


mardi 23 février 2016

différemment tissé



Pour extraire un passage d’un livre et le donner à lire, il faut de gros ciseaux. Les gros ciseaux, comme les gros sabots, ne s’embarrassent pas de délicatesse. Armé, voire chaussé, de mes gros ciseaux, je vous découpe un extrait de reverbs, de Bruno Fern. Il est paru aux éditions Nous en 2014. Voici :




Or il faut bien entrer dans le texte pour pouvoir en sortir.


L’entrée suppose une texture.


Remarque 3 : deux mots utilisés précédemment ont une racine commune – du latin texere signifiant tisser.


L’origine des mots est loin.


D’être indifférente va savoir leur background.


Andrea Zanzotto parlait de biographie du mot.


Sûr qu’elle excède largement l’étymologie.


Elle fait corps avec l’écho.


Le texte en serait la chambre.


Texture dit fils.


Ceux-ci peuvent être parallèles.


C’est kif-kif avec les phrases.


Les prolonger à l’infini ne changerait pas grand-chose au phénomène.




C’est pourquoi, avec mes gros ciseaux, je coupe ici, à la page 16. Vous aurez remarqué que le texte est tissé de phrases simples. Si vous ne l’avez pas remarqué, la première phrase – simple – du livre vous le dit : « Ce livre est uniquement composé de phrases simples. » L’espace qui les sépare n’est pas que typographique : c’est un tissu aux larges surpiqûres. Différemment tissé, ça ne l’empêche pas d’être complètement tissu. D’où mes gros ciseaux.


lundi 22 février 2016

besoin pressant





A Bruxelles, lire est un besoin pressant.

Chez Ptyx, par exemple.


Qui défend le meilleur de la littérature, et donc Pas Liev, cliquez donc.
Rappelons que Pas Liev aussi est avant toute chose l’histoire d’un besoin pressant :

C’était en plein milieu des champs. Il n’y avait pas de relief. Juste quelques bosquets, assez loin.
A un angle du carrefour, la Croix Saint-Charles était petite, en fer forgé, coulée dans un socle en béton. La peinture blanche, sans doute récente, s’écaillait déjà. En arrêtant son véhicule, le chauffeur du car avait claironné : « C’est un arrêt exceptionnel ! » Liev l’avait remercié.
En regardant la croix, Liev s’est souvenu qu’il avait oublié d’aller aux toilettes, avant de sortir du cinéma. Il n’y avait personne en vue. Mais il ne pouvait pas faire là.

Pour le reste, Bruxelles, c’est un peu comme Londres et Barcelone :

Il y a des perroquets. (Oui : on les entend mieux qu’on ne les voit.)

vendredi 19 février 2016

« Garder »



Il y a longtemps, lui semble-t-il, qu’il n’a pas réellement rencontré quelqu’un, une personne qui éveillerait plus qu’une simple curiosité, plus qu’une sympathie spontanée.

Nathan dit je ne sais pas si je pourrai, si j’en suis encore capable. Ici et dans tous les musées où j’ai travaillé, je retourne à la source. L’avenir m’oublie. Je me tiens sur la ligne. Je vis de peu. Vous ne pouvez pas attendre, ce ne serait pas juste.

Elle dit vous êtes un drôle de gardien. J’ai une petite fille, enfin, petite, elle a neuf ans. Son père m’a quitté. Il est producteur de dessins animés ici. En République Tchèque et dans les pays de l’Est, c’est très prisé vous savez, depuis longtemps. Il anime des festivals aussi. Je l’aidais. Je l’aimais. Mais il paraît que je suis insupportable. Vous en jugerez.

Ils marchent le long de la Vltava, rive gauche, sous la pluie. Ils bifurquent vers Malotranske Namesti. Elle dit il faut que vous me laissiez car j’attends quelqu’un, et il n’aimerait pas nous voir ensemble, il est un peu jaloux.

Comme Nathan s’éloigne d’un pas tranquille, elle le rattrape soudain et l’embrasse. Elle sent la vanille. Elle caresse sa joue mal rasée avant de repartir.



Stéphane Padovani, Le bleu du ciel est déjà en eux, « Garder », Quidam éditeur, 2016, p. 133-134.



« Garder » est la neuvième et dernière nouvelle du recueil de Stéphane Padovani qui était avec moi l’invité de la librairie Texture hier soir – hier c’est un extrait de la première nouvelle, « Traduire » que j’ai eu le plaisir de lire.

mercredi 17 février 2016

Deux quidams chez Texture

Si vous ne le savez pas encore, vous êtes chaleureusement attendus demain soir à 19h30 à la librairie Texture, 94 avenue Jean Jaurès dans le XIXe arrondissement, où j'aurai le plaisir de vous présenter Le Bleu du ciel est déjà en eux de Stéphane Padovani, lequel entre vous parlera pour sa part de Pas Liev. Venez donc croiser vos impressions avec nous.

lundi 15 février 2016

Josipivici en Charybde

Gabriel Josipovici, dont j'ai tenté d'évoquer il y a quelques jours le merveilleux Infini l'histoire d'un moment, rappelez-vous, sera avec son traducteur Bernard Hoepffner et notre éditeur commun l'invité de la librairie Charybde, 129 rue de Charenton dans le XIIe, demain soir à 19h30. Ça va être grand, je le sens. Venez donc !


dimanche 14 février 2016

« La littérature, c’est foutu. »

Cet article a été publié en 2011 sur le site MéLiCo, mémoire de la librairie contemporaine.



La littérature, c’est foutu. (D’un naturel plutôt enjoué et d’humeur égale dans la vie quotidienne ; dès lors qu’il s’agit de littérature, l’auteur - n’ayons pas peur des mots : à son tour appelons-le le sujet - laisse paraître quelques symptômes d’un possible trouble bipolaire auquel il convient toutefois de ne pas prêter trop d’attention.) Donc : la littérature, c’est foutu. Il est là dans les couloirs du métro les yeux au sol à ruminer : la littérature, c’est foutu. La littérature, c’est foutu. Sa pensée ne va pas plus loin ; d’ailleurs il ne pense pas, il rumine. Sa rumination l’absorbe cependant, suffisamment pour ne pas prendre conscience tout de suite de ce qui entrave sa progression dans son couloir de métro : c’est machinalement que ses pieds évitent les taches de sang. La littérature c’est foutu et le sol du couloir du métro Montparnasse est plein de taches de sang, c’est pas une blague, ceci explique cela ; c’est foutu mais ça va bien agoniser pendant, allons, ne soyons pas mesquin, encore un siècle un siècle et demi, peut-être plus, c’est sûrement quelqu’un qui saignait du nez, toutes ces taches en étoiles c’est caractéristique, en tout cas ça saignait sacrément beaucoup quand même, dommage que le sol du métro soit presque noir, c’est joli mais ça ne vaut pas le sang dans la neige, un divertissement de roi dans un livre qui a aussi compté pour moi.

Plus tard dans le train le signal d’alarme n’a pas cessé de retentir. Façon de parler, il a bien fini par cesser. Mais pendant longtemps le train continuant son trajet comme si de rien n’était donnait l’impression qu’il ne cessait pas. Jusqu’à ce qu’à Versailles le train s’arrête pour de bon, d’ailleurs le direct nous a rattrapés, j’aurais mieux fait de le prendre. Le signal d’alarme retentissait et il ne se passait rien, c’était juste un bruit en plus qui me gênait dans ma lecture, c’est pas parce que c’est foutu qu’on va se laisser sombrer de nouveau dans l’illecture, comment nommer ce mal dont on a eu bien du mal à se sortir. La littérature contemporaine vit une crise majeure de sa représentation (et non pas seulement des livres qui la constituent comme on aurait trop facilement tendance à le croire), mais surtout il ne faut pas le dire. Avec la même logique que l’école qui se trouve contrainte par une volonté extérieure à ceux qui la font de rendre les diplômes plus accessibles aux élèves alors que son ambition naturelle reste d’amener les élèves aux diplômes, vive les pourcentages de réussite, la littérature vit et meurt / vit ou meurt dans un cirque annuel de rentrée puis de prix littéraires, et ça tourne en rond toujours le même cheval la même amazone déplumée dans le show, sous le regard inattentif des derniers spectateurs qui à bon droit peuvent se plaindre : ils ont payé leur place.

Je crois que c’est ça surtout que je supporte mal en cette saison, entre rentrée et prix : deux spectacles pour organiser la négation officielle de la fracture, comme disait Jacques, entre la littérature et son public - non pas tant que celle-ci déplaise à celui-là : il n’en connaît même plus l’existence. A cela le prix répond mais si, mais si, voyez comme les gens aiment la littérature ; et comme il faut que le public aime ce qu’il voit de la littérature, on se met à plusieurs pour choisir ce qu’on va lui offrir comme image de la littérature, plusieurs pour parvenir à un consensus, comme ça on est sûr que ce sera un choix consensuel. C’est d’ailleurs comme ça au départ que les manuscrits sont choisis, dans les maisons d’édition dont les livres se retrouvent primés : on se concerte, on prend l’avis de chacun, ça s’appelle un comité, c’est comme une répétition du prix. Se mettre à plusieurs pour décider d’un livre, c’est le triomphe quasi assuré de la tiédeur. Chacun ragera de son côté, le jury a un goût de chiotte, sûr que même ses membres doivent souvent le penser, d’ailleurs, tiens, So long, Luise n’est dans aucune sélection, sans parler des livres parus dans de plus petites maisons, qu’est-ce que c’est que ce travail, on voit bien que ce n’est pas le mien.
Oui, c’est un vrai plaisir pourtant de se réunir pour parler de littérature, mais prendre une décision à plusieurs concernant un livre, surtout du genre lequel il est le plus beau lequel il va mieux plaire au public, franchement, non, quoi. On est d’abord tout seul quand on lit. Rien ne vaut le coup de cœur d’un lecteur singulier. C’est mon avis et je veux bien le partager. 

Et bonne Saint-Valentin à vous aussi surtout !


L’ambiance étant devenue exécrable à la maison, je suis allé me promener sur la plage, derrière la maison. C’était le soir et le panorama est splendide. J’ai remarqué toutefois qu’il commençait à y avoir beaucoup de tombes. Je m’en suis approché et je me suis rendu compte que la première était la tombe d’Ina. Non loin, il y avait la tombe de Juliet et, à côté, celle de Frances. Je ne savais même pas qu’elles étaient mortes. J’ai pleuré sur toutes les tombes de ces femmes que je n’épouserai jamais. Une fille est passée au loin, je suis allé voir qui c’était. C’était Janet, je la connaissais mais je ne me souviens plus comment. Je l’ai embrassée un peu et ça m’a remonté le moral. 

Vie des hauts plateaux, p. 86 (éditions Louise Bottu)
 
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mercredi 10 février 2016

Liev et l'humanité

Encore un très bel article pour Pas Liev, cette fois sur le site de l'Humanité et signé par Alain Nicolas :
"Philippe Annocque nous propose un roman dense et inquiétant, où chacun est convoqué pour faire face à sa folie, où rien de ce qui est vu n’est certain, ou dire est contredire. Liev, qui pourrait s’éloigner de nous au moment où sa folie devient évidente, reste le représentant pathétique d’une humanité qui pour ne pas glisser au fond du trou s’accroche au moindre brin d’herbe."
Qu'il reste le représentant pathétique de l'humanité même au moment critique, c'est précisément ce que j'espérais pour Liev.


 

lundi 8 février 2016

Lire Infini l’histoire d’un moment et en dire quelque chose



Il faut que j’écrive un billet sur un livre merveilleux.

Cette phrase est une boucle : le caractère merveilleux (que faute de mieux j’appelle « merveilleux ») de ce livre est aussi la nécessité que j’éprouve de le dire. On ne va pas rester tout seul à prendre son plaisir comme un harpagon de la littérature.

Il va falloir donc que je trouve les mots. Parfois ils me viennent assez spontanément mais quand je veux parler d’un livre de Gabriel Josipovici, le plus souvent, non. Ou plutôt, ceux qui viennent ne correspondent pas à ce que je voudrais dire. Je dirais par exemple C’est le portrait d’un artiste – c’est souvent le portrait d’un artiste mais en l’occurrence Infini l’histoire d’un moment est aussi le portrait d’un artiste et puis les mots se détachent, je les considère et je me rends compte qu’il y a tellement de livres dont je pourrais dire C’est le portrait d’un artiste, tellement de livres dont j’aurais pu dire ça et que je n’ai pas forcément aimés que non, ce n’est pas ça, ce n’est pas l’essentiel de ce que je veux dire.

La question du sujet, le sujet de l’œuvre qui vient se substituer à l’œuvre elle-même dans le discours du commentateur, j’en parlais l’autre jour. Donnons un coup de barre pour éviter l’écueil.

Je pourrais dire que c’est un dialogue, alors. Moo Pak aussi à sa manière était un dialogue, vous vous souvenez ? Vous avez lu Moo Pak ? Non ? Vous devriez. Mais ce n’est pas de Moo Pak que je veux parler aujourd’hui, et d’ailleurs Infini l’histoire d’un moment n’est pas tout à fait un dialogue à la manière dont Moo Pak l’était, même si à l’évidence il y a des affinités entre ces textes. Un narrateur – appelons-le un narrateur, il n’a pas d’autre nom et il ne raconte rien mais appelons-le un narrateur puisque c’est lui qui nous rapporte le dialogue et que c’est là aussi le rôle du narrateur – nous rapporte un entretien qu’il a eu – il est donc aussi personnage, me direz-vous, il est même le je liminaire ; « Je lui demandai d’abord » sont les premiers mots de Infini l’histoire d’un moment, mais c’est un personnage en creux, qui n’a pas de nom et ne fait dans ce livre rien d’autre que ça : demander. Une sorte de vortex sous la forme d’un interviewer anonyme, qui ne cesse d’interroger vous disais-je non pas l’artiste dont le livre, Infini l’histoire d’un moment, est le portrait, mais son majordome : Massimo. Et la boucle se reboucle. Car Massimo répond – ou pas, et ce silence aussi reste à interpréter – et les réponses de Massimo sont un autre dialogue : celui qui a eu lieu, durant des années, entre son maître et lui. Son maître, c’est un compositeur d’avant-garde, aristocrate et sicilien, il faut additionner tout cela et bien plus encore, que le narrateur anonyme et liminaire nous présente, dans le dialogue qu’il nous rapporte, sous le nom de Tancredo Pavone. Je prends des précautions. Le dialogue entre le maître et le majordome n’en est pas tout à fait un : le maître parle et l’autre, qui se défend bien d’être musicien, écoute. C’est donc cette voix, celle de Tancredo Pavone rapportée par Massimo rapportée par l’anonyme narrateur liminaire, qui constitue l’essentielle matière du roman. Du roman qui n’est pas seulement un roman, pas plus que Tancredo Pavone n’est seulement Tancredo Pavone : une note nous avertit que « le protagoniste de ce roman » (c’est donc bien aussi un roman) « est fondé librement sur le compositeur italien Giacinto Scelsi (1905-1988)… » dont je suis aussitôt allé écouter quelques morceaux sur Internet, non sans maudire la piètre qualité de mon matériel.

Voilà. J’ai déjà écrit bien trop de lignes pour qu’on lise ce billet jusqu’ici, si vous êtes toujours là je vous embrasse, et pourtant je n’ai toujours rien dit, rien vraiment dit encore de ce livre. Je le savais. Souvent quand un livre est vraiment grand je ne sais dire que mon incapacité à dire. Quand même : Infini l’histoire d’un moment, c’est un livre sur la musique qui parle de bien autre chose que de la musique. C’est un livre qui retrace la vie d’un artiste singulier et qui fait bien autre chose que de raconter une vie. C’est plutôt un livre sur la vie même. C’est un livre dont le titre, apparente antithèse, dit à la fois ce que dit le livre et la manière dont il le dit. Tiens, là, j’ai l’impression d’avoir dit quelque chose – à moins que ce ne soit lui.



Infini l’histoire d’un moment, de Gabriel Josipovici, est traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner et vient de paraître chez Quidam éditeur.

Pour les Parisiens, mardi 16 février à 19h30, Gabriel Josipovici sera l’invité de la librairie Charybde, 129 rue de Charenton dans le XIIe arrondissement.

samedi 6 février 2016

Pour en finir avec les mauvais sujets

Cet article a été publié en 2011 sur le site MéLiCo, mémoire de la librairie contemporaine.


Il n’y a pas que le sujet écrivais-je la dernière fois mais tout de même : est-ce à dire que tous les sujets seraient bons ? - puisqu’on dit souvent qu’il n’y en a pas de mauvais, depuis que le roi est mort. Mais voici justement que le roi – pardon, le président – et une tique me soufflent une réponse.

La tique, d’abord. J’étais tranquillement en train d’écrire (ne croyez pas l’adverbe en -ment : il ment) lorsque je remarque une toute petite bête qui se promène sur mon cahier. (Oui, en ce moment, j’écris dans un cahier. Pour voir. C’est un projet qui s’écrit à la main et dans un cahier. Mais fermons cette parenthèse hors sujet.) Sur mon cahier, au-dessus duquel je songeais à mon sujet, lorsque cet autre a fait mine de s’imposer. Un tout petit sujet qui se promenait sur ma page blanche. Malgré ses huit pattes attestant sans coup férir de son appartenance à la classe des arachnides, la relative lenteur de mon sujet me fit tout de suite douter qu’il ressortît à l’ordre des aranéides : il s’agissait bien plus probablement d’un acarien, et après un examen plus approfondi, très probablement d’une tique qui avait dû s’accrocher à mes vêtements lors d’une de mes récentes sorties. Ce sujet n’ayant pas l’heur de me plaire, je l’écrasai non sans quelque peine (la bestiole est vaguement élastique).

Et pourtant, me disais-je, était-ce un si mauvais sujet ? Car ce sujet-là, par son intrusion subite sur ma page blanche, s’imposait – or quelle valeur peut-on trouver à un sujet autre que le fait que, à un moment ou à un autre, il s’impose à son auteur au point que celui-ci ne peut faire autrement que de le traiter ? C’est là le sujet vrai, c’est là que le sujet est juste. Ce n’est pas l’un de ces sujets plus ou moins artificiels que je pointais d’un doigt critique lors de ma dernière visite. Voilà : un bon sujet, c’est un sujet qu’on ne pas faire autrement que de traiter.

Le président, maintenant. C’est intéressant la politique : ça permet de mieux comprendre la littérature. Le président aime ses sujets, d’où mon lapsus de tout à l’heure. Mais les sujets du président ne sont pas nécessairement ceux que la vie politique impose, c’est plutôt lui qui les impose à la vie politique (rendons-lui cette justice : il n’est pas l’inventeur de cette pratique, qu’il maîtrise toutefois parfaitement). En faire une liste serait fastidieux, la démonstration est faite : ce sont de mauvais sujets. Ouste, Roms et consorts, du balai ! Ce sont de mauvais sujets parce qu’ils ne se sont pas imposés d’eux-mêmes : ils ont été choisis. Ils étaient plus séduisants que les vrais. Surtout : ils étaient plus faciles. Mais on ne doit pas choisir ses sujets. Tout de suite, pour le lecteur attentif, ça sonne faux, c’est artificiel. Cela dit, parfois, on s’y laisse prendre.

De ce côté-ci de la page, je laisse venir le sujet. J’ai cru écraser la tique, voyez le résultat : elle s’est étalée sur la surface d’un paragraphe. Dès que j’aurai un peu plus de temps, je retourne à la lecture. Quoi lire, aussi, reste la question. Ne pas lire n’importe quoi n’importe quand. Laissons la bonne lecture s’imposer.
 

vendredi 5 février 2016

Le sujet devrait être le sujet.

C'était le sens de cet article ressorti lundi dernier mais on ne le dira jamais assez. J'y ai assez dit (je crois) le caractère potentiellement pernicieux du sujet en littérature et n'y reviendrai pas mais en politique peut-être pas (assez dit). Car enfin, le sujet imposé par notre actuel président et sur lequel planchent avec délice toute la classe politique et la presse avec (la déchéance de vous savez quoi, quoi), on ne me fera pas dire que c'est un bon sujet. Le bon sujet, l'écrivain vous dira que c'est le sujet qui s'impose à lui, celui qu'il ne peut pas éviter. Le mauvais sujet, c'est celui qui permet d'éviter d'aborder les bons. Cette déchéance est un mauvais sujet. (Oui, le président en est sûrement un autre, mais ce n'est pas le sujet.)
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jeudi 4 février 2016

Simplifions-nous la vie en réformant l'orthographe, ce sera plus simple.

La réforme de l'orthographe, vieux marronnier des cours d'école, est le nouveau sujet à la mode. Allons-y donc.
L'orthographe française présente des aberrations. L'autre jour, Ulysse brandissant devant mes élèves de sixième son épée aiguë, j'avais bien du mal à défendre le tréma sur un e qui n'est jamais que la marque du féminin. Personnellement je trouve qu'il irait mieux au u, je le reconnais volontiers.
Par ailleurs, l'orthographe est un facteur de discrimination sociale. C'est vrai. Il faut réformer ça. On va donc autoriser de nouvelles orthographes, sans bien sûr interdire les anciennes, heureusement. Il y a encore des élèves qui écrivent événement, je me vois mal les pénaliser. On va donc organiser la coexistence de deux orthographes. Une sorte de vivre-ensemble orthographique, quoi. Il y aura l'orthographe des lettrés anciens, et l'orthographe des plus ou moins lettrés modernes. On aura soin de choisir soigneusement entre le nénuphar et le nénufar selon la personne à qui on l'offre. Le choix même de l'orthographe d'un mot aura désormais un sens. Qui sait, peut-être même un sens politique. Il faudra enseigner tout ça aux jeunes générations. C'est sûr que ça va nous simplifier le travail.
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mercredi 3 février 2016

Florilettres

Parmi les nombreux trésors littéraires du Net, il y a Florilettres (avec à l'honneur dans le tout dernier numéro la correspondance entre Paul Celan et René Char, cliquez donc). La Fondation La Poste, outre le Prix Wepler, compte parmi ses activités l'hébergement de cette précieuse revue, fondée dès 2002 par Nathalie Jungerman qui l'anime toujours avec Corinne Amar, Elisabeth Miso et Gaëlle Obiégly. Il y est naturellement question surtout de correspondance, mais aussi de tout ce qui touche à l'écriture autobiographique. Ce qui fait la force de cette revue, outre la qualité des articles et des entretiens, c'est aussi la pertinence de ses choix littéraires, jetez donc un coup d’œil dans les archives, et si vous m'y apercevez vous comprendrez en regardant autour pourquoi j'en suis fier. Tiens, les lettres de Beckett. Ou ici, une interview d'Yvan Leclerc, responsable de l'édition de la correspondance de Flaubert dans la Pléiade (il y a aussi un choix de lettres, bien sûr). Ou là : un entretien avec Marcel Cohen (à mes yeux l'un des auteurs contemporains essentiels). C'est une mine, je vous dis. (Cliquez sur "mine", ça explose.) Ou plutôt abonnez-vous, par mail, c'est plus sûr.

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lundi 1 février 2016

Le sujet comme appât, quoi.

Cet article a été publié en 2011 sur le site MéLiCo, mémoire de la librairie contemporaine.


Il faut bien le choisir, l’appât, se dit le pêcheur, asticot ou mouche de plume ; moi je n’y connais rien, dommage, pas étonnant que ça ne morde pas davantage. Car c’est bien à ça que ça sert, trop souvent, le sujet – pas vraiment le sujet, non, mais l’idée qu’on se fait du sujet : un appât pour le public, portrait du lecteur sur l’étalage du poissonnier, choisissez votre espèce, il y a encore de la variété.

Je ne vais pas faire un catalogue, pas le temps, mais propose volontiers le pensum à qui veut bien. Je vais juste développer un peu ce que je disais ici même il y a deux mois.

Je me souviens de la Ligne de Pierre Bergounioux et je ne doute pas que le pêcheur pêche des illusions (c’est pour ça aussi que je ramasse les champignons) : le poisson ni même la pêche n’y sont vraiment le sujet.

Le sujet est toujours ailleurs.

Pourtant, les livres, toujours ou de plus en plus, je ne sais pas, sont vendus sur, par, pour leur sujet. Sujet à scandale-potin des popotins, sujet douloureux de société pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, sujet grave de notre Histoire qui, c’est pratique pour l’auteur, rendent le livre indiscutable-rangez-vos-critiques – font souvent les succès de librairie, qui masquent (alors qu’au fond ils ne font qu’illustrer) la crise de la représentation de la littérature aujourd’hui. (Je ne dis pas « d’aujourd’hui » : j’ai l’impression que c’est vrai encore aujourd’hui de celle d’hier.) Les sujets sont là, bien alignés en rayon, il n’y a qu’à choisir. J’ai tendance à penser que c’est quand même une facilité, ces sujets extérieurs, préexistants. Même si bien sûr ça n’empêche pas que certains s’en tirent avec les honneurs.

Ça en fait beaucoup des livres que je ne lirai pas – alors que peut-être on ne m’a simplement pas dit ce qu’il aurait fallu (argument du genre « un écrivain qui a quelque chose à dire »).

On m’objectera Federman tout de même, qui nous raconte sa vie, cette histoire épouvantable et ce parcours étonnant… Eh bien non, je m’en souviens de sa bouche : réfutant avec simplicité la singularité de son destin ; des histoires comme la sienne hélas il y en a eu plein. Son sujet est moins sa vie que la vie – d’ailleurs on n’a jamais autant envie de vivre qu’en sortant d’un de ses livres – et la vie est bien plus que son sujet.

J’ai lu parfois que mon Liquide avait pour sujet la vie de couple et la filiation, après tout ça en parle. Pourtant au lieu de le faire quitter par sa femme, mon personnage, j’aurais aussi bien pu le mettre au chômage ; pour moi ça n’avait pas grande importance, ça n’aurait pas changé le sujet. Ça aurait juste changé l’histoire, en surface. L’histoire, c’est encore la forme. Et je serais devenu un écrivain du travail, comme mon voisin de résidence, Thierry Beinstingel, tiens.

Que je salue d’autant plus que le voici qui vient donner de l’eau à mon moulin. Des années de voisinage, pas sur Mélico mais à la Fête de l’Huma m’ont donné l’envie de lire ses livres, allez-y c’est du bon. N’empêche qu’il a fallu que son fil tendu par lui depuis des années croise l’actualité d’Orange pour qu’on se dise que tiens, c’est vraiment bien, ça, on va le mettre dans la sélection du Goncourt. Alors que le sujet de ce livre, je parle de Retour aux mots sauvages, ce n’est pas du tout l’actualité d’une société, c’est plutôt l’effacement de l’identité, de l’humanité, par le travail d’aujourd’hui – et la résistance de l’humain malgré tout. Au moins ça. C’est quand même dommage qu’il y ait toujours un petit bout de lorgnette dans les origines d’un succès, même quand il est mérité.

On en revient toujours à ça : il faut que le prescripteur ait quelque chose à dire, sur le livre. Allez donc vendre un prétendu roman sur les insaisissables altérations du ciel et de l’humeur, dont le pitch se limite à peu de choses près à une promenade le nez en l’air – ça existe : ça s’appelle l’Automne zéro neuf de Didier da Silva.

Oui, je m’étais fait une petite liste d’œuvres chères dont j’avais envie de parler, à propos de cette fichue question du sujet. Il y avait la série des Faits aussi, de Marcel Cohen ; tant pis, je suis déjà long, j’en aurais d’autres encore à citer, dont je parle aussi ailleurs.

Et puis d’accord, ce n’est pas franchement nouveau, cette méfiance à l’égard du sujet ; ça a déjà été dit bien mieux, et depuis longtemps. Ça remonte au moins à Flaubert. Ou à Sterne. Ou à qui vous voudrez. N’empêche que ça reste encore le principal argument de vente. Et comme on a conscience de l’insuffisance, on rajoute un mot sur le style. Comme si le style, c’était un truc que l’écrivain rajoute, quand il en a les moyens. Une sorte de veste Kenzo ou Armani. Inutile de préciser (pourquoi je le fais ?) que je vois les choses autrement. Faites-moi donc penser à en parler la prochaine fois, du style. Ou du genre, aussi. C’est vrai : il n’y a pas que le sujet, quoi.