mardi 28 mai 2019

Petites nausées (2)



Comment donc se fait-il que, contraint chaque matin de manipuler les inévitables boutons qui me restent (au moins celui de ma braguette), rien ne vient m’empêcher ? Que se passe-t-il qui me vaut cette apparente libération ? Le même travail intérieur sans doute (mais remontant à un temps bien plus ancien, dont j’ai perdu la mémoire) que celui qui encore a lieu (mais de moins en moins, à force) face à un tableau de Renoir, maintenant que je parviens à la maturité – la maturité qui me permet, non sans peine, de faire face au tableau de Renoir.
Plus jeune, vers l’adolescence, je disais que je n’aimais pas Renoir. On s’étonnait. On me demandait pourquoi. Je ne savais pas trop quoi répondre. Parfois, poussé dans mes derniers retranchements, je disais juste « C’est flou. » Puis j’ai renoncé à cet argument, qui ne convainquait pas mes interlocuteurs, et que je trouvais moi-même bien insuffisant – quoique sincère. D’ailleurs j’aimais Monet. Je restais fasciné devant des esquisses de Turner. Et puis je n’ai jamais rien eu à reprocher au flou en général, je n’ai jamais rien eu ni contre ni pour le flou.
Je savais bien au fond de moi que ce « je n’aime pas Renoir », qui choquait tout le monde, ne disait pas ce qu’il y avait à dire. Il était d’ailleurs bien faible, par rapport à ce que j’éprouvais vraiment. Ce que j’éprouvais vraiment, c’était plutôt de la répulsion, du dégoût. On n’éprouve pas, me semble-t-il, de la répulsion pour les œuvres qu’on n’aime pas. (Il y a des œuvres, des choses en général que je n’aime pas ; et rares sont celles qui me provoquent, à proprement parler, de la répulsion). Et cette répulsion, maintenant que j’y pense, est du même ordre que celle que j’éprouve entre autres pour les boutons arrachés de la chemise (surtout s’ils sont petits et vaguement nacrés, tels qu’on les voit si souvent.) Et honnêtement, dire que « je n’aime pas » les boutons de chemise ; non, vraiment, ça n’aurait pas de sens.


Résultat de recherche d'images pour "bouton"

lundi 27 mai 2019

Petites nausées (1)


Qu’un bouton s’arrache de ma veste, j’aurais peine à le ramasser. Pire encore si c’est de ma chemise. (Et pourtant rien de plus désagréable qu’un vêtement auquel manque un bouton !)
Pour peu qu’il ne m’appartienne pas et que je ne sois pas seul au moment de sa découverte, je souhaite à toute force qu’un autre le ramasse. Sinon, le plus souvent, je fais celui qui n’a rien vu.
Ainsi en est-il aussi des tout petits jouets d’enfants (d’autant plus s’ils portent des traces d’usure), pièces de jeux, fèves de galette des rois.
Mais les boutons, je suis bien contraint d’y toucher au moins quand, bien cousus, ils remplissent leur office. (Cela dit, le cas se fait plus rare. Les gens qui me connaissent me voient rarement en veste, encore moins en chemise. Je préfère – quoique non sans réserve, à cause de la languette à tirer – les fermetures éclair. Rien de tel en final que les t-shirts, les sweat-shirts.)
Comment donc se fait-il que, contraint chaque matin de manipuler les inévitables boutons qui me restent (au moins celui de ma braguette), rien ne vient m’empêcher ? Que se passe-t-il qui me vaut cette apparente libération ?


(A suivre)

Résultat de recherche d'images pour "bouton"

vendredi 24 mai 2019

Ce qui pour Claire ne l'est pas


Un cadenas sur le cœur est le premier roman de Laurence Teper, dont j'ai beaucoup aimé le travail d'éditrice. Et j'aime aussi beaucoup ce roman, récemment paru chez Quidam.
L'héroïne s'appelle Claire, et rien n'est clair pour elle qui ne voit pas ce qui pour tout le monde, même pour le lecteur à qui pourtant on ne le dit pas, est clair dès le départ. Il y a des choses qui sont en évidence sous notre nez et que nous ne voyons pas. Il y a des choses qui sont en évidence sous notre nez et que nous sommes conditionnés pour ne pas voir. Et ça peut faire du mal. C'est tragique, Un cadenas sur le cœur ; le titre le dit bien. Ce qu'il ne dit pas, c'est que cette histoire triste à pleurer, Laurence Teper a trouvé un ton pour la raconter qui parvient à tirer un sourire au lecteur, un rire parfois.



lundi 20 mai 2019

mercredi 15 mai 2019

les galets nous disent


les galets nous disent
que le passé peut se détacher

d'un coup

du pointu coupant tranchant
peut devenir du doux
chantant


Mélanie Leblanc, Des falaises, Cheyne éditeur.




lundi 13 mai 2019

Nouvelles très brèves (29)

Il s'était réveillé avec le crépuscule. Un quidam en rentrant chez lui lui marcha dessus. Sa coquille ne résista pas.



samedi 11 mai 2019

Nous précisions Casas.


  1. Un début dans la vie.
  2. Vive, lumineuse, effervescente.
  3. Portée à l'incandescence.
  4. La convergence est parfois surprenante.
  5. Voilà ce que je cherche.
  6. L'idée qui vient de naître ici.




C'est la page 19 des Précisions de Benoît Casas, récemment parues aux éditions Nous. Je vous en photographie le dos, ça fait une petite phrase. Car les mots, en plus de dire de ce qu'on veut qu'ils disent, disent aussi ce qu'ils veulent. En l'occurrence, Précisions est un livre de Benoît Casas que Benoît Casas n'a pas écrit. « Il est intégralement constitué de matériaux prélevés dans les notes en bas de page de très nombreux livres. » Car les mots, les mots dont nous nous servons pour produire un énoncé nouveau, ont déjà tant de fois servi. Car les mots sont tous d'occasion. Choisir d'écrire avec des phrases qui ont déjà servi, c'est porter un peu plus loin cette condition trop souvent oubliée de l'écriture. Et le faire à partir de notes de bas de page, c'est écrire un livre qui dit autre chose que ce que ses phrases disent, et qui en même reste en contact constant avec tous les livres. C'est effacer l'auteur au profit de l’œuvre collective que la littérature ne cesse jamais d'être.





dimanche 5 mai 2019

Noirs cafés 10 11 12 13


Une petite note épinglée au mur précise : « Nous vous informons qu'après 15h nous servons uniquement des double cafés. » N'allez pas vous aventurer à commander autre chose.



Tout tombe : la nuit, la pluie, les feuilles. Les cheveux. Les seins. Les dents. Les ongles. Les oreilles. Les doigts. Le nez. Les bras. Les têtes.
J'irai tomber dans ma tombe.



Alors si je comprends bien je suis la cause principale de ma propre mort ?



Il ne faut pas le laisser tout seul dans un café trop longtemps. Il serait fichu d'écrire un roman.



jeudi 2 mai 2019

Tu veux ma chemise pour te faire une jupe ?


A – Je vais lui donner mes affaires.
F – Cette chemise ?
A – Pourquoi pas ?
F – Elle n'est pas un peu courte ?
B – O.K., je lui donne mon tee-shirt.
F – Tu crois ?
A – Je suppose que tu veux lui donner le tien ?
F – Non, pas du tout. Mais si vous insistez... Je reviens.
A – …
B – …
A – Il n'en perd pas une, celui-là.
B – Non, il n'en perd pas une.
A – Je n'aime pas ça.
B – Tu es jaloux ?
A – De quoi ?
B – De lui ?
A – Je devrais ?
B – Ha ha, non, mais justement, comme...
A – Ah, la théorie débile qu'il a inventée.
B – Tu es jaloux.
A – Si tu le dis.
B – Oui, je le dis.
A – O.K., je suis jaloux.
B – Pour de vrai ?
A – Non !
B – O.K., je te demandais juste comme ça.
A – Ils reviennent.
B – Ils rigolent.
A – Oui, ils sont très amis maintenant qu'il lui a donné son tee-shirt.
B – Tu es jaloux.
A – Arrête avec ça, et surtout devant lui.
B – O.K., ne t'inquiète pas.
A – Alors, il te va bien ?
E – Oui, regarde.
B – C'est un peu court.
E – Bon, un peu de tact, tous les deux.
F – Oui, soyez gentils de ne pas la gêner.
A – Tu veux ma chemise pour te faire une jupe ?
E – Non merci, je suis bien comme ça.
B – Et mon tee-shirt ? Tu es toujours à moitié nue.

Voilà, je vous ai recopié ce passage de La Liberté totale, le roman de Pablo Katchadjian (rappelez-vous Quoi faire et Merci), récemment paru aux éditions Le Nouvel Attila dans une traduction de Mikaël Gomez Guthart ; parce que même un simple extrait (ici pris au hasard) me réjouit – et que la lecture du texte entier (qui parle de la vie, de la mort, du langage... puisque vous me le demandez) me chatouille joliment l'esprit.