mardi 28 novembre 2017

à propos (notamment), de l'écriture inclusive

Et puis aussi, à propos de notre façon de nous exprimer, l'écriture inclusive. Personnellement je suis pour tout ce qui est inclusif et mon audace va même au-delà : je suis contre toute forme d'exclusion.
Vous me direz si je me trompe, mais il me semble que tout part d'une bête règle de grammaire : « Le masculin l'emporte sur le féminin. » Je la revois écrite dans mon livre de grammaire de quelle classe ? CE2 ? CM1 ? Ma mémoire ne va pas jusque-là mais je me rappelle très bien l'illustration : un jeu de tir à la corde remporté par une équipe composée d'une fille, d'un garçon, d'un bébé et d'un chien contre toute une bande de filles. Que reproche-t-on à cette règle ? Son machisme. Il est évident. Il y a fort à parier qu'elle a été rédigée par un grammairien mâle. Mais personnellement je trouve dommage qu'on s'arrête là, car le principal défaut de cette règle, aux yeux du passionné de la langue que je suis n'est pas qu'elle soit machiste, mais qu'elle soit fausse.
En effet, c'est une règle de grammaire. Or la grammaire, qu'est-ce que c'est ? C'est un discours, souvent normatif, parfois simplement descriptif, tenu par les hommes sur leur langue. Eh bien sûr, comme tout discours tenu par les hommes, il peut être faux. Il l'est même toujours. Tout grammairien sérieux vous le dira : en réalité, toute la grammaire est fausse. La grammaire est un discours qui essaie de rendre compte de la langue et qui ne le fait que par approximations plus ou moins acceptables – car la réalité de la langue est trop complexe pour être parfaitement décrite.
Les langues sont des systèmes vivants, qui à un instant T, en synchronie comme on dit, présentent des pleins et des creux. Des trous, si vous voulez. Par exemple, quand il compare le système temporel de l'anglais avec celui du français, l'élève se rend compte tout de suite que chouette, il n'a que deux temps simples à apprendre alors qu'en français il y en a cinq (à l'indicatif). Est-ce à dire qu'on ne peut pas exprimer autant de subtilités temporelles en anglais qu'en français ? Je n'irais pas l'affirmer pour autant. La langue trouve d'autres biais.
Mais le français aussi a des trous. Par exemple, vous avez sans doute remarqué que les terminaisons du présent de l'indicatif sont plus courtes que celles des autres temps simples. Pourquoi sont-elles plus courtes ? Tout simplement parce qu'elles n'existent pas : au présent on n'a que des terminaisons de personnes ; on n'a pas ce ai ou ce i qui marque l'imparfait, ni ce r qui signale le futur ; on n'a rien non plus qui marque un hypothétique présent. Ce que, par commodité, on appelle le présent de l'indicatif n'est tout simplement pas un temps. C'est juste de l'indicatif atemporel, qui va nous servir, à l'occasion, aussi bien à désigner une action présente qu'une vérité générale.
Le genre et le nombre aussi ont des trous en français. Le pluriel est marqué par le s, hérité de l'accusatif pluriel latin, qui s'oppose juste à une simple absence de marque. Or cette absence de marque peut renvoyer aussi bien à un authentique singulier qu'à un nom indénombrable (devant lequel on emploie l'article partitif), c'est-à-dire un nom étranger à la catégorie du nombre – ce qui n'a strictement rien à voir avec le singulier. L'absence de s à la fin d'un substantif en français ne signifie pas que ce nom est au singulier, il signifie juste qu'il n'est pas au pluriel ; et cette absence de marque, au lieu d'être appelée singulier, ce qui prête à confusion en recouvrant deux effets de sens clairement différents, gagnerait à être appelée non-pluriel.
Vous m'avez deviné : c'est exactement la même chose pour le masculin. Le féminin existe, marqué par le e, mais le masculin, en français, n'existe pas. Il n'a pas de marque. Mais il faut un biais pour l'exprimer – alors là encore on utilise la forme non marquée. Cette forme non marquée, je viens de l'utiliser en écrivant « il faut un biais » : le pronom il, qui ici ne représente rien, n'a rien de masculin. Il n'est pas anodin qu'on emploie ce genre non marqué pour représenter quelque chose qui n'existe pas : on est clairement dans le neutre. Je lis parfois que le masculin a souvent valeur de neutre en français. C'est faux. Il n'y a pas de masculin en français, et c'est le neutre, lequel existe vraiment par l'absence de toute marque, qui à l'occasion prend valeur de masculin parce que le concept « masculin » existe et qu'il faut bien trouver un biais pour l'exprimer. Mais il était difficile pour des grammairiens mâles et tout nourris de grammaire latine (le masculin existe en latin) d'admettre que le masculin n'existât pas en français.
Reformulons donc la règle, puisque évidemment l'inexistant masculin ne saurait l'emporter sur le féminin. Voici ce que je propose :

Quand il n'y a pas lieu de préciser le genre, on emploie en français la forme dépourvue de marque de genre.

Ça me paraît beaucoup plus conforme à la réalité de la langue – car la langue n'est pas machiste, ce sont les hommes qui le sont.

Maintenant quid de l'usage du e et de la mise au féminin de ce qui ne l'était pas auparavant ? J'avoue que ça me paraît socialement plutôt contre-productif. En effet la marque du féminin, comme celle du pluriel, en s'opposant à une forme simplement non marquée, fonctionne comme un discriminant (au sens neutre du terme). Mais précisément, dans une société où il reste tant à faire pour l'égalité entre les sexes, est-il bien judicieux de marquer une différence entre un ingénieur et une ingénieure ? Je ne trouve pas. (On me fera remarquer que pour les métiers socialement moins considérés, la mise au féminin ne pose pas de problème : infirmier / infirmière. Ça me paraît discutable. Dans l'imaginaire traditionnel et phallocrate, la boulangère ne pétrit pas, elle reste la femme du boulanger ; elle se contente de tenir la caisse – quand elle ne va pas ronronner dans les fourrés.) Et pour revenir enfin à ce qu'on appelle l'écriture inclusive, il me semble que marquer la différence des sexes est nettement moins inclusif que la suppression de toute marque de genre – à la condition que la règle ci-dessus soit correctement expliquée et bien comprise par tous. Mais là encore il reste du travail.  

lundi 27 novembre 2017

maquillage sur la langue

Il ne faudrait plus dire « nègre », mais « prête-plume ». Il ne faut plus dire ceci, mais plutôt cela. L'euphémisme est la figure royale de notre époque – depuis un certain temps déjà. J'ai toujours eu du mal avec ces euphémisations. « Non voyant » au lieu d'« aveugle », par exemple, qui me paraît un pire pour un mieux : non seulement aveugle mais en plus non voyant, comme si un organe qui ne fonctionne pas pouvait empêcher toute manière de voir – on ne me fera pas croire ça. Avec « nègre » c'est autre chose. Évidemment, même par métaphore interposée, ce mot est chargé d'un passé colonial et esclavagiste. Il est comme une cicatrice sur le corps vivant de la langue. Mais la langue, précisément, est vivante, c'est-à-dire qu'elle n'obéit pas aux injonctions de ses dépositaires : on ne tire pas un trait sur un mot pour le faire disparaître. « Prête-plume » n'a que l'élégance d'un maquillage.
Je ne suis sûrement pas objectif : j'ai des nègres – dans mes ancêtres. Et je suis certain que, en secret, ils écrivent aussi pour moi.


Remarque : Beef pour ox, pork pour pig, mutton pour sheep ; tous ces noms d'origine française désignant dans l'assiette du seigneur normand la viande de l'animal qui, tant qu'il est vivant, garde le nom que lui donnait son éleveur saxon, sont aussi le souvenir d'un passé colonial. La langue est porteuse d'une mémoire qu'il nous revient de ranimer.

dimanche 26 novembre 2017

visite à mon corps mort

Tout à l'heure je suis allé rendre visite à mon corps mort. J'en avais un autre pour l'occasion mais c'est de mon corps mort que je me souciais. Je me suis montré très enjoué, j'avais à cœur d'être de bonne compagnie. Mon corps mort m'a d'ailleurs trouvé très sympathique, je lui ai vraiment fait bonne impression. Je le sais parce que bien sûr mon corps mort, c'était moi aussi ; peut-être après tout n'était-il pas complètement mort. Nous avons passé un bon moment ensemble, lui et moi.

mercredi 22 novembre 2017

rencontre sous le chapeau

Il y a à Figeac, patrie de Jean-François Champollion et de Charles Boyer située à quelque cinquante minutes d'hélicoptère de la Maison de Pure Fiction, une belle librairie, le Livre en Fête, dans les rayons desquelles on a pu me voir flâner, et où j'ai appris que Peter Handke, avec lequel je me trouve quelques affinités qui vont au-delà d'une vague paronymie patronymique – mon Pas Liev à mon sens doit moins au Château de Kafka qu'à l'Angoisse du gardien de but au moment du penalty –, j'ai appris disais-je que Peter Handke venait sans m'en informer de faire paraître un essai sur ma personne, car comment lire autrement un livre intitulé Essai sur le fou de champignons ? Or voici qu'en défaisant mes bagages j'ouvre le livre au hasard et que j'en ai quasi l'immédiate confirmation :

« Sa première époque de folie de champignons fut suivie d'une moitié de vie où le monde des champignons n'eut plus guère d'importance pour lui. Et si oui, ce fut plutôt dans un sens défavorable : après l'acquisition d'une maison en ville – qui bizarrement se trouvait isolée, bien loin des autres habitations de son quartier et ressemblait plutôt à une ruine quand il y entra – proliféra dans l'un des murs des fondations, très peu de temps après son installation avec sa femme et son enfant, ce que l'on appelle la mérule pleureuse, qui s'incruste dans le bois et le mortier, descelle même les pierres de granit, et contre laquelle il n'y eut rien à faire – il fallut abattre le mur (ce qui ne fit d'ailleurs pas de mal à l'intérieur de la maison). » (p. 31, traduction par Pierre Deshusses)

Je me souviens parfaitement de cette immense champignon (il devait bien mesurer 1m50 de haut sur 1 m de large, que nous découvrîmes, ma femme et moi, derrière notre armoire au moment non pas d'emménager mais de quitter notre appartement pantinois (ce n'était pas une maison) ; il y avait un gros problème d'infiltration dans le mur de la salle d'eau. Est-ce une réminiscence ? je l'ignore – mais la mérule pleureuse revint, Serpula lacrymans, hanter mes pensées au point de devenir l'un des acteurs principaux de Monsieur Le Comte au pied de la lettre dont le dernier chapitre, ce n'est pas vraiment spoiler que de le révéler, s'intitule précisément « Les larmes de la Mérule », et de faire un retour discret dans mes toutes récentes Notes sur les noms de la nature :

Mérule pleureuse
est le nom qu’on trouve dans les livres
pour désigner
leur ennemi naturel.



(Un coup d’œil sur la page de gauche (du livre de Handke) me ramène à des formes mycologiques plus traditionnelles et moins inquiétantes, « répondant au nom de "lépiotes élevées" ou "coulemelles" », j'imagine qu'en allemand aussi il change selon la sorte d'intérêt qu'on porte à la chose, ici clairement gastronomique, encore une fois je confirme : c'est bien « panés et frits à la poêle comme des escalopes » que les chapeaux de coulemelle doivent se déguster.)

lundi 20 novembre 2017

Notes sur les noms de la nature

 


Cliquez sur l'image.

retour de Pure Fiction

Voilà, la Maison de Pure Fiction, c'est terminé ; retour à la réalité. Tout de même, quelques images pour vous montrer combien cette résidence d'écrivain est bien nommée, toutes prises dans les abords immédiats. En effet j'ai évidemment passé l'essentiel de mon temps à écrire, on en reparlera, et à lire aussi, notamment Tanguy Viel, que je découvre seulement avec son Article 353 du Code Pénal, émouvant et a posteriori troublant justement parce qu'émouvant ; Marie Cosnay avec son très beau Aquerò qui revisite la grotte où la fille l'a vue, et Isabelle Desesquelles, qui sait terminer son roman d'amour juste avant qu'il ne commence, car Un jour on fera l'amour, c'est beau comme un film d'hier ou de demain.