vendredi 30 novembre 2012

Il faut sauver le soldat Chevillard (starring Frédéric Beigbeder)


Frédéric Beigbeder est gentil. Je m’étais dit que je n’allais pas en rajouter à propos de son article sur l’Auteur et moi d’Eric Chevillard parce que Claro s’en est chargé, mais qu’est-ce qu’il est vache Claro quand même alors que, on ne peut pas dire le contraire : Frédéric Beigbeder est gentil. Il faut bien que quelqu’un rétablisse la vérité. Frédéric Beigbeder veut le bien d’Eric Chevillard. A chaque livre de Chevillard, il ne manque pas de lui donner de bons conseils – que l’autre, sourd ou ingrat, ou complètement inconscient, ne suit jamais. Déjà, à propos de Dino Egger, si Frédéric Beigbeder proposait de « démolir Chevillard », c’était bien sûr pour mieux le reconstruire. (Oui, finalement, il s’agissait bien de démolir avec un seul l, nous explique-t-il ; j’avais cru qu’il s’agissait d’une discrète allusion à l’« amollir Molloy » dans le roman éponyme d’un auteur dont Chevillard est grand lecteur ; en effet Frédéric Beigbeder a un faible pour les références littéraires : dans ce dernier article pourtant bref sur l’Auteur et moi il parvient tout de même à nous citer Queneau (?), Sagan (??) et Coetzee (???) – mais non, il s’agissait juste de démolir Chevillard. Pour mieux le reconstruire, donc ; pas comme Nisard, à tout jamais perdu ; en effet Frédéric Beigbeder est plus gentil qu’Eric Chevillard.) Car figurez-vous qu’on peut faire quelque chose, de Chevillard. C’est un homme, une matière, un paysage qui a du potentiel, indéniablement. Ça vaudrait le coup d’investir, dans le Chevillard. Nous sommes d’accord. C’est quand même dommage, un tel gâchis. Il faut sauver le soldat Chevillard. Et Frédéric Beigbeder, qui est gentil, est exactement l’homme de la situation. D’ailleurs la solution est simple, il suffit de faire entrer dans le crâne de Chevillard – qu’il a dur, apparemment – que le public ne veut plus d’« expériences ». Car les livres de Chevillard sont des expériences ; et le public, c’est bien connu, c’est même dans le dictionnaire, en a marre des expériences. Personnellement, comme je lis, j’ai toujours eu tendance à croire que le public c’était moi, mais non. Parce que moi je n’avais pas remarqué que les livres d’Eric Chevillard étaient, à proprement parler, des expériences ; et je ne m’étais pas non plus demandé si j’en avais assez des expériences ou non mais de toutes façons on s’en fiche parce que le public, ce n’est pas moi. La gentillesse de Frédéric Beigbeder a quand même des limites : elle concerne exclusivement Eric Chevillard, qui en a bien besoin. Il a raison, d’ailleurs, au fond, Frédéric Beigbeder. Imaginez tout ce qu’on pourrait faire de Chevillard s’il se laissait faire, la sale bête. Ingrat, en plus. Si seulement Frédéric Beigbeder pouvait enfin réaliser son ambition la plus chère et devenir le coach du quatrième tome de l’Autofictif, il vous rentabiliserait le Chevillard fissa, je vous dis que ça. Ça ferait pas un pli. C’est quand même pas difficile : il suffirait que Chevillard parle de lui-même, qu’il se « dévoile », qu’il parle davantage de ses ventes. Qu’il ne se contente plus de jouer à l’autofictif mais qu’il assume pleinement l’autofiction ; qu’il devienne, je ne sais pas, moi, le futur Christine Angot ! C’est quand même décourageant, c’est même rageant tout court et ça mérite des coups de le voir s’entêter dans des expériences dont « le public n’a plus le goût » (apparemment il l’avait autrefois mais il l’a perdu), alors que le chemin de la gloire lui est tout tracé, et gracieusement, par la gentillesse de Frédéric Beigbeder.
En tout cas moi j’ai compris la leçon. Dans un de mes prochains livres, vous allez voir, je vous parle de mes chiffres de vente – et Chevillard pourra toujours s’accrocher pour en avoir d’aussi faibles, je vous dis que ça –, et je vous parle de mon papa aussi, qui le mérite bien. Vous allez voir ce que vous allez voir. C’est pas des blagues. Faut pas me pousser. Je vais le faire. Ça lui servira de leçon, à Chevillard, de n’en faire qu’à sa tête au lieu d’écouter sagement Frédéric Beigbeder.
 

jeudi 29 novembre 2012

pour en finir avec le masculin (et le féminin)

Voilà que je tombe sur une courte (trop courte, sans doute) interview d’un professeur d’université à propos du sempiternel marronnier linguistique du masculin et du féminin en français. Personnellement, je trouve que le système des temps, dans la complexité de notre belle langue, est un sujet nettement plus stimulant, mais non : c’est la question du masculin et du féminin qui intéresse la presse, parce que ça parle – apparemment – davantage de notre société. C’est ici : « La grammaire a été au service du pouvoir ».
Voilà. Comme ça, vite fait, ça a l’air intéressant ; mais si on creuse un peu, c’est faiblard – et c’est quand même dommage de soutenir de justes causes avec des arguments faiblards.
A propos de la fameuse règle, rappelez-vous, du masculin qui l’emporte sur le féminin, Yannick Chevalier, notre professeur de stylistique, écrit :
« L’Académie française a imposé cette règle au XVIIe siècle. Auparavant, l’usage était souvent l’accord avec le mot le plus proche : "Le couteau et lA fourchette sont poséEs sur la table". Cette décision s’est fondé sur des considérations politiques plus que linguistiques. Ce fut une manière supplémentaire pour rappeler la "supériorité" sociale des hommes sur les femmes. »
Enfin, je ne pense pas vraiment qu’il l’écrive et que la faute d’accord sur « fondé » soit sienne, et il est possible aussi – je le souhaite – que son propos aussi ait été abusivement simplifié par le journaliste pour raccourcir l’article. Car enfin, l’accord par proximité avant qu’on légifère sur l’orthographe grammaticale, oui, d’accord ; mais tout de même, en cas de reprise par un pronom personnel, c’était déjà bien le pronom « ils » qui était employé. De la même manière, lorsqu’on a besoin de la forme la plus impersonnelle, le pronom « il » s’est toujours naturellement imposé : il pleut – malgré la pluie. Ou il faut, il se peut, il arrive… Il n’est pas rare non plus d’entendre, dans la langue relâchée – et notamment dans la bouche des petits enfants – le pronom ils employé avec un référent strictement féminin : « les filles, ils ont fait un beau dessin ».
Que l’évidente phallocratie de la société soit à l’origine de cette règle du masculin qui l’emporte sur le féminin, rien n’est moins sûr.
Que cette règle même soit à proprement une règle, ça se discute.
Que le masculin existe en français, ça n’est même pas une évidence.
D’un point de vue strictement formel, la différence des genres en français repose sur une opposition marqué / non marqué. Il y a un genre qui porte la marque de son genre : le féminin et son e. Et il y a un genre qui ne porte pas de marque et que, par opposition, on appelle le masculin*. Lorsque aucune distinction de genre ne s’impose, il est tout simplement naturel que ce soit la forme non marquée qui soit choisie. Le problème vient de ce que, à défaut de marque pour exprimer le masculin, cette forme sans marque se trouve employée à occuper ce vide. Le problème vient aussi du fait qu’on a continué à appeler masculin un genre dont le masculin n’est qu’un des effets de sens, et par défaut. Et c’est là, peut-être, qu’on peut voir la phallocratie à l’œuvre non pas dans la grammaire dans ses règles mais dans le vocabulaire grammatical lui-même : il aurait sans doute été plus judicieux d’appeler neutre ce genre non marqué, ce genre privé d’une marque indiquant le masculin – ça nous aurait évité de bien stériles débats sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions. Mais sans doute était-il difficile d’admettre que le masculin, en français, n’existe pour ainsi dire pas.
 
 
* C’est à peu près la même chose pour le nombre : le pluriel porte une marque, le s ; le singulier s’en distingue juste par l’absence de marque. Le singulier est davantage un « non-pluriel » qu’un authentique singulier. De la même manière, le présent est le seul « temps » dont la conjugaison ne porte que des marques de personne et aucune marque temporelle : c’est un non-temps.

mercredi 28 novembre 2012

le prix de la féérie


Et la jambe de Justine ?
 
Ah oui. Eh bien une nuit, Justine se cassa la jambe en tombant par la fenêtre de sa maison bio. Justine n’avait jamais été somnambule auparavant et trouva très inquiétant de basculer ainsi par la fenêtre : la douleur de enjambe cassée n’était rien, le plâtre n’était rien ; Justine redoutait surtout de tomber n’importe quelle nuit par n’importe quelle fenêtre. Quelques jours plus tard, le souvenir d’un cousin lui revenant en mémoire, elle se demanda si l’hérédité jouait un rôle dans les pertes d’équilibre, les basculements, les chutes. Parti en voilier avec des amis, ce cousin avait disparu une nuit dans un basculement similaire par-dessus bord ; le matin au réveil ses amis ne l’avaient pas retrouvé, il avait disparu du bateau. Il ne restait qu’une casquette sur le pont, et autour, l’Atlantique.
 
D’un autre côté, pour Justine, la jambe cassée fut accueillie comme un handicap bienvenu. Justine commençait à se lasser des visites de stagiaires dans sa maison bio. Au début, elle n’avait pas détesté cette maison autoconstruite en quatre ou cinq ans, par elle et Géraud son fiancé, avec pour seule assistance des revues, des livres, quelques conseils glanés sur Internet. Elle ne détestait pas l’attirail astucieux des bricolages bio qui l’accompagnaient : curseur solaire, puits canadien, bassin d’épuration, etc. Dans les premiers temps, tout redevenait simple et clair, tout les enthousiasmait. Géraud avait des idées en flux, son excitation répandait partout des inventions géniales et gratis qui sabraient les dépenses ; ils allaient d’amélioration en amélioration. Très chouette aussi de voir bientôt des inconnus affluer, s’inscrire et payer un forfait-journée pour visiter votre jardin. Mais il fallut bientôt se rendre à l’évidence : la maison était chronophage, les journées filaient au rythme des opérations obligatoires, transporter l’eau, grimper à l’éolienne pour décoincer les pales, préparer aux aurores le repas de midi qui cuisait à deux à l’heure dans le cuiseur solaire, booster les graines, vider le compost… impossible de projeter autre chose. Habiter était devenu l’activité essentielle, plus envahissante qu’un travail. C’est pourquoi, malgré l’angoisse liée à la chute par la fenêtre, sur fond de cette angoisse flottante, Justine s’aperçut qu’elle éprouvait, grâce à sa jambe cassée, le bonheur de l’oisiveté dans une maison devenue un emploi à temps complet. Immobilisée dans son fauteuil au milieu du salon, elle ressentait la joie de celui qui se fait discretos une petite sieste au bureau, l’agréable sensation d’enfler le patronat.
 
Emmanuelle Pireyre, Féérie générale, L’Olivier, 2012, p. 232-233.
 
Attention, n’allez pas prendre la partie pour le tout : un extrait – n’importe lequel – de Féérie général est un petit enchantement ; n’empêche qu’il faut lire le tout dans sa disparité et son architetexture pour profiter de l’enchantement général. Le livre ne manquera pas de provoquer le malentendu : puisque récompensé par le jury du Prix Médicis miraculeusement touché par la grâce, il va se retrouver en quantité entre les mains de lecteurs cherchant en vain le sempiternel roman-qui-délivre-un-message et en resteront pour leurs frais, à moins d’accepter la chance rare de lire enfin autre chose, de ces choses inédites et belles et qui parlent et en même temps immédiatement accessibles à qui veut tenter l’aventure. (Et en écrivant ça une pensée me traverse pour quelques autres écrivains qui m’enchantent pareillement et que j’ai plaisir à nommer : Pascale Petit, Céline Minard…) (Et puis tiens pendant que j’y suis, l’Olivier, bravo pour avoir osé présenter un livre comme celui-là à la rentrée littéraire, c’était bien de le faire ; et aussi celui de Jakuta Alikavasovic, la Blonde et le bunker, qui a reçu la mention spéciale du jury du Prix Wepler ; ça fait plaisir.)
A propos de Féérie générale, on lira avec intérêt l’article de Katrine Dupérou sur Sitaudis et bien sûr celui d’Eric Chevillard dans le Monde, et bientôt pour ma part et j’espère la vôtre aussi Foire internationale dans la très belle collection Les Grands soirs des éditions les Petits matins.
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mardi 27 novembre 2012

une forme qui parle

Entre deux copies, en pensant à A l’ouest rien de nouveau qu’étudient mes 3e, je me dis que ce qui fait sans doute une part essentielle de la valeur littéraire de ce texte, c’est quand même finalement qu’on n’est vraiment pas loin du monologue intérieur, et qu’on y est presque, même si l’auteur peut-être n’en a pleinement conscience1, et même si on est loin de Joyce – mais pas par l’époque, après tout.
Car somme toute, mener un récit à la première personne et à un présent qui est clairement celui de l’énonciation (« Maintenant, nous avons le ventre plein de haricots blancs »), c’est la façon la plus directe de livrer un discours immédiat (je ne me rappelle plus dans quel texte Genette préférait cette appellation à celles de monologue intérieur et de courant de conscience) et de réduire au minimum la distance du lecteur au personnage. C’est surtout faire ignorer au narrateur lui-même ce qui va se passer à l’instant suivant, et formellement – même si « ouf, le formalisme est mort », nous disait l’autre jour un nouvel oracle des lettres contemporaines – il n’y a guère de meilleur moyen de rendre compte de la condition du soldat : cette ignorance du lendemain, cette condamnation à ne vivre que dans le présent le plus restreint. Une parole qui, quand elle se tait à la fin du livre, ne peut signifier que la mort de celui qui pensait là, devant nous. Une forme qui parle.
Il n’y a évidemment pas de progrès en art, comme le disait assez bêtement Aurélien Bellanger dans l’interview dont je me moquais avant-hier – bêtement parce qu’il confond progrès et évolution. Car il y a une évolution, après tout nous faisons bien partie de la nature, et il n’est pas insignifiant que des formes nouvelles apparaissent, et parfois même s’imposent, comme ici, presque malgré l’auteur.
 
 
1. Je tombe sur un « et l’on n’aurait peut-être pas besoin d’en parler ici » (c’est moi qui souligne) qui sent encore son mémorialiste – et qui est quand même une incohérence légère : à aucun moment dans le texte il n’est explicitement question de carnets tenus par le narrateur. Il y a d’autres petits défauts du même genre, aggravés par un emploi récurrent et très inapproprié du passé simple par le traducteur : la traduction date et mériterait d’être révisée.

lundi 26 novembre 2012

L’Agent Frappat


L’Agent de liaison est un entrelacs de récits parallèles (assumons l’apparente contradiction, peut-être prendra-t-elle sens) et fragmentaires, qui déclinent le thème de l’espionnage et de la trahison, de la double identité, de la fuite ; où les failles du langage trahissent les failles de l’identité. Le langage leurre. Le traître, devenu « agent », acquiert par ce glissement de vocabulaire une sorte de légitimité ; une légitimité de l’illégitime. Le langage trahit. Les italiques fréquents nous invitent au soupçon. Comment dès lors parler de ce texte sans le trahir ? Traductor traditor – car Hélène Frappat aime les mots qui, « dans une autre langue », se disent presque pareil.
La matière est romanesque, c’est le traitement qui est différent. Romanesque surtout l’histoire de Sylvette l’aveyronnaise qui, dans les années soixante-dix, fuit le restaurant paternel d’« Arcueilcachan », comme dit la famille, franchit la frontière du périphérique pour dans la capitale sous un autre nom mener sa propre vie, désormais clandestine, donnant naissance à une fille qui ne connaîtra pas son père. On peut, si l’on veut, prendre l’une ou l’autre pour le double fictif de la narratrice, « trahie » par son mari (c’est le mot choisi – quel en est le vrai sens ?), marquée par le souvenir de sa mère au nom douteux et au langage lacunaire. Parmi et au-delà de ces deux intrigues (le mot encore est impropre mais je le choisis à dessein, intrigué moi-même par cette intrication d’intrigues qui n’en sont pas – et en sont autrement) il y en a d’autres, partielles, qui tissent un réseau où les agents de liaison vivent leur clandestine histoire d’espionnage, douloureuse aussi, dans la tentation parfois de laisser tomber le masque, comme les mots qui cachent les choses tendent aussi à les découvrir.
L’agent de liaison, personnage multiple, époux putatif et fuyant de la narratrice, c’est aussi ce qui fait le lien, jamais définitif, entre un mot et un autre, entre le mot et la chose, le nom et la personne. Appelons-le, juste une fois, Hélène Frappat.
 
L’Agent de liaison, d’Hélène Frappat, est paru chez Allia en 2007. Un extrait ici même.
 
(Mars 2008.)

dimanche 25 novembre 2012

Bellanger à ma rescousse


« Le formalisme est à peu près mort. Ouf. J’ai pas mal lu, jeune adulte, ces livres qui correspondent chez moi à un épisode dépressif léger. (…) Claude Simon, je ne comprends pas comment, encore aujourd’hui, on peut s’infliger ça. Beckett, s’il n’avait pas été photogénique, il n’en resterait pas grand-chose. La preuve : il ne reste rien de Sarraute. »
 
Aurélien Bellanger, sur Politis.
http://www.lexpress.fr/medias/2061/1055702.jpg 
Je vous jure que je n’avais pas lu cette interview et que je ne savais rien d’Aurélien Bellanger, ce nouvel oracle presque aussi photogénique que Samuel Beckett, quand je me suis amusé à rassembler ces quelques idées reçues sur la littérature, la semaine dernière.
Parler de formalisme à propos de Beckett, non mais franchement.
Et prétendre que le formalisme est mort, c’est ne tenir aucun compte du succès de Marc Lévy et de Guillaume Musso.
 
(C’est bien sûr grâce au Clavier cannibale que je suis tombé sur cet article, allez-y donc y lire l’hommage de Claro au général Bellanger.)

mercredi 21 novembre 2012

terre sienne


la terre comme une porte
 
(mais ne donnant
sur rien
 
: une couleur qui suinte
au revers du battant
 
sur le bois
pourrissant
 
 
 
 
sur la chair
qui s’infecte
 
la brosse sinuant
dessinant à
 
gros traits les lignes
ondulées d’une
 
chevelure sienne
 
 
Yves di Manno, Terre sienne, éditions Isabelle Sauvage, 2012, p. 44-45.
 
« Composé pour illustrer à l’origine les deux volumes d’un livre peint de Mathias Pérez, Terre sienne a été écrit en regardant intensément ces peintures – et en laissant la plume dériver / méditer à leur sujet. »
(Si je recopie cette note, c’est parce que je dois avouer que j’aime effacer d’un texte son objet premier, pour mieux le laisser dire ce qu’il dit aussi mais qu’on aurait moins bien vu.)
terre-sienne-di-manno.JPG

mercredi 14 novembre 2012

rouler une pelle à Aymeric Caron


Il y a des moments on fait de drôles de choses. J’ai appris qu’Eric Naulleau venait de faire paraître un recueil de chroniques dans lesquelles figurent notamment celles qu’il a écrites pour le Matricule des Anges (pour ceux qui ne connaîtraient pas encore, c’est le mensuel sur la littérature contemporaine qu’il faut lire) et comme le bonhomme est un vrai lecteur, même si, marketing oblige, le titre de son bouquin est calamiteux et que la couverture ne vaut guère mieux, je me dis que le livre a des chances d’être intéressant. Et voici qu’en cherchant à me renseigner je tombe sur une vidéo extraite de l’émission On n’est pas couché, où Naulleau a lui-même officié, et où il se trouve remplacé par un jeune type avec une belle gueule et des cheveux longs chargé de l’interviewer. La voici…
 
  … mais vous n’êtes pas obligés de regarder, hein. Parce qu’évidemment ce n’est que du spectacle (et pas du bon). Parce que du livre on ne saura rien, et que la seule chose que j’y ai apprise c’est qu’Aymeric Caron à l’évidence ne connaît rien, mais alors vraiment rien à la littérature, et que si on a envie de lui rouler une pelle c’est surtout par désespoir, pour ne plus l’entendre.
Voilà, c’est ça que je vais mettre en titre, ce sera « accrocheur ».
Essayer de parler de littérature dans une émission people, comme l’a fait Naulleau ; ne pas servir la soupe aux auteurs invités et dont trop souvent en effet les livres ne valent pas grand-chose, c’était peut-être une bonne idée, mais non. Parce que c’est toujours celui qui ne connaît rien qui est en position de force : il a la majorité derrière lui. Demandez à Patrick Besson. Quant au prétendu critique, il n’est plus que la grincheuse caricature de lui-même.

mardi 13 novembre 2012

ma fin de Lost


Je pourrais commencer ce billet en disant que parfois il m’arrive de suivre la conversation de deux personnes d’avis opposés et de trouver qu’elles ont raison toutes les deux, comme on dit bêtement.
Ou en disant qu’il y a quelque chose qui me fascine dans l’idée qu’une chose et son contraire soient vraies en même temps.
Je pourrais aussi bien commencer ce billet en disant que je me surprends souvent à repenser à la série télé Lost. Notamment à sa dernière saison – qui m’a, comme bien des téléspectateurs, laissé sur ma faim.
D’ailleurs il y a un livre sur Lost écrit par Pacôme Thiellement qui est sûrement très bien et pourtant je ne l’ai pas lu. (Si vous ne savez pas quoi m’offrir pour Noël, voilà.)
Bien sûr si j’ai aimé Lost c’est aussi parce qu’il y a un personnage qui demande aux autres à tout de bout de champ T’es qui, toi ? mais pas seulement.
Pour ceux qui auraient échappé à ce piège télévisuel en six saisons et 121 épisodes, rappelons que l’une de ses principales originalités est un procédé narratif consistant à interrompre le récit principal par des flash-back dans la saison 1, puis par des, comment dit-on ? des flash-forward ? enfin des prolepses, quoi, dans la saison 2 (ou bien était-ce dans la 3 ?) (ce qui était quand même assez audacieux – d’autant qu’il fallait aussi deviner qu’on était envoyé dans le futur : les scénaristes qui avaient du respect pour l’intelligence des téléspectateurs prenaient la peine de ne pas le signaler) jusqu’à ce que, dans la dernière saison, ces insertions narratives deviennent des tranches de vie d’une réalité alternative, incompatibles avec le récit principal mais justifiées par un paradoxe temporel classique en science-fiction. Bref.
Il a bien fallu que tout ça se termine par un épisode mystique et décevant qui finissait parce qu’il le fallait bien, en laissant plein de questions sans réponses. (Et chacun la sienne. La mienne, c’est « Pourquoi le moine qui recueille Desmond Hume a-t-il un portrait de Eloise Hawking sur son bureau ?)
Décevant aussi et surtout parce que c’était fini, bien sûr. Mais aussi parce que pour faire une fin, les scénaristes ont évité d’aller jusqu’au bout de la vis sans fin. Pourtant elle était bien partie, cette dernière saison. Rappelez-vous :
/ ils étaient toujours coincés sur l’île, l’explosion de la station n’avait pas eu l’effet attendu, rien n’avait changé, l’aventure pourrait durer encore et sans fin,
 / l’île était détruite depuis des années, l’accident n’avait jamais eu lieu, chacun menait sa vie comme si rien ne s’était passé, les personnages se croisaient sans se reconnaître, il ne s’était rien passé.
Voilà, c’est là-dessus que j’aurais aimé que ça se termine. Sur la coexistence de ces deux récits parallèles et incompatibles. Il fallait que je me le dise clairement. Se terminer par une impossible fin, une fin qui dise l’impossibilité de la fin.
L’impossible est le champ où se joue la partie.
(Et bien sûr là je ne parle plus de Lost, si tant est que j’en aie vraiment parler.)
  
                                  http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f3/Lost_main_title.svg/280px-Lost_main_title.svg.png

lundi 12 novembre 2012

une affaire de nombril

Je tombe par hasard sur une interview de Jean-François Colosimo dans le Figaro. C’est le président du CNL (le Centre National du Livre), mais comme je n’y connais rien (je devrais, mais bon), ça ne me dit rien.
A la question « Pourquoi la fiction française ne s’exporte-t-elle pas davantage ? » (j’aurais préféré que Sébastien Le Fol emploie le mot littérature plutôt que fiction, il m’intéresse davantage), Jean-François Colosimo répond : « Le roman français reste très autocentré et demeure trop souvent, à l’étranger, l’apanage de cercles spécialisés. »
D’accord, « Autocentré », c’est un euphémisme pour nombriliste. Et de fiction faute de littérature nous voilà déjà réduits à roman. Je sais bien que le roman est un genre protéiforme propre à intégrer tout ce qu’on veut mais moi, quand on me dit roman français, j’ai tendance à penser à ce genre de notre Histoire littéraire auquel Stendhal et Balzac ont donné ses heures de gloire et pour lequel Flaubert a organisé une apothéose finale parce que les meilleures choses ont une fin, c’est à ça qu’on les reconnaît. C’était il y a déjà quelques années. Alors le roman français aujourd’hui, bon, de quoi on parle au fait ?
« Peut-on s’adresser à la planète en se contentant de revendiquer son ­vil­lage, fût-ce Saint-Germain-des-Prés ? » Ah, d’accord. Donc le roman français, c’est les trucs qui paraissent dans les trois ou quatre grosses maisons du quartier et qui racontent des histoires et qui ne sont pas forcément bons même s’ils ne sont pas forcément mauvais non plus, j’imagine. On va finir par se comprendre. (En même temps il parle de ceux qui franchissent la frontière. Forcément, c’est le sujet de l’interview. Et c’est vrai que c’est quand même à Saint-Germain-des-Prés qu’il y a les plus puissantes catapultes.)
(Cela dit, j’ai peut-être des difficultés de compréhension, mais je ne vois pas trop en quoi parler de son village serait forcément de l’autocentrisme inadéquate quand on a l’ambition de s’adresser à la planète.) (Je me dis comme ça Cent ans de solitude, par exemple.) (Il y a comme une confusion entre le village et le soi, il me semble – puisque c’est le nombril qui est visé.) (Et par ailleurs je ne vois pas non plus l’évocation du soi comme forcément haïssable. Montaigne, par exemple, ne vous en déBlaise. Ah non, c’est vrai : c’est pas de la fiction. Alors Proust ?) (Ça m’agace quand même, cette confusion entre la littérature et le roman largement entretenue par la presse qui devrait être littéraire et qu’il vaudrait mieux appeler la presse romanesque, du coup.)
Donc si j’ai bien compris, ces romans français n’auraient que peu d’audience à l’étranger parce qu’ils seraient trop autocentrés – qui est un euphémisme pour nombrilistes – qui est une manière de dire qu’ils sont mauvais sans le dire vraiment mais en ayant l’air de proposer l’évidente explication de cette mauvaise qualité du roman français tellement évidente qu’on ne nous ressort que ça à toutes les sauces depuis dix ans au moins.
Comme si c’était le sujet du roman qui faisait sa qualité, quoi.
Et si ces romans français, les quelques-uns qui passent pour représenter la littérature française dans son ensemble1, s’ils étaient mauvais (pour ceux qui en effet sont mauvais) l’étaient pour d’autres raisons que l’inévitable nombrilisme ? (Car rien ne m’ôtera l’idée que le nombril aussi est un merveilleux sujet, peut-être encore meilleur que l’anus et presque aussi bon que la narine – du moment qu’il s’impose en toute authenticité à son auteur.) Et si le nombrilisme avéré de certains romans français n’était pas la cause de leur médiocrité, mais plutôt, par exemple, la conséquence ? Pierre est un très mauvais écrivain donc il se croit capable d’écrire sur sa propre personne – que nous saluons au passage, la pauvre, car sans doute ne méritait-elle pas ça. (Et du coup, par exemple, comme Paul qui est aussi un mauvais écrivain sans être un imbécile pour autant a pris conscience de la médiocrité de la production romanesque – mais on va dire littéraire pour faire plaisir à la presse – de Pierre, pour éviter de tomber dans ce travers qui évidemment le guette, s’en va choisir un sujet très loin de sa personne : par exemple, qu’est-ce qu’on pourrait bien trouver ? Je ne sais pas, moi, tiens : la Shoah. Comme ça au moins ce sera du sérieux, du solide, de la garantie avant écriture. Und so weiter. On n’est pas sorti de l’auberge.) La question qui reste : mais pourquoi nous en parle-t-on autant, de ces romans si médiocres ? Pourquoi nous en parle-t-on au point d’essayer de leur faire franchir non sans peine, si j’en crois Colosimo, nos frontières ? Et pour en dire aussi bien du mal que du bien, d’ailleurs. Eh bien moi je sais, tant pis pour le suspense : parce qu’il est infiniment plus facile de parler, en mal comme en bien, d’un livre médiocre que d’un livre vraiment singulier, qui fasse œuvre.)
Mais je m’emballe, et nous voici bien loin de notre interview.
– Notre répugnance à considérer aussi la culture comme une industrie n’est-elle pas un sérieux handicap ?
– Nous autres Français avons encore trop tendance à considérer que notre culture est à prendre ou à laisser. Nous sommes trop dans une démarche unilatérale de l’offre que nous absolutisons volontiers. Quitte à méconnaître la demande. Quitte à mésestimer la diversité. Quitte à nous considérer comme l’unique rempart contre la mondialisation. Cela est dû en grande partie à notre tradition jacobine. Or le commerce du livre a cela de paradoxal qu’il est à la fois un commerce intellectuel et un commerce réel. Aujourd'hui, face aux multinationales du consumérisme, la bataille culturelle est avant tout économique.
Bon, je ne vais pas tout commenter non plus. J’ai encore quelques livres à écrire, précisément dans ce genre à prendre ou à laisser dans lequel je choisis aussi mes lectures.
 
 
1. Et c’est bien le problème – la représentation de la littérature –, et à ce sujet moi qui pourtant ne prise guère les prix j’ai l’impression que cette année les différents jurys littéraires ont l’ambition de me faire réviser mon opinion, c’est pas gagné mais continuez les gars, vous êtes sur la bonne voie.
 

dimanche 11 novembre 2012

leur mine désespérée de veuves à ma place


Je me suis dit que ça faisait longtemps que nous n’avions pas fait de fête. Une boum, tu sais comme j’aime les boums. Avec nos amis, ton frère, ma sœur et son copain, des invités. Je me suis dit que j’allais faire une liste, puis un email commun, et puis des courses, des tas de courses. Je me suis dit que ce serait chouette que ça changerait que je verrais du monde tu sais comment ça se passe qu’on danserait qu’on boirait qu’on serait saouls qu’on se ferait des câlins qu’on casserait des verres qu’on aurait mal à la tête et que tout le monde rentrerait chez soi vers cinq heures du matin – ce serait une soirée très réussie comme nos soirées à la maison. Alors j’ai fait tout ça. Des courses, la cuisine, le ménage. J’ai cuisiné et chantonné pendant deux jours. J’ai poussé tous les meubles, j’en transpirais. J’ai rangé tous les objets qui dépassaient, sécurisé le bois ancien, nettoyé à fond l’appartement. Ensuite, je me suis maquillée et coiffée et habillée et évidemment j’étais en avance. Au premier coup de sonnette, j’ai passé une main dans mes cheveux, et j’ai bondi vers la porte, j’étais surexcitée de recevoir nos invités à Paris, d’organiser, toute seule, une vraie fête.
 
 
Je ne sais pas ce qui n’a pas marché, ce qui a cloché. Toi, ou plutôt moi ? Ça n’a pas pris. Ils n’ont pas pris. Cette fête était une fête sordide. Comme s’ils étaient très contents de se dépêcher d’accepter de s’habiller de s’apprêter d’affûter leurs sujets de conversation de venir d’arriver en taxi avec des fleurs du champagne ma chérie merci quelle bonne idée cette fête ça va nous changer les idées à tous – de se retrouver prendre des mines affectées cancaner chuchoter pour mieux me juger ensemble tu la trouves comment toi non mais elle a l’air d’aller bien oui justement non mais franchement faire une fête quand on est veuve depuis deux mois mais tu trouves pas ça déplacé toi moi je te jure ça m’a choquée enfin je suis venue pour elle mais tout ça me dérange dans le fond etc. J’avais sorti mon reflex, je le tenais fermement contre moi, mais je n’ai pris aucune photo d’eux. J’entendais tout ce qu’ils disaient. J’étais tétanisée. Prise de court. Le buffet les buffets ont été dévastés à toute vitesse ça me faisait plaisir de voir se vider les montagnes de vaisselle de nourriture les verres remplir les cendriers déborder j'étais au moins contente de ça. Mais leurs mots.
 
 
Les cons. Nos invités. Vains, vides, mondains. Cruels et creux. Ils ne parlaient pas vraiment à voix basse, non, ils inspectaient, cancanaient bien fort. Tu te serais mis en colère j’imagine ta tête et tes poings qui se crispent, ça me fait rire. Ils n’ont pas été méchants, non, simplement, ils ne comprennent pas. Occupés à parler entre eux tout en me jetant des sourires, à regarder l’appartement, les filles avec leur mine désespérée de veuves à ma place – ça va toi non mais je veux dire ça va toi, vraiment, les hommes faussement gênés désolés cependant tous prêts à sortir leur bite – et sinon je sais que c’est sûrement, non peut-être, c’est peut-être un peu tôt mais tu vois déjà quelqu’un enfin « déjà » je veux dire non au contraire je pense que ça te ferait du bien enfin nous on te jugerait pas moi en tout cas pas du tout, en groupe – non mais c’est indécent une fête quand même tu crois que c’est des façons de porter le deuil ça si ça se trouve elle a complètement déraillé elle ne sait plus ce qu’elle fait il faudrait peut-être qu’on etc.
 
 
http://www.leoscheer.com/IMG/arton2328.jpgMarie Simon, Les pieds nus, éditions Léo Scheer, collection Laureli, 2012, p.78-81.


Commentaires

J'adore ce passage.... Mais, ce sont les facéties d'Internet : le "nouvel acticle de PhA" arrive sur Thunderbird qui a dû perdre une plume dans son haut vol car je lis : "....Une boum, tu sais comme j'aime les boucs...."! Si inexplicable que je me demande si, après tout, le Diable probablement.....
Commentaire n°1 posté par Michèle le 11/11/2012 à 12h08
Ah, je plaide coupable : c'est encore un coup de mon facétieux OCR. (D'ailleurs, "tu sais comme j'aime les boucs", c'est très bien aussi.)
Réponse de PhA le 11/11/2012 à 18h48
...ou la foudre... (Je précise : quand je reçois un avis selon lequel vous avez publié un nouveau billet, on m'en donne toujours les premières lignes.)
Commentaire n°2 posté par Michèle le 11/11/2012 à 12h28
(Et pourtant je m'étais bien relu. Enfin, je croyais.)
Réponse de PhA le 11/11/2012 à 18h50
Ben voyons! Quoi que vous fassiez, ce sera nul. Restez chez vous:" elle broie du noir." Sortez:" elle s'étourdit." Invitez-les? Ils vous débinent, mais ça ne leur coupe apparemment pas l'appétit.
Commentaire n°3 posté par Lza le 11/11/2012 à 17h34
Oui. Et en même temps, c'est ce qu'elle perçoit. Ce qu'elle imagine, peut-être.
La mort fausse tout.
Réponse de PhA le 11/11/2012 à 18h51
C'est alléchant. Bien vu. (Le mot"bite" est extrêmement choquant.)
Commentaire n°4 posté par Depluloin le 11/11/2012 à 18h09
N'est-ce pas ? (J'ai bien essayé de remonter la braguette mais elle était coincée.)
Réponse de PhA le 11/11/2012 à 18h43

vendredi 9 novembre 2012

à propos de CV roman, de Thierry Beinstingel


J’ai acheté mais je n’ai pas encore lu Ils désertent, de Thierry Beinstingel, paru à cette rentrée. Mais voici que je retombe sur un petit texte que j’avais écrit à propos de CV Roman, paru il y a cinq ans, déjà chez Fayard :
 
Notre vie rectangulaire et sans épaisseur

Le travail n’est pas un sujet de roman. Pour Thierry Beinstingel, pourtant, c’est le sujet. Le titre, CV roman, oxymore improbable, le dit assez. Mais on le suit sans peine : le CV, c’est bien cette chose qui, comme un roman, est supposée représenter la vie ; mais c’est une vie rétrécie dans un rectangle, aplatie en feuillet unique, où les mots, "conscience de responsabilité et de sécurité", "travail en équipe en environnement difficile", ne veulent plus rien dire – oublient de dire que le "relation clientèle" qui suit est une voie de garage, conséquence d’un accident du travail qui a conduit le conducteur d’engins à l’invalidité partielle. "Conseiller en mobilité dans un service de Ressources Humaines", tel est le titre du spécialiste des CV, chargé de guider en douceur les employés vers la sortie, vers d’autres emplois incertains. Cette fonction douteuse, c’est celle qu’exercent les consciences innommées qui président au récit, avatars pluriels de l’auteur, dont c’est aussi le "métier", nous dit la quatrième de couverture. Consciences inconfortables, invitées à se plonger un instant, lors de quelques rendez-vous formels, dans ces vies désincarnées, qu’elles doivent souvent trop tôt abandonner à leur  sort : d’autres attendent. Le roman, innovant dans sa forme, épouse les rubriques obligées : "Expérience", "Formation", "Loisirs", "Situations", multipliées par treize séquences. Enfoui sous la paperasse jargonnante, l’humain. "Ressources humaines", dit la fonction. L’humain, les mots du travail sont déposés dessus pour l’étouffer, le mettre en conserve, l’oublier. Parfois, l’humain s’appelle Sylvain Schiltz, il meurt gelé dans sa voiture. Quittant pour un instant les salles de réunion, le "Conseiller en mobilité dans un service de Ressources Humaines" devient écrivain (s’appelle lui-même "Je est un autre") et se lance dans – son travail. Autrement.
 
Mars 2008.
 
http://www.images.hachette-livre.fr/media/imgArticle/Fayard/2007/9782213624846-G.jpg

Commentaires

On empile des formules toutes faites comme on enfile des perles...
Commentaire n°1 posté par Lza le 10/11/2012 à 16h52
Le monde du travail a son langage, et il n'est pas joli.
Réponse de PhA le 11/11/2012 à 18h46

mercredi 7 novembre 2012

à propos de MaternA, d’Hélène Bessette


La lecture récente d’Indociles de Laure Limongi me rappelle que j’avais cru bon, après ma lecture de MaternA d’Hélène Bessette, d’écrire ces quelques lignes qui en disent bien trop peu :
 
 
Femmes entre elles
 
La « maternA » du titre est une maternelle jamais nommée comme telle, une « maison-prison », prison moins pour les enfants (réduits à leur plus simple expression ; la première voyelle, premier son probable proféré : les « A ») que pour les adultes qui les encadrent, femmes entre elles, toutes porteuses elles aussi du même A : de MonA LisA femmes de services à BrittA la directrice « MOI JE » qui ne vit que pour son rôle de « directrA » soutenue par son double l’« inspectrA » GrittA, en passant par l’adjointe DjeminA prête à lui lécher les pieds, PierA et surtout IolA méprisée qui hermétique ne répond pas au harcèlement dont elle est la cible. Prison sans doute aussi la forme traditionnelle du roman puisque Hélène Bessette l’explose : on glisse d’une voix à l’autre sans signal, l’hystérie collective s’exprime en bouts rimés où résonnent les comptines qu’enfants et maîtresses serinent, et le texte s’éparpille et se recompose sur la page en poème à grande échelle (impossible du coup d’en donner ici un exemple). Et cependant tout cela se lit sans peine, on glisse avec un plaisir étonné et rafraîchi dans le style tobogannant (comme dirait Michaux) de l’auteur, on se sent dans quelque chose de vraiment neuf quand quelques détails, quelque marque oubliée, quelque somme en anciens francs nous rappellent que ce texte date de plus d’un demi-siècle, que les amis littéraires de l’auteur ou les défenseurs de ses textes s’appelaient Leiris, Duras ou Queneau, et que leurs grands noms n’ont pas suffi à éviter que celui de Bessette ne tombe dans l’oubli.
 
2008
 
MaternA, d’Hélène Bessette, est disponible dans la collection Laureli, aux éditions Léo Scheer.
http://www.faz.net/polopoly_fs/1.1716605!/image/1637230745.jpg_gen/derivatives/article_aufmacher_klein/1637230745.jpg

Commentaires

Merci pour ce billet sur un écrivain qui a échappé à ma "culture littéraire". Je vais rapidement combler ce manque, ce que vous en dites m'intéresse vivement.
 
Commentaire n°1 posté par Ambre le 07/11/2012 à 12h26
Hélène Bessette, hélas, a échappé à beaucoup de monde.
Réponse de PhA le 07/11/2012 à 19h49

jeudi 1 novembre 2012

au travail


Les mots sont d’occasion, bien obligé de faire avec. Le recyclage des ordures ménagères est là pour nous le rappeler : ça ne doit pas se voir.
 
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