mercredi 24 novembre 2021

Dimanche on sort, lundi aussi.

Dimanche (qui vient, le 28 novembre), comme c’est un dimanche, je reste au Salon : mais ce sera celui des Essarts-le-roi, rue du 11 novembre ; c’est facile à trouver, et moi aussi : je serai avec les Singes rouges, Mon petit DIRELICON et beaucoup de mes nombreux autres titres qui manquent encore à votre collection. Lundi (qui suit, le 29 novembre), comme c’est un lundi, je retourne au travail : ce sera la parution du mon petit dernier, aux éditions Louise Bottu (qui ont déjà publié ma Vie des hauts plateaux, rappelez-vous) ; ça s’appellera Biotope et anatomie de l’homme domestique, et jamais titre d’un recueil d’aphorismes n’aura été aussi fidèle à son contenu.

mardi 23 novembre 2021

lundi 22 novembre 2021

L’absence de la marque est la marque de l’absence.

(Re)travaillant sur un projet où le mot homme a son importance, me voici de nouveau confronté à sa polysémie (qui en l’occurrence m’est plutôt un problème) : individu de sexe masculin ou être vivant relevant de l’humanité ? On en regretterait de ne pas être né Romain ; en latin au moins les choses étaient clairs : on avait vir/viri pour l’un, homo/hominis pour l’autre. Vir a disparu par excès de brièveté ; l’amuïssement des voyelles finales en passant du latin au français lui aurait ôté presque tout son corps, il n’en serait resté presque rien à se mettre sur la langue ; homo l’a remplacé. On en a gardé viril et virilité. Mais pas seulement. Le latin avait aussi virtus, qui désignait la qualité de l’homme (vir) par excellence, et que l’on traduit couramment par courage. Avec la disparition de vir, virtus a perdu toute sa virilité, mais n’a pas disparu pour autant : il est devenu la trop souvent féminine vertu. Quant au courage, il a lui aussi perdu de son exclusive virilité pour venir se loger dans le cœur, dont il n’est que le dérivé par suffixation (j’aime bien sa collocation avec l’amour, je le reconnais volontiers).

Il y a dans le vocabulaire même de la langue française cette démasculinisation parallèle à celle de la morphologie, dont n’ont pas fait cas les grammairiens – rappelons que la grammaire n’est jamais qu’un discours qui tente de décrire des faits langagiers et que, comme tout discours, il est naturellement défectueux – surtout quand il est décalqué d’une autre langue au système différent (le latin) et tenu d’abord par des hommes qui avaient sans doute du mal à concevoir qu’une langue puisse ne pas faire cas d’un genre qu’ils considéraient comme le leur. Car il n’y a pas non plus de marque du masculin en français (contrairement au latin et à bien d’autres langues). Il y a juste le e, comme marque du féminin. Il n’y a d’ailleurs pas non plus de marque du singulier – mais j’ai l’impression que pour le coup il n’y a que moi que cela intéresse. Pourtant, si je vous propose du fromage, et du vin pour l’accompagner, ni vin ni fromage ne sont, à proprement parler, au singulier, puisqu’ils sont en emploi indénombrable, et que l’indénombrable, par nature, ne connaît pas la catégorie du nombre. Les emplois qui ne connaissent pas la catégorie du genre aussi sont légion, je vous les laisse chercher.

Pour revenir à la langue, quand on veut la décrire (quand on veut faire de la « grammaire »), on ne devrait jamais perdre de vue que les effets de sens n’ont pas tous une forme qui leur est dévouée. L’absence de marque du singulier est la marque de l’absence de singulier en français. L’absence de marque du masculin est la marque de l’absence de masculin en français. Ce devrait être un préalable à toute réflexion grammaticale.

(Tiens, pendant que j’y suis : l’absence de marque du temps présent est la marque de l’absence de présent en français ; et ce que vous avez appris à conjuguer à l’école sous le nom de « présent de l’indicatif » n’est pas du présent : c’est juste de l’indicatif tout court. C’est d’ailleurs pour ça qu’il sert aussi à tous les procès atemporels.)



mercredi 17 novembre 2021

sa pudique délicatesse à ne pas dire

sa pudique délicatesse à ne pas dire

qu’il ne sait plus qui vous êtes

où il vous a rencontré

vous qui semblez si sûr de le connaître

lui ne sait plus

même si le sourire au bord des lèvres

ne trahit pas

puis les yeux perdus

s’apaisent

dans l’apprivoisement



En résidence à la résidence l’Arche où elle a animé des ateliers, recueillis des paroles, Estelle Dumortier a composé Entre les lignes, ce livre de poèmes qui dialoguent avec les photos de Bernard Ciancia, en hommage ou en amour des personnes dont la vie se prolonge. C’est aux éditions La rumeur libre.




dimanche 14 novembre 2021

Quatre extraits de Tu m’aimes-tu ?

 

Un


J’ai voulu partir

sans quitter mon lit

traverser les frontières

en restant ici

abolir les décalages horaires

pour faire du monde

un seul sol

une seule destination


(…)


Deux


Je n’ai rien dormi


Les jours se fondent

en nuits

infinies


Les verres vont

de ma main

à ma bouche


Et l’on entend

un train

dans l’obscurité


Je n’ai rien dormi


(…)


Trois


Vous

aviez pris place

à mes côtés

convive

anonyme

et étranger


Vous m’aviez tendu la main

prononcé un nom

proposé du vin


(…)


Quatre


Quatre murs blancs

brident mes pensées

j’écoute ce lit qui craque

comme le grincement

de ton absence

ici à Montréal


Il me faudra dormir

quelques nuits encore

de ce côté-ci de la flaque

far away from home

far away from you



Samantha Barendson, Tu m’aimes-tu ?, éditions Le chat polaire, 2019.



mardi 9 novembre 2021

Amoureuse ?

Nous sommes tous une jeune fille amoureuse de l’amour et je ne fais sans doute pas exception à la règle car j’ai été très touché, presque familièrement, par ce livre d’Estelle Fenzy qui, par instantanés successifs, fait grandir une petite fille jusqu’à l’âge à peine adulte, au gré des rencontres dont on se demande à chaque fois si elles sont, ne sont pas, sont peut-être quand même – amoureuses ?

Amoureuse ? d’Estelle Fenzy est paru tout récemment aux éditions La Boucherie littéraire.



dimanche 7 novembre 2021

Autopromotion alphabétique 10 : Par temps clair

C’était à prévoir : je me suis lassé de ce feuilleton auto-promotionnel. L’alphabet sans doute ne m’a pas suffi ; d’ailleurs il me manque trop de lettres. Et (puisque c’est à P qu’on arrive déjà) ce serait donc encore Par temps clair qui en ferait les frais ? Alors non. J’ai déjà raconté, dans un autre feuilleton plus personnel, comment ce roman a failli être mon deuxième aux éditions du Seuil et ne l’a pas été (pour mémoire on peut cliquer ici), puis comment il a fini par paraître quasi sans éditeur chez Melville (et l’on peut cliquer là). C’est certainement et fatalement le moins lu de tous mes livres, pourtant en l’écrivant je le jugeais supérieur à Une affaire de regard, et je le pense encore. Le protagoniste, Paul Bonfils, un quadragénaire qui jusque-là a toujours vécu dans l’illusion de sa propre réussite aussi bien sociale que sentimentale, est pris d’un doute, lors d’une semaine de vacance imprévue. Un message de fin de partie de jeu vidéo sur l’écran d’un ordinateur, « Tu es mort », est le germe d’un monologue intérieur à la deuxième personne, une accusation discrète envahissante comme un cancer de la pensée. Inspiré par ses lectures sur la théorie de l’évolution (il y a une épigraphe de Steven Jay Gould qui est aussi, en soi, un vrai conseil de lecture), Paul en vient à se demander s’il est encore celui qu’il a cru être.



vendredi 5 novembre 2021

Sa petite sœur, disparue, le hante.

Ahmed, qu’on appelle ainsi depuis le début, dit qu’il s’appelle Amadou, en vrai. Ahmed, pour ses séjours en pays musulmans. Il dit aussi son nom de famille : c’est que nous cherchons sa sœur. Nom et prénom. Prénom, Makoko. Même père, même mère, dit Ahmed. Les premières démarches : auprès des sauveteurs qui sont dans les parages. Je suis sûre, ou plutôt son frère est sûr (son frère évangélique, alors que je ne pensais pas me tromper en lui souhaitant un bon Aïd), est sûr qu’elle est arrivée. Ahmed dit : partie de Dakhla, arrivée à Las Palmas le 21 décembre 2019. Prenez la photo, allez dans les centres, ouvrez les yeux, vous trouverez. Plus de cinq mois, dont deux d’isolement, en Espagne.

Les centres dans le sud de l’Espagne sont vides, les Canaries saturées. Première interlocutrice de la Croix-Rouge, à Las Palmas : on donne une carte SIM à toutes les personnes qui arrivent afin qu’elles préviennent les familles qu’elles sont saines et sauves.

Ahmed pense donc que sa sœur, Makoko, est arrivée le 21 décembre à Las Palmas. Au matin, on cherche des listes. Celle des personnes transférées en Espagne, dans un de ces centres qu’on nous dit vides en ce moment. Celle des personnes expulsées. Il y a eu en effet des vols de retour en Mauritanie, au mois de janvier, au nom d’un vieil accord de réadmission datant de 2003. On ne trouve ni l’une ni l’autre.

Si Makoko a voulu, quand cela était possible, faire comme son frère : prendre un avion pour la péninsule avec un document alias ? Ahmed n’a pas dormi. Sa petite sœur, disparue, le hante. Il l’attend ici. Elle est arrivée à Las Palmas, Gran Canaria, répète-t-il. D’abord la police, puis la Croix-Rouge. Puis on est transféré sur une des sept îles. Ce qui s’est passé : elle n’avait pas un bon téléphone. Mais un peu d’argent (il confirme : c’est lui qui le lui a donné).


Marie Cosnay, Des îles Lesbos 2020 Canaries 2021, éditions de l’Ogre, 2021, p. 80-81.