samedi 4 septembre 2021

une réflexion en langue des morts

Peu de temps pour lire en ce moment mais quand même : les Filles de Monroe, le nouveau roman d’Antoine Volodine vient de paraître. Le temps me manque aussi pour en parler vraiment. C’est une bonne entrée dans l’univers post-exotique pour le lecteur qui n’en serait pas familier, c’est aussi un des Volodine les plus noirs et les plus drôles, quand on aime l’humour du désastre. Tiens, un extrait :


Rebecca Rausch se balançait souplement d’une jambe sur l’autre. Elle se préparait à tout.

Le bruit des gouttes sur le toit annulait tous les autres bruits, annulait le craquement des planches sur le palier quand Rebecca Rausch changeait de point d’appui, effaçait nos respirations, les haut-le-cœur et les déglutitions anxieuses de Breton.

– S’il y a du grabuge, je resterai peut-être sur le palier, chuchotais-je prudemment.

– Fuck you, Breton ! siffla Rebecca Rausch en poussant la porte d’une bourrade.

Elle fit aussitôt la lumière dans la pièce. Par terre traînaient des vêtements ensanglantés, des débris de plâtre, des douilles, et ce que je reconnaissais comme les vestiges d’une cérémonie chamanique, des colliers de plumes déchiquetés, des perles colorées dispersées, des morceaux de bois carbonisé, un tambourin crevé. Des balles de fusil ou de revolver avaient creusé des cratères dans tous les murs. Le vasistas était cassé, de l’eau coulait depuis le toit, formant un petit ruisseau qui passait sous le lit pour se perdre dans la salle de bains.

Breton entra à son tour.

– Ben moi qui parlais de grabuge, commenta-t-il.

– Un sacré grabuge qu’il y a eu ici, enchéris-je.

– Merde alors ! Que ça devait être un endroit sûr, déplora Rebecca Rausch.

Je me baissai, récoltai quelques perles en verre bleuté, une turquoise, une azur, une marine, quelques plumes. Je fourrai cela dans une poche.

– Pourquoi tu fais ça ? demanda Rebecca Rausch.

– En souvenir, expliquais-je.

– C’est piller les morts, me reprocha Rebecca Rausch.

Déjà nous avions éteint derrière nous, refermé la porte, et nous étions en train de redescendre en direction de la rue. Au premier étage, les vieux bougonnèrent. Rebecca Rausch se tourna vers eux et leur lança une réflexion en langue des morts.

– Qu’est-ce qu’elle dit ? demanda la vieille.

– Qu’on aille se faire foutre, traduisit le vieux.

– C’est qu’une folle, dit la vieille. Elle est même pas vivante.



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