lundi 31 décembre 2018

Dernière sensation de calme avant le tournant de l'an


Un dernier livre avant la fin de l'année, c'est Une immense sensation de calme, le premier roman de Laurine Roux paru aux éditions du Sonneur au mois de mars si je ne me trompe pas, si bien que ce billet tombe un peu comme un cheveu sous la soupe : tout le monde a déjà dit la beauté de ce roman – un conte au moins autant qu'un roman – et, une fois n'est pas coutume, tout le monde a raison. Ne comptez pas sur moi pour vous raconter quoi que ce soit de l'histoire, ce serait trop facile : un conte, ça raconte, et celui-ci en effet conte et enchante. Trop facile mais complètement inutile, car à raconter, on ne dit pas ce qu'il y a dire vraiment, ce qui se joue dans le rapport à la vie, à la mort, à la nature. Quelque chose d'essentiel et de trop souvent perdu de vue, que l'on découvre peu à peu, avec l'héroïne, également narratrice, double de Laurine Roux qui très certainement, elle aussi, au cours de cette écriture, a découvert quelque chose, d'intime et d'universel. Si vous voulez en savoir davantage, dans quelle sorte de Sibérie sauvage et rêvée se déplacent ses personnages (il y a là notamment un discret retour à la vie nomade qui me touche), vous pouvez bien sûr chercher sur Internet, mais le mieux c'est encore de lire ce très beau premier roman.



samedi 29 décembre 2018

vendredi 28 décembre 2018

crise de la représentation


- L'actualité nous le prouve : il y a une crise de la représentation.
- Bien sûr, les Gilets Jaunes...
- Je pensais plutôt à la manière dont la presse...
- Je suis bien d'accord avec vous.
- … présente la rentrée littéraire de janvier. Mais oui, vous avez raison : c'est la même chose.


Noirs cafés 5


Parfois il y a des fourches. Il faut prendre à droite ou à gauche. Un choix s'impose. On a l'impression qu'il est capital. Aller à droite, ça n'est pas du tout la même chose qu'aller à gauche. Tout sera différent. Tout sera différent.
La bonne blague.

On peut aussi choisir de monter ou de descendre. Autre illusion. Même quand tu montes, tu descends. Mais si : tu descends. La seule différence, c'est que comme tu te fatigues un peu, tu crois que tu fais quelque chose.



jeudi 27 décembre 2018

papillon noir


Si le papillon du titre qui traverse ce roman a la blancheur de l'espoir, le lecteur ne peut s'empêcher d'en voir un autre, noir, qui tisse les destins croisés des quatre femmes, héroïnes à part égale de Quatre femmes et un papillon, de Valérie Allam, qui vient de paraître aux éditions du Caïman, tout de noir vêtu car en effet c'est un roman noir. C'est tout à fait le genre de roman dont il ne faut rien raconter alors je ne raconterai rien. Quelques mots quand même sur la narration qui passe du point de vue de l'une à celui de l'autre, des échos lexicaux y jouent le fondu-enchaîné, et tisse, donc – ce texte est textile – une trame qui échappe aux personnages, perdus, perdues plutôt, et parfois traquées, dans un décor cruel d'autant plus absurde que nous sommes, nous lecteurs, seuls à en savoir plus, papillonnant que nous sommes de l'une à l'autre, remarquant des coïncidences qui frôlent parfois le surnaturel, invités à imaginer que tel personnage, qui a un moment a fait ceci, est peut-être aussi celui-là, qui à un autre moment a fait cela. Car les identités sont en question. On est assigné à un rôle social, on ne croit pas qu'on puisse jamais en sortir, s'en sortir, on y croit un instant ; ou bien on se rend compte qu'on n'est plus, mais alors plus du tout celle qu'on a été, une métamorphose a eu lieu, parce qu'on a vécu quelque chose, quelque chose de terrible, sans doute faut-il vivre quelque chose de terrible pour devenir un papillon, un papillon blanc, un papillon noir.



mercredi 26 décembre 2018

dimanche 23 décembre 2018

Nouvelles très brèves (23)


Ce soir-là, sans regarder la pendule, la famille Berdurier resta à table près de cinquante-six minutes. Madame Berdurier ne l'avait pas regardée non plus durant les deux heures et trente sept minutes qu'elle passa à préparer le repas. Le lendemain matin, Paul Berdurier ne regarda pas sa montre, il faut quand même préciser qu'il ne resta que cinquante-six secondes aux toilettes.


samedi 22 décembre 2018

Noirs cafés 4


On est trop. Beaucoup trop. Autrefois, on disait : « il faudrait une bonne guerre ». On ne le dit plus. On sait bien que ça ne sert à rien : on a déjà essayé, on est toujours beaucoup trop. On est même encore plus. On fait toujours la guerre, mais maintenant c'est surtout par habitude, sans conviction. On sent bien que le cœur n'y est plus.



jeudi 13 décembre 2018

Noirs cafés 3


Il a rendez-vous avec sa vieille maîtresse. Il se demande s'il va la reconnaître. La dernière fois, ils ont bien failli se rater. Il lui semblait pourtant qu'elle avait des cheveux, et puis finalement non. Elle non plus d'ailleurs, elle ne le reconnaissait pas. Il n'avait plus de cheveux non plus, il faut dire, mais il lui semblait pourtant que ça faisait longtemps. Il n'était même pas certain d'en avoir jamais eu. Peu importe, elle n'avait jamais eu une très bonne vue. Encore un point commun entre eux. D'ailleurs, il lui était resté un doute, à lui, après cette dernière rencontre. Était-ce vraiment sa vieille maîtresse ? Si ça se trouve, c'était une autre vieille maîtresse qui l'avait pris pour son vieil amant à elle. Elle avait peut-être un vieil amant elle aussi. Ça n'a pas tellement d'importance. Il ne lui demandera rien, quand elle arrivera. Il n'essaiera pas d'éclaircir la situation. Ça changerait quoi ?



lundi 10 décembre 2018

Seule nuit tombe dans ses bras et Mon jeune grand-père ont les honneurs du Temps


Seule nuit tombe dans ses bras et Mon jeune grand-père ont les honneurs du Temps, le quotidien suisse, grâce au regard attentif d'Isabelle Rüf. Un même article pour ces deux livres si différents, il fallait que ce soit dans le Temps : en 2001 déjà elle écrivait sur Une affaire de regard, dont le héros, elle s'en souvient, est l'auteur de Seule la nuit..., enfin de Même la nuit tombe dans ses bras, dont je ne suis officiellement que le préfacier. Et beaucoup d'autres, entre ces deux-là, sont cités, Notes sur les noms de la nature, Elise et Lise, Pas Liev, avec les liens vers les articles les concernant (tiens elle a oublié Liquide, sur lequel elle avait aussi écrit un bel article). Sensation agréable et curieuse de vieille connaissance avec une personne jamais rencontrée, même pas par mail. Un plaisir qui va au-delà de la seule promotion des livres. La lecture, c'est quand même quelque chose.




samedi 8 décembre 2018

Discernement de Guillaume Contré : le lieu par où ça pense


« La main tendue du serveur était très blanche, ce qui contrastait avec son visage brun. Mais elle n'avait pas de gouttes de sueur. C'était une main propre. Ce n'était en aucun cas une main travailleuse, ce qui rendit Frédéric perplexe. Le travail n'était pas censé se lire sur les mains des gens ? Question à laquelle il ne répondit rien. En partie car la blancheur immobile de cette main blanche l'aveuglait, ce qui ne lui permettait pas de penser, et en partie car une autre idée s'imposait à lui, celle des lignes de la main. Lignes que dans le cas présent il ne voyait pas. Peut-être n'étaient-elles pas là. Ces lignes qui parcouraient l'éventail de la paume en s'ouvrant en éventail. Sillons obstinés, se dit-il. Et il le répéta pour lui-même : sillons obstinés. Cela lui sembla un bon titre pour un essai ou un recueil de poèmes. Il avait écrit des essais, mais pas de recueils de poèmes. Il ne se sentait pas d'habileté pour le lyrisme, pas non plus pour la rime. Mais pour les idées, oui. Les idées lui plaisaient. Elles surgissaient facilement, l'une après l'autre. Il suffisait de les relier un peu, et c'était bon. Relier, c'est un peu comme rimer, pensa-t-il. Il s'agissait de construire des résonances. Ce sont les résonances qui donnent le sens, comme la rime dans un poème, pensa-t-il. Encore que les rimes soient plus esthétiques que les idées, pensa-t-il. Ou non, se corrigea-t-il, non : les idées bien reliées sont belles aussi. Bien relier, c'est ne pas laisser de trous dans la trame, pensa-t-il. Personne n'a envie de porter un pull plein de trous, pensa-t-il. Lui non plus, même s'il ne prêtait pas toujours une attention suffisante à ses vêtements. »

C'est un passage de Discernement, de Guillaume Contré, qui vient de paraître chez Louise Bottu. On croit qu'on y suit Frédéric, mais en fait non, on suit la pensée de Frédéric. Frédéric aussi suit sa pensée. Souvent on croit, vous croyez que vous pensez. Alors que non, vous ne pensez pas. Vous êtes juste traversé par votre pensée. Vous êtes le lieu par où ça pense. Une pensée me traverse et je la laisse me le dire : je suis le lieu de la pensée qui me laisse me dire que je ne suis que le lieu de la pensée qui me laisse me le dire, que je ne suis que le lieu de la pensée qui me laisse vous le dire.


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lundi 3 décembre 2018

Noirs cafés 2

Il tient sa main droite dans sa main gauche. Il n'a pas de poche où la mettre. Il ne voit pas comment la tenir autrement, et il ne veut pas s'en défaire. Il a pensé la donner à son chien, qui saurait bien quoi en faire, mais il n'a pas pu s'y résoudre. Alors il la garde dans sa main droite. Ça lui fera un souvenir de lui-même.



dimanche 2 décembre 2018

Noirs cafés 1


Parfois le squelette se désolidarise du reste. C'est étrange. Il se défait dans un cliquetis gracieux et tombe en petit tas, tandis que l'amas des chairs et des organes joue les coussins informes à côté. C'est là qu'on regrette que la fourrure humaine soit si pauvre.

Je commence à poster ici deux ou trois petites choses que j'ai écrites avant-hier dans un café, devant un café (oui : noir). Il n'y en a que quelques-unes mais si je retourne prendre un café, on ne sait jamais, il y en aura peut-être d'autres.