mercredi 27 octobre 2021

Les temps mythiques

Il a assisté à des colloques où certains de ses congénères, encore demi-larves, se prévalaient d’une imagerie mentale complète en rapport avec les temps mythiques. Selon eux, avant les grandes Corrections, les Vieux-Ancêtres se traînaient au-delà de la surface. Ils avaient la queue divisée en deux jusqu’au milieu du corps, et se dressaient sur ces deux sections chancelantes en essayant de maintenir la tête dans l’axe de l’épine dorsale. Leurs mains n’étaient pas palmées, leur peau était raboteuse, ils portaient des algues au-dessus des yeux et sur le front, leur entrejambe étaient bizarrement ouvert ou gonflé, ils étaient mous. Très faibles, peu disposés à la survie, ils s’accrochaient pourtant à une culture exosomatique aux dimensions inimaginables. Leurs Amas étaient immenses et couvraient en grande partie les étendues désertiques. Ils ne les quittaient jamais. La maturité ne les atteignait pas. La politesse n’étaient pas le régime politique commun, ils n’en avaient pas. Leur fragilité était compensée par une fécondité proliférante, comme chez toutes les espèces mal armées, ils corrigeaient les pertes par une reproduction massive. Quand les pertes diminuèrent, ils ne prirent aucune mesure. Avant la formation de la Poussière, les Amas se touchaient les uns les autres, entraient les uns dans les autres, jusqu’à s’empiler les uns sur les autres. Les Vieux-Ancêtres grouillaient complètement sur le désert.

Céline Minard, Plasmas, Rivages, 2021, p. 136



mardi 26 octobre 2021

La chauve-souris et l'ange vous saluent bien.

Je m'envole au Vent pur des étables. Ce très beau livre est un "traité de chiroptérologie poétique" ; il était donc naturel que j'y participe.


Il y a du beau monde, jetez donc un œil au sommaire (trilingue).



Et c'est avec d'autres ailes et à l'invitation d'Estelle Fenzy que je m'envole, aux côtés notamment de Samantha Barendson, dans un cahier consacré au saut de l'ange (puisque évidemment nous en sommes) de la revue Écrit(s) du Nord.

(Je ne vous ai photographié que le haut de mon saut - peut-être y a-t-il une chute - ou pas.)




lundi 18 octobre 2021

Autopromotion alphabétique 9 : Notes sur les noms de la nature

Il ne sera pas dit que je n’irai pas jusqu’au bout de ce feuilleton idiot. Après M, N enfin. Après Mémoires des faille, Mon jeune grand-père et Monsieur Le Comte au pied de la lettre, Notes sur les noms de la nature.

Dans ma toute petite enfance, je me suis pris de passion pour la zoologie. Au début des années 90, je me suis pris de passion pour la mycologie. Vers la fin des années 90, je me suis pris de passion pour la botanique. C’est un peu la même passion, mais qui s’est élargie, quoi. Le vivant, puisque j’en suis. Et comme par ailleurs, j’entretiens avec le langage une autre sorte de relation passionnelle (faite d’amour, de méfiance et de dérision), j’ai fini par écrire sur les noms qu’on donne à ce qui vit, pour l’identifier, ou parfois simplement pour être en mesure de simplement le voir, et comme ces noms sont donnés avec toute l’insuffisance du langage pour rendre compte du monde, c’est devenu un livre de, comment dire autrement, « poésie ». C’est pour ça qu’il s’intitule Notes sur les noms de la nature. Il est paru aux éditions des Grands Champs en 2017.



mercredi 13 octobre 2021

News

Samedi prochain à 11h30, dans le cadre du Festival Feuilles d’automne, je dédicacerai à la Bergerie Nationale de Rambouillet Les Singes rouges, Mon petit DIRELICON et mes autres titres chez Quidam et Lunatique. C’est un bel endroit, il fera beau ; venez donc !

Le même week-end, ce sera le Salon de la Revue à la Halle des Blancs Manteaux. Il y aura notamment La Moitié du Fourbi où l’on pourra m’y lire dans Seul à voir.

Sur Youtube, la vidéo de la soirée de lancement de la revue Catastrophes, avec mes Trois ductions de Koubla Khan. Il manque les premières secondes où je lis, dans mon plus bel anglais pourtant, les premiers vers du poème de Coleridge ; je vous les recopie :

In Xanadu did Kubla Khan
A stately pleasure-dome decree:
Where Alph, the sacred river, ran
Through caverns measureless to man
     Down to a sunless sea.



lundi 11 octobre 2021

Autopromotion alphabétique 8 : Monsieur Le Comte au pied de la lettre

Après M encore, M toujours. Après Mémoires des failles et Mon jeune grand-père, Monsieur Le Comte au pied de la lettre – mais avant, chronologiquement parlant.

Je suis encore en train d’écrire Liquide lorsque, dans un besoin d’autre chose (l’écriture de Liquide était très contraignante), j’écris à brûle-pourpoint un texte à vocation d’abord hygiénique – l’édition n’est pas en but en soi –, un texte qui deviendra « Les toilettes du bibliothécaire », c’est-à-dire le sixième chapitre de Monsieur Le Comte au pied de la lettre – celui de la rencontre entre les deux personnages principaux. Car sous ses allures de pochade langagière à dix gags la ligne qu’il est aussi (c’est un roman dont l’un des sujets est la langue même dans laquelle il s’écrit), Monsieur Le Comte au pied de la lettre est à mes yeux une parabole sur les relations mystérieuses et vaguement cruelles qu’entretient l’auteur, toujours plus ou moins déguisé, avec son personnage – qui existe peut-être davantage que lui.

Monsieur Le Comte au pied de la lettre est paru chez Quidam en 2010.



samedi 9 octobre 2021

moi réduit en poussière

Je découvris d’abord une rognure d’ongle qui m’avait sans doute appartenu, puis un cheveu dont la couleur et l’épaisseur étaient semblables aux miens. Petit à petit, je constituais sous mes yeux un tas dans lequel j’étais amené à reconnaître des productions, maintenant mortes, de mes cellules. Alors se développa l’idée que l’ensemble de cette poussière, que je poussais maintenant dans la pelle, reflétait toutes les parties de mon corps, c’était moi réduit en poussière que j’allais précipiter à la poubelle. La parcellisation de mon corps physique, devenu indiscernable, se profilait dans cette matière inqualifiable. J’étais devenu un sachet de râpé.


Jean-Pierre Le Goff, Esquisses de la poussière, éditions des Grands Champs, collection inframince, avec une préface de Didier Semin.


Du même étonnant et méconnu Jean-Pierre Le Goff, membre du Collège de Pataphysique, les Grands Champs ont déjà publié CoQuillages (rappelez-vous) et Métaux adjacents. Le titre est fidèle au contenu : Le Goff esquisse pour nous tout ce que la poussière esquisse à nos sens et notre esprit.



lundi 4 octobre 2021

Autopromotion alphabétique 7 : Mon jeune grand-père

Après M, M encore. Après Mémoires des failles, Mon jeune grand-père. Des failles de la mémoire à la mémoire absente. Car je n’ai jamais connu mon grand-père, décédé en 1928. Même mon père ne l’a pour ainsi dire pas connu. Cela fait comme un trou dans la mémoire familiale, autour du nom d’Annocque. Je ne m’étais jamais jusque-là vraiment préoccupé d’autobiographie, mais mon père m’avait confié, cela faisait déjà quelques années, les cartes que mon grand-père, tout jeune officier, écrivait à ses parents tandis qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne, du printemps 1916 jusqu’à la fin de la guerre. J’en avais longtemps reporté la lecture, rebuté par l’écriture minuscule et pâle, à peine lisible. Et puis un jour j’ai sorti la pile, et j’ai commencé à recopier la première carte qui m’est tombée sous la main. Ce n’était pas vraiment la première : j’avais maladroitement par deux fois coupé le paquet, comme on le fait avec un jeu de cartes. Je me suis mis à recopier et à commenter surtout ce que je n’arrivais pas à lire, ou à comprendre, les noms familiers devenus inconnus. Petit à petit, j’ai fait connaissance avec mon grand-père, mon grand-père à l’âge de mon fils, mais dans un cadre qui n’était pas sans m’évoquer fortement celui de la Grande Illusion de Jean Renoir. J’ai vu l’annonce de sa disparition, puis de sa réapparition – ce n’est pas dévoiler le contenu que de dire ici qu’à la guerre du moins il a survécu, il a bien fallu qu’il réapparaisse pour que je puisse écrire maintenant ; et j’ai vu aussi les premiers symptômes, par lui banalisés, de ce qui allait l’emporter dix ans plus tard. C’est un travail qui a duré longtemps, quelques années aussi, à peu près autant que le temps qu’il a passé dans les camps. La coïncidence a voulu qu’un siècle tout juste sépare sa captivité de la relation que j’en ai faite, laissant le lecteur lire en direct, par-dessus mon épaule, mon travail de déchiffrement. Mon jeune grand-père est paru aux éditions Lunatique, en novembre 2018, forcément.