samedi 30 mai 2009

lectures fondatrices (c’est comme ça qu’on dit ?)

Me promenant sur la Toile (avec désormais une pensée émue pour l’araignée blessée de François Matton), je passe par RougeLarsenRose où Laure lit, dans la revue le Bon-à-tirer, Jean-Philippe Toussaint évoquant deux lectures déterminantes qui ont « sans doute favorisé [s]a décision de commencer à écrire ». On a tous en effet, de bonne heure dans notre histoire personnelle, une ou deux lectures ou plus qui ont vraiment compté, qui ont déclenché quelque chose. Pour Jean-Philippe Toussaint, grâce à la grande sœur, il y a notamment Crime et châtiment.
Crime et châtiment, oui, à coup sûr, je souscrirais volontiers au théorème proposé : « Qui lit Crimes et châtiments se met à écrire un mois plus tard ». Quand je l’ai lu moi-même, ça a été un choc, il fallait que tout le monde le sache : Crime et châtiment est un authentique chef d’œuvre ! Mais la plupart des gens autour de moi, hélas, étaient déjà au courant. Il faut dire aussi que c’était l’année dernière, ou celle d’avant ; je ne sais plus. A être un lecteur en herbes, on peut parfois faire figure de lecteur attardé. Qu’importe, j’ai toujours été du genre à réserver dans mon assiette le meilleur pour la fin. Remettre à plus tard, ça n’a pas que du mauvais.
En tout cas il est clair qu’en ce qui me concerne, Crime et châtiment est innocent. Ne blâmez pas Raskolnikov, ce n’est pas lui qui m’a projeté dans l’écriture. Et maintenant que j’y songe, que je cherche… Rien ! Je ne trouve rien. Je me revois assis devant mon petit secrétaire d’enfant, à écrire. Derrière moi, dans l’étagère, pour ainsi dire, rien. Autant dire qu’avant moi, il n’y avait personne. La page était blanche. J’étais le premier écrivain. (Il faut dire aussi que c’était à un âge où, le plus souvent, on n’a pas lu grand-chose.)
Qu’on n’aille pas, cependant, croire que je n’ai pas eu, moi aussi, mes lectures déterminantes. Vers dix-sept, dix-huit, vingt-trois, trente ans, j’ai lu Samuel Beckett. Cette lecture, oui, a été déterminante pour mon écriture : elle l’a empêchée.
(Elle a bien fait.)

mercredi 27 mai 2009

sur mon lit en herbe

Vlan, je m’étale sur mon lit. Du bras droit, j’attrape mon petit Sac à dos, acquis samedi aux Labyrinthes ; je l’ouvre au hasard et je lis :
« Cuisiner m’exalte.
Je possède une collection de robots mixeurs des années 50
aux formes entièrement arrondies. »
Alors je lis avant, et après.
 
 
SCHREK

 
Les Princesses créent leur propre clarté.
Les Princes les éteignent.
Ils ne marchent pas ensemble mais tuent les dis­tances.
 
Profession : Ogre gros, gras, vert.
Je porte mon humanité devant moi, je m’en défends,­
encombrant l’espace d’une anatomie trop large.
Ma nourriture est verte, je prends des douches de boue.
 
Etant fabriqué, le sang ne coule pas dans mes veines mais sur la neige
ou dans du lait.
Il y a un mélange visqueux à l’origine de tout désir.
J’ai été inventé à des échelles variables
(Hologramme, pain d’épice, image à découper).
 
Quelqu’un doit m’embrasser pour me rendre acceptable.
Une rousse aux yeux marron me conviendrait, ni belle, laide,
mais relevant de l’essence « jeune fille »
Naturellement pigmentée, elle entrerait dans ma vie instantanément.
 
Mon travail consiste à transporter le virus de la ­peur.
Porteur sain, je suis payé pour effrayer les enfants.
En cochon, je ne sens plus ma force.
Parfois, je lance mes dents en caramel dans la salle.
 
Après le spectacle, je rentre chez moi et lave mon ­costume.
Quand je touche du linge mouillé, je redeviens gentil.
Plis des draps me rassure, me rend entièrement ­calme.
 
Cuisiner m’exalte.
Je possède une collection de robots mixeurs des années 50
aux formes entièrement arrondies.
 
J’aime repasser mon déguisement en regardant les informations.
Au début, je cousais moi-même les tête de loup,
m’exerçant
avec un gant trop grand.
 
(Dans mes rêves passent Robin des Bois de liane en liane,
Thierry La Fronde et plusieurs Princes californiens en Harley Davidson sur des autoroutes ensoleillées.)
 
Quand j’étais petit on m’appelait la brebis à cause de mes pulls tricotés
au point mousse.
La brebis est le spécimen le plus absurde de la Création.
Elle ne sait plus l’après-midi ce qu’elle a brouté le matin.
 
Quitte à être un animal, je préfère être méchant en apparence
mais gentil dedans.
 
 
extrait de Shrek, de Véronique Pittolo, éditions de l’Attente, 2003.Sac à dos, une anthologie de poésie contemporaine pour lecteurs en herbe, Le Mot et le reste, 2009. 

 
De Véronique Pittolo, je ne connaissais que le nom.
Je suis aussi un lecteur en herbe.

lundi 25 mai 2009

heureux rebondissements

Rebondir sur un trampoline, même imaginaire, en promettant quarante-cinq kilos de petits cailloux ramassés dans l’espace à la reine Eléonore en présence de la spécialiste des raccourcis galactiques et de son preneur de (chan)sons (d’amour), ça fait oublier un instant l’exiguïté de la salle 24 aux élèves de 6e comme à leur professeur. Merci à Pascale, à Xavier ; ainsi qu’à Léa, Pauline, Chloé, Clément, Alan et Rémy.



Commentaires

Merci de m'avoir fait découvrir cette incroyable plume.
Commentaire n°1 posté par Loïs de Murphy le 25/05/2009 à 23h27
[...]
Philippe, tu rebondis plus vite que ton ombre - moi, je ne suis toujours pas redescendue sur Terre.
[...]
(Merci à toi surtout et à tous ceux et à toutes celles qui aiment les squaws et les raccourcis.)
Commentaire n°2 posté par tor-ups le 26/05/2009 à 09h23
C'est mon côté "réfère-en-ciel rebondissant", comme disent mes collègues de sport (synonyme léger pour "ballon"), Pascale
(mais bien moins léger en effet que cette plume incroyable, Loïs).
Commentaire n°3 posté par PhA le 26/05/2009 à 10h42
bienheureux 6èmes !et merci de nous inviter à les rejoindre virtuellement
Commentaire n°4 posté par brigetoun le 26/05/2009 à 10h50
Je vous y inviterais volontiers si ma salle n'était pas si petite (et je ne comprends pas pourquoi overblog n'affiche pas votre commentaire matinal, que du coup je me suis permis de reproduire).
Commentaire n°5 posté par PhA le 26/05/2009 à 10h58
 

lundi 18 mai 2009

la vie, détails dans le décor

Au fond, la vie est ce qui nous intéresse. On ne parle guère que de ça. Le travail lui donne une forme : rectangulaire, et même une épaisseur : celle infime de la page. Cette réduction de la vie réduite au CV, c’était le sujet du précédent livre de Thierry Beinstingel au titre oxymorique, CV roman. Avec Bestiaire domestique, le fond du sujet reste le même – la vie – de quoi parler d’autre ? – c’est l’angle d’approche qui diffère. Car la vie est aussi dans le décor, un décor toujours façonné par l’homme, celui de la ferme de l’enfance (lapins) – enfance éphémère (vaches, poules) ; un décor humain où plus tard à l’occasion surgit la vie encore qui souvent échappe à l’attention de l’homme : chevreuils aux abords des champs, sanglier sur la route du VRP, pigeons nouveaux venus avec la grande entreprise qui s’érige en voisine imposante, pigeons toujours aux fenêtres de la même où maintenant l’on travaille, pigeons encore sur les toits de ses bâtiments désaffectés, en attente d’un rachat – la vie du travail aussi est une vie éphémère. Et c’est donc bien une vie qui se dessine : enfance, adolescence amoureuse, baccalauréat qu’on rate ou pas, entrée dans la vie active, enfance d’une nouvelle génération avec forcément les poissons rouges, les chats qui se succèdent. La vie d’un « on » qui n’est pas celui de la connivence, mais plutôt celui d’une singularité discrète, comme effacée au profit du décor quotidien que trop souvent on néglige de voir, une singularité qui avec le temps s’affirme parfois d’un « je » fugitif. La même chose encore que dans le livre précédent, seul que j’ai lu – mais à en croire les Feuilles de route de l’auteur c’est vrai aussi des précédents, avec un auteur qui s’est comme déplacé par rapport à son objet, histoire d’en montrer d’autres faces, lesquelles en effet échapperaient trop facilement à un regard distrait.
 
Bestiaire domestique, de Thierry Beinstingel, est paru chez Fayard en 2009.


Commentaires

je n'avais pas repéré sa sortie, les feuilles de route m'en donnaient une envie un peu intriguée
Commentaire n°1 posté par brigetoun le 18/05/2009 à 07h32
C'est un livre à la beauté discrète.
Commentaire n°2 posté par PhA le 18/05/2009 à 08h04
Du même, je sors de "Retour aux mots sauvages "(Fayard mai 2010) qui, outre l'actualité encore brûlante du sujet, révèle la piste pour s'en exiler : résister avec les mots.
Très beau livre d'un auteur qui est aussi une belle personne.
Commentaire n°3 posté par Francesca le 29/10/2010 à 10h57
Je viens juste de l'acheter - avant-hier - mais n'ai pas encore eu le temps de m'y plonger. C'est un beau succès qui fait plaisir.
Réponse de PhA le 29/10/2010 à 11h04
 

mercredi 6 mai 2009

Vue des hauts plateaux

 
J’ai acheté un petit appareil photo. Il a bien fallu : le précédent était tombé en panne (un appareil presque neuf qu’on m’avait offert pour mes vingt-cinq ans !)
Depuis, ma live-box est tombée en panne.
Mon caméscope est tombé en panne.
Mon auto-radio est tombé en panne.
Même mon arrosoir est tombé en panne.
Je ne plaisante pas. Tout ce que je raconte dans ce billet est rigoureusement autobiographique. Parfois ma vie me passionne. Je me demande même si elle n’a pas un sens.






Commentaires

Tu me fais rire! Merci !
Commentaire n°1 posté par Pascale le 06/05/2009 à 23h32
C'est pourtant pas drôle !
Commentaire n°2 posté par PhA le 07/05/2009 à 07h19
L'arrosoir en panne c'est moche pour le jardin en marche.
Commentaire n°3 posté par Loïs de Murphy le 07/05/2009 à 08h26
Tu m'as fait rire aussi! Rassures-toi, c'est un rire salutaire (j'en bafouille: le tutoiement m'a saisi!), rire secourable: si tu veux un autre arrosoir, j'en ai un sur une étagèreun qui s'égaie au dessus des fleurs!
Commentaire n°4 posté par jc le 07/05/2009 à 08h29
Le pire, dans l'existence, c'est la pane de sens (et la douleur physique bien sûr).
Commentaire n°5 posté par Chr. Borhen le 07/05/2009 à 11h45
Vous voulez dire la "panne des sens", Christophe ; celle-là en effet est terrible.
Pour l'arrosoir, Loïs et jc, ça va aller. Je fais parfois preuve d'une prévoyance quasi-pythique qui m'étonne moi-même : à l'un de mes récents anniversaire, comme on voulait à toute force me faire un cadeau et que je ne voyais vraiment pas de quoi je pouvais bien avoir besoin, j'ai réclamé et obtenu un deuxième arrosoir, identique au premier - qui à l'époque arrosait merveilleusement.
Commentaire n°6 posté par PhA le 07/05/2009 à 13h26
La loi des sé-rires ! (il vaut mieux en ...)
Commentaire n°7 posté par pascale le 07/05/2009 à 14h00
ça y est ! je suis consolé !
Commentaire n°8 posté par PhA le 07/05/2009 à 16h57
Ah! La dernière phrase!! (Le reste aussi, pardon!)
Commentaire n°9 posté par Depluloin le 09/04/2010 à 14h28
On se pose de ces questions, parfois !
Réponse de PhA le 09/04/2010 à 16h05
 

Vue des hauts plateaux



J’ai acheté un petit appareil photo. Il a bien fallu : le précédent était tombé en panne (un appareil presque neuf qu’on m’avait offert pour mes vingt-cinq ans !)
Depuis, ma live-box est tombée en panne.
Mon caméscope est tombé en panne.
Mon auto-radio est tombé en panne.
Même mon arrosoir est tombé en panne.
Je ne plaisante pas. Tout ce que je raconte dans ce billet est rigoureusement autobiographique. Parfois ma vie me passionne. Je me demande même si elle n’a pas un sens.

lundi 4 mai 2009

Qu’elle était belle, sa cuillère !

La tulipe, quand elle n’a plus qu’un pétale, fait une fort belle cuillère à soupe extrêmement peu commode, en revanche, car la tige devenue man­che demeure souple, trop souple. Et puis, si les cinq premiers pétales ont chu, ce n’est pas par hasard, il y a donc tout lieu de craindre que le dernier ne puisse longtemps encore s’accrocher ainsi, à plus forte raison si on l’emplit de potage onctueux, ou même d’un léger bouillon. Alors en effet il cède à son tour, se détache, et flotte dans la soupière, puis chavire et sombre – première déconvenue. Il serait peut-être temps de réagir et de remédier à cet état de fait navrant en imagi­nant un système adapté d’atelle ou de tuteur : il suffirait de ficeler à cette baguette la tige de la tulipe tout en renforçant l’attache du pétale au moyen d’un petit clou ou d’un point de colle. Notre homme voit mal ce qui l’en empêcherait (il s’étonne surtout que personne avant lui jamais n’y ait songé).
Ceci réglé, enfin, le souci se reporte sur le pétale lui-même, certes assez fort pour contenir sa mesure de soupe claire ou de velouté, mais trop fragile et tendre pour supporter le poids d’un morceau de pomme de terre ou de navet, d’autant que l’immersion répétée du limbe insuffisamment armé de fibres dans un liquide chaud, voire brû­lant, accélère son inéluctable flétrissure, car comment éviter celle-ci, hors même ces conditions défavorables ? On ne coupe pas une fleur sans dégât, aussitôt le monde meurt. Puis la fleur, quel­ques jours plus tard, à son tour, fane. Plus grave, en la circonstance, il n’est pas rare de voir le pétale de tulipe, que sa concavité parfaite disposait à l’emploi de cuillère, en cloquant devenir convexe et donc impropre à cet emploi. Par bonheur, il n’est pas de difficulté dont notre merveilleuse ingéniosité ne puisse venir à bout simplement en niant son existence – plutôt que de rougir et bleuir sous les coups du gros gendarme, considérons qu’il nous tend gentiment sa matraque, saisis­sons-la et rossons-le –, on sait aujourd’hui comment agir en pareil cas : en tournant la tige entre ses doigts de manière à lui faire accomplir une demi-rotation, notre homme se retrouve en possession d’une nouvelle cuillère qui n’a rien à envier à la précédente.
 
Eric Chevillard, Les Absences du Capitaine Cook, p. 9 à 11, Minuit, 2001.
 
Il y a à Chartres une belle librairie dans laquelle, au printemps 2001, alors que je réapprenais à lire, je suis tombé sur ces pages d’un auteur que je ne connaissais pas (je ne connaissais pour ainsi dire aucun auteur contemporain). En lisant, j’ai senti comme un petit pincement. Et comme je suis incapable d’une grossièreté, j’ai dû m’exclamer intérieurement : « Flûte ! »



Commentaires

comme c'est bizarre ! Moi aussi c'est cette histoire de tulipe en cuillère qui m'a le plus frappée. Encore aujourd'hui de tout Chevillard si je n'avais qu'une chose à citer ce serait cela.
liquides de tous les livres, unissez-vous
Commentaire n°1 posté par cécile portier le 04/05/2009 à 10h49
Pour moi, il y avait en plus la surprise de la découverte. Scalps et Du hérisson m'ont définitivement converti mais c'est vrai qu'ensuite mes attentes sur chaque Chevillard étaient telles qu'il m'a fallu attendre Sans l'orang-outan pour, de nouveau, dépasser mes espérances.
Commentaire n°2 posté par PhA le 04/05/2009 à 12h04
abyssal (merci!)
Commentaire n°3 posté par jc le 04/05/2009 à 13h14
Essaye également "Commentaire autorisé sur l'etat de squelette".
Commentaire n°4 posté par Loïs de Murphy le 04/05/2009 à 14h45
@ jc : N'est-ce pas ? ça vaut bien le coup d'y plonger mon petit bathyscaphe !
@ Loïs: Bien vu : Commentaire autorisé est, je crois, le seul Chevillard qui m'ait échappé depuis le capitaine Cook.
Commentaire n°5 posté par PhA le 04/05/2009 à 18h05