Monsieur Le Comte au pied de la lettre, Quidam éditeur, 2010.
Echos :
- Si le Plume de Michaux était kidnappé
par de diaboliques oulipiens, il ressemblerait à Monsieur Le Comte,
par Charybde 2, sur Sens
critique (avril 2013)
Publié en 2010, le
cinquième ouvrage (le deuxième chez Quidam Editeur) de Philippe Annocque nous
invite à suivre quelques instants des singulières pérégrinations d'un possible
anti-héros nommé monsieur Le Comte, sur une centaine de pages enlevées.
Créature pourtant peu
sympathique et hérissée de défauts, jouet de son auteur tout-puissant quoique
paradoxalement bien modeste, cette figure de papier promène son regard sans
malice et ses délectables jeux de langage dans les méandres de situations
quotidiennes ordinaires que l'imagination de l'écrivain - et les fantasmes, mis
à contribution, du lecteur - peuvent à tout moment faire basculer dans
l'intrigue policière, le thriller, l'horreur, le roman à l'eau de rose, et bien
d'autres possibles encore.
Savant et jouissif mélange
détonant, dans lequel le nonsense impassible du Plume d'Henri Michaux aurait
été concassé et retourné par de diaboliques séides de l'Oulipo, pour une
lecture d'une rare drôlerie, occasionnant un bon nombre de vertiges langagiers.
À recommander sans hésiter.
"Monsieur Le Comte
n'en était pas loin, de les croire. Il avait vu avec angoisse à la rue
Sadi-Carnot de son ordre de mission correspondre dans la réalité une rue juste
Carnot, plutôt suspecte. Il avait cependant courageusmeent poursuivi sa mise en
boîtes, et avait constaté avec un regain d'espérance que la diminution de la
liasse de cartons dont il avait la charge paraissait sur le point de coïncider
avec l'approche progressive de l'extrémité de la rue ; puis, parès un suspense
que le conteur par respect des consignes syndicales a délibérément refusé de
soutenir, le monde entier s'était fissuré, lézardé, crevassé, pour finalement
et naturellement s'effondrer autour de lui : en effet, alors que la dernière
boîte aux lettres, la sept cent treizième, avait été pourvue de son carton, il
en restait encore un, le fameux sept cent quatorzième, incongru, presque
obscène, qui maintenant passait tragiquement d'une de ses mains à l'autre,
aussi indélébile que la tache à la main de Lady Macbeth, aussi indécollable que
le sparadrap à la casquette du Capitaine Haddock."
- Citation
dans En Tarzizanie, roman poème d'Orion Scohy
édité chez POL (avril 2012)
- Monsieur Le Comte pour
le meilleur et pour le pire, par Christophe Martinez, sur Culturopoing
(19 décembre 2010)
Un an après son roman Liquide
publié chez le même Quidam éditeur, Philippe Annocque démontre avec virtuosité
qu'il possède assurément plus d'un tour dans son sac. A l'instar de Monsieur Le
Comte, le personnage facétieux de son récit, l'auteur dévoile d'une oeuvre à
l'autre un visage polyfacétique miroitant la thématique commune à ces deux
textes, à savoir la quête d'identité.
Pour qui se prend-il Monsieur Le Comte?
Tour à tour cycliste qui déambule dans la banlieue parisienne pour réparer les
infortunes des ménagères vouées à une décapitation incertaine, puis dans
l'espoir de délivrer dans la rue Carnot le 714ème carton publicitaire qui lui a
été remis, champion de trampoline improvisé dans un magasin de literie, frère
siamois d'un ex-bibliothécaire qui a perdu la face depuis que son alter-ego la
lui a dérobée? Ne nous méprenons néanmoins pas sur les desseins de ce conte
hors du commun, dont l'auteur même ignore les tenants et les aboutissants, au
même titre que les rebondissements inopinés qui traversent la chevauchée
héroïque du personnage principal. Remettons les pendules à l'heure et les
compteurs à zéro pour éviter de s'emmêler les pédales dans le fil alambiqué de
cette authentique calembredaine. Afin d'arriver à ses fins, le lecteur devra
avant tout se mettre dans la tête de son personnage, le seconder dans ses
élucubrations et autres circonvolutions narratives autour de cette obstination
à prendre sans vergogne les mots au pied de la lettre, à les charcuter, à les
associer, à se les approprier dans le but de leur donner un sens opportun,
comme lors de cette fuite saugrenue sur l'épaule de Darwin afin de prendre au
sens propre, comme suggéré par le gorille menaçant aperçu à l'entrée du jardin
zoologique, ses jambes à son cou.
« Or, en effet il n'y a qu'un pas somme
toute, à peine un saut de puce, de dévisager, à défigurer,
tout juste le passage précisément du figuré au propre. Et
dans ce saut de puce c'est bien tout l'équilibre du monde qui est en jeu, car
s'approprier une figure (ou passer d'un sens à
l'autre), n'est-ce pas ni plus ni moins faire du reflet le tangible, du
portrait le modèle, de la fiction le réel? »
Malgré son héritage partagé avec son double,
Monsieur Le Comte possède un style composé d'une pléiade de figures (dont
l'allitération est l'une des figures de proue) qui le rend si attachant et
reconnaissable parmi ses congénères.
Dans cette fantaisie multi-directionnelle où les
indices sont distillés au Comte goutte, en italique, ou en filigrane, les
hypothèses se démontent, se construisent et s'imbriquent au fil de l'eau afin
de submerger le lecteur éventuel qui aurait cru pouvoir s'extirper de ce chaos
verbal. Invité à se transformer alternativement en joueur de console, en œil
expulsé de son orbite, en spectateur cinématographique, le récit prend une
dimension surréaliste qui vient se greffer à la ré-alité.
La mise en abyme, de plus en plus étourdissante
en avançant dans l'aventure, réinvente sans cesse la nouvelle scène qui se
trame, renversant les précédentes dans un méli-mélo dont conteur et lecteur
semblent être complices au détriment de l'intégrité des personnages.
L'omniscience élémentaire du narrateur risque
cependant d'être mise en péril par l'importance de Monsieur Le Comte, affirmée
dès le début du récit, lui qui bien qu'orphelin, s'apparente au dit-vain,
à l'inverse de son frère siamois, l'écrit-vain.
- Billet sur le blog Coryphée,
par Aléna (9 décembre 2010)
J'aurais voulu écrire un mot à Monsieur Le Comte.
Mais un mot, c'est peu. Je pourrais peut-être lui écrire une lettre.
Mais une lettre, c'est encore moins.
Alors?
Résonnons (car parfois la raison creuse)
: si je lui écris un mot, un seul, je risque de commencer par "je" -
me connaissant ! (s'il reste quelque chose à connaître, car là est un peu le
sujet.) Mais je sais ce que dira Monsieur Le Comte, qu'il manque à mon
"je" une lettre : le "u". Le "u" de
"jeu" - car, paraît-il, le "je" n'est qu'une fonction
grammaticale, pardon : une fiction grammaticale - voilà que l'on
fait i. Oh ! Écrire un mot, vraiment c'est trop compliqué.
Je vais donc écrire une lettre. Mais quelle
lettre? La lettre qui manque? J'enverrai donc à Monsieur Le Comte une lettre
manquante, absente, une lettre blanche (sur fond blanc). Il sera content
certainement, lui qui tient du "dit-vain"*.Mais comprendra-t-il de
quoi il s'agit, si je lui envoie mon rien, enfin, je veux dire, ma lettre
manquante ? Et que dira-t-il de toutes les ombres qui planent sur la page ? De
toutes les ombres non encore "délivrées"* et qui
embarrassent la page ? Est-ce que, une fois "délivrées"*, le
"u" de mon "je" apparaîtra ?
Il faut toujours essayer. Mais j'y pense ! Je ne
sais pas son adresse ! Du moins, je crois connaître son adresse à bicyclette :
il n'en n'a là aucune... Et pour le reste, je crains que, voulant à lui
m'adresser, je ne trouve plus personne... car il paraît aussi que monsieur Le
Comte résonne, comme le "dit-vain"* en cathédrale. Ce n'est pas moi
qui le dis, c'est son auteur. Car Monsieur Le Comte, écrit monsieur Annocque,
est une "figure"* comme la personne est personne.
Je vais donc écrire à monsieur Annocque, pour lui
dire mon rien. Il sera content sûrement. Un beau rien tout neuf. Mais j'y pense
! Je pourrais attendre monsieur Le Comte au pied de la lettre, il finira bien
par venir et moi peut-être un jour, enfin sage, par y redescendre. Monsieur Le
Comte, alors, me rendra mon "u".
J'ai bien pensé écrire un "vrai"
billet, un com(p)te-rendu ("Rendez nous monsieur Le Comte !"
aurais-je dû crier à tue-tête), un billet officiel et pompeux, dans lequel je
me serais gaussée de faire une explication de texte. Vous savez du genre :
"Monsieur Annocque traite de l'identité à travers l'usage de la langue et
celui des livres gangnagna". Ah ! J'aurais bien eu du mal ! Allez donc
déplier un texte pareil ! Et le replier après ! Un labyrinthe Babelien, ou
borgesien.
Une lettre, ça suffit !
- D'un coup de pédale,
par le Préfet maritime, sur l'Alamblog
(5 décembre 2010)
Couverture très réussie pour le nouveau opus de
Philippe Annocque, une fantaisie nonsensique à base de monsieur Le Comte.
Monsieur Le Comte n'est pas plus aristocratique que vous et moi. Il est même plutôt banal, M. Le Comte. Il s'emploie à la distribution promotionnelle et dispose même d'un vélocipède. Il dispute avec des moustachus imaginaires et pédale pour rejoindre des lieux où doit être rempli son office.
Un essai de rhétorique farce au fil de la jante.
Monsieur Le Comte n'est pas plus aristocratique que vous et moi. Il est même plutôt banal, M. Le Comte. Il s'emploie à la distribution promotionnelle et dispose même d'un vélocipède. Il dispute avec des moustachus imaginaires et pédale pour rejoindre des lieux où doit être rempli son office.
Un essai de rhétorique farce au fil de la jante.
- Lettre
au bibliothécaire, par Sophie K, sur Strictement confidentiel (26
novembre 2010)
Cher Monsieur,
Après avoir lu les aventures de notre ami - je ne dirai pas « commun », puisqu'il est tout sauf commun, décidément - Monsieur Le Comte, je tiens à vous en donner des nouvelles par cette lettre enthousiaste. La virtualité de ma missive protègera sans doute celle-ci de la gourmandise de la Mérule pleureuse, tout en me permettant d'exposer à vos yeux... mais au fait, en possédez-vous, des yeux ? Veuillez me pardonner si je commets là un impair : nous ne nous connaissons pas, je n'ai pas encore l'heur d'avoir vu votre visage, et de ce que je sais à présent de vous, même si j'avais eu l'occasion de vous contempler un moment, je ne vous reconnaîtrais probablement pas, étant donné qu'à moins d'un miracle récent, d'un transfert alchimique ou d'une entourloupe ludique de l'écrivain malicieux qui vous a créé, vous n'arborez toujours pas, hélas, cette figure altière que l'on vous suppose…
Que disais-je ? Ah oui, ce cher Monsieur Le Comte a donc traversé, comète heureuse lancée sans frein sur sa bicyclette à la roue voilée, mon appartement entier, virevoltant avec grâce entre ses murs avant de venir s'encastrer, en toute élégance ainsi que cela lui sied, au cœur de ma bibliothèque. Ses mots, cependant, restent à présent en suspens autour de moi. C'est d'ailleurs assez intriguant, en plus d'être émouvant, je l'avoue, de voir ainsi flotter cette chromatique collection, s'entrechoquant sans cacophonie ni clinquant dans une calme et claire concorde, et ce malgré les récurrents éclats de rire issus du canevas quantique de ce clément conte à clefs…
Je pense que je vais les laisser respirer là. J'aime bien voir de jolis mots scintiller en l'air : ils sont de ceux, réflexifs, qui ne s'effacent pas dès leur lecture pour disparaître, comme tant d'autres - mille fois plus indigestes il est vrai - dans le puits, sans fond bien entendu, de la vacuité tortueuse de notre monde. Car si Monsieur le Comte a la légèreté tourbillonnante, joyeuse et poétique d'une feuille d'automne, sa consistance en fait un mets délicat qu'aucun champignon vorace ne saurait absorber, et que nul crocodilien, fût-il capable un jour de gravir les nobles épaules du grand Darwin, ne pourrait disputer à nos papilles charmées.
Bien à vous, et en toute cordialité.
Après avoir lu les aventures de notre ami - je ne dirai pas « commun », puisqu'il est tout sauf commun, décidément - Monsieur Le Comte, je tiens à vous en donner des nouvelles par cette lettre enthousiaste. La virtualité de ma missive protègera sans doute celle-ci de la gourmandise de la Mérule pleureuse, tout en me permettant d'exposer à vos yeux... mais au fait, en possédez-vous, des yeux ? Veuillez me pardonner si je commets là un impair : nous ne nous connaissons pas, je n'ai pas encore l'heur d'avoir vu votre visage, et de ce que je sais à présent de vous, même si j'avais eu l'occasion de vous contempler un moment, je ne vous reconnaîtrais probablement pas, étant donné qu'à moins d'un miracle récent, d'un transfert alchimique ou d'une entourloupe ludique de l'écrivain malicieux qui vous a créé, vous n'arborez toujours pas, hélas, cette figure altière que l'on vous suppose…
Que disais-je ? Ah oui, ce cher Monsieur Le Comte a donc traversé, comète heureuse lancée sans frein sur sa bicyclette à la roue voilée, mon appartement entier, virevoltant avec grâce entre ses murs avant de venir s'encastrer, en toute élégance ainsi que cela lui sied, au cœur de ma bibliothèque. Ses mots, cependant, restent à présent en suspens autour de moi. C'est d'ailleurs assez intriguant, en plus d'être émouvant, je l'avoue, de voir ainsi flotter cette chromatique collection, s'entrechoquant sans cacophonie ni clinquant dans une calme et claire concorde, et ce malgré les récurrents éclats de rire issus du canevas quantique de ce clément conte à clefs…
Je pense que je vais les laisser respirer là. J'aime bien voir de jolis mots scintiller en l'air : ils sont de ceux, réflexifs, qui ne s'effacent pas dès leur lecture pour disparaître, comme tant d'autres - mille fois plus indigestes il est vrai - dans le puits, sans fond bien entendu, de la vacuité tortueuse de notre monde. Car si Monsieur le Comte a la légèreté tourbillonnante, joyeuse et poétique d'une feuille d'automne, sa consistance en fait un mets délicat qu'aucun champignon vorace ne saurait absorber, et que nul crocodilien, fût-il capable un jour de gravir les nobles épaules du grand Darwin, ne pourrait disputer à nos papilles charmées.
Bien à vous, et en toute cordialité.
- Philippe Annocque
L'homme qui danse sur le fil, par Dominique Chaussois, sur Jamais
de la vie (21 novembre 2010)
L'Homme qui danse sur le fil
Monsieur Le Comte n'a pas besoin de moi pour faire parler de lui. Et c'est heureux puisque je ne suis pas ce que l'on appelle un critique, ni professionnel ni amateur : dans les deux cas il faut être instruit et avoir beaucoup et bien lu.
Passons rapidement sur l'instruction, pour parler de mes lectures ou ma façon de lire. Si, c'est intéressant ! Critiquant, les critiques parlent souvent d'eux-mêmes. Certains sautent sur un livre comme sur une proie, l'étreigne avec un amour pas si désintéressé (Blanchot), l'étouffe parfois (Sartre). Je suis donc un lecteur moyen, besogneux, puisque, sauf à me tomber des mains dans les cinq minutes, lire un livre me demande du temps vu que je ressens comme un devoir sacré de ne pas le lâcher avant de l'avoir épuisé, même s'il conviendrait plutôt de dire : avant qu'il m'ait épuisé. Il en est ainsi des bons livres : ils me font de l'usage car bien sûr je parle ici d'une première lecture, laquelle n'est pas si différente des suivantes puisque je sais que, quoique je tente, le texte m'échappera toujours, passant souvent très loin au-dessus de ma tête. Mais c'est à cela que l'on reconnaît un grand livre, il est inépuisable.
Voilà près d'un siècle maintenant que certains écrivains ont commencé de régler son compte au roman, plus ou moins honnêtement : certains sans se poser tant de questions (Beckett) d'autres, comme s'ils n'étaient pas si sûrs de leur coup, en le claironnant sur tous les toits, quitte à faire de leur œuvre même un manifeste. D'autres encore, par des astuces brillantes, savantes, dont ils livrent parfois le mode d'emploi. Ça ne marche pas. Pour ma part en tout cas, non.
Et voici que Philippe Annocque déboule sans prévenir, innocent comme au premier jour (avec le masque de l'innocence plutôt, sachant bien qu'aucun écrivain ne peut y prétendre à l'innocence), et nous livre son Monsieur Le Comte au pied de la lettre. Avec pour sous-titre : Calembredaine héroïque. Il est assez naturel je crois de procéder comme je l'ai fait, d'aller vérifier le sens exact de ce mot « calembredaine » au cas où. « Propos extravagant et vain ; plaisanterie cocasse. (Baliverne, sornette, sottise) » dit le Petit Robert. N'en jetez plus, Robert ! Ce n'est pas insulter l'intelligence de Philippe Annocque que de supposer qu'il n'est pas allé vérifier lui-même avant de se décider.
Ce sous-titre, fort discret par ailleurs, en dit assez long. Il est un avertissement certes mais aussi un symptôme assez évident de l'angoisse de l'auteur face à son défi coupable (et d'une audace sans précédent). Car le héros ici, héros héroïque, c'est bien lui, Philippe Annocque. Car, rarement à ma connaissance, un écrivain s'est aventuré aussi loin, aussi clairement, sans artifices aucuns, dans l'écrasement des possibles narratifs. Le tout avec une virtuosité qui a été saluée par l'ensemble de la critique. Et de fait, le lecteur tremble avec lui, se surprend à regarder en bas vérifier que l'artiste voltige bien au-dessus d'un filet.
Un autre thème abordé tout aussi clairement, sans détours, est celui de la défiguration. L'effacement du visage, la disparition des traits, la peinture moderne s'est pour ainsi dire fondée dessus, de Picasso à Bacon. La littérature a suivi bien sûr. Avec Monsieur le Comte au pied de la lettre, c'est l'auteur lui-même, et non plus seulement ses personnages, qui est menacé « dans le texte » par la défiguration.
Le résultat est sidérant. Et il est bien dommage que Monsieur le Comte n'ait pas parmi toutes ses visages une tête de gondole. Ça viendra.
Depluloin
Monsieur Le Comte n'a pas besoin de moi pour faire parler de lui. Et c'est heureux puisque je ne suis pas ce que l'on appelle un critique, ni professionnel ni amateur : dans les deux cas il faut être instruit et avoir beaucoup et bien lu.
Passons rapidement sur l'instruction, pour parler de mes lectures ou ma façon de lire. Si, c'est intéressant ! Critiquant, les critiques parlent souvent d'eux-mêmes. Certains sautent sur un livre comme sur une proie, l'étreigne avec un amour pas si désintéressé (Blanchot), l'étouffe parfois (Sartre). Je suis donc un lecteur moyen, besogneux, puisque, sauf à me tomber des mains dans les cinq minutes, lire un livre me demande du temps vu que je ressens comme un devoir sacré de ne pas le lâcher avant de l'avoir épuisé, même s'il conviendrait plutôt de dire : avant qu'il m'ait épuisé. Il en est ainsi des bons livres : ils me font de l'usage car bien sûr je parle ici d'une première lecture, laquelle n'est pas si différente des suivantes puisque je sais que, quoique je tente, le texte m'échappera toujours, passant souvent très loin au-dessus de ma tête. Mais c'est à cela que l'on reconnaît un grand livre, il est inépuisable.
Voilà près d'un siècle maintenant que certains écrivains ont commencé de régler son compte au roman, plus ou moins honnêtement : certains sans se poser tant de questions (Beckett) d'autres, comme s'ils n'étaient pas si sûrs de leur coup, en le claironnant sur tous les toits, quitte à faire de leur œuvre même un manifeste. D'autres encore, par des astuces brillantes, savantes, dont ils livrent parfois le mode d'emploi. Ça ne marche pas. Pour ma part en tout cas, non.
Et voici que Philippe Annocque déboule sans prévenir, innocent comme au premier jour (avec le masque de l'innocence plutôt, sachant bien qu'aucun écrivain ne peut y prétendre à l'innocence), et nous livre son Monsieur Le Comte au pied de la lettre. Avec pour sous-titre : Calembredaine héroïque. Il est assez naturel je crois de procéder comme je l'ai fait, d'aller vérifier le sens exact de ce mot « calembredaine » au cas où. « Propos extravagant et vain ; plaisanterie cocasse. (Baliverne, sornette, sottise) » dit le Petit Robert. N'en jetez plus, Robert ! Ce n'est pas insulter l'intelligence de Philippe Annocque que de supposer qu'il n'est pas allé vérifier lui-même avant de se décider.
Ce sous-titre, fort discret par ailleurs, en dit assez long. Il est un avertissement certes mais aussi un symptôme assez évident de l'angoisse de l'auteur face à son défi coupable (et d'une audace sans précédent). Car le héros ici, héros héroïque, c'est bien lui, Philippe Annocque. Car, rarement à ma connaissance, un écrivain s'est aventuré aussi loin, aussi clairement, sans artifices aucuns, dans l'écrasement des possibles narratifs. Le tout avec une virtuosité qui a été saluée par l'ensemble de la critique. Et de fait, le lecteur tremble avec lui, se surprend à regarder en bas vérifier que l'artiste voltige bien au-dessus d'un filet.
Un autre thème abordé tout aussi clairement, sans détours, est celui de la défiguration. L'effacement du visage, la disparition des traits, la peinture moderne s'est pour ainsi dire fondée dessus, de Picasso à Bacon. La littérature a suivi bien sûr. Avec Monsieur le Comte au pied de la lettre, c'est l'auteur lui-même, et non plus seulement ses personnages, qui est menacé « dans le texte » par la défiguration.
Le résultat est sidérant. Et il est bien dommage que Monsieur le Comte n'ait pas parmi toutes ses visages une tête de gondole. Ça viendra.
Depluloin
- Article de Pascale Petit sur Poézibao
(18 novembre 2010)
Voilà le livre d’un auteur en quête d’identité
– d’écriture – ou en quête d’écriture tout court – entre l’envie de reprendre
tout depuis le début et l’envie de finir ou d’en finir. Comment finir. Comment
en finir. Comment commencer. Re-commencer ? Entre les deux : écrire.
Pour commencer, pour l’écrivain – quoi de plus simple finalement
que de prendre les mots au pied de la lettre – c’est-à-dire dans leur sens
littéral et étroit – et aussi très au sérieux. On souligne finalement
car en réalité, ce livre (cette « calembredaine héroïque » ainsi
désignée par son sous-titre) ne commence pas au pied de la lettre ni même avant
l’ascension (littéralement – premier degré) de la première lettre (par le
personnage inventé du livre, Monsieur Le Comte) mais bien après, longtemps
après tous les livres – d’un point de vue littéraire panoramique et
extravagant. Mais cette ascension initiale du A au début du livre se
révèle être le plus évident et le plus court chemin vers les jeux métatextuels.
L’absence de ressemblance avec la réalité ou une exagération grotesque de
celle-ci dans ce qu’elle a de plus banal et une relation spéciale à la fiction
(littéraire ou autre) sont à souligner. On pense à un conte en lisant Monsieur
Le Comte au pied de la lettre et on pense à Philémon, le personnage d’Avant
la lettre de Fred qui se promène entre notre monde réel et les
îles que forment les lettres de l’océan Atlantique. Philippe Annocque a lu
beaucoup de livres (tandis que Monsieur Le Comte apparaît à présent à
bicyclette) et le sien est traversé de références nombreuses et d’une érudition
certaine, pas seulement littéraire. Le lecteur averti – par la quatrième de
couverture – (le « scoliaste astucieux », l’« exégète
extralucide », le « suréminent herméneute » tel que le dessine
l’auteur pour délimiter l’aire de jeu littéraire et établir ainsi le pacte avec
lui) repérera (ou croira repérer) des allusions majeures à la littérature – la
substantifique moelle de Rabelais, la naissance de Tristram Shandy, le
chevalier à la triste figure de Cervantès, Le vicomte pourfendu ou Le
chevalier inexistant de Calvino, L’innommable de Beckett, la
cafetière de Robbe-Grillet jusqu’à une sorte d’OuLiPo pour les nuls frisant les
contrepèteries d’un Almanach Vermot raffiné pourléché… Le tout traversé de
savoirs divers aussi bien zoologiques, que mycologiques, cinématographiques,
darwinesques, antédiluviens, eschatologiques ou plus simplement scatologiques –
en 2 ou 3D – l’auteur interrogeant inlassablement la fiction et son
fonctionnement, l’argument, la vraisemblance, les coïncidences. On l’aura saisi :
le conteur sans imagination – c’est lui qui le dit – de
cette histoire s’est laissé dicter son intrigue par le sens propre des mots.
Ainsi en est-il du traitement du texte où un rebondissement est un
rebondissement véritable, où le début est une ascension et un déluge,
le monde du silence, où la question de l’identité du personnage (ou de
l’auteur ?) se double d’un double sans visage, où la perception par le
point de vue du personnage (ce Monsieur Le Comte) nous conduit dans une
ambiance de film similo-fantastique genre Yeux sans visage de Franju.
Mais où vont le personnage, l’auteur, et leur double dans cette histoire ?
Les problèmes d’assimilation que révèle ce trop-plein de mots, de phrases et de
références posent des problèmes d’évacuation clairement identifiés par
l’auteur. Qui entraînent, c’est fatal, la question du pourrissement. Des
champignons. Heureusement, Monsieur Le Comte est employé à la Soverse, une
entreprise spécialisée dans les travaux de plomberie. Heureusement, Philippe
Annocque tire les fils blancs de cette fausse intrigue jusqu’au bout du dessein
d’écrivain qu’il s’est fixé – la délivrance – et s’en tire :
« Mais voilà, se dit le lecteur averti, le « scoliaste
astucieux », l’« exégète extralucide », le « suréminent
herméneute » de tous les livres de Philippe Annocque, l’auteur nous a
encore échappé. Dans quel genre de livre le retrouvera-t-on la prochaine
fois ?
- Calembredaine héroïque
de Philippe Annocque, article de Jacques Josse, sur Remue.net (10 novembre 2010)
Ni roman ni récit (encore que, circulant au plus
près des lignes, on pourrait y déceler nombre d’indices capables de faire
pencher la balance littéraire vers l’un ou l’autre), l’histoire épique, le face
à face tendu qui se joue ici, est déclaré, baptisé par l’auteur lui-même,
« calembredaine héroïque ». La chose est assez sérieuse, rare (et
réussie) pour qu’on y pose un vif regard, celui, acéré, que ce genre, peu usité,
réclame.
Comme souvent, il y a personnage, histoire et
prétexte. L’homme central, le pivot du livre, c’est Monsieur Le Comte. Un homme
apparemment étrange et banal qui s’en va, en vélo, réparer tout ce qui (vitres,
portes, baignoires, aquariums) est réparable à condition d’avoir auparavant été
cassé. Il va ainsi. Parfois tombe, se rétame. Regarde, du fond d’un fossé, une
roue voilée qui tourne dans le vide. Cela, en plus de son patron, de sa femme
Eulalie, de ses multiples virées (toujours dehors et par tous les temps) occupe
une vie qui n’a pas toujours été si simple et enjouée.
Tout se passe bien, Philippe Annocque en invité
surprise et secret le décrit au mieux, lui qui manie avec dextérité et malice
les ficelles du petit théâtre de marionnettes sous nos yeux, tout se passe bien
jusqu’au jour où, appelé pour déboucher des WC chez un ex-bibliothécaire,
Monsieur Le Comte tombe nez à nez, si l’on peut s’exprimer ainsi, avec un homme
sans visage qui n’est autre que son frère, siamois qui plus est. Tous deux, on
l’apprend en même temps qu’eux, sont nés, au grand dam des parents, avec une
figure pour deux. Il a donc fallu choisir. Inventer un visage imaginaire pour
l’un (l’ex-bibliothécaire) et porter l’autre à l’Assistance pour éviter les
malentendus et les jalousies.
Le hasard, qui n’en fait qu’à sa tête, (en ce
livre, on le sait, ce mot vaut plus qu’ailleurs) ne va pas, passée cette
première rencontre, se priver pour multiplier les rendez-vous impromptus entre
les jumeaux. Il y aura succession de réunions étonnantes. Dans des lieux et
pour des causes qui le seront tout autant. Jusqu’au face à face final. Avec, en
invitée surprise, une fée invisible et radicale. Celle-ci, fée mais aussi lèpre
des maisons, saura user de ses pouvoirs pour réunir les deux frères dans un
lieu idéal et subtil, un lieu où les jeux de mots, où les allitérations
soutenues, où la fantaisie, où les chausses-trappes, où les sauts de puce et
les passages rapides du coq à l’âne sauront enrouler sons et sens à une vitesse
folle. Ce lieu imaginaire pourrait bien se trouver, (et se trouve sûrement),
frôlant en cours de route Le Chevalier inexistant de Calvino, dans un
livre enlevé, inventif et fringant, hors norme dans l’époque, un livre d’une
centaine de pages, signé Philippe
Annocque, et intitulé Monsieur Le Comte au pied de la lettre.
- Annocque
prend la lettre à bras le corps, article de Michel Arrivé,
sur Boojum (9 novembre 2010)
« Il n'y a que la lettre qui soit littérature ».
Chacun se souvient de cette forte parole de Jarry. Philippe Annocque aussi,
sans nul doute, même s'il ne se réfère pas à l'auteur de La chandelle verte.
Du moins explicitement. Car « le chas de l'aiguille » par lequel Monsieur Le
Comte jette un regard indiscret est peut-être aussi celui où se faufile, non
sans peine, le chameau du Nouveau Testament : c'est lui qui donne prétexte à
l'assertion de Jarry.
Elle n'est point de lecture évidente, cette belle formule ! Annocque fait mieux que la commenter : il la met en œuvre. D'abord, il prend la lettre comme il faut la prendre : au pied de la lettre. Ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît. Car la lettre est pourvue de pas mal de sens. À commencer, évidemment, par son sens « littéral », « matériel », comme on disait autrefois : celui qui lui tient au corps, son corps de lettre, car la lettre a un corps, naturellement. Il le faut bien : n'a-t-elle pas, outre un pied, un œil ?
Annocque prend donc la lettre à bras le corps. Lui, ou plutôt son personnage, Monsieur Le Comte : il « en prépare l'escalade », en commençant, selon l'ordre le plus impératif qui soit, celui de l'alphabet, par la lettre A, « dont la silhouette montagnarde s'avère particulièrement appropriée à ce type d'exercice ». Quant à son épouse, Madame Le Comte ? (sic, avec un point d'interrogation inséparable de son nom), elle a deux L, oui, « deux ailes émergeant délicatement du soyeux plumage de ses voyelles ». C'est ce que lui impose son doux prénom d'Eulalie (sic, avec les italiques au milieu du mot).
Mais le sens littéral n'affecte pas seulement la lettre. Sous son autre nom de « sens propre », il s'en prend aussi aux mots, tous les mots. Il s'oppose alors au sens figuré :
« Il n'y a qu'un pas somme toute, à peine un saut de puce, de dévisager à défigurer, tout juste le passage précisément du figuré au propre. Et dans ce saut de puce c'est bien tout l'équilibre du monde qui est en jeu, car s'approprier une figure (ou passer d'un sens à l'autre), n'est-ce pas ni plus ni moins faire du reflet le tangible, du portrait le modèle, de la fiction le réel ? »
C'est ce « saut de puce » qui rend compte d'un élément central de cette « calembredaine héroïque » : la défiguration dont a été victime … qui donc, au fait ? Cet ex-bibliothécaire - son absence de figure est illustrée sur la couverture - qui n'est autre que le frère siamois de Monsieur Le Comte ? Ou Monsieur Le Comte lui-même, s'il n'est que « le double figuré que le bibliothécaire s'est inventé »? Siamois, au fait, les deux frères, s'ils sont vraiment deux, pourquoi ? Mais par la force des choses, qui est ici la force des mots : « ce qui est à moi est aussi à moi » (pour une fois les italiques sont d'Arrivé, et non d'Annocque). En ce point et en bien d'autres le texte est produit par la désarticulation du signifiant (autre nom de la lettre, pensez à Lacan) et sa réinterprétation. C'est ici, comme en plusieurs autres points, l'ombre de Raymond Roussel, celui des Impressions d'Afrique, qui se profile à l'arrière plan du texte.
Saussure est là, lui aussi, tout aussi discrètement : « En synchronie, les animaux les moins éloignés des oiseaux sont bien les crocodiliens ». Et Freud, médiatement : quand il passe de la rue Carnot au carnet de notes de son enfance éprouvée, Monsieur Le Comte ne retrouve-t-il pas, tout éveillé qu'il est, le fonctionnement littéral du rêve tel qu'il est décrit dans la Traumdeutung ?
On l'a compris : Monsieur Le Comte au pied de la lettre, c'est à la fois une réflexion très aiguë sur la notion de lettre, en tous ses sens, et la mise en œuvre, littérale et littéraire, de cette réflexion sous la forme, revendiquée, d'une « épopée lexicale débridée ». Et d'un « thriller mycologique », qu'on veut croire entièrement écrit à l'aide d'une plume de paon trempée dans l'encre d'un coprin.
Elle n'est point de lecture évidente, cette belle formule ! Annocque fait mieux que la commenter : il la met en œuvre. D'abord, il prend la lettre comme il faut la prendre : au pied de la lettre. Ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît. Car la lettre est pourvue de pas mal de sens. À commencer, évidemment, par son sens « littéral », « matériel », comme on disait autrefois : celui qui lui tient au corps, son corps de lettre, car la lettre a un corps, naturellement. Il le faut bien : n'a-t-elle pas, outre un pied, un œil ?
Annocque prend donc la lettre à bras le corps. Lui, ou plutôt son personnage, Monsieur Le Comte : il « en prépare l'escalade », en commençant, selon l'ordre le plus impératif qui soit, celui de l'alphabet, par la lettre A, « dont la silhouette montagnarde s'avère particulièrement appropriée à ce type d'exercice ». Quant à son épouse, Madame Le Comte ? (sic, avec un point d'interrogation inséparable de son nom), elle a deux L, oui, « deux ailes émergeant délicatement du soyeux plumage de ses voyelles ». C'est ce que lui impose son doux prénom d'Eulalie (sic, avec les italiques au milieu du mot).
Mais le sens littéral n'affecte pas seulement la lettre. Sous son autre nom de « sens propre », il s'en prend aussi aux mots, tous les mots. Il s'oppose alors au sens figuré :
« Il n'y a qu'un pas somme toute, à peine un saut de puce, de dévisager à défigurer, tout juste le passage précisément du figuré au propre. Et dans ce saut de puce c'est bien tout l'équilibre du monde qui est en jeu, car s'approprier une figure (ou passer d'un sens à l'autre), n'est-ce pas ni plus ni moins faire du reflet le tangible, du portrait le modèle, de la fiction le réel ? »
C'est ce « saut de puce » qui rend compte d'un élément central de cette « calembredaine héroïque » : la défiguration dont a été victime … qui donc, au fait ? Cet ex-bibliothécaire - son absence de figure est illustrée sur la couverture - qui n'est autre que le frère siamois de Monsieur Le Comte ? Ou Monsieur Le Comte lui-même, s'il n'est que « le double figuré que le bibliothécaire s'est inventé »? Siamois, au fait, les deux frères, s'ils sont vraiment deux, pourquoi ? Mais par la force des choses, qui est ici la force des mots : « ce qui est à moi est aussi à moi » (pour une fois les italiques sont d'Arrivé, et non d'Annocque). En ce point et en bien d'autres le texte est produit par la désarticulation du signifiant (autre nom de la lettre, pensez à Lacan) et sa réinterprétation. C'est ici, comme en plusieurs autres points, l'ombre de Raymond Roussel, celui des Impressions d'Afrique, qui se profile à l'arrière plan du texte.
Saussure est là, lui aussi, tout aussi discrètement : « En synchronie, les animaux les moins éloignés des oiseaux sont bien les crocodiliens ». Et Freud, médiatement : quand il passe de la rue Carnot au carnet de notes de son enfance éprouvée, Monsieur Le Comte ne retrouve-t-il pas, tout éveillé qu'il est, le fonctionnement littéral du rêve tel qu'il est décrit dans la Traumdeutung ?
On l'a compris : Monsieur Le Comte au pied de la lettre, c'est à la fois une réflexion très aiguë sur la notion de lettre, en tous ses sens, et la mise en œuvre, littérale et littéraire, de cette réflexion sous la forme, revendiquée, d'une « épopée lexicale débridée ». Et d'un « thriller mycologique », qu'on veut croire entièrement écrit à l'aide d'une plume de paon trempée dans l'encre d'un coprin.
- Amicales élucubrations
à propos d'une calembredaine, par Didier da Silva, sur les
Idées heureuses, (6 novembre 2010
Avant de dire deux mots de Monsieur le Comte
au pied de la lettre, la calembredaine héroïque (c'est son
sous-titre) que Philippe Annocque a fait paraître le mois dernier (et qu’il
nous invite à prendre pour son dernier moi), je crois bon de rappeler les
Saintes Écritures, c'est-à-dire la Prière de l’Écrivain Français :
Ce qui me semble beau, ce que je voudrais
faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait
de lui-même par la force interne de son style, comme la Terre sans être
soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du
moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. […] C’est
pour cela qu’il n’y a ni beaux ni vilains sujets et qu’on pourrait presque
établir comme axiome, en se plaçant au point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en
a aucun, le style étant à lui seul une manière absolue de voir les
choses.
Prière éternellement déçue, cela va de soi. Les
sujets, ce n’est pas ça qui manque, dans le livre de mon ami Philippe comme
dans la plupart des livres (et je ne parle pas des verbes et des compléments).
Quant au style, le bonhomme en a plusieurs (je crois qu’il existe une fine
métaphore à ce sujet impliquant des cordes et un arc). Il peut faire tenir
Flaubert, justement, dans une phrase, par exemple, la première du cinquième
chapitre :
Quelques heures plus tard, le vent soufflait sur le zoo désert.
Quelques heures plus tard, le vent soufflait sur le zoo désert.
Et c’est le moindre de ses tours de force. Monsieur
le Comte au pied de la lettre est un texte virtuose, assurément (tout le
Gradus y passe) ; cela pourrait être fastidieux si Philippe, malgré tous ses
moyens, n’était pas fondamentalement inquiet. La formidable santé qu’il faut
(et qu’il a) pour faire tenir tout un roman sur rien (l’identité, cette
enveloppe vide) agacerait si une sourde angoisse ne courait au long de ces
pages, celle-là même dont parle Gide dans son Journal :
Angoissé, je reste devant la feuille blanche,
où l’on pourrait tout dire, où je n’écrirai jamais que quelque chose.
On ajoutera : "où je ne serai jamais que
quelqu'un". Cette angoisse, Philippe fait mine de la dépasser, crânement,
au volant de sa bicyclette (son héros se déplace ainsi, en effet, dès les
premières pages du roman). Mais quoi qu’il fasse elle le talonne. Chacune des
phrases de Monsieur le Comte au pied de la lettre peut être donc vue
comme une tentative de la semer. Toutefois ni le personnage, ni l’auteur, ni
son (leur) double (le fils, le père, l’esprit, mais méfions-nous des simplifications,
car comme il est dit p. 87, elles ne sont pas toujours fiables, les
paraboles) ne sont dupes, ces incessantes bifurcations en apparence
aléatoires sont bel et bien le résultat d’une constante série de choix (sans
compter qu’elles courent à l’abîme) :
(...) il sait très bien que le hasard n’a
rien à voir dans toute cette histoire, pour la bonne raison qu’il le connaît
fort bien, le hasard ; il le connaît fort bien, le hasard, pour la bonne raison
que c’est lui, le hasard, lui-même qui, depuis le tout début de cette histoire
n’a de cesse de retrouver sa figure, sa figure que je voudrais bien pouvoir lui
dessiner, si le traitement de texte m’en donnait la possibilité, mais à
laquelle il me faut bien donner une autre forme, faute d’un logiciel approprié,
une forme verbale puisqu’on est au pied de la lettre, une forme nominale,
plutôt, autrement dit un nom, le nom donc de l’ex-bibliothécaire défiguré, un
nom propre alors, un nom pas commun, qu’il a oublié, perdu depuis longtemps,
quelque part sur la couverture.
On rit ou on sourit souvent, pourtant, à lecture
de Monsieur le Comte au pied de la lettre ; mais c’est que l’auteur a
poli son ouvrage, et qu’on sait bien de quoi, hélas, l’humour est la politesse.
Philippe le prouve avec brio et c'est une raison de se réjouir : le désespoir
de faire des phrases (et celui d’avoir à les signer) a encore de beaux livres
devant lui.
- L'avis de Brigetoun, sur Paumée
(4 novembre 2010)
une farce (fournie, goûteuse, avec éléments
variés et de bonne force) à tous les sens du mot, et jeu avec les mots,
histoire de mots trop nombreux... Une dérive, de brusques dérapages en listes
joyeusement recherchées, en phrases étirant les assonances, en actions
désordonnées. Ironie et à-cotés, au gré des idées et du vocabulaire, et dedans
un Monsieur Le Comte qui est son double, ou un jumeau, un siamois qui est
peut-être Monsieur Le Comte, ou en quête de l'être, ou l'auteur, au péril de
trop d'écrits. Jubilatoire, preste, désinvolte.
« Monsieur Le Comte lui-même pressentait que son
passé viendrait dans l'avenir, si le besoin s'en faisait sentir, et que
peut-être même il pourrait disposer d'autant de passés qu'il était nécessaire.
»
- Philippe Annocque,
auteur et media d'une littérature de mots, par Estelle
Mariotte, sur Suite
101 (1er novembre 2010)
Enseignant agrégé et auteur,
Philippe Annocque a une expérience littéraire de la langue. Témoin, son nouveau
livre, Monsieur Le Comte au pied de la lettre.
Agrégé de lettres modernes, Philippe Annocque est
enseignant au collège. Son premier livre, Une affaire de regard, a
paru en 2001 aux éditions du Seuil. Régulièrement depuis, l'auteur nous fait
signe en librairie. Sous la forme de textes qui communiquent une expérience
littéraire, une relation particulière aux mots.
"Est-ce que ça vaut la peine d'être dit
?" se demande Philippe Annocque. Il cite L'Innommable de Samuel
Beckett, récit sur l'impossibilité de définir et de faire exister pleinement un
personnage. Héritier de cette réflexion, Philippe Annocque préfère les sujets
existentiels aux motifs anecdotiques et les jeux sur les mots, aux maux d'un je
fictif. Ainsi se livre son dernier opus, Monsieur Le Comte au pied de la
lettre, paru en octobre dernier chez Quidam Editeur.
"Monsieur Le Comte est très
clairement un livre polémique", insiste Philippe Annocque. La polémique se
joue au niveau du roman (refusé dans et par ce texte), de la fiction (qui
devient réalité, Monsieur Le Comte étant relié à l'auteur par la figure du
double) et des mots (au sens fluctuant selon les calembours).
Habitué à une expérience littéraire de la langue,
Philippe Annocque jongle avec les phrases (phases) du récit. Appréciant le
lexique zoologique, il le partage, sous forme d'inventaire diégétique. Auteur
présent dans son texte, il utilise le pronom "nous" pour se
rapprocher de ses personnages. C'est ainsi qu'il rejoint Monsieur Le Comte, au
pied de la lettre (à la naissance du livre).
Grand lecteur, Philippe Annocque affiche un
parti-pris singulier vis-à-vis de la littérature contemporaine. Il ne se laisse
pas influencer par les prix littéraires (il n'a pas lu les livres des récents
prix Nobel J. M. G. Le Clézio, Herta Müller, Mario Vargas Llosa). Il se tient
également à l'écart des auteurs à succès (Amélie Nothomb, Anna Gavalda) et des
chefs de file de la littérature populaire (Marc Lévy, Guillaume Musso).
"La littérature à succès imite la
littérature. Je préfère le livre qui va faire l'impression d'une mer trop
fraîche. Il faut trouver le courage de s'y baigner." Les plages (pages)
préférées de Philippe Annocque sont celles de Eric Chevillard, Hubert
Mingarelli, Antoine Volodine, Eugène Stavitzkaya, Céline Minard, Raymond
Federman, Marcel Cohen... Un panel d'auteurs variés, à fréquenter !
Ardent défenseur des auteurs émergents, Philippe
Annocque utilise Internet pour présenter ses coups de coeur littéraires. Il a
intitulé son blog "Hublots", par référence au peu de visibilité dont
souffrent les auteurs de littérature non commerciale. Le mot renvoie aussi à
l'élément liquide. Liquide est par ailleurs un titre de Philippe
Annocque (paru en 2009, chez Quidam Editeur). Un texte fluide, dans lequel se
répand la difficulté du passage de la lettre à l'être, thème cher à l'auteur.
- Philippe Annocque au
pied de la langue, par Fiolof, sur la
Marche aux pages (31 octobre 2010)
Philippe Annocque au pied de la langue
Dans l’un
des articles de son blog,
Philippe Annocque, écrivain talentueux et lecteur sensible (rien à jeter dans
ses conseils de lecture...), confesse son goût pour l’incertitude. Ce qui
l’amène à aimer, par voie de conséquence, « les romans qui font bouger le
roman », voire « qui ne sont pas du tout des romans » ou, à la
limite, « des livres qui finissent par être des romans alors qu’ils ne
ressemblent pas du tout à des romans ».
Dans Liquide*, son
avant-dernier récit, le roman tremblait souvent vers le poème. Sans lyrisme,
par une organisation particulière de la ponctuation, par des rejets de phrase
d’un chapitre à l’autre, l’écriture marquait une certaine hésitation à
s’enfermer dans les certitudes d’une construction narrative. Liquide
mettait en scène un personnage lui-même habité par le doute, traversé par les
événements, vécu par la vie, pourrait-on dire. Double sombre d’une figure
possible de l’écrivain dubitatif, sorte d’ homme qui dort éveillé, le
non-héros de Annocque se dérobait à tous ces rôles d’emprunt que nous assigne
souvent l’existence, et à ce devoir de consistance par lequel on prend son
destin en main. Amant, mari et père sous influence, le narrateur de Liquide
reconnaissait peu à peu le vide qui siégeait en lui et ne trouvait finalement à
s’identifier qu’à cette substance aquatique qui traversait le roman comme un
fil rouge, le seul auquel se raccrocher.
Moins d’un an après la parution
de ce récit bouleversant, Philippe Annocque enfourche un tout autre étrier et
signe, avec Monsieur Le Comte au pied de la lettre, un exercice de
style digne des heures chaudes de l’Oulipo… Le doute est toujours présent. Mais
il s’installe ici de manière jubilatoire au cœur de la langue, esquisse un pied
de nez savoureux au genre romanesque et nous embarque dans un long clin d’œil
loufoque et parodique.
Frileux des jeux de mots
débridés, ennemis des bourrasques pataphysiques, adeptes incorruptibles des
histoires qui avancent la tête sur les épaules, un seul conseil : s’abstenir.
Le dernier roman de Philippe Annocque n’est pas pour vous. Si
par contre, il vous prend parfois des envies d’éclats de rire et d’éclats de
sens, approchez, ça brise et ça brille…
Monsieur Le Comte est pourtant
d’abord doté de tout ce dont peut rêver un personnage de roman. A commencer par
le moyen de transport. Son père putatif n’y a pas été par quatre chemins : «
Tant qu’à lui donner la vie, coupable inadvertance, autant lui fournir tout de
suite le véhicule ; on y gagnera du temps». La prévoyance prend même ici
la forme d’une attention prévenante à l’endroit du lecteur : «Gageons aussi
que grâce à sa bicyclette, il saura abréger nos longueurs».
Monsieur Le Comte dispose aussi
de toute une panoplie de «personnages secondaires» dont certains n’en
sont pas moins précieux à son cœur : « C’était le cas, par exemple, pour
n’en citer que parmi les plus secondaires d’entre eux, de sa femme et de ses
innombrables enfants, naturellement les plus tendres de ses faire-valoir».
Plus fort encore, Monsieur Le
Comte a droit à une enfance (« Une enfance de Monsieur Le Comte») et
même, comble de luxe, à une deuxième (« Une autre enfance de Monsieur Le
Comte»). Peu importe que dans la première Monsieur Le Comte ait été un
enfant de l’Assistance alors que dans la seconde, Monsieur Père et Madame Mère
sont « les meilleurs parents du monde, véritables remparts – comme on dit
dans les banlieues – entre lui (le monde) et leur progéniture». Quoi qu’il
en soit, Monsieur Le Comte (une civilité et un titre si souvent répétés dans le
texte que c’est à croire que Monsieur Le Comte supporte mal d’être anaphorisé
par un vulgaire pronom…) a toutefois préféré laisser à d’autres le soin
d’imaginer cette enfance :
« Monsieur Le Comte en effet
n’est pas seulement un personnage important, c’est aussi un personnage sérieux,
peu enclin à s’inventer un passé, contrairement à la plupart de ses semblables,
lesquels le font d’ailleurs innocemment, sans y voir de mal. Monsieur Le Comte,
lui, si tant est que cette pensée l’ait traversé, a préféré déléguer cette
tâche ingrate ; il s’est débrouillé pour en abandonner la charge à un
quelconque quidam, déjà oublié, il s’en lave les mains, oublions-le nous
aussi.»
On y trouvera toutefois quelques
ingrédients dignes de souvenirs communs à tous ceux auxquels plus durs et plus
bêtes qu’eux ont mené la vie dure. Les plus durs et plus bêtes sont ici
magnifiquement incarnés par Labriquette, Bronchard et Brazziolli, triade
d’irrésistibles et méchants emmerdeurs que l’on dirait surgis comme un
cauchemar d’une vieille liste d’appel d’école communale… Face à leur brutalité
précoce Monsieur Le comte reste pourtant aussi impassible qu’un «
brontosaure à l’abreuvoir», sans que l’on sache très bien s’il s’agit là
d’une forme supérieure de dédain ou d’une faiblesse de sa nature. Mais les
trois brocardeurs ne s’en tiendront pas là et le lecteur aura le loisir de les
retrouver dans d’autres rôles tous plus déplaisants les uns que les autres à
différents moments du récit.
Sur le chemin d’une intrigue, le
héros de cette histoire peu commune s’égarera dans un faux jeu de piste qui le
conduira aussi bien dans une étrange banlieue pavillonnaire où les passants ne
s’expriment qu’en vers monosyllabiques que dans un jardin zoologique où il
pourra notamment observer à loisir « le casoar», «l’arapaïma»,
«le coendou (moins doux que le douroucouli)», «le lambi et sa chétive version
métropolitaine le bigorneau», «le céphaloptère (à ombrelle)» et, tournant
à droite, «le bulbul, le bulbul, le bulbul, le bulbul, le bulbul, le
bulbul, le bulbul (il existe, à en croire les indications fournies par le zoo,
cent vingt-trois espèces appartenant à ce genre de passereaux par ailleurs
assez banals ; toutes n’étaient malheureusement pas représentées, tant s’en
faut) »… Sans oublier cette murène dont le «nez saillant», la «peau
brune et marbrée», le «regard glauque au-dessus d’un sourire cruel»
dissimule mal sa lointaine provenance humaine : «ce n’était autre que la
propre grand-mère de Monsieur Le Comte, par il ne savait quel prodige en
poisson carnassier réincarnée».
Mais il y aura pourtant
bien intrigue… une intrigue que l’on peut objectivement qualifier de décousue
puisqu’elle met en scène un ex-bibliothécaire défiguré au cours de l’incendie
où il s’acharna imprudemment à sauver ses livres des flammes et sur la face
béante duquel les médecins les plus habiles ne parvinrent à recomposer qu’une «
figure imaginaire qui, de loin, pouvait faire illusion». A moins que…
cette tragique épopée aux accents alexandriens ne masque une sombre histoire
familiale et que cet ex-bibliothécaire ne soit en fait le jumeau de Monsieur Le
Comte, plus précisément son ancien siamois de visage, privé de figure au moment
de la délicate séparation, puisqu’il fallut bien faire un choix pour
l’attribution dudit visage…
Une fois ce schéma actanciel
dressé comme un château de cartes, les péripéties, rebondissements et
digressions vont bon train. On attente à la saine figure de Monsieur Le Comte,
on croise une seyante infirmière qui semble d’abord chargée d'opérer ce
transfuge facial au profit du siamois déshérité, on s’aventure dans des
considérations mycologiques, on découvre la terrible secte apocalyptique des
Apôtres de la Délivrance, on soulage ses pulsions libidinales par une énergique
séance de pâte à modeler, on organise la disparition des Réalités, et on
assiste effectivement à la foudroyante désintégration de la bibliothèque du
siamois de Monsieur Le Comte, du roman lui-même et de son héros exemplaire,
sous l’effet dévastateur de la nocive Mérule Pleureuse, « le seul
champignon mortel sans ingestion».
On aura été prévenu dès le début
de l’issue de ce voyage :
« Avec A, l’intrigue sera
accommodante : on part de pas grand-chose, on grimpe, on fait mine d’arriver au
sommet, c’est-à-dire à rien – le sommet, c’est quand il n’y a rien au-dessus –
et là, après une pause contemplative, on se retrouve au même niveau qu’au
départ, mais quand même un peu plus loin : de l’autre côté ; c’est toujours ça
de gagné. »
Mais entre ce « pas
grand-chose » et cet à peine « un peu plus loin », le lecteur
aura assisté à de nombreuses joutes étincelantes entre le sens propre et
le sens figuré, vibrionné à chaque page d’allitérations abusives en vire
langues, de parodies multiples en déconstructions élégantes, glissé sur le fil
fragile qui sépare l’eschatologique du scatologique (par un « e et un h
superfétatoires » relativiset-on dans Monsieur Le Comte)… Il
aura vu l’écrivain se faire l’apologue de « l’écrit vain » et
effeuiller comme une marguerite l’arbitraire des conventions romanesques.
Une superbe calembredaine,
assurément, comme l’on n’en fait plus guère de nos jours… Une « farce
mycologique » mitonnée aux petits oignons, où l’on retrouve la saveur
d’épices cueillis du côté de chez Queneau, Allais,
Jarry, Calvino… Et puis, soyons pratiques, Monsieur
Le Comte au pied de la lettre peut être lu comme un divertissement qui
nous rappelle fort à propos que dans une chute libre vers la morosité, il reste
encore la langue pour se rattraper aux branches. Comme dirait sans doute Philippe
Annocque, c'est toujours ça de gagné.
- Article de Christine Jeanney dans Pages
à Pages (29 octobre 2010)
« Monsieur Le Comte, on
l’aura deviné, n’était pas le plus expérimenté des cyclistes. Il avait à cela
des excuses : Monsieur Le Comte n’avait pas eu de papa pour prendre en charge
ce périlleux apprentissage, ni de maman non plus ; car Monsieur Le Comte, aussi
invraisemblable que cela puisse paraître, était un enfant de l’Assistance. Ses
parents, manifestement inconscients de l’importance pourtant forcément innée de
leur progéniture, l’avaient abandonné dès sa naissance, pour de mystérieuses
raisons, qui le resteront, ou peut-être pas – pour d’autres mystérieuses
raisons, qui le resteront, ou peut-être pas. »
Philippe Annocque n’écrit pas deux fois la même
chose, c’est une certitude. Il suffit de prendre Liquide et de le comparer à Monsieur Le Comte au pied de la
lettre pour s’en convaincre. D’un côté un flux poétique et sensitif et, de
l’autre, une sorte de Monsieur Hulot à Absurdville, une réjouissante et
trépidante « calembredaine » très « héroïque ».
Liquide cernait un homme en s’attachant aux seuls
reflets du personnage, sorte de portrait par « ricochet », utilisant
sensations et introspection intensément. Monsieur Le Comte au pied de la lettre
explore le verbe, le mot comme matière, jusqu’à plus soif. Prendre les mots
« au pied de la lettre », Philippe Annocque ne s’en prive pas et joue
sur les sonorités, l’extravagance des situations induites par le jeu des mots
côte à côte.
« Monsieur Le Comte, un peu las, se
délassait devant l’aquarium où le corps anguilliforme de la murène ondulait
voluptueusement ; le spectacle (en effet) était délassant comme une danse
orientale. Or, tandis qu’il s’approchait, en proie au charme sinueux de cette
contorsionniste aux impressionnantes mâchoires, elle – qui jusqu’alors ne lui
avait présenté que son profil – lui fit face. Et, tandis qu’elle s’approchait
comme pour un langoureux baiser, il la reconnut ! Sa physionomie vue de face
n’avait plus rien de celle d’un poisson, si étrange fût-il : ce nez saillant,
cette peau brune et marbrée, ce regard glauque au-dessus d’un sourire cruel :
ce n’était autre que la propre grand-mère de Monsieur Le Comte, par il ne
savait quel prodige en poisson carnassier réincarné ! »
Mais il y a bien, outre l’auteur, un point commun
entre les deux derniers romans de Philippe Annocque : le thème de l’identité
traverse ces deux expériences, portrait identitaire formé de sensations pour
Liquide, portrait identitaire fondamentalement oulipien ici. Monsieur Le Comte,
cet être de papier à la destinée tellement improbable, si fragile, qu’une
simple phrase ferait partir en fumée, trouve un frère siamois sans visage dans
une bibliothèque étrange.
Roman fantaisiste étrange et débridé, métaphore
rêvée et humoristique, une fois de plus c’est un livre « hors
normes » qui paraît chez Quidam Éditeur, ce qui marque sa singularité dans le
paysage éditorial.
« L’ex-bibliothécaire reconnaissait
volontiers toute cette vanité qui était la sienne, il était prêt désormais à
l’assumer, depuis qu’il promenait de par le monde sa face effacée. Défiguré, il
lui semblait qu’un sens nouveau s’incarnait désormais en lui : le sens propre.
C’est ainsi qu’il avait lui-même éprouvé le besoin de s’inventer, pour son bon
plaisir, un double imaginaire, un double figuré d’un nom d’apparence pourtant
propre : Monsieur Le Comte, notre commune incarnation, enfiguré d’une figure
dont le style amphigourique certainement ne ferait envie à personne. Cependant,
cette entreprise courageuse, qu’il intitula Monsieur Le Comte au pied de
la lettre parut bien vite insuffisante à l’ex-bibliothécaire ; pire, elle
était presque sur le point de se retourner contre son intention initiale,
puisque tout cela, à n’en pas douter, risquait bel et bien de faire un
livre. »
- Article
d'Eric Loret dans Libération
(28 octobre 2010)
« Calembredaine héroïque » est
indiqué comme genre. « Coquecigrues » eût été beau aussi, plus aérien
pour ce texte drôlement enlevé, où l’on apprend que Madame Le Comte s’appelait
avant ça « Eulalie, prénom aussi riche en voyelles que chiche en
consonnes ». Ainsi mené par la folie des lettres et de leurs
assonances, le récit suit sa route de sucette en vrille et aboli bibelot
d’inanité jusqu’à, entre autres, un mystérieux bibliothécaire ayant perdu la
face dans un incendie de livres, à moins qu’il ne soit, « en réalité
que le frère de Monsieur Le Comte, séparé de lui dès la naissance, son frère
jumeau, son frère siamois (…), ils étaient nés attachés l’un à l’autre par la
figure ». Ou le mariage réussi du roman gothique avec une technique
presque oulipienne.
- Billet de Marianne Desroziers sur le
Pandémonium littéraire (23 octobre 2010)
Une fois n'est pas n'est pas
coutume, j'ai envie de vous citer le quatrième de couverture qui résume très
bien à la fois l'histoire et surtout l'univers loufoque de ce court
roman qui vient de paraître.
Quatrième de couverture :
On en veut à la figure de
Monsieur Le Comte ! Qui ? Pourquoi ? Comment ? Indubitablement calembredaine,
Monsieur Le Comte au pied de la lettre est aussi - outre un thriller
(mycologique) et une farce (charcutière) - épopée lexicale débridée, enquête de
sens panoramique, jeu para-oulipien et diatribe romano-dubitative (carrément
cynophobe, disons-le). Tout cela, oui, et bien plus encore, mais ourdi par quel
dément démiurge ?
J'ai adoré ce livre qui lorgne du
côté des meilleurs livres d'Eric Chevillard ou des romans de Georges Perec
comme "La Disparition", avec un jeu perpétuel sur les mots. Par
peur de déflorer le suspens de l'intrigue, je ne vous en dirais
pas beaucoup plus, ni sur l'étonnant personnage de
l'ex-bibliothécaire bibliophobe ni sur Eulalie, Madame de Monsieur le
Comte. Et ne comptez pas sur moi pour vous livrer les secrets de la
mérule.
Bref, une bien belle
calembredaine que ce livre-là, à la fois drôle, prenant et dans
lequel la jubilation de manier les mots qui est celle de l'auteur est
communicative pour le plus grand plaisir du lecteur.
- Quelques mots de Zoë Lucider sur l'Arbre
à palabres (19 octobre 2010)
J'ai été accompagnée dans mon périple par Monsieur
le Comte au pied de la lettre que j'avais invité à me suivre en passant à La Hune.
Très réconfortant ce Comte. Voilà un personnage qui bannit toute complaisance.
Un paumé authentique mais qui s'en fout. Ce n'est pas un Quichotte à la longue
figure. Bien qu'il puisse craindre de perdre la face (et non au figuré), il ne
recule devant aucun gouffre, il ouvre des portes qui donnent sur l'envers du
décor, pourchasse une quête mycologique, est capable de se reproduire par
malaxage, bref ses aventures sont surtout l'occasion de jeux de lettres et de
mots impayables (au sens propre, il n'ont pas de prix). Je dédie à Monsieur le
Comte la piste cyclable ci-dessus qui devrait être agréable à sa bicyclette
souffreteuse.
- Article de Romain Verger sur Membrane
(16 octobre 2010)
Dans son dernier roman, Philippe Annocque poursuit son exploration du
thème de la quête identitaire. Sérieux avec Liquide,
il adopte ici le mode de la “calembredaine héroïque” pour nous entraîner
dans les aventures rocambolesques de Monsieur le Comte, à un rythme palpitant
qui n’a d’égal que la vie trépidante de son personnage. De l’épaisseur d’une
feuille, de la taille d’une lettre, Monsieur le Comte devra de chapitre en
chapitre remettre en jeu son existence, son destin fragile et fluctuant entre
les mains de son auteur. Figure d’encre et de papier qui partage la légèreté et
la gravité de Charlot ou du Plume de Michaux. Orphelin ectoplasmique, volatile
et malléable (aussi modelable que la pâte dont il tire ses propres enfants),
dont le destin poétique varie au gré des caprices de son auteur, qu’une simple
inflexion de phrase, jeu de mot ou variation paronymique suffit à contrarier,
renverser, réinventer. Ainsi verse-t-on avec lui, en bicyclette dans le fossé,
ou le retrouve-t-on déboucheur de WC, visiteur du parc zoologique pour y
reconstituer sa généalogie, embringué dans une manifestation pour
l’instauration d’une “vignette sur les chiens”, devenu porte-banderolle bien
malgré lui, ou bien encore allongé sur le billard prêt à se faire arracher le
visage par l’amante du bibliothécaire, son double siamois dévisagé de
naissance.
Le plaisir d’écrire de Philippe Annocque est contagieux, d’autant plus palpable qu’il nous rappelle au pouvoir thaumaturgique des mots, à leur chair et à leur lettre vive.
Le plaisir d’écrire de Philippe Annocque est contagieux, d’autant plus palpable qu’il nous rappelle au pouvoir thaumaturgique des mots, à leur chair et à leur lettre vive.
- Billet 137 sur le blog Les
doigts dans la prose, par David Marsac (9 octobre 2010)
David Marsac salue l’entrée en scène de Monsieur
Le Comte, sur l’échelle de la lettre À. « OHé ! » (Au sommet,
son bras.)
– Ô Bal ! Et à Dia ! s’écrie immédiatement
David Marsac, feuilletant les pages de la vie enthousiaste de Monsieur Le
Comte.
Reste à pousser la recension du livre d’Annocque
à travers le Hublot de la bienveillante loupe critique.
Donc. En effet. Comme eût dit Monsieur Le Comte.
Il s’agit d’un récit. Comment faire avancer un récit sans recourir à la
ferblanterie romanesque ? C’est
la trame, l’intrigue.
–
No - o dear no - the novel does not tell a story anymore… (Forster
déconfit.)
Le roman en question ne raconte rien, que la vie
au sommet de la lettre A, peu de choses, traduites de riens. Un comte perdu au
milieu de la vie – zoï en Grec. Et donc, Monsieur Le Comte, sans se
lasser (a-t-il seulement des chaussures ?), parcourt le zoo de la vie, dos
rond, et d’un chat l’autre fait le pitre.
– Chouette ! hurle le-le-le lecteur à vide de
refaire le plein de belle littérature sans concession à ce que le roman produit
de pire aujourd’hui – trop souvent le meilleur : la mécanique poussive ou
bien huilée, vroum, vroum, du roman, en voiture, suivez les
itinéraires bis de la réalité. Personne n’y croit, mais tout le monde en lit
dans les compartiments des TGV. (« Bonne nuit, les alités ! ») En
attendant, la vie défile.
Du coup, Monsieur Le Comte préfère la bicyclette,
légère, maniable, joie d’aller par les prés, chemins creux, la porter sur
l’épaule, rouler sans roue avant, ou faire des roues arrière pour épater les
filles d’attente à la bibliothèque.
Il était temps. David Marsac s’impatientait.
– Ce livre me plaît par sa désinvolture,
d’ailleurs très concertée. Parlons-en.
Le récit, l’histoire, la vie de Monsieur Le Comte
avance au gré des facéties du dit vain de l’écrit vain, linguiste auteur des
jours comptés d’un personnage dont la présence ne nous est chair que parce que
veine.
– En plus on s’amuse bien à décrypter ce qui se
cache dans ce qui s’offre.
Le lecteur, du coup (le tic), devient comparse
auteur, préposé à l’assemblage des pièces fournies en kit, 100 pages,
couverture comprise.
– Et allez donc : Kit, scie, colle, scie,
visse !
Je trouve d’ailleurs à Monsieur Le Comte, collé
par l’oreille gauche, des airs de frère siamois d'Honoré de Balzac qui nous
revient, effet boomerang de la littérature.
– Et combien j’aime, disait Marsac, jaloux comme
une murène, ce bruit de page tournée qui préside aux actions
inessentielles de Monsieur Le Comte, personnage sans figure, dont le masque est
la marque du manque – qui donne sens à la littérature.
Réel du texte contre réalité.
David Marsac, épaté.
- Philippe Annocque, à
rebours ; sur le
Chasse-clou, par Dominique Hasselmann (7 octobre 2010)
Dans son dernier livre, Monsieur Le Comte au pied
de la lettre (Quidam Editeur, 12 €) qui conquiert aujourd’hui les bonnes
librairies – celles qui poussent comme champignons après la pluie – et leurs
troupes de lecteurs affamés, Philippe Annocque change carrément de cap au long
de l’étendue agitée de ces nouvelles pages.
La « calembredaine héroïque », puisque
tel est le sous-titre ironique qui définit l’œuvre en question, ressemble à une
promenade, mûrement réfléchie, dont l’auteur serait à la fois le guide,
l’inventeur, le manipulateur, le double, « l’écrit vain » qui succède au « Dit
vain ».
Monsieur Le Comte, alpiniste alphabétique et
chimérique, se trouve pris dans le déroulement d’une investigation qui lui fait
découvrir, dans l’entrechoc du passé et du présent, un certain nombre de
situations étranges, inimaginables, qui l’emmènent de la littérature à la
bibliothèque (devenue « lieu d’aisance ») et lui font rencontrer un
homme féru de livres, transparent du visage, image peut-être du narrateur
lui-même, jeu de miroirs sans tain.
« Avisant enfin, parmi toute cette
agitation, une silhouette immobile, Monsieur Le Comte tenta de s’enquérir
auprès d’elle de l’existence d’une sept cent quatorzième boîte aux lettres et,
le cas échéant, de son emplacement ; sans préciser qu’il ne s’agissait là
de rien de moins que de restaurer le cosmos : la Lune se doit de tourner
autour de la Terre, la Terre autour du Soleil, le Soleil autour de Monsieur Le
Comte, Monsieur Le Comte autour du pot. » (page 32)
La zoothèque n’est-elle pas l’encyclopédie
vivante d'un monde étrange et parallèle ? « Monsieur Le Comte prit à
droite et vit le bulbul, le bulbul, le bulbul, le bulbul, le bulbul, le bulbul,
le bulbul, le bulbul, le bulbul, le bulbul (il existe, à en croire les
indications fournies par le zoo, cent vingt-trois espèces appartenant à ce
genre de passereaux par ailleurs assez banals ; toutes n’étaient
malheureusement pas représentées, tant s’en faut) ; (…) » (page 37)
Si Philippe Annocque se lance dans cette fable,
où l’improvisation rigoureuse le dispute à la recension débridée de certaines
espèces animales, c’est qu’il sait qu’il va retrouver « son putatif
siamois, l’ex-bibliothécaire sans figure, auquel il faudrait peut-être donner
un nom – à moins que son absence de figure soit précisément un indice de
l’innommable. » (page 45).
Avec les épisodes délirants d’une manifestation
pour l’instauration d’une « vignette sur les chiens », imposée selon
leur « cylindrée », le réveil sur « le billard » d’un
hôpital, la présence d’une infirmière jolie rivalisant fortement avec Eulalie
(la femme du héros improbable), puis le bûcher de poudre des
« Réalités » (voir page 73 la surprenante litanie typographique des
20 petits lits), Monsieur le Comte nous fait des niches et pirouettes dans tous
les sens.
Mais Philippe Annocque, dont on connaît aussi
l’appétit pour tout ce qui est mycologique (car c’est la logique de la
découverte qui l’attire alors dans les bois) revient toujours à la figure en
pointillé du frère de sang : l’allusion au film Les Yeux sans visage (page
77) est une manière en celluloïd d’être franc-jeu.
Car la clé pourrait se dissimuler ici :
« Monsieur Le Comte décidément n’est peut-être rien d’autre qu’une figure,
lui-même cortex à sa manière ; sous la figure, écorce corticale intacte,
la substantifique et médullaire moelle épinière de l’épineux spinosaure fossile
déjà a disparu ; tandis que le corps du texte, ondoyant et méandreux,
méandrique et flexueux, circonflexe et circonvenu de soi-même s’étend et croît,
champignon parasite du bois, du papier et de l’esprit. » (page 86)
Oui, Philippe Annocque s’en va délibérément à
rebours, comme Monsieur Le Comte, finalement.
- Aussi à moi !
sur le blog des Muses à
Tremplin, par Pascale (7 octobre 2010)
Il faut la modestie de Philippe
Annocque pour qualifier ce nouveau roman de "calembredaine"
(quatrième de couverture) car si le récit des péripéties du Comte qui n'en est
pas un ne se prend pas au sérieux, il n'empêche toutefois pas que la réflexion
induite avec humour (humour de situation mais surtout humour des mots) n'a rien
d'anodin. De là à penser que certaines idées dérangeantes sont plus facilement
véhiculées en mode léger, il n'y a qu'un tour de roue de Monsieur le Comte.
On le savait, Philippe est un
virtuose du langage, il se plaît à en déjouer les arcanes ;
talent bien utile dès lors qu'il s'agit de prendre les mots au pied de la
lettre, pour les mettre au pied du mur et leur faire dégurgiter ce qu'ils ont
dans les entrailles.
Son penchant pour la
botanique et la mycologie n'étant un secret pour personne, on ne sera pas
surpris de voir l'auteur s'y adonner ici avec jubilation et imposer à
la vue de ce pauvre Monsieur le Comte l'effroyable spectacle d'une
Mérule monstrueuse autant que bibliophage. Et comme si cela ne
suffisait pas, l'auteur a, pour les besoins de la cause, ajouté à son arc
la corde de la cynophobie. Que cela ne décourage surtout pas les amis de nos
amies les bêtes, ce récit respire l'intelligence ! L'espièglerie
aussi.
Un roman auquel on pourrait
reprocher ses pistes multiples mais qui, pour éclaté qu'il paraisse de
prime abord, ne perd jamais de vue son idée directrice et s'ingénie à
retomber bien sûr aux pieds de la lettre du cher Monsieur le
Comte.
- Et si Monsieur Le Comte,
sur Critiques libres,
par Sahkti (16 septembre 2010) (et les avis de Veneziano, Pieronnelle,
Sissi, Débézed et Tistou)
Gouleyant à souhait, vif, à la saveur d'une pomme acidulée dans laquelle on espère rapidement croquer... voilà comment caractériser ce roman de Philippe Annocque, à l'écriture noble et racée dans le phrasé.
Autant le dire de suite, j'ai pris un énorme plaisir en dévorant ces pages.
Monsieur le Comte est un personnage tout bonnement formidable. Il travaille pour la Soverse, une société spécialisée dans les fenêtres cassées, les cuisines inondées, les serrures forcées... rien de très aristocrate dans tout ceci me direz-vous et pourtant ! Le contraste entre ce personnage si particulier et ses besognes quotidiennes est extraordinaire et complémentaire à la fois. L'auteur se joue d'ailleurs de tout ceci, en multipliant les digressions, les retours en arrière, les petits mots qui piquent, le tout sur un rythme frénétique qui rend ce récit trépidant décidément délicieux.
Monsieur le Comte travaille donc pour la Soverse qui le cantonne, au début du récit, dans une mission assez simple en apparence: déposer des cartons publicitaires dans les boîtes aux lettres. Pas super passionnant et pourtant, Monsieur le Comte place beaucoup de dévotion dans ce labeur, jusqu'au moment où toutes les boîtes semblent avoir été honorées et que, las!, il lui reste un 714e pli à distribuer. Un drame est en train de se préparer et pour parer à toute déconfiture, Monsieur le Comte se rend au jardin zoologique dans lequel, malchance, il se fait enfermer. Il se réfugie sur une statue de Charles Darwin afin d'échapper à trois alligators, puis arrive à prendre la poudre d'escampette. Débute alors une balade au zoo. Arrivé dans la salle des aquariums, Monsieur le Comte observe attentivement une murène qu'il jure être le portrait de sa grand-mère. L'aquarium se fissure, Monsieur le Comte devient secouriste, ce qui lui vaut de monter en grade et de devenir dépanneur. Déboucheur de W.C. dans un premier temps, chez une personne au visage malmené qui pourrait être...
Je ne vous en dis pas plus ! Sinon je déflore une bonne partie du récit et de sa magie.
Vraiment, ce roman est à lire et à relire, tant il est drôle et bien écrit. Philippe Annocque y déploie toutes les subtilités de la langue française, faisant danser rondement les mots, les secouant, leur donnant des allures rabelaisiennes qui épousent à la perfection son humour tranchant.
Un véritable régal de lecture, merci pour tout cela !