jeudi 26 juillet 2012

lectures de saison


En fait c’est juste une petite pause dans la pause estivale : on entrouvre les hublots mais pas longtemps.
Relu Proust mais pas tout comme le veut le cliché – estival aussi ; faut pas charrier : juste Du côté de chez Swann, qui n’a pas tellement changé depuis la dernière fois ; il y a des persistances qui font plaisir. Le souvenir était assez net, seul l’ordre du récit restait était un peu flou dans la mémoire.
Relu le Conquérant de la planète Mars, aussi. John Carter, quoi (rappelez-vous). Qui doit être à peu près l’exact contemporain de Swann, d’ailleurs. Oui madame. Et tiens, mon souvenir de Dejah Thoris était à peu près aussi net que celui de Geneviève de Brabant. C’est fou d’ailleurs comment les noms des personnages se sont imprimés dans la mémoire (pourtant il n’y a vraiment rien à en dire sinon que Burroughs n’a pas dû consacrer plus d’une seconde à chacun d’eux). Bref. Oui, c’est l’impression qui en est ressortie : bref. Vite lu, le roman a rétréci avec le temps. Mais un petit gars de n’importe quelle époque peut aimer ça.
 
Profité aussi de ce qu’on est en pleine saison (estivale) pour lire Hors saison, de Sylvain Coher. Sylvain Coher, rappelez-vous, l’auteur de Carénage, paru chez Actes Sud à la rentrée 2011. L’éditeur a eu la bonne idée de rééditer en poche (Babel, donc) ce premier roman initialement paru chez Joca seria en 2002.
 
« Le premier jour de septembre, lorsque nous avons débarqué elle s’est rendu directement à l’agence. Au guichet elle n’a regardé aucune fiche, aucun catalogue. Elle a dit Bonjour, je voudrais louer une maison dans le quartier de la falaise. Elle a simplement donné l’adresse précise de la maison, le nom précis de la maison et lorsque la femme (qui sentait le chat et l’anis) lui a fait son petit signe approbateur de la tête en répétant la falaise puis Clair de lune, elle n’a pas retenu un long soupir de soulagement.
Ça sonnait comme un rendez-vous que je ne comprends pas. Bien sûr, tout cela ne veut rien dire, mais après un bon millier de kilomètres…
Elle n’a pas voulu visiter. Elle a prévenu qu’on partirait avant l’été. Elle n’a pas payé cher mais elle a refusé l’entreprise qui procède généralement au nettoyage des maisons trop sales.
Nous ferons cela tranquillement, a-t-elle dit. En passant sa main chaude sur ma tête. Nous avons tout notre temps. La femme de l’agence (qui sentait plus intensément le chat) me regardait, apeurée. »
 
Sylvain Coher, Hors saison, Joca seria 2002, Actes Sud Babel 2011, p. 44-45.
 
On a vite fait de deviner la nature du narrateur, prétexte à suivre le protagoniste (« Elia », une jeune femme) d’un point de vue assez inédit, à la fois externe et intime. Ainsi le personnage reste opaque, avec son mystère qui ne se dévoile que par indices épars, et en même temps il nous est donné à lire avec la plus grande tendresse.
http://remue.net/Images/Coher.jpg

Commentaires

... hors saison et hors les murs ?
Commentaire n°1 posté par Gilbert Pinna le 26/07/2012 à 11h35
C'est vrai, hors les murs et en d'autres murs. (Hors saison et aussi une histoire de murs, d'ailleurs.)
Réponse de PhA le 26/07/2012 à 15h03
En ce qui me concerne, Proust, c'est tous les six-sept ans. Je recommence à chaque fois par Du côté de chez Swann. J'aime bien aussi Sodome et Gomorrhe à cause du regard quasi cinématographique du Narrateur à travers les persiennes d'une fenêtre sur cour.... Mais je confesse que je passe trois mois à tout relire. Vous me culpabilisez avec l'histoire du cliché et je vais me casser la tête avec ça.
On ne compare pas un film à un livre, ce sont deux écritures différentes. Cependant, avez-vous vu Le Temps retrouvé de Raoul Ruiz?
J'essaierai Hors Saison.
Commentaire n°2 posté par Anonyme le 26/07/2012 à 12h08
Ne vous cassez pas la tête avec mon cliché estival qui n'est qu'une excuse à ma paresse ! Je crois que ça faisait plus de 20 ans que je n'avais pas relu Swann, j'étais surpris de m'en souvenir aussi bien. J'aimerais bien consacrer une saison à tout relire mais je manque de temps et j'ai aussi d'autres envies. (Et je n'ai pas vu non plus Raoul Ruiz.)
Réponse de PhA le 26/07/2012 à 15h09
... hors maison, en somme.
Commentaire n°3 posté par Gilbert Pinna le 26/07/2012 à 15h25
Ce que vous dites "à la fois externe et intime." (cf. Hors Saison) serait donc ce qu'on appelle un récit extime?
Commentaire n°4 posté par Ambre le 27/07/2012 à 10h07
Je vais demander à Michel Tournier.
Réponse de PhA le 28/07/2012 à 10h52
Pas la peine, je vais prendre contact directement avec l'auteur, il m'a fait un clin d'oeil sur la photo (0_~)
Commentaire n°5 posté par Ambre le 28/07/2012 à 11h43

dimanche 8 juillet 2012

La visibilité est mauvaise aussi à l’intérieur.


Une fois, je me suis coupé, sévèrement, à la cuisse. J’étais fasciné par la profondeur de la plaie, j’écartais les chairs pour observer l’intérieur de mon corps. C’est blanc, puis ça saigne et on n’y voit plus rien. Le sang trouble la découverte. J’ai l’impression de ne connaître que l’épiderme des choses.
 
Eric Pessan, N, éditions Les Inaperçus, 2012, p. 41.
 
Je laisse Claro sur son Clavier cannibale et Guénaël Boutouillet sur Remue.net vous en dire beaucoup plus, à propos d’N et aussi de cette toute nouvelle maison d’édition : Les Inaperçus.
A voir aussi sur Membrane, chez Romain Verger, quelques photos de Mikaël Lafontan, l’auteur photographique d’N – car tel est le concept.
http://lesinapercus.fr/wp-content/uploads/2012/05/n-0041-350x248.jpg 
Pause estivale derrière les Hublots.


Commentaires

Bonnes vacances!
Commentaire n°1 posté par chris le 08/07/2012 à 17h46
Merci !
Réponse de PhA le 08/07/2012 à 18h21
Une jolie pose pendant la pause (sur la photo).
Comme Chris, je vous dis bonnes vacances, je ne trouve pas mieux.
Commentaire n°2 posté par Anonyme le 09/07/2012 à 08h14
Et moi pas mieux que merci !
Réponse de PhA le 09/07/2012 à 09h30
A chaque fois que vous vous retrouvez du côté de la majorité, il est temps de faire une pause et de réfléchir.
A chaque fois que vous vous retrouvez du côté de la majorité, il est temps de faire une pause et de réfléchir. "A chaque fois que vous vous retrouvez du côté de la majorité, il est temps de faire une pause et de réfléchir" Mark Twain
Je vous taquine et vous souhaite de bonnes vacances Philippe.
Commentaire n°3 posté par Ambre le 12/07/2012 à 21h29
Merci Ambre, un beau soleil à vous !
Réponse de PhA le 24/07/2012 à 16h49

vendredi 6 juillet 2012

Lacets


Il imprimait
à son volant
les gestes lents
d’un homme las
 
montait
le bras
pour un virage
 
tirait
à droite
dans un soupir
 
et marmonnait
entre ses dents :
« demain
je n’y reviendrai pas
CREVEZ BORDEL
(et puis tout bas)
sauf la Josée
qui n’a rien dit ».
 
Et il reniflait
dans son coude
frottant son nez
dans la pliure
tandis que la lune
basse et lourde
foutait le feu
à un tronc d’arbre.
 
 
Anna de Sandre, Un régal d’herbes mouillées, Les Carnets du Dessert de Lune, 2012, p. 47-48.
 
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh3v6kLeu1OBi-R9D-eDZE2tdWOEQYwClrjd94_bh17qvP-_f2qd7s9WwWdyNSjXJLkO0wkeVfGSejQxJOjbYF3KUBjKs69pcnNoZMKlUL1jMoVwsjUd8JjVzT2u4XBD_7jmlRs7aCw23XY/s1600/Cover+blog.jpg

Commentaires

Ah! J'aime bien ces lacets-là!
Commentaire n°1 posté par Anonyme le 06/07/2012 à 21h53
N'est-ce pas ?
Réponse de PhA le 07/07/2012 à 11h49
Vous ne saviez  plus comment "emmerder Loïs", n'est-ce pas ? Je suis très touchée, merci.
Commentaire n°2 posté par Anna de Sandre le 06/07/2012 à 22h37
Voilà : j'emmerde Loïs et je touche Anna.
Réponse de PhA le 07/07/2012 à 11h51
Très bon recueil en effet !
Commentaire n°3 posté par Dominique Boudou le 06/07/2012 à 22h48
Je trouve aussi. Et bel éditeur.
Réponse de PhA le 07/07/2012 à 11h52
Merci Dominique, tu es chou :)
Commentaire n°4 posté par Anna de Sandre le 07/07/2012 à 17h54

jeudi 5 juillet 2012

dévisser

On s’accroche à un mot comme à une bonne prise, qui le plus souvent n’a plus de valeur dès lors qu’il a servi.

mercredi 4 juillet 2012

Lamont


Ce jour-là, le jour où trois champs brûlèrent, je vis une bête assez grosse traverser le chemin devant moi – une bête au poil sombre, moins trapue qu’un sanglier, et le museau très anguleux. Parfois les oiseaux chantaient et faisaient bruisser les branches ; à d’autres moments l’on ne les entendait plus, ni rivière, ni vent ; mais mon pas – et mon cœur – et d’autres bruits sourds qui semblaient venir du haut des collines, majeure et mineure. Puis à deux ou trois cents mètres après le passage de l’animal, je vis bouger la terre pâle du chemin. En me penchant – la rivière, plus calme à cet endroit, scintillant à travers les arbres, la calme rivière brune – je vis qu’était couchée sur le bord du chemin une chose vivante, longue peu près comme la main, et se tordant dans la poussière, gémissant – gémissant à. la façon d’un enfant ; cette chose, faite d’ailleurs comme un enfant – ayant deux jambes minuscules, et deux bras, et deux poings faibles aux doigts délicats – et la tête petite, ronde, au minuscule visage plissé, à la bouche ronde d’où sortait un gémissement horrible. Son corps était couvert d’un duvet rendu beige par la poussière.
A genoux et la touchant d’une branche, je dus la blesser, car elle cria plus fort, et son corps eut un grand tremblement. Il me vint la tentation de la toucher encore, pour entendre son cri, et celle aussi de lui écraser le crâne sous mon soulier de marche.
 
Anne-Sylvie Salzman, Lamont, « Sur la Thay », éditions le Visage Vert, 2009, p. 35-36.
 
Lamont est un beau recueil de huit nouvelles qui explore sur le mode fantastique les thèmes de la faute, la monstruosité, la disparition. Je l’ai terminé il y a déjà quelques jours et le texte persiste dans la mémoire. Il y a notamment une nouvelle, l’Invention de Brunel, terrible dans son oubli de dire – mais je ne n’en dis pas plus.
http://www.levisagevert.com/images/salzman_lamont.jpg