vendredi 31 juillet 2009

le ciel est presque pur

Lundi - Ma voisine se mange le pouce en lisant, j’aperçois un peignoir suspendu. Est-ce la guerre ou autre chose tout est vide et plat, derrière ces façades il n’y a plus de ville. Seule la lampe qui invite à lire s’allume sur notre passage. Jeux de quilles, jeux de billes, la ville tombe à terre ; une lampe encore à Lariboisière et la fiction des affiches.
Mardi - Des blocs de quoi dans le canal, des ardoises qu’on écha­faude, du papier plastique aux fenêtres et un toit provincial enfin. Le tût d’un train, une odeur d’alcool dans le dos, les cadres se réunissent et les patients observent. Le ciel illimité, la fin.
Mercredi - Décidément, de Colonel Fabien à Jaurès on n’a pres­que le temps de rien voir. Le soleil dore la rotonde, la rue de Tanger sommeille, la Chapelle avance en désolation. Mon voisin lit France Soir/Stalingrad/crackland. Le ciel est presque pur. Le nouveau propriétaire de ma fenêtre aimée a fleuri son balcon, sa fenêtre, l’immeuble entier. Nous descendons.
Mercredi bis - le petit a trouvé hier une cuiller trouée au bout du balcon. Est-elle tombée du ciel ou quelqu’un à la forte poigne l’a-­t-il lancée là, au deuxième étage tout de même, et comment a-t-il fait ? Si mon livre parlait de la ville, en le secouant on y trouverait des portières grandes ouvertes, des autoradios faisant frémir les murs. Des feuilles rousses et des rails, d’accord, mais aussi la surdité des corps d’en face, la stupeur. Les trottoirs, les néons, le dos des immeubles luisants oui, mais encore la tête dans les épau­les, plus de pas perdus, ne pas flâner, juste sentir de quel côté va passer la police. Une vieille dame à la voix très douce appelle ici, elle s’est trompée de numéro et s’en excuse. C’est un conte de fées, un personnage de Beatrix Potter. Où est donc la réalité, de quel côté de la vitre ?
 
Anne Savelli, Fenêtres open space, Le Mot et le reste, 2007, p. 37-38.
 
Les vacances, c’est le moment idéal pour imaginer qu’on va au travail, comme tous les jours. C’est aussi le moment idéal pour lire, et quand le livre est dédicacé à votre nom – corvée rituelle que je réclame non sans malice aux auteurs que je rencontre comme on tend la pelle à gâteau à celui dont c’est l’anniversaire, à lui de faire le service –, c’est encore mieux. Anne Savelli, rencontrée lors d’une lecture organisée par ses soins pour clore sa résidence au 104, tient un blog du même nom que ce livre, dont il est le prolongement. 


Commentaires

Merci pour cette découverte.
Commentaire n°1 posté par Loïs le 02/08/2009 à 20h45
Un ciel pur à vous, Loïs.
Commentaire n°2 posté par PhA le 02/08/2009 à 23h24
De l'autre côté du miroir on aurait pensé à Lewis C.
Commentaire n°3 posté par pascale le 03/08/2009 à 09h18

dimanche 5 juillet 2009

Jean-Luc Coudray pense !

PENSEES TRUQUEES 
 
« Le carré est un rond qui a fait une tentative pour sortir de lui-même. »
 
« Les nombres sont d’une criante inégalité. »
 
« 10000 est plus célèbre que 12356. »
 
« Quand on me gifle sur la joue droite, je tends la joue gauche pour aggraver le cas de mon ennemi. »
 
« Tuer sa belle-mère est un acte irréversible. Heureusement, la laisser en vie est un acte réversible. »
 
« Les chiens sont intermédiaires entre les animaux et les hommes. Les animaux pissent sur quatre pattes, les hommes sur deux et eux sur trois. »
 
« L’homme est intermédiaire entre la vache et le singe. En effet, la vache a quatre pattes, le singe quatre mains et l’homme deux pattes et deux mains. »
 
« On dit que la taupe a mauvaise vue. Mais si on mettait un aigle dans une galerie de taupe, il n’y verrait guère mieux. »
 
REPONSES POSITIVANTES
 
« Qu’est-ce que l’enfer ?
Le paradis avec un soupçon d’inquiétude. »
 
« Pourquoi le sexe de la femme est-il moins apparent que celui de l’homme ?
Il a préféré la profondeur à l’apparence. »
 
DEFINITIONS MANQUANTES
 
« Caniche : Animal ayant les défauts du chien plus ceux du caniche. »
 
« Chien : Machine à engueulade à qui manque néanmoins la parole. »
 
TEXTES ANTI-LACUNES
 
« Les arêtes
Les poissons étant peu conséquents, ils ont des arêtes pour se défendre après leur mort. »
 
« Le perroquet
Le perroquet ne répète que les choses qu’il entend plusieurs fois. Autrement dit, le perroquet n’imite l’homme que lorsque l’homme imite le perroquet. »
 
« Logique de la baleine
Si la baleine respirait dans l’eau et non dans l’air, sa vie serait plus simple. Les poissons, qui ne sont pas aussi intelligents qu’elle, se tracassent beaucoup moins. Ce sont toujours les imbéciles qui se font le moins de souci. »
 
 
J’ai trouvé toutes ces belles choses dans les Pensées truquées de Jean-Luc Coudray, qui viennent tout juste de sortir aux éditions de l’Anabase.

jeudi 2 juillet 2009

nice meeting to you

Dragon
 
How are you do, nice meeting
to you, please and sat down.
How are your sister
and is her divorce
a husband, l’ll sorry to heard that,
is the weather so nice ?
 I have took an old dog
on a veterinarian where she were done
better now, thanks from asking.
I’m understanding your majesty is had
from only the couple minute,
thank you being available with comment,
and granted me this interview.
No, no sugar inside of me
the coffee neither,
thanks to you, though.
 
Alexander Dickow, Caramboles, III, "a tale", Argol, p. 69
Passez donc faire un tour à la page 68.
Dans le livre les deux textes, français et anglais, se font face, se réfléchissent dans leur imparfaite symétrie (impossible de reproduire ça ici). On va chercher dans l’un de quoi dissiper le trouble produit par l’autre, et l’on trouve – de quoi rendre la mise au point plus illusoire encore.
Un peu plus (en fait, beaucoup plus) sur le Matricule des Anges, Sitaudis, Remue.net, Libr-critique et, coïncidence, chez Pierre Jourde dont je viens juste de lire l’œuvre du propriétaire. Alexander Dickow tient aussi un blog : Voix off.



Commentaires

Très heureux de vous relire (si je puis dire).

À bientôt Philippe.
Commentaire n°1 posté par Chr.Borhen le 03/07/2009 à 16h18
Exercice de haute voltige linguistique qui requiert une connaissance très précise des deux langues. Bluffing !
Commentaire n°2 posté par pascale le 03/07/2009 à 16h21
Et de vous revoir (idem), Christophe.

Indeed, Pascale.
Commentaire n°3 posté par PhA le 03/07/2009 à 16h31
Bluff? Good poker players rarely bluff....
Merci à Philippe et à tous pour les commentaires généreux!
Alex.
Commentaire n°4 posté par Alexander Dickow le 07/07/2009 à 11h18
 

enchanté à faire la connaissance

Prince
 
Comment ça va, enchanté
à faire la connaissance, s’il te plaît
de vous êtes assise. Comment
vont votre sœur et est-ce
que son divorce le mari, je
me suis désolé l’avoir entendu,
quel beau temps fait-il ? J’ai emmené
une vieille chienne le vétérinaire
où elle allait mieux, merci pour
m’avoir demandé. Je sais
ta majesté n’a que quelques
minutes, merci d’être disponible
à toute déclaration et m’accordes-tu
l’entretien. Non, pas de sucre
du café en moi non plus,
merci grâce à toi.
 
Alexander Dickow, Caramboles, III "un conte", Argol, p. 68
N’oubliez pas de passer à la page 69.




Commentaires

J'aime bien. Ça s'entend.
Commentaire n°1 posté par Didier da le 03/07/2009 à 10h26
Oui, c'est d'ailleurs d'entendre le monsieur qui m'a donné envie de le lire !
Commentaire n°2 posté par PhA le 03/07/2009 à 10h47
 

mercredi 1 juillet 2009

Nobel des Collèges

Un beau matin d’hiver – une matinée de brume, quand la lumière du jour naissant se confond encore avec les halos des réverbères – un homme marchait le long d’un canal. C’était un homme non pas très âgé, mais usé par la vie, pour avoir dormi dehors et avoir bu trop de vin. Cet homme-là (mettons qu’il s’appelait Ali) n’avait pas de domicile, et pas vraiment de métier. Quand les gens le voyaient, ils disaient : « Tiens ! L’estrassier. » C’est comme cela que les gens du Sud appellent les chiffonniers qui vont de poubelle en poubelle et ramassent tout ce qui peut se revendre, les cartons, les vieux habits, les pots de verre, même les piles de radio qu’on recharge très bien en les laissant au soleil.
Pour ramasser tout cela, il avait une poussette-landau du temps jadis, avec une belle capote noire et des roues à rayons, dont une était légèrement voilée. Pour les objets volumineux, il avait une charrette à bras.
Ali se dirigeait vers le pont. C’est là qu’il habitait, et qu’il gardait tous les trésors qu’il avait ramassés durant la nuit.
Ce matin-là, Ali était fatigué. Il pensait à la bonne lampée de vin qu’il allait boire avant de se coucher sur son lit de cartons, sous sa couverture militaire qui l’abritait du froid comme une tente. Il pensait aussi au chat gris qui devait être endormi sous la couverture, en rond et ronronnant. Ali aimait bien son chat. Il l’avait appelé Cendrillon, à cause de sa couleur.
Quand Ali s’est approché de la tente, il a vu quelque chose d’inattendu : à la place du chat, il y avait un carton entrouvert, que quelqu’un avait déposé là. Tout de suite Ali a compris que ce carton n’était pas à lui. L’estrassier resta un moment à regarder, plein de méfiance. Qui avait mis ce carton là, sur son lit ? Peut-être qu’un autre gars de la chiffe avait décidé de s’installer ici, sous le pont ? Il avait laissé ce carton pour dire : « Maintenant sous le pont, c’est chez moi ».
Ali sentit la colère le prendre. Tout à coup il se souvint qu’il avait été soldat, autrefois, dans sa jeunesse, et qu’il était monté à l’assaut au milieu du bruit des balles. C’était il y avait bien longtemps, mais il se souvenait des battements de son coeur de ce temps-là, de la chaleur du sang dans ses joues.
Il s’approcha du carton, résolu à le jeter loin sur les quais, quand il entendit quelque chose. Quelque chose d’incroyable, d’impossible. Une voix qui appelait, dans le carton, une voix d’enfant, une voix de bébé nouveau-né. C’était tellement inattendu qu’Ali s’arrêta, et regarda autour de lui, pour voir d’où venait cette voix. Mais sous le pont tout était désert, il n’y avait que l’eau froide du canal, et la route qui passait au-dessus, où les autos avaient commencé à rouler.
Alors du carton sortit à nouveau la voix, claire, avec comme une note d’impatience. Elle appelait à petits cris répétés, et comme Ali tardait encore, les bras ballants, la voix se mit à pleurer. En même temps, Ali vit que le carton remuait, s’agitait sous les coups donnés à l’intérieur.
« Des chats ! » dit Ali à haute voix. Mais en même temps il savait bien que les petits chats qu’on a oubliés au bord d’un canal n’ont pas cette voix-là.
Il s’approcha encore, écarta les bords du carton avec ses mains noircies et gercées, et avec d’infinies précautions il en sortit un bébé, une petite fille pas plus grande qu’une poupée, si petite qu’Ali devait serrer ses mains pour qu’elle ne glisse pas, si légère qu’il avait l’impression de ne tenir qu’une poignée de feuilles.
« C’est elle, c’est l’enfant de sous le pont », pensa-t-il. (…)
De sa vie, Ali n’avait jamais rien vu de plus joli, ni rien de plus délicat et léger que cette petite fille, cette poupée vivante. Il la tenait dans ses bras, sans oser approcher d’elle son visage à la barbe hirsute. L’air froid qui s’engouffrait sous le pont envoya voltiger des papiers et bouscula le carton vide, et Ali tout à coup s’aperçut que le bébé était tout nu, et que sa peau était rougie par le froid, hérissée de milliers de petites boules à cause de la chair de poule.
 
Jean-Marie Gustave Le Clézio, L'enfant de sous le pont (2000) Édition Lire c’est partir.
 
Parce qu’hier les élèves de 3e passaient l’épreuve de français du brevet – et qu’aujourd’hui, il fallait bien le corriger !
(Mon scanner ne manque pas d’à-propos. J’ai tout de même corrigé pour rester fidèle à JMG, mais j’ai bien aimé sa proposition d’italiques : « Maintenant sous le pont, c’est chez moi ». Et on dit que les machines ne pensent pas.)
 
Et puis, comme l’année se termine, un dernier souvenir de mes 6: ça s’écoute, et ça se lit.




Commentaires

Un très beau texte effectivement mais les questions proposées aux élèves étaient minables, conçues par des esprits vraisemblablement totalement hermétiques à la chose littéraire. Une preuve supplémentaire de la façon ô combien rassurante dont l'Education Nationale s'approprie la littérature. Faire trouver à des élèves de 3e que "Quelque chose" est une locution pronominale indéfinie... Drôle de manière d'amener un élève à entrer dans un texte... à le comprendre, à en apprécier la richesse littéraire. Heureusement qu'il y a des enseignants comme toi, capables de susciter de belles émotions, sous la forme de poésie sonore ici. Merci pour ce beau moment d'écoute, ce son fragile.
Commentaire n°1 posté par Romain le 01/07/2009 à 21h25
Merci Romain. Bien sûr, il y aurait bien des choses à redire sur ce sujet et non seulement sur le plan littéraire ; il y avait aussi quelques belles incohérences dans les questions de grammaire ; sans parler du barême de la dictée et de la réécriture qui fait de tous nos élèves (en tout cas d'au moins 9 sur 10) d'authentiques spécialistes de l'orthographe : de quoi se plaint-on, franchement ? On pourrait aussi s'interroger sur la pertinence d'un barême au quart de point quand on nous demande au final de ne mettre que des notes rondes. On pourrait trouver par ailleurs que les formulaires en quatre exemplaires (20 minutes pour les remplir !) pour pouvoir toucher nos 15 euros sont un peu excessifs. On pourrait dire encore bien des choses en somme, mais il n'y a qu'à mettre tout cela sur le compte d'une chaleur légèrement excessive. Et puis, comme tu dis, au moins, le texte est beau.
Et heureusement qu'il y a les élèves !
(Hypnotique, ta dernière "membrane" !)
Commentaire n°2 posté par PhA le 01/07/2009 à 21h45
Le Clézio, ça donnera envie de lire d'autres textes de lui : ma fille en a déjà entamé un.

Le Brevet est un apprentissage pour d'autres examens ou concours. On est étonné que Darcos ne l'ait pas supprimé, pendant son passage à l'Education nationale. Un Chatel, instruit par l'expérience malheureuse de son prédécesseur, sera peut-être plus prudent...
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 02/07/2009 à 15h49
Tout à fait, c'est bien l'utilité, réelle, du brevet. Et quand le texte est beau, on est content.
Pour son éventuelle suppression, il faut croire que le brevet ne coûte pas trop cher à l'Etat (d'ailleurs je connais nombre de collègues qui ne se font pas payer la correction) (pas moi : je veux bien travailler pour des prunes, à condition de les manger).
Commentaire n°4 posté par PhA le 02/07/2009 à 17h48