samedi 25 septembre 2021

nous n’avons pas besoin de cette fiction récente

« Cette crise – la prise de conscience que la littérature n’existe pas, que les textes ne sauraient avoir de valeur en soi – peut déboucher sur des attitudes bien connues, comme celle de Rimbaud : on fait cesser la mascarade. On claque la porte, on part s’occuper de choses sérieuses. Il est alors amusant de voir les fidèles de la secte littéraire, pour justifier de rester quant à eux bloqués de l’autre côté de la sortie, déployer des trésors de rhétorique pâmée afin de faire de ce geste même un acte éminemment littéraire : toute une apologétique du renoncement essaime, le claquage de porte devient sacré. Les uns disent : Rimbaud au Panthéon ! Et les autres : Oh non ! Rimbaud est trop sacré pour le Panthéon ! Comme dans la Vie de Brian des Monty Python, toute tentative, par le pauvre écrivain, de nier l’existence de la littérature (comme il est raisonnable de le faire), apparaît aux disciples endoctrinés comme la preuve même de son génie littéraire.

Je dis « par le pauvre écrivain » : autant nous n’avons pas besoin de cette fiction récente, et sans doute ridicule, de la littérature, autant l’écriture est une activité tout ce qu’il y a de plus concrète et digne. Elle existe depuis longtemps et consiste à s’adresser, par le moyen de traces visibles dans le monde 1, à une subjectivité, afin de produire des effets dans le monde 2. En ce sens, montrer que le roi est nu, claquer la porte de la littérature, n’implique pas de renoncer à écrire : seulement d’arrêter de croire que des textes pourraient avoir une valeur indépendamment de leurs conditions de réception dans le monde 2. (...) »


Pierre Vinclair, Vie du poème, Lignes intérieures, 2021, pp 90-91.



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