samedi 28 mars 2020

un homme sans histoire


C’était un homme sans histoire. C’était sûrement un homme qui ne voulait pas avoir d’histoire puisqu’il a tout fait pour ne pas en avoir alors que l’Histoire même, celle de l’Algérie, s’est invitée dans sa vie. Sa vie c’est celle de Mohamed Bellahouel dont ce n’est pas le nom, dirait-il s’il savait, s’il savait que Marie Cosnay a entrepris d’écrire son histoire dont on ne sait rien sauf que ça quand même, ne rien savoir à ce point-là du grand-père de son propre fils, c’est forcément savoir quelque chose.

« J’ai été plongée dans le silence Bellahouel. (…) Ordinaire et, toujours cette fameuse ambivalence Bellahouel, extraordinaire. Rien ne se passait avec lui comme on lit que se passent les choses. Ni résistant ni nationaliste ni harki ni européen ni indigène ni musulman ni catholique. Ni de mère ni de père.

L’aîné de ses fils disait : mon père était protestant.
Quant à moi, je n’aurais réussi qu’à trouver des négations. »

Je coupe exprès quand Marie en dit un peu plus, c’est elle qu’il faut laisser dire ce qui peut être dit. If est un château, bien sûr, un château de roman de Dumas ; If est aussi l’hypothèse d’une biographie.



vendredi 27 mars 2020

Écrire et publier ou pas (29) (janvier 1996 à janvier 2006 – en attendant octobre 2015)


Si je n’avais pas noté ce qui suit dans mon vieux Carnet vert, j’aurais juré que tout ce que je vais recopier maintenant est beaucoup plus récent. Ce sont plusieurs notes, espacées dans le temps mais de moins en moins, et qui annoncent ce que peut-être j’ai fait de mieux (je préférerais dire : ce qui s’est fait de mieux par mon intermédiaire car c’est comme ça que je vis les choses).

Vendredi 12 janvier 1996
Pourquoi ne pas écrire une pièce de théâtre autour d’un personnage qui se croirait engagé comme précepteur dans une famille riche, mais que l’absence de l’enfant ou des enfants obligerait à assumer la fonction en principe temporaire de sous-intendant. Il pourrait y avoir, comme personnages, les parents, un fils presque adulte et apparemment amical, une fille qui lui ferait des avances qu’il repousserait ou feindrait de repousser par crainte – elle pourrait d’ailleurs être fiancée à un propriétaire du coin passionné pour la chasse –, un intendant, son chef, qui réclamerait le titre de gestionnaire, une servante en bas de l’échelle qu’il séduirait, d’autres domestiques, des invités à une partie de campagne ; le tout dans une atmosphère parfois assez proche du Château de Kafka.

Mardi 12 septembre 2006
Dans l’histoire du précepteur-intendant : ce qui compte pour lui, c’est la considération. Il aura, à un moment, le sentiment d’avoir été considéré, puis de ne plus l’être : d’être déconsidéré.

Mardi 9 janvier 2007
Dans un récit en point de vue interne (histoire du précepteur), celui-ci pourrait au préalable aller au cinéma, avant de se rendre là où l’attend son emploi. La fin du film serait muette. Un spectateur parlerait de remboursement mais on ne saurait pas s’il est sérieux ou non.
Plus tard, le précepteur doutera de l’existence des enfants.
Plus tard, il pourrait imaginer qu’ils sont morts, qu’ils ont été tués. On n’en saura jamais rien.

Mercredi 10 janvier 2007
Hier, puis à l’instant, jeté premières lignes d’un récit de ce genre. (De « Quand il sortit de la gare... » à « … Liev a pris un billet. »

Voilà, avec la dernière note même le nom du héros y est. Mais tout y était déjà presque, en tout cas la distribution des personnages, dès janvier 96 (alors que j’écrivais le début d’Une affaire de regard), pour un roman sur lequel je travaillerai jusqu’en 2015. Tout y est sauf l’essentiel, car l’essentiel n’est arrivé qu’au moment même où je l’écrivais vraiment, en direct. Mais c’est trop tôt pour en parler.
Le chapitre introductif avec le cinéma n’est plus dans le roman, il n’y servait à rien. Mais ça a été un bon lanceur. On peut encore le lire ici même, en un, deux, trois, quatre, cinq épisodes.
Et il n’est pas bien difficile a posteriori d’appliquer à l’auteur le commentaire du 12 septembre 2006, juste après la déception de la publication de Par temps clair.



haricot croissance - YouTube

jeudi 26 mars 2020

Une origine du déni ?


Je ne m’étonnais guère de l’attitude du Président Américain face au COVID-19, et voici que je tombe sur ceci. Je vous laisse lire :

« Frederick Trump, né Friedrich Trumpf le 14 mars 1869 à Kallstadt (royaume de Bavière) et mort le 27 mai 1918 à New York, est un homme d'affaires américain d'origine allemande. Il fait fortune dans les villes champignons de la ruée vers l'or de l'Alaska, en gérant et en faisant construire restaurants et petits hôtels.
Il est le père de Fred Trump et de John George Trump et le grand-père de Donald Trump, 45e président des États-Unis.
Il meurt brutalement de la grippe espagnole en 1918 à l’âge de 49 ans. »


Frederick Friedrich Trump 2.jpg

mercredi 25 mars 2020

Billard à trois bandes (ou l'importance de la balistique dans la parole politique)

J'ai toujours eu tendance à considérer les ministres de l'Education Nationale comme des meubles (un peu encombrants certes pour ceux dont l'enseignement est le métier). Il arrive toutefois de temps en temps de réjouissants rebonds.

L’image contient peut-être : texte

Nouvelles très brèves (31)

Comme c'était devenu la mode pour les écrivains de tenir un journal de confinement, Philippe Annocque fit une petite poussée de fièvre à 38°1, par souci de crédibilité. Le lendemain, la fièvre était retombée : ça n'était pas une bonne idée.


dimanche 22 mars 2020

à propos


Je vous remercie de ne m’avoir pas demandé ce que j’en pense, ça m’aurait obligé à me demander ce que j’en pense.




samedi 21 mars 2020

Écrire et publier ou pas (28) (2006)


Rapidement, la fin de l’aventure Melville. La publication de Chroniques imaginaires de la mort vive, juste un an avant, ça reste un bon souvenir. Celle de Par temps clair, non. Déjà, la correction des épreuves est très pénible. Ça n’est jamais une partie de plaisir mais jusque-là (et par la suite non plus) ça ne m’avait jamais fait cet effet-là. Le texte fait l’objet d’un dégraissage systématique dont je ne vois pas bien le sens. Dégraisser, c’est souvent utile ; mais Par temps clair, je le vois comme une sorte de cancer de la pensée – je renvoie ses rares lecteurs à l’explicit (les deux mots de la fin), particulièrement explicite à cet égard. Alors pourquoi dégraisser à ce point ? Le vocabulaire de la biologie, délibérément amplifié, y est aussi bien réduit. Cela dit le texte n’est pas non plus dénaturé et il faudrait que je relise les deux versions pour vérifier laquelle est la meilleure, je n’en sais rien. Ce que je sens, c’est que la communication avec Séverine Weiss, très bonne l’année précédente, est devenue difficile. Le livre paraît en mai, ce qui n’est pas la meilleure période. Pas de réunion avec les représentants comme pour Chroniques. Aucune réaction, ni de la presse, ni des libraires. C’est comme si le livre n’avait pas été publié – sauf qu’il l’est, donc c’est pire : il aurait mieux valu qu’il ne le soit pas. A l’automne, un petit mot très bref de Séverine m’annonce son départ de Melville. Je devine que ça a dû être très compliqué pour elle, je regrette un peu qu’elle ne m’en ait pas dit un peu plus, ça aurait dissipé mon brouillard ; je ne lui en tiens pas rigueur non plus, tout ça n’a rien d’évident, surtout quand l’éditeur est salarié et qu’il a des comptes à rendre, sans parler de tout ce que je ne sais pas puisque je ne le sais pas – en l’occurrence à l’époque déjà le grand patron ne m’inspire aucune confiance. Par temps clair reste donc un livre publié mais sans existence. Sans la lecture d’un autre patron (Claude Cherki), il serait paru au Seuil, en 2002 ou 2003. Mais alors je n’aurais pas écrit Chroniques, j’en suis sûr, qui a été écrit notamment pour arracher l’étiquette. Et j’aurais sans doute été plus contraint dans mon écriture, par la suite, pour rester au Seuil. Plus contraint encore. On est toujours contraint, mais au moins on a le choix des contraintes.
Chez Léo Scheer par la suite, quand par acquit de conscience je proposerai Liquide, c’est comme si on ne savait pas qui j’étais.
A la date du 21 octobre, je lis dans mon vieux carnet vert (à la suite de l’annonce du départ de Séverine) : « Réaction habituelle : écrire plus. » Et le 10 décembre je finis le premier jet d’un livre que vous lirez peut-être un jour – celui qui depuis un certain temps déjà ne s’appelle plus Premier roman.


Résultat de recherche d'images pour "ciel couvert"

vendredi 20 mars 2020

Écrire et publier ou pas (27) (deuxième semestre 2005)


Sans mon vieux Carnet vert je n’aurais pas grand-chose à dire de cette période – et même avec, d’ailleurs. Je lis beaucoup. En septembre je fais lire Par temps clair et Mémoires des failles à Séverine Weiss, pour Melville ; son avis est positif. « Elle souhaite, dans un premier temps, publier Par temps clair. » (Oui, je recopie le Carnet.) Je continue à écrire Seul à voir, qui prend de l’épaisseur. Je note plusieurs plusieurs idées de romans dont je ne conserve aucun souvenir (j’ai même un peu de mal à comprendre a posteriori en quoi elles consistaient vraiment, pour certaines). Léo Scheer me propose un contrat avec des droits d’auteur inférieurs à ceux de Chroniques, Séverine me dit de ne pas signer. Elle m’obtient les droits initiaux. La parution de Par temps clair est prévue pour mai 2006. A la suite d’une présentation de mon travail que je fais à la médiathèque de Rambouillet, je fais la connaissance de Monique Rivet qui me donne à lire son Cahier d’Alberto. « Comment un tel texte peut-il ne pas avoir trouvé d’éditeur ? », noté-je à la date du 26 décembre. Il en a un désormais, c’est Quidam ; lisez-le, vous ne serez pas déçu. (Mais n’allez pas imaginer pour autant que j’aie quelque influence sur les choix dudit Quidam, ce n’est pas le cas et c’est très bien.)



mardi 17 mars 2020

Sonotobio


Obéissant à l’injonction présidentielle, « lisez ! (je le veux) », je me suis lancé illico dans la lecture de Monotobio, le Chevillard nouveau, avec le soutien du coronavirus qui n’existe que pour ça, sachez-le : nous replonger dans nos livres, vous aussi mes chers élèves si vous passez par-là ne faites pas ceux qui ne sont pas concernés – le président l’a dit, obéissez à votre professeur.
On voit comme tout est clair, comme tout est limpide, quand fallacieusement l’on remet des liens de cause à effet entre nos actions en racontant sa vie. Alors qu’en réalité, je l’avoue, les choses ne se sont pas passées comme cela mais plutôt comme ceci : comme j’avais cassé le bracelet de ma montre en raccrochant le téléphone, je suis passé à la librairie acheter Monotobio dont j’ai sur-le-champ entamé la lecture ; c’est pourquoi Emmanuel Macron a jugé bon de déclarer le confinement national et que je n’ai pas retrouvé le sèche-cheveux, puisqu’il était rangé à sa place à côté du sac à charbon.
Oui, c’est bien plutôt ainsi, telles que racontées dans le paragraphe juste ci-dessus que les choses se sont passées ; je n’ai que ma bonne foi pour vous en assurer mais c’est ainsi.
Car dans Monotobio c’est bien son autobio que nous fait Chevillard, du moins les dix dernières années ou un peu plus mais à peine. Or comme il faut tout de même moins de temps à la lire (et l’on soupçonne l’auteur lui-même d’avoir passé une partie de ces mêmes dix années à faire autre chose que l’écrire), il n’a pu y mettre qu’un événement par jour environ, et pourquoi choisir celui-ci plutôt que celui-là ? L’autobiographie est un genre arbitraire qui pose plus qu’un autre la question du sujet : privilégier un événement sur un autre est suspect. Un auteur honnête ne peut en avoir qu’une conscience aiguë, c’est pourquoi celui de Monotobio enfile ses actions comme un collier fantaisie, rajoutant parfois facétieusement ici et là un lien logique qui aurait pu nous échapper. En résulte une autobiographie à la fois intime et vraiment expérimentale, une réflexion sur le choix essentiel qu’on fait de dire ou de taire, et une belle acceptation, souvent émouvante, de l’absurdité de notre destin, auquel on ne saurait toutefois faire la grimace quand il nous adresse deux sourires de fillettes.



lundi 16 mars 2020

Écrire et publier ou pas (27) (printemps 2005 et 2020 en même temps)


Tout va bien, tout va toujours bien à la sortie d’un nouveau livre. Tout va bien, sauf que je vis désormais dans un décalage, un décalage entre écrire et publier, autre sorte de grand écart encore moins volontaire, qui ne se résorbera jamais – si j’en crois l’auteur 2020. Au printemps 2005, quand paraît Chroniques, j’ai déjà terminé bien sûr Par temps clair (qui paraîtra en 2006), mais aussi Liquide (qui paraîtra en 2009), Monsieur Le Comte au pied de la lettre (en 2010) et Mémoires des failles (en 2015). Écrire a-t-il encore un sens quand il y a déjà tant de manuscrits en attente ? Cet embouteillage est un véritable empêchement. C’est toujours vrai au moment où, toujours sous la pression de l’expression, j’écris ces lignes, dont le but très conscient est d’occuper mon écriture à quelque chose qui, ouf, n’a pas vocation à être publié ; pardon si le style et l’intérêt s’en ressentent. (Et voilà qu’un virus me surprend en plein effort de non-écriture et me confine, seul ou presque avec mon clavier. Je vais faire une petite pause lecture avant de reprendre, pour la peine.)



dimanche 15 mars 2020

Écrire et publier ou pas (26) (printemps 2005)


Chroniques imaginaires de la mort vive paraît donc en avril 2005 chez Melville. C’est mon deuxième livre publié et désormais l’arc est tendu autant qu’il pouvait l’être. On est tellement loin d’Une affaire de regard qu’il faut une véritable attention – même de ma part – pour sentir ce que ces textes ont en commun dans leur dit malgré leurs si différentes manières de le dire. Avec Par temps clair l’écart aurait été moins grand. Séverine Weiss, qui est et restera ma seule interlocutrice chez Melville (je n’aurai jamais de preuve tangible de l’existence réelle de Léo Scheer mais je veux bien faire confiance à ceux qui, comme elle, l’ont rencontré), parle d’un même objet autour duquel je trace une orbite excentrique. Ça me paraît (ça me paraît toujours) profondément juste. L’accueil critique est limité mais tout de même, le livre me vaut une double-page d’interview par Lise Beninca dans le Matricule des Anges. Il y a déjà quelque temps que je suis abonné à ce journal, j’ai l’impression d’être reconnu par des pairs – c’est nouveau pour moi, et c’est agréable, surtout au moment où je le reçois, comme tous les mois (ou tous les deux mois à l’époque ? je ne sais plus), dans ma boîte aux lettres.
Si je regarde dans le Carnet vert, il n’y a pas grand-chose de noté, pour cette période. Surtout des lectures : Mingarelli, Calvino, Sabato, Ibsen, Queneau, Hesse, Chevillard, Nabokov, Woolf, Mishima, Lucot, Malaparte, Danielle Auby (mon professeur de lycée, voir l’épisode 3 du présent feuilleton), Amado. Je suis complètement guéri de ma dépression spécialisée. Ça va plutôt bien, quoi. Il n’y a rien de noté concernant ce que j’écris, sauf un projet de quatrième de couverture pour… Liquide ! (que je ne retiendrai pas). Écris-je ? Oui, sûrement. Je dois poursuivre ce livre d’abord intitulé Premier roman et dont je garde encore secret le titre définitif, et Seul à voir, aussi.



mardi 10 mars 2020

Écrire et publier ou pas (25) (automne hiver 2004-2005)


Au téléphone, un collaborateur de Sabine Wespieser me dit avoir beaucoup aimé Par temps clair, plus encore que Chroniques imaginaires de la mort vive. Mais quelques jours plus tard, celle-ci m’annonce qu’elle renonce. Elle peine à cerner l’auteur. Elle a peur que je sois une sorte de « surdoué », et que mes livres soient des « exercices de style », « à la manière de » sans qu’on puisse dire de qui, reconnaît-elle. C’est vrai que ce besoin de changer, ça peut faire donner cette impression. Mais « surdoué », franchement, avec toutes ces années passées à écrire, encore heureux que j’en ai tiré quelque chose. Et l’écriture de Croissance m’a appris que précisément, ce n’est pas dans la virtuosité stylistique que je veux réaliser ce qui me pousse. Cela dit, en tant qu’éditrice, elle a parfaitement raison : mon travail n’est pas dans la ligne de sa maison, il ne fait que croiser cette ligne. Mon orbite décidément me pose bien des problèmes.
Le 13 janvier, je suis contacté par les éditions Melville. On me dit que Léo Scheer est d’accord pour publier Chroniques. J’ai lu dans la presse littéraire qu’il y avait eu une brouille entre Alain Veinstein (à l’attention duquel j’avais déposé mon manuscrit et que du coup je n’ai jamais rencontré, Melville a continué – un peu – sans lui) et Léo Scheer (qui ne s’est pas brouillé avec Léo Scheer?). N’empêche, c’est un sacré soulagement. Le 18 je remets le fichier, sur disquette (je n’ai pas encore Internet !) Je garde la fin que j’ai réécrite après les remarques de Sabine Wespieser ; elle est meilleure que la première, indiscutablement. Le 23 janvier, le contrat est signé.



La Revue Catastrophes me fait le plaisir et l’honneur de publier un texte dont le premier épisode est en ligne, cliquez donc, et dont la teneur n’est pas sans rapport avec l’épisode 6 du présent feuilleton.

dimanche 8 mars 2020

Écrire et publier ou pas (24) (été / automne 2004)


Les refus de Corti et de Verdier m’ont redonné du courage. Je trouverai un éditeur pour Chroniques imaginaires de la mort vive, j’en suis sûr. Je décide de joindre ces refus à mes prochains envois. C’est une drôle d’idée, ça peut avoir l’effet contraire à celui désiré, mais pas forcément. Un éditeur peut aimer un texte et se trouver mal placé pour le publier, son avis peut intéresser quelqu’un d’autre. Et que faire de ces refus ? Si Bobillier s’est donné le mal de m’écrire cette lettre (citée dans l’épisode précédent), ce n’est pas juste pour me prouver qu’il a lu mon texte, c’est pour que j’en fasse quelque chose. Je crois de plus en plus en la solidarité chez les gens qui aiment vraiment la littérature.
Pendant l’été, un nouveau projet prend forme dans mon esprit. A partir de textes jusque-là éparpillés de manière incohérente (ou rassemblés de manière trop peu cohérentes dans Affleurements), je conçois une première version de mes Mémoires des failles. Le titre apparaît pour la première fois. C’est à mes yeux un de mes textes les plus importants, mais je me rends bien compte que ce ne sera pas le plus facile à publier (de fait il ne le sera qu’une bonne dizaine d’années plus tard grâce aux éditions de l’Attente, qui ne savent pas à quel point elles sont bien nommées concernant ce livre).
Dès septembre, je reçois un coup de téléphone de Sabine Wespieser. Elle n’en est pas encore à décider la publication de Chroniques imaginaires de la mort vive, mais elle souhaite me rencontrer pour en parler. Je me rends compte que décider de me publier n’est vraiment pas une décision facile. Car c’est l’auteur entier qui l’intéresse – ou pas. C’est le cas pour la plupart des éditeurs. A propos de Chroniques, elle trouve que la fin manque trop de clarté. A la relecture, elle a raison, indiscutablement. Il y a beaucoup de non-dit dans ce récit, c’est là-dessus qu’il fonctionne, mais je me rends compte que j’en ai abusé à la fin. Je réécris la fin. Un mois a passé. Elle trouve la nouvelle fin meilleure, mais réserve encore sa réponse ; elle attend un texte « plus costaud » (plus long, peut-être ? Chroniques est un livre court). Je lui envoie Par temps clair mais l’espoir est passé. Au même moment, Frédéric Joly prend contact avec moi, pour les éditions Climats. Il lui faut encore convaincre le directeur de la maison (je ne sais pas à ce moment-là qu’elle ne va pas tarder à être absorbée par Flammarion, si je me souviens bien). Le manuscrit est encore en attente chez Melville, une maison qu’Alain Veinstein a fondée avec Léo Scheer. Elle est récente, c’est peut-être une bonne idée.




jeudi 5 mars 2020

Écrire et publier ou pas (23) (printemps 2004)


Je commence peut-être à savoir à qui envoyer mes textes. Le problème, c’est que les éditeurs veulent l’auteur, et le bougre est difficile à cerner. Colette Lambrichs avait aimé Chroniques et demandé à voir un autre texte, Liquide ne l’a pas convaincue (j’avais oublié ça) ; après lecture de Par temps clair et Une affaire de regard, elle finit par renoncer. Bertrand Fillaudeau, des éditions José Corti, m’écrit à la main un refus très encourageant, qui me réchauffe le cœur. Je crois que c’est lui qui me parle, lorsque je passe récupérer le manuscrit (c’est cher, ces trucs) et qu’on discute un peu, de la réticence des éditeurs indépendants à publier un auteur qui a déjà été publié chez un gros ; ils préfèrent faire leurs propres découvertes. Je comprends ça très bien. Ma publication au Seuil est devenue plutôt un obstacle, je ne fais plus envie. Ce n’est pas moi qui devrais faire envie, ce devrait être mes textes ; mais on vend les auteurs avec les textes. C’est un peu la faute du public aussi, les gens aiment (ou n’aiment pas) la personne de l’auteur. Alors que quand il s’agit juste de lire, on devrait s’en foutre. Bref, ça me rend difficile à publier, indépendamment même de ce que j’écris. Gérard Bobillier, pour Verdier, m’envoie le refus le plus étonnant de toute ma collection ; j’en suis presque aussi fier que s’il l’avait pris ; lisez plutôt :

« Paris, mercredi 14 avril 2004

Cher Monsieur,

Nous avons lu avec intérêt Chroniques imaginaires de la mort vive, le chant de cet homme de retour en son village d’enfance, Moustier, que sépare de Vauvert un bois. C’est un lieu minuscule que l’imaginaire de l’enfant rendait infini : les hommes visibles, la Bête invisible et la princesse inaccessible. Le lieu que retrouve l’adulte est tout aussi insaisissable : les morts se succèdent et face à ces morts, le silence de la meute des hommes. Ils ont perdu le pouvoir de dire. Les mots, vidés de leur substance, se murmurent comme des litanies. Le narrateur lui-même ignore ce qui le rend désormais étranger à ces gens et à lui-même, sans nom propre. Il s’interroge sur ce qui meut la langue : « La mort de Marie avait fait taire Vauvert, celle de François lui avait rendu la parole. » L’ennemi commun surgit sous le nom du Malin dans la bouche des femmes ou du loup, selon la nécessité du langage commun.
Derrière le silence, il y a les soldats inconnus sans sépulture et derrière encore, la mort de Dieu, dont la lumière chue nappe indifféremment les objets. La mort du maître, du roi, livre les hommes à la « volonté lubrique et rigolarde de leur membre », en toute impunité.
Et derrière la princesse inaccessible, il y a l’étreinte du corps de Mina aux mains sales, la desservante d’Hécate. Cette étreinte n’abolit pas la différence sociale qui, fixée dans son inaccessible origine, est éternelle. La goutte visqueuse luit du mystère éternel de « l’origine de la vie dans l’ombre », la semence de trop, que l’on essuie. La mort de Mina replace l’homme à la tête de la meute des chiens, à charge de nommer.

Le récit, maintenu par l’imparfait et le plus que parfait dans un temps quasiment immobile, se situe aux limites de l’indicible.
Ses qualités font qu’il devrait sans peine trouver son éditeur.

Bien à vous.

Bobillier »



mercredi 4 mars 2020

Écrire et publier ou pas (22) (automne-hiver 2003-2004)


Je me calme un peu. Pendant cette période, je n’écris pratiquement que Premier roman, commencé le 27 septembre (c’est souvent en septembre que je commence un nouveau livre, l’Education Nationale y est peut-être pour quelque chose) qui change de titre deux fois avant de prendre fin mars 2003 celui qu’il a toujours et que je préfère garder pour moi pour le moment, désolé. Bon, ce n’est pas tout à fait vrai : j’écris toujours Seul à voir (peut-être que j’écrirai toujours Seul à voir). Et en octobre j’écris Face à rien, aussi, mais c’est court. C’est plutôt dans la veine de Non sec et de Monsieur Le Comte ; je pense à les réunir.
Je poursuis aussi mes errements éditoriaux. Par acquit de conscience, je propose Liquide au Seuil ; Bertrand Visage ne me cache pas qu’il est réservé sur ce texte. Pour moi, cela signifie clairement que la rupture avec le Seuil est consommée. Sans doute n’avais-je pas ma place dans le Cadre Rouge – le fait est qu’en tant que lecteur je lis bien plus souvent la collection Fiction et Cie. Malgré son avis, je reste convaincu que Liquide est ce que j’ai fait de mieux ; c’est au-dessus d’Une affaire de regard et de Par temps clair, qu’il a aimés. Avec le recul, je le pense toujours. Je n’ai eu que de très beaux retours sur ce texte lors de sa publication, et nombreux, mais même sans ça, je le sais. Je commence à me rendre compte un peu de ce que ça vaut – je commence à ne plus voir mes textes comme MES textes (sans doute aussi pour mieux encaisser les refus). J’envoie Liquide chez Minuit, qui me répond par l’habituelle lettre-type ; y a-t-il quelqu’un là-bas pour ouvrir les manuscrits envoyés sans recommandation par la Poste ? Aujourd’hui peut-être (ça a dû être ma dernière tentative), à l’époque j’en doute. Un manuscrit de Chroniques imaginaires de la mort vive a été égaré chez Verdier, Gérard Bobillier me propose de le lui renvoyer. Je l’envoie aussi chez José Corti. En avril, Colette Lambrichs, pour les éditions de la Différence, me dit avoir aimé Chroniques ; elle aimerait que je lui envoie un autre manuscrit.



mardi 3 mars 2020

Écrire et publier ou pas (21) (fin 2002)


Je ne sais plus quand j’ai proposé Chroniques imaginaires de la mort vive au Seuil mais ça devait être avant la fin de l’année 2002. Ce dont je me souviens, c’est de l’air catastrophé de Bertrand Visage. Eh bien quoi, c’est si mauvais ? Je ne dois pas l’avoir demandé dans ces termes, mais au fond c’était ça. Et sa réponse, je ne me la rappelle plus textuellement mais quand même. Non, pas du tout (il y avait même des compliments, je ne sais plus lesquels), mais on ne me reconnaissait pas. « Vous allez perdre vos lecteurs. » De ça, je suis à peu près sûr. De fait, j’ai perdu mes lecteurs ; le texte a été refusé dès le premier comité de lecture, cette fois. Chroniques, c’est quand même le seul de mes livres qui m’ait valu une double page dans le Matricule des Anges, auquel je m’étais abonné depuis quelque temps (merci Rémy si tu passes par là de me l’avoir fait découvrir) après l’avoir d’abord acheté chez Carrefour (sic). A la décharge du Seuil et de Bertrand Visage, c’était mon premier grand écart, et il était assez spectaculaire (Lise Beninca le souligne aussi dans le Matricule). Et surtout : je ne savais pas encore moi-même à quel point c’était moi, ce grand écart. Je n’avais pas fini de me découvrir. C’était difficile de dire ce qui reliait en profondeur un roman réaliste et drolatique comme Une affaire de regard avec un cauchemar atemporel comme Chroniques. L’éditeur a besoin de dire la cohérence, il faut qu’il la voie. Je n’avais pas su la montrer.



lundi 2 mars 2020

Écrire et publier ou pas (20) (avril à septembre 2003)


C’est quand même pratique, ce vieux Carnet vert. Si vous avez peur d’oublier comment ça s’est passé pour vous, je vous conseille de le noter dans un vieux carnet vert.
Le 11 avril 2003, je note le début d’un roman intitulé les Attardés, que j’envisage d’écrire sous pseudo. Je m’y inspire de mes débuts dans l’Education nationale, dans des zones très sensibles. Ça racole un peu, ça m’amuse sur le moment ; j’ai dû en écrire une dizaine de pages et puis ça ne m’a plus amusé. Ça pouvait marcher mais ça n’avait pas de sens pour moi. Je note aussi l’idée d’un roman éventuellement intitulé Premier roman « alternant des passages de mon premier projet » (il s’agit du roman de 1975 que j’évoque dans les épisodes 1 et 2 du présent feuilleton) « (…) et des souvenirs de mon année de 6e, dernière année de l’enfance. » Celui-là est écrit, avec un autre titre ; il attend son heure. Il est patient.
Pendant ce temps, je collectionne les refus. Je fais des bêtises : j’envoie même Affleurements, un recueil qui ne tient pas vraiment ensemble, d’ailleurs c’est ce qu’on me répond à juste titre, et Non sec, qui n’est pas abouti – le refus du Dilettante est quand même plutôt sympa.
Il faut dire que je n’y réfléchis pas beaucoup. Publier n’est pas si important. Le plus clair de mon temps, je le passe à écrire de front Liquide, Monsieur le Comte au pied de la lettre et Seul à voir. Ça paraît déraisonnable mais avec le recul j’y vois un véritable équilibre. Ces trois textes représentent vraiment des facettes complémentaires de ce qui me parle en littérature : l’introspection hyperréaliste, le premier rôle dévolu au langage, l’attention à l’imaginaire le moins contrôlé possible ; ce genre de choses, c’est mal dit mais ici je ne prends pas le temps de bien dire. Liquide, sous sa première forme (qui n’est pas tellement éloignée de celle publiée chez Quidam), est fini à la mi-juin ; Monsieur Le Comte au pied de la lettre (la majuscule du « Le » apparaît enfin), à la mi-septembre.


Résultat de recherche d'images pour "arrosage"

dimanche 1 mars 2020

Brassica


On méconnaît trop l’importance du genre Brassica. On lui doit les divers choux, je vous les laisse retrouver tout seul : ce sont tous en l’espèce des Brassica oleracea (donc une seule et même espèce) – à l’exception du chou de Chine, lequel est toutefois un Brassica rapa, à l’instar du navet de la même espèce qu’il ne faut pas confondre avec le rutabaga voisin, qui n’est autre qu’un Brassica napus tout comme le colza, voilà pour l’huile, il ne manque plus qu’un peu de Brassica nigra, vous aurez reconnu la moutarde, pour terminer l’assaisonnement.