lundi 27 février 2023

Mon fils est épatant.

Mon fils est épatant. Il trouve des astuces pour tout. Il y avait un nid d’insectes qui infestaient la haie. Il a placé à l’intérieur de la haie un dispositif de son invention. Nous le voyions faire à distance. Je n’ai d’ailleurs pas tout de suite compris ce qu’il faisait. Ce que j’ai d’abord vu, c’est un cylindre de lumière diminuée, parfaitement vertical et rectiligne, d’un diamètre d’une quinzaine de centimètres tout au plus, qui s’élevait depuis la haie jusque vers le ciel. Ce n’est qu’en m’approchant que j’ai pu constater que c’était un nuage de minuscules insectes chassés de la haie et empêchés par quelque force mystérieuse de sortir de cet immatériel cylindre.

dimanche 26 février 2023

Je ne vais pas bien du tout.

Je ne vais pas bien du tout.

À la fenêtre, le drap blanc de nuages qui s’avance sur le ciel bleu de février ferait pourtant plaisir à l’œil.

Je ne vais pas bien du tout. D’ailleurs je ne vais pas du tout, tout court : je suis assis.

L’homme, pour aller, marche. C’est sa manière de fonctionner. Un homme qui marche, c’est un homme qui fonctionne. Un homme qui va, c’est un homme qui marche.

C’est pour ça que l’homme s’est fait ami avec le chien. Le chien aussi, marche. Tous les deux, ils ont de l’endurance. Regarde les jambes de l’homme. C’est le seul primate à avoir des jambes pareilles. Des jambes pour marcher. Car marcher, pour l’homme, c’est fonctionner.

Je ne vais pas bien du tout. D’ailleurs c’est lui qui me l’a dit. Il ne me l’a pas dit comme ça, mais enfin, il m’a dit : « Je me demande si tu vas bien. » Ça veut dire que je ne vais pas bien. À ses yeux, je ne vais pas bien. Pourtant je peux marcher, je peux encore marcher, je peux encore marcher beaucoup plus que la plupart des hommes, au moins des hommes de mon âge, mais peut-être même des hommes tout court. Je peux très bien marcher, si je veux. Même si là je suis assis.

De toute façon je n’ai pas de chien. Je ne me suis pas fait ami avec le chien.

On peut très bien marcher sans chien. On peut très bien marcher sans rien. On peut marcher. Ça ne demande rien, de marcher. On n’a même pas besoin d’aller, pour marcher. Aller suppose d’aller quelque part, ou bien d’aller comment, bien ou mal.

Ça va ? Hein ? Comment ça va ?

Alors que marcher, au moins, ne nécessite aucun but. J’ai même l’impression qu’on marche mieux sans but. On a une meilleure qualité de marche. On se sent fonctionner, quand on marche sans but. L’homme fonctionne mieux pour rien.

Sans but. Le but, c’est une fin. Une fin, c’est une mort. Quand tu fais quelque chose avec un but, c’est pour ta mort. Tu le fais, et quand tu as fini, tu es satisfait. Quand tu as fini, quand tu touches à la fin, tu es satisfait. Tu es satisfait de toucher à la mort.

Le but, c’est un bout. La vie a deux bouts. Mais un seul sens. La vie à sens unique. La vie a sens unique. C’est pour ça qu’on va, au lieu de juste marcher sans aller. On va vers le but qui est le bout avec un grand trou rond en forme de o dans lequel on tombe au bout. C’est pour ça qu’on demande comment tu vas mais pas où. Où on le sait bien. On le sait bien où tu vas. Tu vas mourir. Ça ne sert à rien de demander ça. Par contre, tu peux y aller bien ou mal, à ta mort. Il y a deux possibilités, deux manières d’aller mourir. Bien ou mal.

Je ne vais pas bien mourir. Voilà. Je ne vais pas bien, ça veut dire : je ne vais pas bien mourir. Je ne vais pas du tout bien mourir. Je vais mourir, mais pas du tout bien. Qu’on ne compte pas sur moi pour aller bien mourir. Je vais prendre mon temps. Je vais prendre des rallongements. Je vais marcher longtemps. Ceux qui me connaissent savent que je peux marcher longtemps, très longtemps. Je vais marcher. Je vais marcher longtemps. Je fonctionne.

Je fonctionne bien.



vendredi 24 février 2023

jeudi 23 février 2023

court toujours (104)

Les idées blanches ne sont pas visibles pas sur le blanc de la page, c’est pour ça que tu n’en as jamais entendu parler.




mercredi 22 février 2023

lundi 20 février 2023

Claro abat son jeu

Voici que je tombe sur le passage suivant, extrait d’Abattre son jeu, de Claro, paru tout récemment chez l’Arbre vengeur :


« […] Ainsi, le personnage. L’avoir créé confère à l’auteur (son papa ou sa maman, en quelque sorte), une espèce de responsabilité, un devoir (ou un droit) parental que tout bon journaliste cherchera à sonder. Du genre : Mais vous lui en faites faire des choses ! Vous l’avez rendu bien laid, dites donc ! Il y a un peu de vous dans cet hermaphrodite paraplégique qui mange des topinambours en fredonnant du Wagner à l’envers, non ? Bref, tout le monde s’amuse bien. Parce que tout le monde l’a compris : le personnage est l’émissaire du romancier. Sa bonniche, son ambassadeur, son repré chéri, son… son… son porteur de parole ?

Chaque année, ils sont des dizaines à succomber à ce virus. Et personne n’ose leur dire que ces marottes d’encre et de papier n’existent que dans leur imagination. La médecine semble avoir abdiqué […] »


Je souffre de la même urticaire (que Claro – c’est d’ailleurs sûrement pour me sentir moins seul que j’ai acheté son bouquin). Ça démange trop. D’ailleurs je me gratte moi-même sur le même sujet dans Mon petit DIRELICON (petit DIctionnaire des Idées REçues sur la LIttérature CONtemporaine etc.) :


« Personnages :

Passent le temps à échapper à leur auteur, à en croire ce dernier. Ceux qui sont restés prisonniers de son roman sont donc les moins véloces. Contrairement aux spermatozoïdes, doivent posséder une psychologie. (Voir Psychologie) »


C’est aussi que Claro, non content d’être écrivain, est aussi traducteur (à moins que ce ne soit l’inverse), ce qui revient au même car


« […] tout écrivain est quelque part un traducteur. Il ne cesse de se traduire lui-même, améliorant en permanence la version précédente de son texte, tout comme il traduit, très librement, plus ou moins consciemment, les auteurs qui l’inspirent […] »


Car l’écriture en effet n’est jamais qu’une grande affaire d’entre-traduction – aussi ne prétends-je pas déroger à la règle avec ce billet-ci.



jeudi 16 février 2023

court toujours (101)

Quelque part entre l’île mystérieuse de Jules Verne et l’étoile noire de George Lucas, un jeune garçon et un petit chien blanc se demandent bien ce qu’ils font là – à moins que ce ne soit entre l’étoile noire et l’île mystérieuse.




mercredi 15 février 2023

Mon étoile mystérieuse / Souvenirs d’un lecteur de bandes dessinées (2)

L’étoile mystérieuse, encore. J’en connaissais des répliques par cœur. Tout le début, en tout cas. Encore maintenant, je n’ai pas besoin d’aller chercher l’album pour que Tintin dise à Milou « Regarde cette grosse étoile » et entendre Milou, qui vient de se cogner contre un réverbère, lui demander laquelle. J’ai tellement le souvenir de cette voix d’enfant que je m’entends encore lire « Qui, ça sent le hareng », au lieu de « oui » (c’est Milou encore, le double prosaïque et terrestre de Tintin qui hume l’air du large). Je ne distinguais pas le Q majuscule du O. Ça ne me gênait pas. C’était un âge où ne pas tout bien comprendre fait partie de la vie ; ça ne pose pas de problèmes.

L’étoile mystérieuse, c’est le seul album de Tintin qui évoque la fin du monde. Gros plan sur le visage en forme de croissant de lune de « Monsieur l’astronome », les sourcils froncés, qui même alors qu’il n’est plus en train de regarder le bolide qui se précipite vers notre planète ne voit que lui, fasciné, alors que Tintin en arrière-plan n’est qu’épouvanté.

La fin du monde, c’est par là que j’ai commencé à lire. D’ailleurs, un ou deux ans plus tard, ma première lecture non étiquetée « jeunesse » a aussi été post-apocalyptique ; c’était Ville sous globe, un roman d’Edmond Hamilton. C’est aussi ce que j’ai commencé à écrire, au sortir de l’enfance ; on en reparlera.

Je me souviens aussi que je n’avais pas tout de suite compris – il a fallu que je vois Francis en rire – l’humour dans l’explosion de joie de Tintin ainsi formulée : « la fin du monde est remise à une date ultérieure ».

Aujourd’hui, je dois sans doute me situer quelque part à mi-chemin entre Tintin et Hippolyte Calys : si je me réjouis encore que la fin du monde soit remise à une date ultérieure, je ne désespère pas d’y assister pour pouvoir la raconter dans un prochain livre.





lundi 13 février 2023

court toujours (99)

Il n’y a pas plus positif que le pessimiste : à ses yeux tout est tellement foutu d’avance que chaque petite bonne chose est un bonheur inespéré.




samedi 11 février 2023

court toujours (98)

« À la même page, il faut séparer le schizophylle commun du charme de Caroline », précise-t-il à son éditeur qui vient de lui envoyer les épreuves de son prochain livre.




vendredi 10 février 2023

jeudi 9 février 2023

mercredi 8 février 2023

court toujours (95)

Quelle idée aussi d’avoir confié les transports ferroviaires à une aristocratie terroriste ! Des privilégiés qui prennent les voyageurs en otage, contre rançon. Dans quel monde vivons-nous ?




mardi 7 février 2023

court toujours (94)

Je vais mettre plus de personnages dans mon prochain roman, quelques centaines de milliers ; et puis je les obligerai à me lire.




dimanche 5 février 2023

Mon étoile mystérieuse / Souvenirs d’un lecteur de bandes dessinées (1)

Hier en faisant les courses j’ai vu une pomme, enfin plusieurs pommes mais surtout une ; je n’en avais jamais vu d’aussi grosse. Une pomme énorme, juste énorme ; j’ai failli l’acheter rien que pour la taille, mais je n’en avais pas l’usage. J’ai pensé à Guillaume Tell ; son exploit m’a paru moins extraordinaire. Je n’avais jamais vu une pomme pareille, énorme et rouge. Si une pomme pareille te tombe sur la tête quand tu passes dessous, tu es sûr de comprendre à quel point parfois la gravité, ça peut être vraiment grave.

Je n’avais jamais vu une pomme pareille. Si : j’en ai vu – mais dessinées. Dessinées par Hergé, dans l’étoile mystérieuse. Rappelez-vous, à la fin de l’album, quand Tintin est sur l’aérolithe, en plein océan arctique. Il a campé dessus, et a jeté par-dessus son épaule le trognon de la pomme qu’il vient de manger. Une feuille lui chatouille le cou, c’est le pommier du trognon qui pousse déjà, et qui en quelques minutes se met à donner des pommes énormes – énormes mais à peine plus grosses que la pomme énorme que j’ai vue hier – lesquelles à leur tour donnent naissance à d’autres pommiers, toute une forêt de pommiers gigantesques qui donnent des pommes qui tombent, c’est un vrai bombardement de pommes et voici qu’une pomme, bien sûr, tombe sur la tête de Newton, pardon, de Tintin, la gravité en effet est à l’œuvre dans l’étoile mystérieuse, c’est déjà à cause d’elle si ladite étoile mystérieuse a frôlé la Terre et qu’un petit morceau s’est écrasé dans l’Arctique.

Je connais bien l’étoile mystérieuse. Fut un temps où je crois bien que je connaissais toutes les répliques par cœur. C’est mon premier Tintin. C’est Francis, mon grand frère, qui me l’a offert. Je ne me souviens plus de l’occasion, si c’était mon anniversaire, ou Noël, ou sans occasion particulière. C’était peut-être Noël puisqu’il a aussi offert Vol 714 pour Sydney à mon cousin Jean-Yves. Je me souviens que la couverture avec le volcan en éruption me faisait envie. Sur la couverture de l’étoile mystérieuse, Tintin, chaudement couvert, pose une main effarée sur sa joue face à un champignon géant. Finalement, un champignon géant, pour moi, c’était bien choisi aussi, même si à l’époque je ne savais pas encore la place que les champignons prendraient dans un autre compartiment de ma vie. Je ne savais même pas que ma vie serait compartimentée.

Ça nous renvoie à quelle époque ? Je suis à peu près sûr que c’était encore la fin des années soixante. La toute fin bien sûr, mais les années soixante quand même. Attends, j’ai encore l’album, à côté ; je vais aller voir l’achevé d’imprimer.

1966. Bon, il a dû attendre un peu dans les entrepôts de Casterman avant d’arriver dans ma chambre. Dans ma chambre, il n’a pas dû y arriver avant 1969. 1968 tout au plus. Plutôt 1969. Ou 1968, car je crois bien que Vol 714 pour Sydney venait de paraître et, je viens de vérifier, il est paru en 1968.



vendredi 3 février 2023

autoportrait en internaute

Involution quotidienne


Lorsque je navigue sur internet, les associations se bousculent, mais elles sont de plus en plus fugitives et passent presque aussitôt dans l’oubli. Cette bulle d’amnésie grossit à mesure que je poursuis mes recherches. Peu à peu, ces dernières deviennent sans objet. Je m’approche du vide final. Je ne sais plus ce que je cherche, ni même ce qui m’intéresse. Mes idées, mes représentations rétrécissent, telle une évolution à l’envers des espèces vivantes, où les organismes perdraient leurs membres et leurs articulations pour revenir à l’état originel de protozoaire.

Le paradoxe est que ces centres d’intérêt qui s’étiolent sont méticuleusement archivés par la toile. En moi, leur carrière s’achève, mais dans l’espace numérique, elle commence. À mon insu, ces recherches moribondes orientent mes navigations futures. Elles m’emprisonnent dans une sphère sur mesure dont je suis le captif inconscient.


C’est de Philippe Garnier, c’est dans la Démence du percolateur (dont je commence tout juste la lecture) et ça vient tout juste de paraître aux éditions Premier Parallèle.




jeudi 2 février 2023

court toujours (92)

Tant qu’à raccourcir la durée de la retraite, pourquoi l’amputer de ses deux premières années – les deux meilleures – plutôt que des deux dernières, qui sont rarement les plus heureuses ? (Et c’est ainsi que l’euthanasie lui apparut soudain comme une perspective désirable.)




mercredi 1 février 2023

court toujours (91)

Ce que je n’aime pas dans les romans, c’est qu’ils racontent comment les choses se passent, alors qu’on n’en sait rien.