Je viens de lire les Poèmes
évidents, de Guy Bennett, traduits par Frédéric Forte et
l’auteur, postfacés par Jacques Roubaud et publiés par les éditions de l’Attente ; ça me faisait beaucoup d’évidentes raisons pour les lire.
Ces Poèmes évidents sont
des poèmes qui se donnent pour ce qu’ils sont et rien d’autre. Le Poème
préliminaire, par lequel j’ai commencé ma lecture parce que j’ai l’habitude
de lire les livres en commençant par le début, dit et illustre clairement le
projet, qui est précisément de dire ce qu’on illustre et d’illustrer ce qu’on
dit. Lisez plutôt :
Poème préliminaire
Ce poème est autonome et
auto-suffisant.
Il ne nécessite ni commentaire
critique
ni explication d’aucune sorte
pour véhiculer son sens,
qui est évident.
Ne dépassant pas une page,
il convient tout à fait
à la publication en revue
comme en anthologie.
Il peut se lire d’une seule
traite
et n’éprouvera pas outre mesure
le lecteur ou l’auditeur
car il n’a besoin ni ne profite
d’aucune
réflexion excessive après
lecture.
Voilà. Je me garderai donc bien
d’en faire un commentaire, en disant par exemple à quel point, sous l’apparence
d’un texte apparemment dépourvu de tout ce qui aux yeux du lecteur en fait un
poème, ce poème parvient à se jouer d’une des principales aspirations d’un
poème, à savoir devenir un objet en soi-même. Je ne rajouterai pas que l’objet
peut donc être ce quasi-rien, à la fois négation de ce qui fait le poème dans
l’horizon d’attente du lecteur (j’éviterai par exemple de faire remarquer qu’il
ne reste plus du vers dit libre que l’extrême pauvreté du récurrent retour à la
ligne), et affirmation que l’affirmation de soi-même suffit ; je ne
décrirai donc pas ce texte et le livre qu’il introduit comme un énoncé
performatif d’auto-affirmation poétique, je ne rajouterai pas qu’il suffit donc
finalement que le texte se dise poème, soit rassemblé avec d’autres textes qui
pareillement se disent tous poèmes (le mot poème étant en effet présent
dans tous les titres du présent recueil), dans un livre qui intitulé Poèmes…
s’affirme donc, tout aussi performativement lui aussi, comme un recueil de
poèmes, la poésie y étant ainsi réduite à l’affirmation d’elle-même.
Mais je veux bien rappeler quand
même, puisqu’en le faisant je ne commente pas directement ce poème ni le
recueil dont il est préliminaire, qu’on parle d’énoncés performatifs
pour ces phrases qu’il suffit de prononcer pour faire la chose qu’elle
ne font que dire. Par exemple : Je vous emmerde. Il suffit
en effet de dire « je vous emmerde » à quelqu’un pour signifier à la
personne concernée qu’on l’emmerde en effet et qu’elle peut désormais se tenir
pour emmerdée dans toute la réalité possible de la merde. J’invente cet exemple
parce que je ne me souviens plus bien de ceux employés par le distingué J.L.
Austin dans son traité Quand dire, c’est faire (How to do things with
words en anglais).
En revanche je me garderai bien
de dire tout le bien que je pense du titre de ce recueil comme du recueil lui-même,
aussi bien dans sa version française que dans sa version originale, car sachez
que s’il vous prenait l’idée de retraduire ce livre en anglais (c’est une idée
qui m’a traversé récemment : retraduire les œuvres traduites dans leurs
langues originales, quitte à les retraduire en français ensuite, et encore une
fois ; on aurait des surprises) son titre que vous pensiez évidemment être
Obvious Poems n’est pas du tout celui-là, à l’évidence vous vous
trompiez d’évidence ; il s’agit en réalité de Self-Evident Poems.
Car le poème évident de soi-même, pour l’être vraiment, doit accepter de
s’évider – mince ; je ne voulais pas le dire, ça m’a échappé. Je ne
rajouterai donc pas, pour ne pas aggraver mon cas, qu’il doit se réduire à tout
ce qui n’est pas lui-même pour poser enfin la question de ce qu’il est
vraiment.
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