vendredi 12 juillet 2013

mourir au pluriel


Il se leva, enfila les vêtements qu’il avait portés quelques instants plus tôt et sortit sur le balcon.
Au-dessus de la falaise, à l’ouest, une petite tache attira son attention. Elle était vaguement nimbée de lumière ; la suivait un fin et brumeux sillage…
Il regarda la tache grossir, s’imagina sur la Grand-Tour
/ se retrouva de nouveau sur la plate-forme aux couleurs vives ; le drapeau claquait dans les airs. Le missile traversa les toits en contrebas et s’abîma dans la tour que Sessine venait de quitter. La tour entra en éruption ; le balcon vomissait des flammes blanc-jaune, déchirant les murs et faisant sauter le toit : une nuée de tuiles envahit le ciel, semblable à une horde d’oiseaux effarés.
Tout droit dans les fenêtres du balcon. Sessine se sentit à la fois impressionné et déprimé.
Il ne vit ni n’entendit ce qui le frappa par-derrière – n’aperçut qu’une lueur aveuglante et sentit le souffle de l’explosion.
 
Il se réveilla dans un lit, seul, un beau matin de printemps, selon les apparences. Il resta couché une seconde puis s’imagina au sommet de la Grand-Tour
/ le premier missile sous ses yeux traversa la falaise, à l’ouest. Il se retourna et vit le second arriver de l’est ; il avançait très vite, à sa hauteur. Il se souvint de la sensation qu’il avait eue en entendant les détonations dans le tank et se plaqua au sol pour voir ce qui allait se passer. Il imagina la vue en contrebas du château,
/ puis d’une tour qui donnait sur la falaise, au sud,
/ puis du nord,
/ puis des communs autour des grandes portes est,
/ puis de petites collines qui se trouvaient assez loin du château.
Le bâtiment dans son entier fut secoué de tremblements et disparut dans une retentissante série d’explosions, crachant des langues de lumière, des moellons et des poutres haut dans le ciel, noir parmi les flammes.
– Sessine ?
Il se retourna. Devant lui, l’image de sa femme sur le chemin, aussi ravissante qu’au jour de leur première rencontre. Elle ne me jamais appelé
Elle bondit sur lui, un collet de fil de fer à la main, avant même qu’il ait pu réagir, l’étreignant, l’étranglant avec une force surhumaine.
Il se réveilla dans le lit.Qu’est-ce que ça veut dire ? Que se passe-t-il ? Qui est – ?
Lueur à la fenêtre, quelque chose…
Imbécile !
Lumière partout.
 
Il se réveilla dans le lit.
Alandre, souffla la jeune femme de chambre, contre lui, la main tendue
/ il était sur le pont du yacht du clan, amarré, un soir, au large d’Istanbul ; les eaux du Bosphore luisaient, sombres ; les ponts jumeaux lançaient leurs arches dans le ciel. Son cœur martelait sa poitrine. Il jeta un bref coup d’œil alentour. Personne. Il leva les yeux. Quelque chose tombait du pont du chemin de fer… Il se mit à imaginer – puis de nouveau une lumière d’une brillance atomique, illuminant toute la ville…
 
Il se réveilla.
– Ala…
/ il était au lit, dans son appartement du quartier général du clan Aérospace, tour Atlantéenne.
Le docteur à son chevet le regarda – une physionomie vaguement familière, une expression de regret dans les yeux. Lui tira une balle juste entre les sourcils.
 
Il se réveilla.
– Al…
/ il se trouvait dans l’infirmerie de la forteresse du clan à Seattle. L’infirmière était penchée sur lui. Le couteau s’abattit malgré ses gémissements.
Et quelque chose en lui hurla : Sept !
Il se réveilla.
Il se trouvait dans une chambre d’hôtel, petite, clinquante et sordide. Les rideaux tirés, le plafonnier allumé. Il était assis. Son cœur battait fort contre ses côtes, son corps était baigné de sueur froide. Il supprima les faux symptômes physiques de son état de panique et commença à s’imaginer ailleurs… Mais il n’avait plus nulle part où aller. Et, ne sachant pas où il se trouvait, il finit par comprendre que cet endroit-là n’était pas pire qu’un autre.
 
Iain M. Banks, Efroyabl Ange 1, éditions l’œil d’or, 2013, p. 52-53, traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel.
 
Puisque Iain M. Banks a trouvé facétieux de quitter ce monde le surlendemain du jour où j’ai acheté ce livre, il était juste que ce passage s’impose à mes Hublots.
Pour savoir un peu plus à quoi ressemble cet étonnant roman, lisez donc ce qu’en dit Hugues Robert, de la librairie Charybde, sur Médiapart – et embarquez dans cet Efroyabl Ange 1.
 
Ce billet était juste une pause dans la pause, reprise derechef.



Commentaires

"On ne meurt qu'une fois..." Apparement, le personnage passe ses nuits à mourir. Que doit être sa réalité lorsqu'il est évéillé!
Commentaire n°1 posté par Lza le 13/07/2013 à 09h37
On meurt beaucoup dans ce roman mais pas tout le temps quand même. En fait j'ai choisi ce passage pour suggérer à l'auteur de repasser nous voir à l'occasion.
Réponse de PhA le 13/07/2013 à 20h54
Est-ce le nouveau roman de la sortie ? de la rentrée ? Quelle tisane ! Je n'y vois qu'une suite de clichés et de grossiertés narratives, boum boum pour lecteurs épuisés ? Le goût, je peux comprendre, le plaisir aussi, mais la littérature c'est autre chose que de faire monter et descendre le yoyo. Je ne te comprends pas, Philippe. [C'est aussi pour cela que je t'aime bien.] Je vais me remettre à la recette de la purée Mousseline, j'ai dû manquer quelque chose.
Commentaire n°2 posté par David Marsac le 13/07/2013 à 19h05
Pourkoi poz tu de sé kestion, peti ? il a kroasé.
Je cherch 1 ami, jluidi san perdr mon kalm.
Jö me sui retourné pour fèr fas a lénorm oizo noir & rouj. Javé ankor la brindiye dan mon bek.
Loizo a levé sa sèr. 3 grif levé & un bèsé.
Tu voi C troi grif ? ilmadi.
Oui (il valé miö resté dan la kript pour le moman, mè ké komansé a cherch la sorti & noubliè pa la bag avek le kod de révéye).
Ta 3 segond pour te manié le bek & rantré ché toi, espes de kloun, mö fè loizo rouj. Ta konpri ? Jkomans a konté : 3…
Mè jö cherch just un ami.
2…
Sé tunn fourmi. Jô cherch just unn ptit fourmi kétè mon ami.
1…
Merd, mè C koi le problem, ché vou ? Ilnia pa moyin davoir 1 pö de respé pour… (& la jö url, teleman jö suis an kolèr, & la brindiye me tonb du bek).
& la, la sèr du gro zoizo rouj se projèt an avan kom si sa foutu pat été téléskopik & fons ver ma tèt & lantour & mfè tourné avan kö jö puis fèr koiksö soi & jö mö san ékrazé kontr loizo métalik sur lekel jété perché & jö pas a travèr le batiman sur lekel jété  & a travèr la vil a travèr le sol & a travèr la tèr & plu ba ankor plu ba plu ba plu ba (…)
 
Même livre, p. 61-62.
Réponse de PhA le 13/07/2013 à 20h52
Ça ne marche pas mieux (ou je ne me prends plus qu'à moitié à tes pièges, Philippe !) il y a des modes ou des mouvements, en ce moment, de contestation de la norme et des codes, trop systématique pour faire sens ; je suis dérangé, pas troublé. C'est décoratif, la transposition rétablirait la pâleur du texte ; pas de profondeur, d'écriture irruption. Pourquoi pas ? Ça me rappelle Russell Hoban et Beauchemin, très sages dans leur genre, une fois décrypté le procédé. Dans le genre, si c'en est un, je signale le glauque et risqué Mouton de Richard Morgiève. Il est temps de partir en vrille dans la boîte crânienne.
Commentaire n°3 posté par David Marsac le 13/07/2013 à 21h58
Oui enfin ce n'est pas tout à fait en ce moment : 1994. Mais c'est vrai que ça peut faire penser à Hoban (même si le travail sur la phonétique n'est pas le même). Cela dit je ne trouve pas du tout Hoban sage, en tout cas dans Enigm Marcheur. Il faudra que je lise Mouton de Morgiève à l'occasion (j'ai lu Cheval mais c'est sûrement très différent). (En même temps, si on était d'accord sur tout, ce serait la mort, hein.)
Réponse de PhA le 13/07/2013 à 22h38
Bon déjà, j'ador votre dialogue David Marsac (les pieds dans la prose)/PhA.
Ensuite Philippe, j'aimerais entendre la comédienne Lyn Thibault (qui lit Effroyabl Ange 1) lire Liquide.
Admirable Liquide. Une jouissance de lecture. Dont je me suis imprégnée par bribes puis morceaux. Je vais le relire.
Puis une troisième fois, et j'essaierai d'en dire quelque chose.
Toujours pas obtenu Monsieur le Comte par mon libraire. Vais me résoudre à écrire à Quidam. Mais c'est bien que j'aie eu Liquide longtemps seul. Aujourd'hui, les autres (titres) peuvent venir.
Vais acheter Enigm Marcheur (touché un jour puis laissé sur étagère libraire). Mouton de Morgiève aussi. J'ador(e) Morgiève.
Commentaire n°4 posté par Michèle P le 16/07/2013 à 09h58
Merci ! (ça fait plaisir de trouver ce genre de commentaire de retour de vacances)
Réponse de PhA le 20/08/2013 à 11h05
@Michèle P.  J'ai pu, il y a un peu moins de deux ans, me procurer tous les livres de PhA. Mais, ceux que j'ai voulu offrir à des amis ensuite ne leur sont jamais parvenus à l'exception de Monsieur le Comte.
D'une manière plus générale, actuellement, la bibliothécaire de ma petite ville qui doit, pour ses commandes, passer par une librairie de la capitale de région, ne parvient pas à obtenir les livres des éditions Quidam.
Passer par l'éditeur est effectivement la seule solution. C'est pourquoi je vous l'avais suggéré. Bonne lecture!
Commentaire n°5 posté par Michèle le 18/07/2013 à 09h23

lundi 1 juillet 2013

impossible entendu


41
 
 
il fait gris. d’un grand gris de canard. d’un froid de loup. gris. le ciel est gris. est tout près d’être gris. gris et fermé. l’automne est tout près. l’automne avec le jour qui recule. le jour qui s’en va tôt à l’heure de l’apéro d’été. qui s’en va tôt dans un moins de lumière et de chaleur. qui s’en va tôt dans une ruine d’arbres roux. de mousses. d’écureuils. et de nuages froids comme des loups. j’aime ça. cette froideur de loup. cette avancée de la nuit de plus en plus grande dans le jour à pas de loup. ce grand frais qui rampe jour en jour dans le roux. cette face de la terre moins éclairée. cette face de la terre plus entrée dans ce froid de loup. le loup qui chasse le canard. la nuit noire qui chasse le jour de plus en plus court sur cette face de la terre. cette face de la terre de plus en plus dans l’ombre d’elle-même. cette face de la terre de plus en plus dans ce noir de canard à pas de loup. ce froid qui rampe avec la brume à ras sur la terre. ce raz qui rampe à brume froide et cette terre qui rentre dans l’ombre d’elle. le ciel est gris. le ciel est tout près. le ciel est tout près d’être gris. le ciel est ras la terre. le ciel est fait comme un rat la terre. la terre est faite d’ombre ras la terre. le ciel est fait. la terre est faite. l’ombre repousse. l’ombre repousse la lumière ras la terre. le raz d’ombre repousse la lumière à ras d’ombre ras la terre ( )
 
 
 
42
 
 
et c’est du silence
 
impossible entendu
à moins que
peut-être
 
 
 
&
 
 
 
 Fred Griot, book 0, éditions Dernier Télégramme, 2013, p. 56-57.



Commentaires

Bel extrait (j'aime beaucoup le ciel est tout près d'être gris). 
Commentaire n°1 posté par Didier da le 01/07/2013 à 18h28
C'est aussi un beau livre, avec de belles variations dans l'écriture.
Réponse de PhA le 01/07/2013 à 19h01
Très belle évocation d'un moment entre-deux.
Commentaire n°2 posté par Michèle le 01/07/2013 à 18h55
Et presque de saison.
Réponse de PhA le 01/07/2013 à 19h02
Un livre Babibel en quelque sorte. Quelle crèmerie ! Je préfère et recommande Nous, le Ciel de Rémy Checchetto, aux éditions de L'Attente, que vous connaissez. C'est autre chose. Donc meilleur. (J'ai dit.)
 
PS : de mousses.d'écureuis. et de nuages froids + ce qui suit et précède = cliché, rien à en tirer. On dirait du sur-TVinau. Je dis : non. Je veux de la poésie dans mes hublots, pas du Royco.
Commentaire n°3 posté par David Marsac le 02/07/2013 à 23h31
 
25
 
tu bosses et grenier bougre. taches de graisse noire en bas garage chiffon. et tout du dehors coule à flot brûlant par la porte hayon.
tu bouiffes à tout du dedan encore et graisse bouilles. tu tout encore. tu. tu bouilles à baisse ras la terre. tu pousses du genou plié. tu dedan lang à lang bouffe dans les champs raides ras la terre. tu campagnoles gaiement et farfouilles. tu dedan bouilles à graisse d’ours. tu ripes le grand bois par-dessus agenouille.
tu grouilles. ça qu’en faire à plus puis. eh ben dirait l’autre ça fait bien du charivari plus soif ça. tout ça. dis. ça brouille dans les greniers. ça encluse. ça débotte tout le jour sous l’cagniard et la sécheresse. ça marque à sec. ça sèche. les années de grand vent ça repougne même parfois à travers les champs.
tu trimes et tu dedan lang. avec parloche à jamais parlé. dediou. et encore dès fois que ça viendrait à rebibocher encore avec le grand touille qui touille là dedan à plus cri. alors tu trimes avec le grand fouille encore encore. à plus vivre. au bout.
 
 &
 
(Même auteur, même livre - mais page 37)
Réponse de PhA le 03/07/2013 à 08h28 
 
...Et par une trouée un rayon presque horizontal, qui traverse le paysage l'espace de quelques secondes et disparait...L'avons-nous rêvé?
Commentaire n°4 posté par Lza le 03/07/2013 à 09h25
Sûrement : il n'y a de vrai que ce que l'on rêve.
Réponse de PhA le 04/07/2013 à 16h33
Oui au 25 ! 25 est bien meilleur que 41. Qui s'en serait douté ? Vers le Zéro, rebroussons le chemin de nos manches.
Commentaire n°5 posté par David Marsac le 04/07/2013 à 08h33
Je le savais. J'avais choisi exprès le passage qui te plairait le moins pour te faire réagir.
Réponse de PhA le 04/07/2013 à 09h33