mardi 31 août 2021

Autopromotion alphabétique 2 : Dans mon oreille

Après C, D. Après Chroniques imaginaires de la mort vive, Dans mon oreille. Un sacré grand écart.

Dans mon oreille est paru en 2013. À ce moment-là, j’ai déjà quelques livres publiés. La petite réputation dont je perçois vaguement les échos est celle d’un auteur « exigeant ». Ça ne me plaît pas beaucoup. Qu’est-ce que j’exige, franchement ? D’autant plus que le qualificatif me suit au collège, où il m’arrive aussi de passer pour un professeur exigeant. C’est la même chose, au fond. Ce qu’on appelle mon « exigence » n’est rien d’autre que l’estime que j’accorde a priori au public, que ce soit des élèves ou des lecteurs, et sans quoi on ne fait rien de bon.

Alors, par réaction, je rêve d’écrire un livre tellement pour tout le monde que des enfants pourraient le lire. Un défi pour l’auteur « exigeant ». Et pourquoi pas de la poésie, qui plus est, puisque par ailleurs je suis étiqueté « romancier » et que l’étiquette ne me plaît pas tellement non plus. De la poésie en édition jeunesse, donc. Mais quoi ? Et puis voici que, au sens propre du terme, dans mon oreille, je trouve mon œil. L’œil est caché à l’intérieur de l’oreille, toutes les lettres y sont bien rangées dans l’ordre, comme la main aussi l’est à l’intérieur de la marionnette ; regardez bien. Je me propose donc de faire le guide parmi tous ces mots cachés parmi les mots. Après avoir composé une douzaine de distiques peut-être, je les envoie par mail aux éditions Motus, à qui selon moi le projet pourrait plaire. J’y suis inconnu, même de nom ; c’est d’autant plus flatteur pour moi car le projet est accepté avant même que le texte ne soit écrit, sous réserve que les poèmes à venir soient du même niveau que ceux proposés. C’est Henri Galeron qui est sollicité pour illustrer l’album, il sera beau ; de fait, il l’est. Sur certains sites on le voit proposé dès 5 à 7 ans ; pour moi je le vois plutôt pour un public un peu plus âgé, 9 à 12 ans, voire 92 ans pourquoi pas.




dimanche 29 août 2021

vieux théâtre (2)

Comme je viens de déménager, je tombe sur des vieux textes du siècle dernier, à peu près oubliés. Il y a notamment quelques tentatives théâtrales. En voici une autre.



[Des individus, hommes ou femmes, non particuliers, font la queue. Les premiers disparaissent hors de scène, la queue se termine sur scène. La queue est immobile, elle épouse plus ou moins les contours de la scène. De temps en temps, à intervalle irrégulier, un ou plusieurs personnages viennent se placer en fin de queue. La fin de la queue doit cependant toujours rester visible, quitte à ce que la queue s’enroule sur elle-même, ou forme un zigzag. À un moment, un personnage particulier, par exemple par la couleur de son costume, apparaît et contemple la queue, de loin ; contrairement aux autres nouveaux arrivés qui vont se placer immédiatement. Il essaie de voir où « va » la queue, sans y parvenir. Une réprobation quasi muette et immobile émane des membres de la queue. Ce jeu de scène peut durer assez longtemps.]


Le personnage particulier : Rassurez-vous, je n’avance pas. [Silence des autres.] Je ne fais que regarder. [Silence appuyé des autres.] Il y a longtemps que vous attendez ? [On lui fait signe d’aller vers la fin de la queue.] D’accord, d’accord. [Silence.] J’y vais tout de suite. [Silence. Il s’approche de la fin de la queue, sans se placer dedans.] Il y a longtemps que vous attendez ?


Un personnage de la fin de la queue : Il faudrait que vous preniez votre place ; d’autres personnes vont arriver.


Le personnage particulier : Ce n’est pas grave. Je ne sais pas encore si je vais attendre.


[On le regarde d’un air incrédule, puis on hausse les épaules. Quelqu’un arrive.]


Le nouvel arrivant : C’est votre place ?


Le personnage particulier : Il n’y a pas de problème, vous pouvez vous y mettre.


Le nouvel arrivant : Vous étiez bien là avant ?


Le personnage particulier : Oui, mais je ne m’étais pas décidé ; vous pouvez vous placer.


Le nouvel arrivant [avec un haussement d’épaules: Comme vous voulez.


Le personnage particulier : [à la cantonade: Il y a longtemps que vous attendez ?


Le nouvel arrivant : Vous étiez là avant moi.


Le personnage particulier : C’est-à-dire que je n’étais pas vraiment là. [Il se place ostensiblement dans la queue. Il arbore un large sourire, qui tranche avec l’expression neutre des autres. Il essaie de parler à la personne qui précède le nouvel arrivant, par-dessus la tête de ce dernier.] Il y a longtemps que vous attendez ?


L’interpellé : Vous m’avez parlé ?


Le personnage particulier [toujours par-dessus la tête du nouvel arrivant: Il y a longtemps que vous attendez ? [Un autre personnage vient prendre sa place dans la queue, derrière le personnage particulier.]


Le nouvel arrivant : Vous voulez bien ne pas crier par-dessus mon épaule ?


Le personnage particulier : Je vous prie de m’excuser. [Il sort de la queue pour parler à l’interpellé.]


L’autre personnage, dernier arrivé : Il vaudrait mieux garder votre place.


Le personnage particulier : Ce n’est pas grave, vous me la gardez.


L’autre personnage : Vous ne manquez pas d’audace. Je ne vous garde rien du tout.


Le personnage particulier [à l’interpellé: Il y a longtemps que vous attendez ?


L’interpellé : J’ai dû arriver juste avant vous, forcément. [Un nouveau personnage vient se placer en fin de queue.] Vous devriez reprendre votre place.


[Le personnage particulier va pour reprendre sa place.]


Le personnage particulier [à l’autre personnage: Excusez-moi. [L’autre personnage reste impassible.]


Le nouveau personnage : De quel droit ne prenez-vous pas la queue, comme tout le monde ?


Le personnage particulier : Je vous prie de m’excuser, j’étais déjà arrivé.


Le nouveau personnage : Alors pourquoi n’étiez-vous pas dans la queue ?


Le personnage particulier : J’y étais. J’en suis juste sorti pour poser une question. [Désignant l’autre personnage.] Cette personne peut vous le dire.


L’autre : Vous voyez bien que vous gênez tout le monde. [Les autres paraissent approuver. Le personnage particulier reste en marge de la queue. On sent qu’il aimerait bien s’y placer mais qu’il n’ose pas. Plusieurs personnes, sans faire attention à lui, viennent prendre leur place dans la queue.]



30 octobre 1998

samedi 28 août 2021

vieux théâtre

Comme je viens de déménager, je tombe sur des vieux textes du siècle dernier, à peu près oubliés. Il y a notamment quelques tentatives théâtrales. En voici une.



Sur la scène obscure, seul un lit éclairé. Couché dessus, endormi, le protagoniste. À peine perceptible dans l’obscurité, son double apparaît d’un autre point de la scène, agité, l’air « en fuite ». Un peu plus de lumière, une troupe en uniforme surgit, le double se trouve malgré lui contraint d’agir comme s’il en faisait partie ; mais il est toujours en décalage. De la troupe, un chef se distingue.


Le chef : Disposez-vous. [Dans un ordre parfait, la troupe forme un cercle. Le double cherche sa place, s’impose entre deux membres, rompant la régularité des intervalles.]


Le chef : Échauffement. [Un temps.] A. [Chaque membre prend une position particulière, rigoureusement identique, inconfortable. Le double est obligé de regarder les autres pour trouver – péniblement – la position.]


Le chef : Lambda. [Nouvelle position.] Ut. [Nouvelle position.] Virgule. [Nouvelle position. Le rythme des injonctions s’accélère.] Bémol. [Nouvelle position.] Huit. [Nouvelle position. Le double s’empêtre de plus en plus.] Repos. [Tous s’immobilisent instantanément. Seul le double essaie encore une vague position, et s’immobilise aussi, en retard. Un temps.]


Le chef [sans montrer à qui il s’adresse: Tout autour se dressaient des immeubles en brique rouge. [Le double est très inquiet. Un membre de la troupe, une fois la phrase prononcée, se livre à une série de figures gestuelles précises, sans rapport évident avec le sens de la phrase. On aura compris que le rapport est arbitraire, ou dépend d’un code que ne possède pas le double. Après la fin de la démonstration du membre de la troupe :] Le soleil brillait. [Un autre se livre à une gestuelle beaucoup plus longue et complexe que le premier.] On entendait dans le ciel un vague grondement. [Un troisième se livre à un geste qui ne semble qu’une ébauche, mais qui paraît satisfaire le chef.] Les gens se penchaient par la fenêtre pour mieux voir. [Un quatrième se livre à une nouvelle phrase gestuelle. Le « vocabulaire » de ces phrases peut être très varié d’un individu à l’autre. Il est bien entendu que l’ordre de passage des participants à ce discours gestuel n’apparaît pas dans leur disposition, si bien que lorsque le chef dit :] Certains sortirent leur parapluie. [le double ne comprend pas tout de suite que c’est à son tour de participer. Le poids des regards finit par le lui faire comprendre. Il se livre alors à une sorte de danse d’abord hésitante puis plus assurée, qui dure assez longtemps. Tout le monde le regarde. Lorsqu’il a fini, il semble se rappeler la présence des autres. Il attend une réaction qui ne vient pas. Un temps assez long. Puis il va s’asseoir au coin du lit. Il regarde son double qui dort. Alors, un par un, dans un désordre lent, les membres du cercle s’éparpillent et disparaissent dans des directions diverses.]


(6 février 1996)

lundi 23 août 2021

Autopromotion alphabétique 1 : Chroniques imaginaires de la mort vive

L’autre jour j’ai lancé en boutade la formule « autopromotion alphabétique ». Mais comme j’aime me prendre au mot, je tente la chose.

En quinze épisodes, un par titre. A, rien. B, rien mais c’est prévu. C :

Chroniques imaginaires de la mort vive. Officiellement, c’est mon deuxième livre, paru chez Melville en 2005. En réalité, je l’ai écrit juste après Par temps clair, dans un désir de rupture avec Une affaire de regard, paru au Seuil en 2001, et dans la colère du refus de Par temps clair au Seuil par Claude Cherki ; j’ai déjà raconté ça ici, cliquez si vous voulez.

Une affaire de regard était un roman très contemporain, très parisien, dont on avait apprécié l’humour et l’écriture « blanche, incisive ». Délibérément, mais en réalité parce que c’est comme ça que, au fond de moi, je fonctionne, j’ai voulu aller aux antipodes. Voir là-bas si j’y suis, comme on dit, mais sérieusement. Voir si tout autre chose, c’est soi-même encore.

J’ai situé mon récit loin de la ville, au fond des forêts, dans un cadre à peu près atemporel. Je suis parti d’un meurtre sauvage et inexpliqué auquel il faudrait donner un sens. J’ai étiré les phrases comme des lambeaux de brume. J’ai inventé un personnage de jeune homme perdu dans un corps trop grand et trop fort pour lui, j’ai fait courir des chiens dans la boue et dans la neige. J’ai fait le pari d’écrire sans humour – il m’a fallu beaucoup d’audace pour faire l’économie de l’humour : j’ai longtemps cru que tous les grands auteurs, ceux que j’aimais en tout cas, de Kafka à Beckett, de Flaubert à Proust, étaient des auteurs comiques ; il y a quelques exceptions quand même. À l’arrivée, j’ai beaucoup aimé ce que j’ai lu, et je m’y suis complètement reconnu. « Vous allez perdre vos lecteurs », m’a-t-on dit, tant j’y étais méconnaissable. Avec le recul, pas tant que ça : mais mes lecteurs de l’époque n’avaient pas lu Pas Liev ou Elise et Lise, forcément. Il faut laisser au dessin le temps d’apparaître, on ne voit pas tout de suite (je ne vois pas tout de suite) ce qu’il représente.

C’est la raison pour laquelle j’ai eu tant de mal à faire publier ce livre, et c’est aussi pourquoi les personnes qui l’ont aimé d’emblée n’ont pas tellement apprécié Une affaire de regard, à ce moment-là du moins : il manquait des éléments. Melville n’étant pas le Seuil, le livre n’a pas eu tellement d’échos dans la presse à l’exception notable, grâce à Lise Beninca, d’une double-page dans le Matricule des Anges : j’étais déjà abonné à la revue, c’était quand même le signe que les choses commençaient à avoir du sens.

Le livre est encore disponible, je crois qu’il en reste six. Battez-vous !