Je viens de terminer la lecture de Derrière la gare, d’Arno Camenisch, que Quidam a publié juste avant le premier confinement, en même temps qu’Ustrinkata du même Arno Camenisch dont je vous avais recopié quelques lignes ici. (Le confinement en effet en veut à Arno Camenisch dont Quidam a encore plus récemment aussi publié Sez ner, que je n’ai pas encore lu – pendant le deuxième confinement.)
Derrière la gare, donc. Je n’aime pas beaucoup faire des comparaisons entre les livres, mais comme évidemment je m’apprête à en faire, je vais faire preuve d’un peu de malhonnêteté intellectuelle et décider que ce sont plutôt des plaisirs de lecture que je m’apprête à comparer. Car le plaisir que j’ai pris à la lecture de Derrière la gare m’a rappelé le plaisir non moindre que j’avais éprouvé à celle de Mailloux, d’Hervé Bouchard, rappelez-vous. Et aussi un autre plaisir, plus ancien, ressenti à la lecture de Couma aco, d’Edmond Baudouin, attendez, peut-être que j’en parle aussi dans ces Hublots, je ne sais plus, je cherche, ah non, je ne fais que le citer ici, allez je mets le lien quand même.
Car ces trois livres ont en commun d’évoquer un lieu qui n’existe tel qu’il est décrit que dans la mémoire de l’auteur (l’arrière-pays niçois dans Couma aco, l’arrondissement de Chicoutimi au Québec dans Mailloux, et le pays romanche en Suisse dans Derrière la gare), et à travers le regard d’un enfant, que l’auteur, on pourrait dire le porte-parole, retranscrit par un travail sur la langue, essentiel et succulent et, dans le cas de Derrière la gare, merveilleusement, miraculeusement traduit du suisse allemand par Camille Luscher, tiens, un extrait :
« Le Gion Bi fait sûrement des poesias pour une femme, dit Silvana, ma maman a dit que les hommes font des poesias pour les femmes, pour leur dire qu’ils aiment bien se promenader avec elles et jouer à la boccia. Les femmes doivent mettre les poesias dans un coffret et quand le coffret est plein, ils ont le droit de se marier et de faire des enfants. Moi aussi je veux faire des poesias pour Silvana, ou bien je vais lui faire un dessin avec des lappis dessus et des tourne-les-vis. Et sur d’autres feuilles, je vais dessiner la deuschvo orange de l’Oncle, les ramures du cerf et le carpostal de l’Alfons. Je vais dessiner le Boulan avec sa pellapan, le Gionclau avec sa hache à côté du Rhin, et le Fatre et le Giacasepp qui se bastonnent. Je vais dessiner tout le village sur plein de pages et je les offrirai à Silvana, alors j’en aurai sûrement assez pour remplir son coffret et elle voudra m’épouser. Mais d’abord, je dois fabriquer un coffret pour Silvana dans l’atelier du Nono, pour qu’elle puisse y mettre les dessins. Un beau coffret en bois avec un cadenas. »
Arno Camenisch, Derrière la gare, p. 62-63.
Bien sûr je n’ai pas choisi ce passage tout à fait au hasard. Je ne peux m’empêcher de le lire comme la réalisation d’un souhait. Car ces dessins des scènes du village, avec ces gens qui nous sont devenus si familier, c’est en fait ce qu’a réalisé Arno Camenisch dans Derrière la gare et sa « Trilogie des Grisons ». Je me demande si Silvana a su que c’était d’abord pour elle. En tout cas, maintenant, c’est pour nous.
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