vendredi 26 avril 2024

court toujours (257)

Sous prétexte qu’il avait écrit un livre, il s’en croyait lauteur.




Demain samedi à 11h, je ferai une petite lecture à la librairie du Surmelin (2 rue du Surmelin, dans le 20e arrondissement), avec mon stylo, et même sans.

mercredi 24 avril 2024

croisements de vies

Au début des années 80, sur le conseil de Danielle Auby, mon professeur de français, je découvre Kafka. Je lis à peu près tout. Je commence par le recueil disponible en Folio rassemblé autour de La Muraille de Chine. Le texte qui me marque le plus, au point qu’aujourd’hui, alors que je ne l’ai pas encore relu (c’est pour demain ou après-demain), je m’en souviens encore bien, c’est Recherches d’un chien.

Une dizaine d’années plus tard, je reprends le théâtre en amateur, au théâtre-école de Pantin, sous la direction d’Agnès Delume. L’art de la mise en scène avec presque rien. J’ai la chance de jouer des textes extraordinaires : Scènes de la vie conjugale, la Mouette, le Tartuffe, Peer Gynt, l’Opéra de quat’sous. Souvent, la musique est composée par Vojtech Saudek, le compagnon d’Agnès. C’est un vrai musicien. Je me rappelle son piano, qui prend toute la place dans leur séjour. C’est fou comme la pratique d’un art peut prendre de la place dans une vie. Celle de Vojtech, hélas, s’arrête trop tôt, en 2003 ; il a cinquante-deux ans.

Entre temps, en 1993, je découvre Prague. En écrivant cette phrase, je revois la ruelle d’Or, où Kafka écrivit, notamment, la Muraille de Chine.

Plus récemment, je reviens progressivement à Kafka, d’abord pour relire le Château, et vérifier que Pas Liev n’en est pas qu’une pâle copie. Puis le Terrier, juste pour le plaisir. L’an dernier paraît en France le premier tome de la biographie de Kafka par Reiner Stach. Je m’y plonge, et l’interromps souvent – notamment pour relire le Verdict, la Métamorphose, la Colonie pénitentiaire, Chacals et Arabes, Un croisement, Rapport pour une académie, Le Coup à la porte du domaine, la Muraille de Chine… Entre temps je suis passé au second tome de la biographie de Stach : Kafka, le Temps de la connaissance. Je compte relire Recherches d’un chien, mais j’attends que la vie de Kafka m’y mène – c’est l’un de ses derniers textes. Pour le moment, il est à la ruelle d’Or ; c’est Ottla, sa petite sœur, qui lui offre ce havre. Ottla qui, des années plus tard, fera partie de toutes ces personnes qu’on a assassinées à Auschwitz.

Il y a une dizaine de jours, je reçois un message d’Agnès, qui me parle de mon Stylo – j’aime qu’elle ait aimé – et m’annonce que le centre tchèque organise un concert-hommage à Vojtech. C’était dimanche dernier. Au programme, des pièces et variations pour piano, son Quatuor n°2, une Elégie, et enfin une réalisation pour violon et dispositif électronique : Recherches d’un chien, d’après un conte de Kafka.

J’apprends que Vojtech est le petit-fils d’Ottla.






lundi 22 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 23

Après tout, ce n’était pas pour signer le contrat, que Monsieur Witz avait invité Messerschmied : c’était pour visiter un chantier. Visiter le chantier de la maison Brunnen n’engageait à rien. Et puis, pour le contrat, Messerschmied était libre de changer d’avis. Messerschmied était libre, et libre d’aller où il voulait. D’ailleurs, Messerschmied aimait bien les chantiers. Il s’y sentait à l’aise. Voir les choses en train de se faire, avant qu’elles n’existent vraiment ; il y avait là quelque chose de presque émouvant. D’ailleurs il était impressionnant, ce chantier de la maison Brunnen. Messerschmied avait craint un instant d’être à nouveau un objet possible de dérision lorsque Monsieur Witz avait insisté pour qu’il mît un casque, mais comme lui-même s’en était coiffé, et que Messerschmied avait encore en mémoire ses mésaventures récentes liées aux lois de la gravité, il se résolut à porter le casque que lui tendait Monsieur Witz – d’ailleurs tout le monde en portait – et n’y pensa plus. Monsieur Witz se gardait bien de parler du contrat, mais tout ce que voyait Messerschmied et qui attestait de la solidité de la maison Brunnen finit par le convaincre que, décidément, ce serait trop dommage de ne pas signer ce contrat. Il s’en ouvrit à Monsieur Witz au moment de le saluer, et au moment de le saluer, juste le temps de le saluer, il retira son casque.

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dimanche 21 avril 2024

Abécédaire du dimanche (culinaire)

Assembler bien copieusement deux échalotes farcies, gratiner, hacher, incorporer juteux kaki, le mixer nonchalamment, ôter pépins qui resteraient, saler tout uniment vanille, wasabi, xérès, yoghourt, za’atar.


(Abécédaire guerrier

Abécédaire floral

Abécédaire zoologique)

Samedi prochain (le 27) à 11h, je ferai une petite lecture à la librairie du Surmelin (2 rue du Surmelin, dans le 20e arrondissement), avec mon stylo, et même sans. Ce sera aussi l'occasion de prendre quelques Nouvelles Notes et même un peu de Biotope pour votre anatomie d'homme domestique.



mercredi 17 avril 2024

mardi 16 avril 2024

Albarracin joue à Shifumi

La pierre

émousse

les ciseaux


Dans la neige pourtant

le papier les ciseaux et la pierre

font chose commune





On rate d’un cheveu

parce que précisément

on oublie que le cheveu


est ce avec quoi

on réussirait

à tout lier




C’est extrait du très beau Shifumi de Laurent Albarracin, tout en poèmes de deux tercets, publié aux éditions Pierre Mainard.





lundi 15 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 22

Lorsqu’il retourna chez Brunnen, Messerschmied était sur la défensive. Signerait-il le contrat ? En avait-il seulement encore envie ? Monsieur Witz avait beau déployer toute son amabilité habituelle, Messerschmied ne parvenait pas à se dérider. Son humeur était exécrable. Il se demandait même pourquoi il était venu. La seule réponse à cette question, il la connaissait, il la connaissait bien, il la connaissait trop bien. Il était là pour signer le contrat. Alors il ouvrit sa serviette et sortit le contrat qui, avant même qu’il ne le pose sur le bureau, dans les mains même de Messerschmied, spontanément s’enflamma.

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dimanche 14 avril 2024

Abécédaire du dimanche (guerrier)

Achille bataillant contre des ennemis furieux ! Gilgamesh, Hercule, invincibles jouteurs ! K.O, le Minotaure ! Namor, ô prince qui règne sur tout un vieux waterland ! X-men ! Yvonne Ziegler !


(Abécédaire floral

Abécédaire zoologique)

mercredi 10 avril 2024

Festival du Stylo de Paris

Je serai samedi au Festival du Livre de Paris, sur le stand des éditions DO, en A17, de 15h à 17h, avec mon stylo, ou peut-être sans.



mardi 9 avril 2024

court toujours (254)

Ne me demandez pas le top de mes dix meilleurs livres : j’en ai déjà commis dix-huit et je ne voudrais pas faire de jaloux.


à propos de stylo

Martine Roffinella me fait le plaisir de consacrer un article de son blog Sous le pavé la plume à Sans son stylo / Avec mon stylo et m’a invité à répondre à quelques questions, comme si j’en étais l’auteur, puisqu’il paraît en effet que je le suis. C’est à lire ici.



lundi 8 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 21

Monsieur Witz arborait une mine réjouie, et Messerschmied lui aussi ne pouvait s’empêcher d’arborer la même mine réjouie : ils venaient, tous les deux, dans les locaux de Brunnen, de signer le contrat. Il y avait bien de quoi se réjouir en effet : c’en était fini des imprévus catastrophiques, des contretemps funestes dont la série avait longtemps défié les lois des probabilités. Messerschmied était donc soulagé, et sans doute Monsieur Witz l’était-il aussi. Monsieur Witz eut l’idée d’immortaliser l’événement en photographiant Mersserschmied. Ce serait comme un trophée – telle fut la pensée qui traversa Messerschmied : un trophée. Sur la photo que lui présenta Monsieur Witz, c’étaient des bois de cerf qu’arborait Messerschmied. C’est alors qu’il comprit enfin : on se moquait de lui ; et, de rage, il déchira le contrat qu’il avait eu tant de mal et finalement tant de plaisir à signer.

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dimanche 7 avril 2024

Abécédaire du dimanche (floral)

Ah bouquet coquet d’edelweiss fleuris ! Gros hortensias ! Iris jolis ! Kolkwitzia le magnifique ! Nérines ! Ornithogale pyramidale qui redresse son thyrse ! (Une véronique wallonne xérophile y zwanze.)



(Et l'abécédaire de dimanche dernier.)

mardi 2 avril 2024

Guy Goffette, le nom de l’auteur et moi

Guy Goffette nous a quittés. Je ne l’ai rencontré qu’une fois, il y a dix ans ; nous étions invités (avec Pierre Jourde) à une émission d’Augustin Trapenard sur France Culture où il était question de réécriture. J’avais après l’émission commis le billet qui suit, que j’avais oublié mais qui annonce à sa manière l’effacement du nom de l’auteur de mon récent Stylo.


L’auteur en question (mardi 17 juin 2014)


L’artiste est-il maître de son œuvre ? demandait-on hier matin en philo aux élèves de Terminale scientifique. Nul doute que le Carnet d’or de samedi était à l’origine du sujet. J’y reviens encore une fois à propos de Mariana, Portugaise, le livre de Guy Goffette, réédité lui aussi mais de dix ans plus ancien que le mien puisque paru pour la première fois en 1991 aux éditions Le Temps qu’il fait – saluons au passage le beau travail de cet éditeur.

Un extrait pour commencer :

 

O grand cinéma de la componction.

Petite Marie-Madeleine au bordel battant sa coulpe ô tendre lupin des lupanars baisant de larmes et chaude salive les pieds du christ en bois, répandant l’avaricieux parfum du capitaine Judas, la chevelure de feu épongeant la dalle avant que tombent les douces paroles du pardon, les douze coups de trahison. C’est matines qu’on entend hélas, et c’est le glas dans la vallée, à Mértola ; c’est la relève qui sonne là-bas sur la mer : la Campagne du Portugal s’achève. Au jardin, les oliviers s’éveillent. Vide est le champ du potier, vides les yeux de Mariana, l’encrier vide et l’avenir fermé.

 

Guy GoffetteMariana, Portugaise, Gallimard, p. 52.

 

Ni glose ni paragraphe des Lettres de la religieuse portugaise sommes-nous prévenus, Mariana, Portugaise est une sorte de palimpseste amoureux des lettres de l’amoureuse abandonnée, poème d’amour en prose qui reprend la structure pentagrammatique du best-seller naguère anonyme, dont du coup j’ai voulu relire les cinq lettres : mince, impossible de mettre la main dessus. D’un saut à la librairie j’en fais l’acquisition, sans trop me poser la question de l’édition ; ça sera Garnier-Flammarion. Et là, voici que le nom de Guilleragues (je m’avise à l’instant que je n’avais jamais vraiment pris la peine de le retenir) me saute aux yeux d’une manière désagréable : il est écrit en plus gros caractères que le titre. C’est une chose qui me choque toujours comme une incongruité : rendre le nom de l’auteur plus visible que le titre. C’est d’autant plus frappant quand le nom de l’auteur est bien moins connu que le livre lui-même. J’avais bien senti à ma lecture de Mariana, Portugaise et des commentaires dont Guy Goffette accompagne le texte de sa nouvelle édition que l’attribution tardive (on en parlait encore quand j’étais étudiant) des Lettres portugaises à Guilleragues lui déplaît. J’avais l’impression que pour ma part elle me laissait indifférent. Peut-être pas tant que ça. Enfin, ça n’est peut-être pas tant Guilleragues lui-même ; il faut bien après tout qu’un texte ait un auteur, et l’on sait bien que celui-ci ressemble rarement à la voix qu’il fait résonner dans son œuvre, mais tout de même : lorsque celui-ci a le bon goût de s’effacer lors de la publication – car c’est bien intentionnellement que les Lettres portugaises sont d’abord parues sans nom d’auteur – n’est-ce pas un peu trahir le texte que de lui coller ainsi le nom de ce « courtisan-diplomate gascon », ainsi que le résume Guy Goffette ? On comprend qu’il soit importuné : ce nom de Guilleragues sur la couverture est un inutile tue-l’amour entre Mariana et son lecteur – car Guy Goffette, à n’en pas douter, est amoureux.



lundi 1 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 20

Bien sûr que oui : Messerschmied retourna tout de même chez Brunnen. Messerschmied ne pouvait s’empêcher de retourner chez Brunnen. Il avait peur, et il trouvait cette peur ridicule, car cette peur était ridicule ; tout était ridicule dans cette affaire, alors Messerschmied ne pouvait s’empêcher de retourner chez Brunnen. Il avait surtout peur de la chute d’un corps, bien sûr, car c’est à la mort qu’il avait échappé de peu la dernière fois. Il avait peur de la chute d’un corps mais cette peur était ridicule, aussi la bravait-il. Brave ou bravache, Messerschmied ne se posait pas la question. Il devait surmonter la peur de cette chute d’un corps. Après tout, il avait son chapeau, blagua-t-il intérieurement en sortant de sa voiture, même si celui-ci ne lui aurait été d’aucun secours la dernière fois. Et c’est sur son chapeau cette fois que chut le corps attendu – ce qui ne l’était pas, attendu, c’est que ce corps était celui d’un poisson, un merlan peut-être bien, un merlan frit, tout chaud et encore fumant.

299 ?



dimanche 31 mars 2024

Abécédaire du dimanche (zoologique)

À barricader catégoriquement : douze éléphants furieusement gaffeurs, huit irascibles jaguars kilotonniques lobotomisés, mille najas occasionnellement pacifiques, quarante rhinocéros sourcilleux, treize urubus, vingt wapitis, x yacks zinzins.




samedi 30 mars 2024

En relisant la Métamorphose

Tiens je viens de relire la Métamorphose, forcément. C’est comme la première fois.

En la relisant, je pensais à ce que peut-être, je dois à Kafka, qui n’est peut-être que ce qui m’a toujours fasciné (chez lui notamment, mais ailleurs aussi ; voici que la pensée d’Epépé, de Ferenc Karinthy, me traverse ; il y en aurait d’autres bien sûr) et qui m’a toujours animé à l’instant d’écrire : l’extrême attention portée sur quelque chose, sous un angle bien choisi, avec un verre suffisamment grossissant, pour que tous nous voyons clairement ce qu’il y a à voir.

J’ai déjà relu le Château, le Terrier, le Verdict, la Colonie pénitentiaire… Je crois bien que je vais tout relire.



(Ma métamorphose personnelle)

vendredi 29 mars 2024

court toujours (252)

Il se demandait ce qu’il pouvait bien faire de ce ciel gris. Mais c’était sans doute une mauvaise question.




jeudi 28 mars 2024

Entendre Mémoires des failles

Pour les éditions de l’Attente, un nouveau petit enregistrement de Mémoires des failles, à écouter sur le site de l’éditeur en cliquant ici.


 

mercredi 27 mars 2024

Construction d’un igloo avec Pascale Petit

Pascale Petit sait faire plein de choses et aime à nous en faire profiter. Elle sait même construire un igloo, comme en témoigne son tout nouveau livre paru aux éditions LansKine, inspiré de notre pratique des tutoriels de toute sorte, qu’elle détourne et décale pour votre plaisir et le mien, puisque je vous en lis un extrait, celui qui donne son titre au recueil : Construction d’un igloo.




mardi 26 mars 2024

court toujours (251)

C’est fou le nombre de cookies qu’on te demande d’accepter quand tu surfes sur Internet. Pas étonnant que tu prennes du poids malgré toutes ces heures de sport !




lundi 25 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 19

Il était arrivé. Il avait trouvé une place juste devant les locaux de Brunnen. Il avait fait son créneau, il s’était garé. Il était légèrement en avance, comme d’habitude, alors il prenait son temps ; il restait assis au volant de sa voiture. C’était un coupé sport qu’il venait de s’offrir – Messerschmied avait un faible pour les belles voitures –, et il n’était pas mécontent à l’idée d’entendre les compliments que Monsieur Witz, avec son obséquiosité habituelle, ne manquerait pas de lui faire à l’occasion de cette acquisition. Quant au contrat, eh bien, on verrait bien. La vie ne se résumait pas à signer des contrats. Messerschmied était sur le point de sortir enfin de son véhicule quand il entendit un bruit terrible, un choc énorme au-dessus lui ; un instant il eut l’impression que c’étaient les os de son crâne même qui venaient d’être écrasés par la chute d’un corps, un corps dense et dur. Mais non : ce n’étaient pas les os de son crâne.

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dimanche 24 mars 2024

court toujours (250)

« Le lecteur a-t-il besoin de ce trotte-bébé ? »

(Telle est la question que, la plupart du temps, le romancier ferait bien de se poser.)




mardi 19 mars 2024

Ils sont aux anges.

Ils sont aux anges. Avec mon stylo et Sans son stylo, à moins que ce ne soient Sans son stylo et Avec mon stylo. Guillaume Contré leur consacre toute une page, une page du Matricule qui aurait pu rester immaculée si l’encre n’avait pas coulé, et c’est peut dire qu’elle coule dans ce livre. Me voici donc aux anges car mon nom, pourtant absent des deux couvertures du livre(s), se retrouve, en belle compagnie, sur celle dudit Matricule. Lecture :



lundi 18 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 18

À chaque fois que, chez Brunnen, Messerschmied avait pris l’ascenseur pour se rendre dans le bureau de Monsieur Witz, il ne s’était rien passé. C’était pourtant vrai : à chaque fois, l’ascenseur avait fonctionné normalement. C’est sans doute pourquoi, dans ce que Messerschmied considérait à présent comme son inconscience – il préféra d’abord se dire « inconscience » pour n’avoir pas à exprimer explicitement son sentiment, car au bout d’un moment, il finit par admettre que de sa part, c’était moins de l’inconscience que de l’inconséquence, ou pire, une sorte de folie, une forme de pulsion de mort – c’est sans doute pourquoi, sans même se poser de questions (mais comment, comment avait-il pu agir de la sorte, sans même se poser de questions, sans prendre la moindre précaution élémentaire) ; c’est sans doute pourquoi il avait continué à prendre l’ascenseur, comme si lui, Messerschmied, chez Brunnen, il pouvait prétendre prendre l’ascenseur en toute impunité. Ce fut donc ce jour-là que Messerschmied dut payer pour toute cette inconscience, cette inconséquence, cette folie : il resta durant une heure et dix minutes coincé dans l’ascenseur, une heure et dix minutes dont il consacra les dernières à détruire, une bonne fois pour toute, les raisons de sa présence chez Brunnen.

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dimanche 17 mars 2024

court toujours (249)

Attends donc que la nuit tombe ou que le brouillard se lève, tu verras comme c’est beau quand on n’y voit plus rien.




jeudi 14 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 17

Ce n’était pas le contrat. Messerschmied n’en revenait pas : il était allé chez Brunnen, aucun événement grotesque n’était survenu, il avait signé – mais ce n’était pas le contrat. Le préposé, apparemment, s’était trompé de document. Il est vrai aussi, Messerschmied devait bien le reconnaître, il est vrai que dans sa hâte d’en finir, Messerschmied n’avait pas relu le contrat, sans quoi il se serait immédiatement rendu compte de la méprise. Il est vrai aussi que l’auteur de la confusion n’avait pas les responsabilités nécessaires pour faire signer le contrat à Messerschmied. Bref, Messerschmied devait bien admettre que si le contrat n’était toujours pas signé, la faute en revenait pour une bonne part à lui-même. C’est pourquoi, sans attendre une nouvelle invitation, laquelle il pouvait bien considérer comme tacite, il retourna une nouvelle fois chez Brunnen, toujours en hâte, en hâte, qu’on en finisse de cette affaire, qu’on en finisse enfin. Il était arrivé à l’étage du bureau de Monsieur Witz, cette fois ils allaient enfin signer le contrat, il tourna à gauche dans le couloir, trébucha et s’affala dans un bassin pneumatique rempli d’eau ; il aurait dû s’en douter, il aurait dû regarder où il mettait les pieds, il aurait dû deviner que là, juste à l’angle du couloir, il y aurait forcément un bassin pneumatique rempli d’eau.

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mercredi 13 mars 2024

à propos de mon stylo et de mon nom

Voici que mon nom apparaît sur la couverture du Matricule des Anges du mois de mars ; je n’en suis pourtant pas un des auteurs. Il faut croire qu’il (mon nom) s’est trompé de couverture, puisqu’il n’apparaît pas sur celles de Sans son Stylo / Avec mon stylo. Si ça se trouve (et ça se trouve très probablement), il est question d’Avec mon stylo / Sans son stylo sous la couverture dudit Matricule ; il va falloir la soulever.

En attendant, on peut aussi, depuis hier, lire l’article très fin (je trouve) que consacre la Viduité au même livre anonyme.




mardi 12 mars 2024

court toujours (248)

Quiconque commence une phrase par « je suis » est probablement pourvu d’une existence verbale.





lundi 11 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 16

C’était vraiment trop bête. Vraiment, c’était trop bête. C’était vraiment trop bête, enfin. N’y tenant plus, et sans même attendre une nouvelle invitation de Monsieur Witz, Messerschmied se rua, c’est bien le mot, Messerschmied se rua chez Brunnen. Il fallait mettre un terme à cette affaire qui prenait des proportions franchement déraisonnables. Une fois le contrat signé, une fois le contrat enfin signé, toute chose rentrerait dans l’ordre. L’ordre, il n’y avait que ça. L’ordre, c’était la seule chose qui comptât. Messerschmied arriva chez Brunnen et sans même avoir le temps de s’en faire la remarque, parvint au bureau de Monsieur Witz sans que le moindre incident insolite ne vînt l’interrompre. Il demanda immédiatement à voir Monsieur Witz, mais celui-ci était absent : il avait la grippe, lui apprit-on. Mais peu importait la présence ou l’absence de Monsieur Witz pouvu que Messerschmied pût signer le contrat, or le contrat devait se trouver dans ce bureau, non ? Le préposé fouilla un tiroir et en tira la liasse désirée. Messerschmied l’avait lu et relu tant de fois, ce contrat ; il en connaissait chaque terme par cœur. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il apposa sa signature au bas de chaque page et repartit sur-le-champ, dans une sorte d’éclair triomphal qui lui laissa comme une vague sensation d’irréalité.

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dimanche 10 mars 2024

court toujours (247)

Tu peux répéter ?

On ne peut jamais répéter : la deuxième assertion ne peut pas être la première, même si les mots sont les mêmes.




vendredi 8 mars 2024

Une écriture qui ne doit pas tuer sur-le-champ

« On ne peut évidemment pas se servir d’une écriture simple ; elle ne doit pas tuer sur-le-champ, mais dans un délai de douze heures (…) »


Franz Kafka, la Colonie pénitentiaire.


Oui, je viens de relire La Colonie pénitentiaire ; et je n’ai pas résisté à sortir cette petite phrase de son contexte : elle dit tellement bien ce que nous ressentons.



jeudi 7 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 15

En y repensant, cet épisode soûlographique collait vraiment mal avec tout ce que Messerschmied avait pu voir de Monsieur Witz, depuis qu’il avait affaire à lui. Il y avait probablement une explication, un malentendu. Et puis après tout cela ne regardait pas Messerschmied, aussi décida-t-il d’oublier l’incident et de se rendre derechef chez Brunnen, contrat sous le bras, sur l’invitation on ne peut plus courtoise que ne manqua pas de lui adresser Monsieur Witz. Au fond de lui, Messerschmied était d’excellente humeur. Il ne pouvait s’empêcher d’être d’excellente humeur. C’est d’un pas alerte et décidé qu’il pénétra dans le bureau de Monsieur Witz, qui lui tenait obligeamment la porte. D’un pas sans doute trop alerte et trop décidé, car Messerschmied dérapa sur le parquet trop bien ciré et s’aplatit contre le mur d’en face, lequel, qui plus est, venait manifestement d’être fraîchement repeint ; la peinture n’était même pas sèche encore, au point que le contrat que Messerschmied tenait à la main se retrouva collé au mur, tel un trophée dérisoire et absurde.

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mercredi 6 mars 2024

Avec Kafka

Ça y est, je viens de finir Kafka, le temps des décisions, la monumentale biographie de Reiner Stach, plus de huit cents pages qui pèsent entre les mains. Impression d’être avec Kafka. Impression redoublée car, depuis l’adolescence, j’ai souvent senti la présence de Kafka. C’est troublant, presque gênant parfois, cette intimité. Et pourtant on a envie d’y revenir. Heureusement j’ai déjà dans ma bibliothèque Kafka, le temps de la connaissance – car ce n’est pas fini ; merci Reiner Stach. Ça me prend du temps parce que je lis d’autres livres aussi, et parce que ça prend du temps, cette folie de travailler sur plusieurs textes en même temps. On n’est jamais sûr de terminer vraiment quoi que ce soit. J’ai relu le Verdict, récemment. Là, je viens de reprendre La Colonie pénitentiaire.



mardi 5 mars 2024

Sans son stylo, c’est lui-même qui lui manque.

Petite lecture du jour : un extrait de Sans son stylo, pour changer.

(Sans son stylo et son versant opposé Avec mon stylo sont disponibles en un seul volume qu’on peut lire dans tous les sens du sens aux éditions DO.)




lundi 4 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 14

Quand Messerschmied retourna chez Brunnen, il n’y resta pas longtemps. Le bureau de Monsieur Witz était entrouvert et une voix, qui n’était pas celle de Monsieur Witz, tutoyait familièrement son interlocuteur, accusé de se précipiter sur toute bouteille laissée à sa portée. Un coup d’œil dans la pièce confirma ce que Messerschmied venait d’entendre : Monsieur Witz, manifestement ivre-mort, gisait affalé par terre, une bouteille vide à la main, et se faisait sermonner par un comparse coiffé d’un bonnet à pompon. D’autres bouteilles, en quantité difficilement imaginable, jonchaient le sol. Dégoûté, Messerschmied partit sur-le-champ.




dimanche 3 mars 2024

court toujours (246)

Chez l’espèce humaine, on donne un nom propre à chaque individu. Ça lui donne l’impression d’exister.




samedi 2 mars 2024

court toujours (246)

Non vraiment, il faut distinguer l’œuvre de son auteur.

Et à quel salopard penses-tu, cette fois ?

À Dieu.




jeudi 29 février 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 13

Messerschmied était en avance. Il était arrivé chez Brunnen avec cinq minutes d’avance, parce qu’il était comme ça, Messerschmied ; il fallait que les choses avancent. Il était très élégant, comme d’habitude, malgré son embonpoint léger ; il portait son complet bleu, assorti à sa cravate d’un bleu à peine plus clair, laquelle disparaissait sous un gilet grenat – il faisait encore frais ; d’ailleurs il avait aussi sorti son pardessus tout neuf, son chapeau, ses gants et un élégant foulard à motifs fleuris. En attendant Monsieur Witz, qui n’était pas encore là – sans pour autant être en retard et d’ailleurs Messerschmied ne s’impatientait pas, peut-être même appréciait-il ce court instant de tranquillité –, en attendant Monsieur Witz, Messerschmied se débarrassait de son pardessus, de son chapeau, de son foulard ; il y avait là, contre le mur, un porte-manteau d’un goût douteux prêt à recevoir les affaires de Messerschmied. L’esthétique de l’objet lui paraissait bien un peu incongrue mais enfin, Messerschmied ne prétendait pas s’y connaître en design, aussi le regardait-il avec une vague curiosité ; c’est ainsi qu’il remarqua que ce porte-manteau était pourvu d’un fil électrique. La fiche n’était pas branchée à la prise toute proche. La tentation était trop forte pour Messerschmied ; sa curiosité, qu’il aurait volontiers qualifiée de scientifique, l’emporta sur toutes les considérations de sécurité qui auraient dû retenir son geste : il brancha le fil dans la prise. Aussitôt le porte-manteau s’anima ; c’était un objet articulé, manifestement mécanique mais quasi doué de vie, et aussi d’une intention mauvaise car en quelques secondes le pardessus de Messerschmied, ainsi que son foulard et son chapeau furent réduits en charpie sous les yeux exorbités, les nôtres le seraient à moins, de leur propriétaire.

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mercredi 28 février 2024

court toujours (245)

Plus il y a de vivants, plus il y a de morts.

Mais plus il y a de morts, moins il y a de vivants.

Donc : plus il y a de vivants, moins il y a de vivants.




mardi 27 février 2024