mardi 25 avril 2017

Dans le jardin d'un hôtel avec Gabriel Josipovici

Bon, j'ai lu Dans le jardin d'un hôtel. C'est le roman de Gabriel Josipovici qui vient juste de paraître chez Quidam, dans la traduction de Vanessa Guignery. Oui, Quidam c'est mon éditeur. Et Gabriel Josipovici l'un des auteurs phares de son catalogue, auquel figurent déjà Moo Pak, Tout passe, Goldberg : Variations, Infini– l'histoire d'un moment. Oui, je les ai tous lus. Oui : je les ai tous aimés. Un peu plus que ça, même. J'ai même lu Contre-jour. Triptyque d'après Pierre Bonnard, paru chez Gallimard en 1988. Non, ils n'ont pas été fichus de le garder, chez Gallimard ; on se demande ce qu'ils fichent, d'ailleurs. Et j'en ai même lu un autre encore dont je tais le nom parce qu'il n'est pas disponible en français. Donc oui : mon intérêt pour le travail de Gabriel Josipovici dépasse ma naturelle solidarité avec mon éditeur.
En parler, maintenant. A chaque fois avec lui les mots me manquent. Il y a chez Josipovici une limpidité qui n'est pas qu'apparente, une sorte de limpidité proprement extraordinaire : on voit des choses qui sont si fines, si ténues qu'on est en droit de douter de leur propre existence. Et pourtant, on les voit. C'est qu'il y a là véritablement quelque chose. Alors bien sûr je pourrais juste gloser le récit : dire comment Ben raconte à Rick et Francesca comment, en vacances avec Sandra dans un hôtel qui n'est pas celui du titre, il a fait la rencontre de Lily, laquelle lui a racontée comment, autrefois, sa grand-mère est tombée amoureuse d'un jeune homme déjà fiancé, retrouvé, après une première rencontre, dans le jardin d'un hôtel, celui du titre cette fois, celui que Lily est venue retrouver cet été, à Sienne, juste avant de finir les vacances dans les Dolomites, où elle rencontre Ben. Mince, j'ai tout raconté. Horreur. Attends, je me relis. Non, ça va, je n'ai rien raconté du tout, en fait.

Car il s'est passé quelque chose là, dans cet hôtel, ou plus tard dans cet autre hôtel – ou non : il ne s'est rien passé. Non qu'on doute de la réalité objective des événements racontés comme dans certains romans contemporains qui par ailleurs me sont chers. Non. Simplement : savoir si ce qui s'est passé est quelque chose, ou pas. Car ce qu'on lit, ce n'est jamais que plusieurs conversations (il y aurait tout un travail à faire sur la conversation chez Josipovici, je la vois comme sa partition, la conversation, avec des interprètes multiples, des parties multiples ; si j'étais un peu musicien je vous expliquerais probablement ça beaucoup mieux), plusieurs conversations donc qui en retracent d'autres, d'autres conversations plus anciennes, le tout devenant une vaste conversation intégrant finalement celle entre Rick et Francesca, qui discutent entre eux de ce qu'ils ont entendu de la bouche de Ben, ne sont pas forcément d'accord, comme nous ne le serons pas, nous non plus, le jour où vous aurez lu Dans le jardin d'un hôtel et que nous en parlerons ensemble.


Gabriel Josipovici sera l'invité de la libraire Charybde, 129 rue de Charenton à Paris, demain mercredi à 19h30. Je ne vais pas manquer ça, pour ma part.



dimanche 23 avril 2017

devoir (pas seulement électoral)

Quelle différence voyez-vous entre "élu démocratiquement" et "élu de manière réglementaire" ?
Vous avez quatre heures. Et même un peu plus.


PS du soir : Voilà. La différence, on la vivra dans quinze jours, et pendant cinq ans.
(Précision : ce n'est évidemment pas la présence de Macron au 2e tour qui me gêne, même si on aura compris que ce n'était pas mon choix. C'est la présence d'une candidate que même Jean Lassalle aurait eu de bonnes chances de battre au second tour, tant elle provoque de rejet.)

vendredi 21 avril 2017

Histoire immédiate

Je viens de voir un truc dans le jardin, sur la pelouse. Je ne savais pas ce que c'était, ça n'avait pas l'air d'être un chat. Je n'avais pas mes lunettes alors je ne voyais pas bien mais ça n'avait pas l'air d'être un chat (parce que parfois dans le jardin sur la pelouse il y a un chat). Alors ce que j'ai fait : je suis sorti et je suis allé voir. Je suis arrivé sur place, je l'ai regardé de près (je vois très bien de près), et je l'ai même pris dans mes mains pour essayer de comprendre ce que c'était. En effet, ce n'était pas un chat, ce n'était pas du tout un chat. Je ne sais pas du tout ce que c'était.
Tout compte fait même de loin je n'ai pas vraiment besoin de lunettes.

samedi 15 avril 2017

Ego paradoxal

Quand on a le sentiment d'avoir vraiment réussi un livre (pour autant que réussir ait un sens), on aimerait bien mais on ne peut même pas vraiment en être fier. Au contraire, on se sent tout petit à côté ; on appréhende l'avenir. On ne fait pas son fier, quoi.

jeudi 13 avril 2017

La France a peur.

Comme disait Roger Gicquel, la France a peur. Rendez-vous compte : Jean-Luc Mélenchon, si l'on en croit les sondages, aurait une chance d'arriver au second tour. Panique à bord. Cela fait des mois qu'on nous annonce Marine Le Pen au second tour sans que ça émeuve plus que ça, on s'était fait une raison ; mais avec Mélenchon, non, ça n'est plus possible. Que signifie cette peur ? Ou plutôt, que présuppose-t-elle ? Que Le Pen sera au second tour (est-ce si inévitable, d'ailleurs ?), et que dans ce cas une part importante des électeurs se retrouvera sans choix possible. Personnellement il y a là quelque chose qui choque ma raison. Pour beaucoup d'électeurs, avoir Le Pen au second tour, ça signifie déjà devoir voter contre elle. C'est déjà en soi un non-choix. Un non-choix intolérable en démocratie. Et c'est le système même, ce type d'élections avec à la clé son régime de monarchie présidentielle, c'est cela la cause même du non-choix. Chaque parti tente de gagner par défaut contre Le Pen, laquelle dans tout ça n'est qu'un repoussoir. Que peut-on espérer d'un parti qui prend le pouvoir par défaut ? On a vu le résultat. Ce qu'il faut réformer, c'est la Ve République.

lundi 10 avril 2017

ce livre intitulé ce livre

*Permettez-moi de revenir un instant sur la notion d'autoréflexivité (ou autoréférentialité, ou conscience de soi), qui joue évidemment un rôle significatif ici. Depuis le tout début – depuis le titre, en fait – ce livre semble ne parler que de lui-même. Mais est-ce vraiment le cas ?*

Je m'étais promis de parler un peu de ce livre, ce livre, donc, dans ces Hublots, alors je le fais. Si du même Guy Bennett traduit par le même Frédéric Forte aux mêmes éditions de l'Attente vous avez déjà lu Poèmes évidents, ça va vous rappeler des souvenirs ; sinon, rappelez-vous.

Ce livre déictiquement intitulé ce livre fait le pari de ne parler que de lui, de la manière la plus essentielle qui soit, dans un projet qui n'est pas sans rappeler le livre sur rien de Flaubert dans sa lettre à Louise, mais qui assumerait de l'être vraiment. Mais tout en assumant vraiment n'être que cela, n'est-il pas aussi véritablement autre chose ?




jeudi 6 avril 2017

« Le mot, c'est la mort sans en avoir l'r. »

Je viens d'apprendre la disparition de Michel Arrivé. C'est bien trop tôt mais il paraît que c'est comme ça. C'est comme ça mais pour moi ça passera toujours mieux avec des mots, alors des mots en voici.
« Le mot, c'est la mort sans en avoir l'r. », non ça n'est pas de moi – et je le regrette. Car bien au-delà du très joli jeu de lettres cela dit bien tout ce qui à mes yeux est en jeu dans le langage. Ces mots sont de la main d'Adolphe Ripotois, l'écrivain méconnu dont Alfred Hellequin écrit la biographie dans les Remembrances du vieillard idiot, non le poème de Rimbaud mais le premier roman de Michel Arrivé, paru en 1977.
Michel Arrivé a donc écrit des romans ? Je n'en savais rien moi-même lorsque je l'ai rencontré à la Fête de l'Humanité, il y a une dizaine d'années. Pour moi, outre le Bescherelle dont il assurait la publication, Michel Arrivé était surtout le spécialiste de Jarry dont il a assuré l'édition dans la Pléiade (je me rappelle son œil surpris quand je lui ai mentionné son article « Structuration et destruction du signe dans quelques textes de Jarry » paru chez Larousse en 1972) et bien sûr le professeur de linguistique, auteur notamment de la Grammaire d'aujourd'hui qui a fait les beaux jours de l'étudiant en lettres que je fus et de pas mal d'autres.
C'était Une très vieille petite fille qui l'amenait au Village du Livre de la Fête de l'Huma, un roman où la mort et le mot encore étaient en jeu, puisque la narratrice n'aboutissait au livre qui nous était donné à lire que par la « désécriture » des registres qu'elle avait tenus durant sa vie entière, et ce dans l'espoir de prolonger sa longévité jusqu'à, pourquoi pas, l'immortalité.
Puis nous avons pris l'habitude de nous lire et Michel Arrivé m'avait fait l'honneur d'un très bel article sur Liquide dans lequel il était le premier, je ne m'en suis pas étonné, à noter l'effacement aussi discret que possible de la personne grammaticale du récit que je tentais d'y mettre en œuvre. Ecrire sur les livres de l'autre était une manière plus sûre d'en parler – j'ai moi-même publié sur ce blog quelques articles à propos notamment de ses romans suivants, également parus aux excellentes éditions Champ vallon : La Walkyrie et le professeur, Un bel immeuble, L'Homme qui achetait les rêves, vous pouvez cliquer –, une manière plus sûre pour nous d'en parler, disais-je, que d'attendre notre prochaine rencontre car il faut bien confesser que lors de celles-ci nous parlions assez peu de littérature, ni même de linguistique (et pourtant vous savez, ou au moins vous devinez combien la linguistique a pu me passionner et me passionne encore) car un autre sujet que nous avions en commun l'emportait toujours : la mycologie. A chaque fois que nous nous sommes rencontrés, nous avons toujours fini par parler de champignons. C'était un autre point commun, fort, qui nous rassemblait ; nous nous étions d'ailleurs fait la remarque que lui comme moi, nous avions goûté à peu près autant d'espèces différentes que notre vie comptait d'années. Comme il en avait une petite trentaine de plus que moi, il conservait largement l'avantage. Les champignons jouent d'ailleurs un rôle non négligeable dans certains de ses romans, aux côtés des rêves, au côté des mots – de la conscience des mots.

Mes pensées accompagnent sa famille, mes vœux accompagnent ses romans.