mardi 30 décembre 2014

des nouvelles du front

Tel que vous me voyez là, en ce moment, j'écris. C'est pourquoi faute de temps je vous poste ce dessin qui a une vingtaine d'années, qui date d'une époque où j'avais le sentiment d'avoir vraiment beaucoup de mal à écrire, et qui me représente assez fidèlement au moment où j'écris.

dimanche 28 décembre 2014

Le sens, quelle importance ?


1995, je crois. L'orientation de l'image a été curieusement modifiée par Blogger : pour bien faire il faudrait la faire basculer de 90 degrés vers la gauche. Mais après tout, le sens, quelle importance ?

vendredi 26 décembre 2014

Mon jeune grand-père (64)



                     Le 26 juin 1916
                               Mon cher Papa -
   Le 23 a été pour moi une journée heureuse, j’ai reçu ta carte du 15 (j’imagine qu’elle doit répondre à la carte d’Edmond du 29 mai, sa première longue carte) et tu peux te douter comme cela m’a fait plaisir. Je commençais à trouver le temps long et je me demandais pour quelle raison vous n’aviez pas encore de mes nouvelles. Enfin ma première carte du 21 mai est quand même arrivée, c’est déjà quelque chose (non, c’est la première carte courte où Edmond dit juste qu’il s’en est sorti indemne et qu’il est prisonnier) l’officier qui s’est chargé de les faire partir ne nous a donc pas trompés. D’un autre côté il est bien extraordinaire que ma carte du 29 de Mayence qui devait partir immédiatement ne soit pas arrivée le 17, car je viens de recevoir ce matin ta carte du 17. Notre correspondance ne subit pas de retard en passant par Mayence et vous auriez pu en toute tranquillité m’expédier des colis. J’ai hâte d’en recevoir ; surtout pour le pain, car pour moi surtout qui mange beaucoup de pain il est embêtant d’être forcé de me rassassier. Je suppose qu’il voulait dire « me rationner ». Je sais bien que les Allemands sont bien moins mangeurs de pain que les Français, je crois qu’en Allemagne la pomme de terre s’est implantée bien plus tôt dans les habitudes alimentaires parce que le pain y avait moins d’importance. Voilà, ce sont à des choses comme ça aussi que je pense en lisant ces mots, et aussi à l’expression d’Homère, les « hommes mangeurs de pain », pour dire les hommes comme nous, les hommes humains. Je crois qu’en outre du pain tu pourrais m’envoyer des biscuits pour prendre avec le café c’est très bon. On en fait surtout de très bons chez Félix Potin. Félix Potin ! _ Le jeune Jérôme est disparu le même jour que moi. Quel âge avait-il pour qu’Edmond l’appelle « jeune » ? J’ai interrogé des officiers de son régiment prisonniers avec moi, mais je n’ai pas pu savoir ce qu’il était devenu. Pour Beaugez, j’espérais qu’il avait pu se (je crois que c’est « sauver » mais je n’arrive pas à lire), mais maintenant il n’y a plus que 2 hypothèses : il est tué ou blessé et soigné dans un hôpital allemand. Ce présent, « il est tué », me retient. Sa mort est présente. La mort évidemment est partout présente. Le temps s’est remis au beau depuis quelques jours, il fait même très chaud. C’est déjà la manière d’Edmond : ne pas s’attarder sur les choses qu’on est quand même obligé de dire, quitte à passer sans transition aux banalités. Les banalités sont là pour dire que la vie est toujours la vie, en juin il fait beau et chaud, en juin 1916 comme en n’importe quel juin. Samedi j’ai fait une bonne promenade au dehors du camp. Je t’embrasse bien fort mon cher papa, ainsi que maman, Geneviève et Louis et toute la famille. Ton fils qui t’aime. EAnnocque

mardi 23 décembre 2014

Hublot de l’homme (10)



L’homme est une espèce en voie de disparition à l’état sauvage.
L’homme est un primate dont la queue n’est pas préhensile parce qu’il n’en a pas.
L’homme est un euarchonte, figurez-vous. Comme le toupaye et le colugo.


lundi 22 décembre 2014

Hublot domestique : local d’entretien (2)



Contrairement à celui de ses habitants, le thermostat de la maison ne doit pas être programmé sur 37 degrés.

L’aspirateur bien compris aspire son propre fil après emploi, puis son tube aussi s’escamote à l’intérieur de lui-même.

Javel je ne boirai pas de ton eau.


 

samedi 20 décembre 2014

lettre de sécurité



Le Q de la coquille est la coquille elle-même et les lettres qui restent la couille qu’elle nous cache.


vendredi 19 décembre 2014

Du nouveau sur les Hauts Plateaux

Et cette fois-ci c'est sur La Cause Littéraire, sous la plume de Philippe Chauché, et ça me donne envie de me relire, tiens. Cliquez donc en attendant.

jeudi 18 décembre 2014

Mon jeune grand-père (63)



Mes chers parents     19 juin
Cette carte-là ressemble bien davantage à celles qui suivront. Elle est prise dans le sens vertical, et l’écriture très serrée au crayon à papier bien taillé en remplit toute la surface. Il manque l’année, toutefois. 1916. Edmond n’imagine pas combien de temps il restera là. A Reisen.
J’attendais toujours pour vous écrire d’avoir de vos nouvelles mais je ne vois rien venir. Je commence à trouver le temps long. Prends patience, Edmond ; tu n’as pas fini d’attendre. Il y a un capitaine qui a écrit en même temps que nous et qui a déjà reçu trois lettres. Mais tes parents n’ont pas encore reçu la carte où tu donnes ton adresse, ils ne la recevront qu’après-demain. Dieu sait quand arrivera celle que tu es en train d’écrire. C’est bizarre, mais enfin il faut prendre son mal en patience. Et puis je pense que vous avez dû être plus malheureux que moi, si vous n’avez pas reçu de mes nouvelles rapidement. On nous avait pourtant bien promis que les cartes du 21 et du 29 partiraient tout de suite. Elles ont fini par arriver, en tout cas. Car je ne sais pas si je vous l’ai dit mais nos lettres restent 10 jours en dépôt avant de partir. Le temps continue à être mauvais, il ne se passe pas une journée sans pluie ou orage. Je passe mes journées à faire un peu d’allemand, je traduis les communiqués dans les journaux allemands. _ Les promenades à l’extérieur ont commencé. Je suis sorti jeudi. Je marque par un tiret bas l’étirement volontaire de certains points qui servent manifestement à faire l’économie d’un changement de paragraphe. Nous avons été nous promener une heure et demie dans la campagne. _ Hier dimanche, nous avons été à la messe à l’église de Reisen. Mon commandant a dans sa cantine des lettres qu’il ne voudrait pas que sa famille ait. Il avait donné des instructions à Dagnicourt. Il m’a demandé de demander à papa s’il ne voudrait pas se charger de rappeler à Dagnicourt « qu’il n’oublie pas les recommandations faites au sujet des lettres de la sacoche placée dans le bissac de la selle. » Si les cantines sont arrivées au dépôt, il voudrait que tu lui fasses envoyer en colis de cinq kilos : le linge, les cols de tunique et poignets ficelés, les portefeuilles livres, une tunique bleue avec la culotte, des souliers et des bandes molletières. Il voudrait qu’on envoie à sa famille sa sellerie, ses manteaux bleus et sa peau de bique. Si cela n’était pas possible dis-le moi ; mais fais tout ton possible, car je serai heureux d’avoir pu lui rendre service, car c’est un brave type. Il voudrait aussi qu’on lui expédie ici les paquets arrivés à son adresse depuis le 20 mai. Je te rappelle son nom : Ct Germain du Pavillon (ou peut-être plutôt Guain du Pavillon ; une requête Google éclair ne m’en dit pas plus). _ Le courrier de ce soir vient d’arriver, il n’y a encore rien pour moi. Et il n’y aura rien demain, ni après-demain. Mais ça viendra. Je vous quitte en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tout son cœur. EAnnocque

mercredi 17 décembre 2014

Un regard sur Rien



C’est celui de Charybde 7, de la librairie Charybde (qu’on ne présente plus mais qu’on vous recommande vivement de visiter), sur mon dernier premier roman Rien (qu’une affaire de regard), et c’est sur Sens Critique :



Jeune étudiant avec peu d’expérience, sexuelle notamment, Herbert Kahn ne manque pas d’ambition. Il caresse l’espoir de devenir écrivain, travaille sur le manuscrit de son premier roman, au titre révélateur, «Le Conflit», tente de mettre en scène sa pièce de théâtre, et rêve de séduire les filles et d'être regretté. Malgré ce volontarisme, Herbert ne fait qu'effleurer son existence, sans cesse tourmenté par la conscience de lui-même, occupé à s’observer plutôt qu’à vivre.

«Comment ces gens peuvent-ils savoir qu’il existe, alors que lui-même en est à peine certain ?»

À distance de la vie, c’est difficile d’en jouir ; alors le cours de l’existence d’Herbert, héros impuissant, prend l’allure d’une impasse, plutôt que celle d’un fleuve.

«Il imagine la possibilité de faire l’amour en dormant, le sommeil étant le seul moyen de s’abstraire suffisamment de soi-même pour éprouver un plaisir purement physique.»

Oscillant en permanence entre des rêves de gloire et une perception pitoyable de lui-même, Herbert, personnage complaisant et velléitaire, agace souvent. Mais il attendrit aussi. Il est si familier.

«Sa pensée de pur plaisir le propulse ensuite, comme d’habitude, dans un futur glorieux où, au-delà d’un succès d’abord modeste, se dessine bien vite une réussite telle – aussi bien en tant que comédien, que metteur en scène, que dramaturge ; sans oublier son œuvre romanesque, poétique, critique, et pourquoi pas philosophique – que son invraisemblance finit par le gêner quelque peu.»

Premier roman de Philippe Annocque, revu et republié par Quidam éditeur en 2014, «Rien (qu’une affaire de regard)» est un livre ironique, souvent très drôle, et cet homme qui sans cesse se questionne sur le cours de sa vie donne envie de replonger dans le magnifique «Liquide», du même auteur (Quidam éditeur, 2009).

«C’est à peine si elle le regarde quand Marie enfin nue se précipite à nouveau sur lui, lui-même a à peine eu le temps de la voir, il ressent surtout le contact dur des articulations et se demande pourquoi donc les filles s’obstinent à faire du régime, ce sont surtout des mots qu’il se dit dans sa tête, par peur de la trouver vide. Alors que dans un souci de justice il commence à admettre que c’est aussi, pour moitié, sa propre maigreur qui rend inconfortable leur étreinte, un goût soudain et incongru fait irruption dans sa bouche, qu’il croit sans enthousiasme identifier comme celui du cassoulet, et lui fait se rendre compte qu’ils sont en train de s’embrasser ; il peut quand même constater que, à force d’expérience, l’activité est nettement moins laborieuse et douloureuse que ce qu’il a déjà connu.»

mardi 16 décembre 2014

les grincements



Veiller à ce que les portes ne grincent pas. En premier lieu, au premier lieu, qu’aucune porte surtout. Le grincement c’est la porte poussée lentement ça veut dire l’éradication de la franchise, ça veut dire l’imminence du danger, ça veut dire lenteur, poids, violence en suspens. Qu’aucune porte ne grince. Inscrire cette condition au haut de chaque page, en préambule de chaque conversation. Une porte qui grince glace le sang. Une porte qui grince porte ouverte à la terreur, à l’asphyxie, aux souvenirs, visages collés contre la rétine. Une porte qui grince c’est toujours dans ton dos quand tu penses à autre chose, quand tu crois à ces mots improbables sécurité – tranquillité – sérénité. La porte grince, ton dos se durcit, ta mémoire s’affole, ta salive en crue, ton espace envahi, la contamination rampe, te voilà acculée, la menace grince.

Perrine Le Querrec, La Patagonie, Les Carnets du Dessert de Lune, 2014, p. 22.

lundi 15 décembre 2014

Hublot de l’homme (9)



L’homme est un animal qui parle parce qu’il ne sait ni rugir ni beugler ni miauler ni bêler ni glapir ni glatir ni caqueter ni craqueter ni croasser ni coasser ni chicoter ni blatérer ni bourdonner ni feuler ni braire ni barrir ni hennir ni bramer ni gazouiller ni pépier ni trompeter ni cancaner ni cacaber ni jaboter ni grouiner ni striduler ni baréter ni zinzinuler ni boubouler ni clapir ni hululer ni trisser ni caracouler ni coqueliner ni clabauder ni nasiller ni pupuler ni coucouler ni bégueter ni rauquer ni raire.

dimanche 14 décembre 2014

Hublot domestique : local d’entretien



Parce que le débarras n’est pas forcément bon.

Les aspirations de l’aspirateur ne sont pas les nôtres.

Quel confort de contempler la tempête mise en boîte par le hublot du lave-linge ! (Mais pourquoi diable faut-il que le naufrage soit toujours celui d’un voilier ?)


samedi 13 décembre 2014

lettre enflammée



Le i de la bougie est la bougie elle-même et les lettres qui restent ce qui bouge sous le point de sa flamme.



vendredi 12 décembre 2014

Mon jeune grand-père (62)



Il n’y a pas de date à celle-ci. Juste quelques lignes au crayon à papier, espacées ; en plus de ce qu’elles disent j’y lis aussi le désir d’être le plus lisible possible : de cette carte dépendra le lien, le seul possible. La correspondance.
Voici ma nouvelle adresse :
Sous-lieutenant Edmond Annocque
Stübe 79
Offiziergefangenenlager Reisen
(« Reisen » est souligné deux fois.)
Province in Posen
(« in » est raturé quatre fois, sans lever le crayon.)
Allemagne

Un tampon au dos de la carte indique « 10 JUN 16 ». Quelqu’un, mon arrière-grand-père j’imagine, a rajouté presque verticalement « 21 juin ». La carte a mis onze jours. Elle servira d’étalon aux suivantes, sans doute : trois semaines seront donc nécessaires à un échange véritable.
Je suis né un 10 juin. La captivité d’Edmond aura peut-être été l’une des plus notables, parmi les innombrables conditions nécessaires à cet improbable et lointain événement. Puisque en réalité tout est lié. Puisque malgré les apparences tout est lié.

mercredi 10 décembre 2014

Le montreur d’ours et le patron de presse



Le montreur d’ours

Il va de village en village avec son ours de Sibérie, un bel animal capturé tout petit dans la forêt de Listvianka, au dessus du lac Baïkal (lequel contient 20% des réserves d’eau douce de la planète, ce qui n’empêcha pas l’auteur de ce livre de mettre les pieds dedans, soit dit en passant comme toute chose). Des chasseurs avaient tué la mère. Il adopta l’ourson.

Il a bu mon lait comme si j’étais elle.

Puis il est devenu ce magnifique animal de six cents kilos, haut de deux mètres, au pelage presque noir. Une bête de cette taille vous décapite d’un seul coup de patte. Omnivore comme tout un chacun : si la purée de carotte ou le miel viennent à manquer, il se contente d’un rôti proprement dévêtu et déchaussé qu’il dévore ensuite avec les grandes fourchettes extraites de ses manches de fourrure.

Mais Omoul n’a jamais tué personne.

Brave bête docile et bien nourrie à laquelle il a appris à danser en rond, à bercer une poupée, à rattraper un ballon, puis encore à hocher la tête de haut en bas ou de droite à gauche en réponse à ses questions. Veux-tu une pomme ? L’ours acquiesce. As-tu voté Poutine ? L’ours dément, et fait claquer ses babines. Ils se sont montrés partout en Russie, il est temps d’exporter le spectacle.

Nous avons obtenu un visa pour la France.

L’exil est une épreuve amère. Quand l’avion a survolé le Baïkal, Omoul a laissé échapper un petit gémissement. Ensemble, ils vont de foire en foire. L’ours porte un large collier clouté de cuir rouge qu’une chaîne relie au bracelet renforcé de son maître. Quand ils arrivent sur la place, on s’attroupe, on ouvre de grands yeux. Des ours, on en a vu souvent, mais :

Un montreur d’ours !

Eric Chevillard, Dans la zone d’activité, Fata Morgana, 2014, p. 53-54.

Le boucher, le clown, l’ophtalmologiste, le maraîcher, le brancardier, le maître-nageur, le vitrier, le libraire, le directeur des ressources humaines, le guide de haute montagne, le saisonnier, le mathématicien, le chargé de communication, le notaire, le grutier, le coureur de 100 mètres, le montreur d’ours (ci-dessus), l’antiquaire, le berger, le médecin, le torero, la caissière, le maroquinier, le marchand d’armes, la trapéziste, l’huissier, le pape, le rédacteur funéraire se retrouvent donc dans la zone d’activité d’Eric Chevillard. C’est souvent féroce car on sait l’homme mauvais, hargneux, haineux même, et pourtant, une fois n’est pas coutume, je suis resté légèrement sur ma faim. Il manquait quelque chose. Et d’un coup, cette évidence : le patron de presse ! Il a oublié le patron de presse. Avouez que c’est dommage.

(Une précision. Personnellement j’ai lu, je lirai sans doute encore Modiano avec bonheur. Et je trouve qu’émettre des réserves quand on en a sur l’un des nombreux livres d’un auteur justement reconnu, c’est une marque de considération bien plus forte que l’admiration béate que l’on voue trop souvent à des figures illustres alors que seule l’œuvre compte. Nous sommes sans doute quelques-uns à l’entendre de la sorte. Des réserves, je n’en ai pas à proprement parler concernant Dans la zone d’activité, sinon je ne le citerai pas ici ; mais si vous n’avez jamais lu Chevillard chez Fata Morgana, je vous conseillerai de passer en priorité par le Péloponnèse, qui conserve ma préférence.)

mardi 9 décembre 2014

Nocturama de G. Mar



On pourrait être tenté de croire que pour dire le monde il suffirait de le regarder, les yeux ouverts, écarquillés même pour plus de clairvoyance, en pleine lumière. L’esprit lucide. Mais on sait bien qu’on ne voit que la surface du monde. L’évidence cacherait l’essentiel s’il y en avait un – on n’en sait rien. Alors autant fermer les yeux. On le voit quand même, le monde, on s’y voit aussi, même. Et ce qu’on y voit, c’est autre chose. Ou bien la même chose, mais autrement. En perpétuelle découverte :

TCHERNOBYL

Nous (qui ? je ne le sais pas encore) sommes dans une maison crépie sans étage située en périphérie, à l’écart du surplomb de ce qui doit être une ville du Sud de la France (à moins que ce ne soit la Crimée) – paysage de basses montagnes rocailleuses à la végétation rare tout autour de cette villa et, de l’autre côté de la route (il y a à présent une route), une centrale nucléaire (il fait très chaud) d’un genre spécial puisqu’elle fonctionne au gaz – nous, c’est moi et ma femme – flamboyante, neuve, avec des gazoducs et des cuves de stockage de chrome – nous venons certainement d’emménager après avoir quitté le Nord, ses mers de briques et ses terrils en guise de montagnes Sainte-Victoire.

p.35

Chicago aussi est dans les Ardennes et Rome outre-Atlantique. Une descente du narrateur en pirogue parmi les îles sénégalaises du Saloum vers un secret que doit lui montrer l’imam ami perdu de vue depuis tant d’années est en même temps l’évocation des avions percutant les tours du World Trade Center :

Cheik s’est remis à pagayer – plus un son sinon celui de sa rame qui remue l’onde – derrière nous le feu ne luit plus – les enfant se sont tus – Cheik navigue à l’instinct sous un ciel étoilé – je sens les cendres provenant des tours en feu continuer de tomber – elles se mélangent à l’humidité qui nous ruisselle sur la peau et forme avec elle une pâte épaisse à l’odeur de poisson laissé à pourrir – d’un doigt je me dessine à l’aveugle des ronds creux sur les bras et le torse

p. 76

Se dessiner à l’aveugle des signes sur le corps c’est peut-être aussi tout simplement ce que fait G. Mar dans ce livre qui vient tout juste de paraître et dont on ne s’étonnera qu’il vienne côtoyer Quoi faire de Pablo Katchadjian dans la nouvelle et très onirique collection POC ! des belles éditions Le Grand Os.
Romain Verger aussi a lu NocturamaTextes-Rêves & Hypnagogies (le sous-titre est un programme), faites un détour par sa Membrane.


lundi 8 décembre 2014

J’ai de la chance.



L’autre jour j’étais en voiture et je me disais que j’avais de la chance. « Je », je veux dire celui qui en moi écrit ; j’ai sans doute de la chance ailleurs aussi mais c’est un autre sujet. Et puis je tombe sur une interview de Volodine (c’est dans Livre-Hebdo mais il faut être abonné ; je ne sais pas d’ailleurs comment j’y ai eu accès, là je ne peux plus) dont le titre est parlant : « Le commerce actuel du livre est une manière de transformer la censure » ; ainsi d’ailleurs que le chapeau : « Pour le prix Médicis 2014, la pression exercée par le marché du livre sur les écrivains les incite à s’autocensurer. » Et c’est pour ça que j’ai de la chance – en fait. Entendons-nous. Je suis entré non pas dans l’écriture mais disons dans la littérature officielle par, allez, une grande porte : éditions du Seuil, rentrée littéraire et tout le toutim ; et avec un texte que j’aime toujours mais qui avait été écrit très consciemment pour qu’il soit publié. C’est d’ailleurs pour ça qu’il a été publié aussi facilement. J’avais parfaitement conscience qu’à côté des qualités qui font que je l’aime toujours, il avait aussi un peu celles d’un produit assez facilement commercialisable. Ce livre était aussi une manière de franchir le Rubicon. Après quoi, me disais-je, je pourrais écrire ce que je veux – c’est-à-dire à chaque fois autre chose, à chaque fois un premier livre, non pas seulement mon premier livre, mais le premier livre, comme si tout restait à faire, carrément, comme si on pouvait tout remettre en jeu. Les choses n’ont pas marché comme je l’imaginais, proposer autre chose est un risque (de perdre des lecteurs, disons-le) que toutes les maisons d’édition ne sont pas prêtes à prendre – il faut dire aussi que je n’en avais déjà pas tant. Mais là où j’ai de la chance, c’est que désormais libéré des contraintes qui pèsent sur un auteur dont on attend que chaque titre se vende à plusieurs milliers d’exemplaires et qui vont nécessairement, comme le dit Volodine, influer sur son travail, l’inciter à renoncer à tel projet trop risqué qui pourtant le tenterait bien, je peux me permettre de proposer à des éditeurs courageux (ou fous, ou ivres, ou de bon goût, c’est selon) ce qui me tient à cœur, ce qui me fait envie de lire (car c’est cette envie aussi qui me fait écrire : être le premier lecteur d’un texte qui s’écrit sous mes yeux et dont l’écriture même est ma propre aventure) sans me soucier d’impératifs commerciaux. C’est ce que je me disais en voiture l’autre jour : honnêtement, si le Seuil avait accepté (en plus c’est passé à un cheveu, à ce qu’il paraît) de publier Par temps clair (mon vrai deuxième livre publié plus tard dans des circonstances défavorables hors sujet dans ce billet), je n’aurais sans doute jamais écrit Chroniques et la plupart des livres qui ont suivi. En tout cas pas sous cette forme. Et c’est particulièrement vrai de Vie des hauts plateaux, et aussi de mes deux prochains livres, dont il est encore trop tôt pour parler. Et quand j’y pense, je trouve que ça aurait été dommage.

samedi 6 décembre 2014

mon oreille à Limours

Demain après midi je serai avec mon oreille au Salon du Livre jeunesse de Limours, en dédicace de ladite oreille sur le stand de la librairie Interlignes. C'est à la Scène, 1 bis rue Michel Berger, à Limours donc, en Hurepoix, même. Les grandes personnes ne sont pas interdites.
http://hublots2.blogspot.fr/p/blog-page.html
Vous aurez droit en prime à un atelier d'écriture animé par Pascale Petit en (grande ?) personne.
(Vous pouvez cliquer sur l'image pour regarder dans mon oreille.)

vendredi 5 décembre 2014

Mon jeune grand-père (61)



Et voici donc à présent sa première vraie carte. Elle est encore tenue horizontalement mais l’écriture d’Edmond, au crayon à papier, y occupe tout l’espace. Je la retourne et constate que l’Offiziergefangenenlager n’est pas encore Reisen in Posen mais, en lettres majuscules, MAINZ. Mayence, donc. On est bien loin encore de la Pologne.
  Le 29 mai 1916. Mes bien chers parents. La ligne, horizontale, est longue. Il y a la place pour « bien ». Edmond espace même les mots.
Je puis enfin aujourd’hui vous donner de mes nouvelles. Vous pouvez vous rassurer sur mon sort. J’ai échappé à la fournaise et je suis encore en excellente santé. « Fournaise », c’est la première fois que je vois ce mot sous la plume d’Edmond. C’est vrai aussi que je n’ai pas pris les cartes dans l’ordre. Je sais très peu de choses de mon grand-père. Avant de lire ces cartes, de la guerre, je savais qu’il avait été prisonnier en Allemagne après que la tranchée où il se trouvait avait été passée au lance-flamme. Est-ce comme ça qu’on dit ? Ils seraient deux à avoir survécu et à avoir été faits prisonniers. L’autre soldat n’étant pas officier s’est forcément retrouvé ailleurs. J’ai bien pensé à vous tous ces jours-ci. Dans quelle inquiétude vous avez dû vivre ! Inquiétude inversée. Je suis prisonnier avec mon commandant, cinq autres officiers du bataillon, les 2 majors et l’aumônier. Gillet est également prisonnier mais il n’est pas avec nous, car les soldats ont été dirigés sur un autre camp. Gillet. C’est sans doute le soldat de la tranchée brûlée. Je me souviens que plus tard dans sa correspondance ce nom de Gillet reviendra. Une madame Gillet, et une Lolotte Gillet. En même temps, c’est un nom courant. Je ne sais pas ce qu’est devenu Beauguez (si je lis bien). Depuis que je suis prisonnier, j’ai passé (je n’arrive pas à lire si c’est « six » ou « dix », c’est raturé) jours à Stencey (ça ne doit pas être ça, ça ne fait pas très allemand) et nous sommes maintenant à Mayence dans la citadelle. Aussitôt dans mon esprit les tours de la Grande Illusion, je crois que c’est le Château du Haut-Kœnigsbourg qui a servi au tournage. Nous sommes en quarantaine pour cinq ou six jours. Nous avons pris un bain et nos effets sont désinfectés. Nous sommes bien traités. Les officiers allemands sont très corrects avec nous. La nourriture n’est pas trop mauvaise ici. Un « ici » prémonitoire ? Mais ce qui manque surtout, c’est le pain. Nous avons le droit d’écrire 6 fois par mois. Voilà. Ça correspond à la régularité des cartes d’Edmond. 2 lettres et 4 cartes. Il y a en effet des lettres à côté des cartes d’Edmond, mais comme elles sont à part j’ai commencé par les cartes. Nous pouvons recevoir tous les colis que nous voulons. Comme adresse vous n’avez qu’à copier ce qui est dans le cadre de l’autre côté de la carte. Dans le prochain colis mettez-moi C’est écrit de plus en plus serré, je n’arrive pas à lire sauf le derniers mots : mouchoirs. Nous avons pu nous procurer quelques objets de première nécessité. J’avais sur moi un peu d’argent. Pour l’instant je crois que j’en aurai assez. Les officiers qui J’ai beau me mettre en plein sous la lampe, je n’arrive pas à lire, c’est écrit de plus en plus serré. Il y a une bibliothèque. On pourra tout de même vivre en attendant la victoire. Il y a une bibliothèque. On pourra tout de même vivre en attendant la victoire. Je vous embrasse bien bien fort et de tout mon cœur ainsi que toute la famille. Votre fils qui vous aime de tout son cœur. E (et le reste de la signature est vraiment illisible).

jeudi 4 décembre 2014

Hublot de l'homme (8)



L’homme est le plus noble conquérant du cheval et le fidèle ami du chien.


L’homme est le seul animal plus cochon que le cochon.


L’homme est le fruit d’une évolution néoténique moins célèbre que celle de l’axolotl qui pourtant n’est pas si connu.


mercredi 3 décembre 2014

Hublot domestique : les combles



Allez savoir pourquoi, depuis que j’ai fait aménager les combles, la souris a élu domicile à côté de l’ordinateur.



Une infiltration par le toit. Quelle tuile !



La lucarne est ainsi nommée car c’est là que je vois la lune.


mardi 2 décembre 2014

entretion sur les hauts plateaux

Bon, puisque vous voulez en savoir plus sur Vie des hauts plateaux, je vais tout vous dire. Ou presque tout. Ou plutôt je vais le dire à Louise Bottu, tiens. .

dimanche 30 novembre 2014

Les CoQuillages de Jean-Pierre Le Goff



Les éditions des Grands Champs qui nous avaient régalé l’an dernier de la merveilleuse Botanique parallèle de Leo Lionni nous propose cette année un nouvel objet d’émerveillement, lequel prend pour sujet un autre objet d’émerveillement. J’avoue que je n’en connaissais pas l’auteur, c’est pourquoi en bon élève je vous recopie sa présentation en quatrième de couverture : « Jean-Pïerre Le Goff (1942-2012), fils d’un marin perdu en mer, a très jeune fréquenté surréalisme, pansémiotique, banalyse et ’pataphysique. Dans chacun de ses écrits, l’évidence reste la même : le fil secret du monde est aussi ténu qu’infini, et immense est la joie de le tirer. » En l’occurrence, c’est de la coquille qu’il la tire, ou plutôt du coquillage, des coquillages, rares ou communs, ceux qui nous fascinaient enfants et ceux que nous n’osions pas imaginer, toute une collection sans doute, qu’on sent posée en face de lui, objets sur la table et objet de la pensée, sécrétion du mollusque disparu sécrétant à son tour un nouvel habitacle, ce livre CoQuillages :

« La plupart des notes de ce livre sont construites sur des enchaînements de pensées, souvent d’une viabilité ténue, mais qui n’en sont pas moins des raisonnements. Elles sont à l’image des coquillages qui semblent le produit d’une déduction de propositions, ou tout au moins d’une réflexion. Il est logique que ces textes calquent les processus perçus à la confrontation de l’esprit aux coquillages »

écrit Le Goff aux pages 162-163 de ces CoQuillages, donc, qui sont sans doute aussi probablement à l’origine du caractère bizarrement spiralé que je découvre à l’instant au développement de cette note même, que vous avez sous les yeux, vous étonnant de me voir tant tarder à vous signaler la coquille de ce titre, qui manquait au texte comme le mollusque à sa coquille déshabitée, et lui a été trouvée par son préfacier Didier Semin, coquille (et référence à Boris Vian de Le Goff à l’intérieur du texte) oblige, dont il ne faudra pas manquer de lire la lumineuse préface.

On aura compris que CoQuillages est tout à la fois un livre sur les coquillages et un livre sur notre rapport aux coquillages, livre aussi bien de nature que de culture donc, j’en pourrais prendre pour exemples quelques perles car en effet il y en est question, mais je préfère signaler le cône marmoreus de Rembrandt, rendez-vous page 50, qui ignorant la nature dextrogyre de l’enroulement de ce gastéropode, en réalisa une gravure fidèle dont l’impression mécanique le représentant en miroir en fait un coquillage imaginaire sans que la volonté de l’artiste y soit pour quelque chose. L’homme, frère du mollusque à son insu, prend conscience que sa conscience même obéit à des lois qui le dépassent.

Et puisque décembre arrive, c’est le moment de rappeler que CoQuillages est aussi un beau livre non seulement parce que c’est un beau livre, mais aussi parce qu’il appartient à cette catégorie aux somptueuses illustrations, qu’on aime à offrir à un lecteur précieux.

vendredi 28 novembre 2014

Mon jeune grand-père (60)



C’est donc sa deuxième carte, en tant que prisonnier. Très courte aussi : elle n’a qu’une chose à dire. Les mots eux-mêmes ne sont pas vraiment utiles, l’écriture suffirait. A dire : « Je suis vivant. » Elle est aussi écrite à l’horizontale, une mention imprimée en caractères gothiques y invite :

Geschrieben den………………………….191

Edmond a complété par 22 Mai et a rajouté un 6 après 191.

Mes chers Parents

Deux mots pour vous tranquiliser (La faute est récurrente, et il n’y a que sur ce mot qu’il y en a une. La tranquillité est une faute.) et vous dire que je suis prisonnier et toujours en excellente santé. Je vous embrasse tous bien forts.

Votre fils qui vous aime de tout son cœur

EAnnocque

Bien sûr, il n’a pas encore l’assurance que sa carte de la veille parvienne à ses parents. Deux précautions valent mieux qu’une. Deux précautions. En haut à gauche un tampon à l’encre rouge indique :

Ne pas répondre à Wahn.

Attendre des indications

ultérieures.

jeudi 27 novembre 2014

Un Poisson dans la cathosphère

Une fois n'est pas coutume, un peu de politique locale - pas si locale que ça. Jean-Frédéric Poisson, député de la 10e circonscription des Yvelines (la mienne, quoi), vote donc contre la résolution sur l'avortement et s'en explique. Ce qu'il oublie de dire, c'est qu'il croit ainsi tirer la leçon de son échec face à Anny Poursinoff en 2010, qu'il doit peut-être en partie (j'espère que non mais j'ai quelques doutes) au fait fait qu'il n'a pas été soutenu par les catholiques intégristes locaux, lesquels ne voient de différences entre l'UMP et le PS sur les questions de "bioéthique". La ligne de démarcation de notre Poisson est donc cousue de fil blanc, si j'ose dire. Je pourrais vous mettre un lien car la "cathosphère" est active sur Internet mais franchement je n'ai pas trop envie. Tapez entre guillemets "l'échec d'un idiot utile" sur Google si vous tenez vraiment à avoir un exemple.

mercredi 26 novembre 2014

Le franc parler de Nicolas

Il y a une chose que l'on ne peut pas reprocher à Nicolas Sarkozy, c'est sa franchise. On avait bien compris que le choix de ses collaborateurs (puisque c'est ainsi qu'il lui est parfois arrivé de parler de ses ministres) lui était dicté davantage par l'image qu'ils pouvaient donner que par leurs compétences ; le voici qui, soucieux de transparence, nous le clame à nouveau : Rachida Dati et Rama Yade ont été nommées en vertu de leurs origines, parce que "ça se voit". Au cas où on n'aurait pas compris. Voilà. Et je trouve ça très bien, qu'il le dise, puisqu'il le pense. Comme ça on sait, si on ne savait pas déjà.



lundi 24 novembre 2014

Le casque et la plume



La guerre est déclarée. Rendez-vous compte : un écrivain majeur qu’on avait pour certains réussi à tenir depuis plus de trente ans dans une relative obscurité et pour d’autres ignoré complètement sans se poser de questions s’est vu attribuer l’un des prestigieux prix littéraires de l’automne, auxquels plus personne ne croit mais qui dans l’ensemble permettent de donner l’illusion au plus grand nombre que la littérature française contemporaine ce serait ceci, alors qu’en fait non pas du tout. Je n’en trouve plus mes mots. Le temps que je les cherche, écoutez donc le Masque et la Plume évoquer le prix Médicis de Volodine, vous comprendrez. Et puis tiens,  lisez ce qu’en dit Claro, qui a dégainé avant moi.
***
Bon. (J’écris en direct, hein.) Je vois qu’un commentateur du Clavier cannibale dit que cette émission lui a donné envie de lire Terminus radieux. Il a deux fois raison, dans son envie bien sûr et aussi en affirmant que cette émission peut donner envie de lire le livre. Le meilleur défenseur malgré lui dans cette affaire étant sans doute Arnaud Viviant, dont l’étalage de bile est tel qu’il laisse lire entre les lignes. C’est clair qu’il se passe quelque chose d’inadmissible à ses yeux. Sa vulgarité parle d’elle-même, et c’est dommage que la plupart des auditeurs ne puisse pas la mettre en regard avec la discrétion et de la modestie de Volodine lors de ses apparitions en public. Que Volodine puisse susciter tant d’aigreur, ça intrigue. Que le lecteur ne se laisse pas arrêter non plus par Jérôme Garcin, qui trouve le livre difficile. Visiblement cet homme est fatigué, ça peut arriver à tout le monde. Volodine est un auteur à coup sûr différent mais vraiment très accessible, et Terminus radieux (qui, rappelons-le, doit quelque chose à Ilia Mouromietz et le rossignol brigand de son hétéronyme Elli Kronauer, publié à l’Ecole des Loisirs, mais oui, même les enfants peuvent lire Volodine) est au contraire l’un des livres les plus accessibles de son auteur, et c’est d’ailleurs sans doute ce qui a emporté la décision du jury : c’est une très bonne entrée dans l’univers de Volodine pour les lecteurs qui ne le connaîtraient pas encore. Un petit mot quand même pour Olivia de Lamberterie, pour qui personne n’a lu Volodine, carrément : on retrouve là ce trait magistral de l’ignorance érigée en guise d’argument, cher aussi par ailleurs à Patrick Besson et à Etienne de Montéty ; on peut la féliciter.