mardi 31 décembre 2013

2013 éditeurs

Il y a deux ans, je m’étais amusé à recenser les éditeurs dont au moins un livre est présenté sur ces Hublots. Puisque l’année tire à sa fin et que je n’ai qu’à jeter un coup d’œil à la pêche annuelle en bas à gauche, voici ceux dont j’ai lu (et aimé) au moins un livre en 2013 (en espérant que je n’en oublie pas – rien n’est moins sûr, de toute façon au diable l’exhaustivité) :
 
Al dante, Apogée, L’Arbre vengeur, L’Attente, Le Bleu du Ciel, Cambourakis, Les Carnets du Dessert de Lune, Les Contrebandiers, Le Dernier Télégramme, Les Doigts dans la prose, L’Ecole des Loisirs, Fata Morgana, Fayard, Flammarion, Gallimard, Le Grand Os, Les Grands Champs, In-8, Inculte, Isabelle Sauvage, José Corti, Louise Bottu, Maurice Nadeau, Monsieur Toussaint Louverture, L’Œil d’or, L’Olivier, Les Petits Matins, POL, Publie.net, Quidam, Rivages, Le Seuil, Le Sonneur, Tristram, Le Vampire actif, Verdier, Verticales, La Ville brûle.
 
Maintenant vous pouvez vous amuser à rendre ses titres et ses auteurs à chaque éditeur et manifester votre juste indignation pour tous ceux qui n’y figurent pas (il faudrait fouiller aussi 2012 pour voir, mais j’ai d’autres chats à manger). Treize heureuse fin d’année à tous !

lundi 30 décembre 2013

Eric Chevillard et la douceur nouvelle des choses


La vie est un scandale. Le ciel, le temps, la porte, le pied, la poêle ou le balai ; autant de causes à notre désespoir, parmi d’autres encore que je ne citerai pas pour ne pas vous accabler davantage. Mais heureusement Eric Chevillard est là pour nous indiquer le moyen de connaître enfin la douceur nouvelles des choses. Un exemple de saison :
 
Le froid
 
Le froid est une sensation désagréable. Vous en pensez ce que vous voulez, mais moi je n’y suis pas favorable. Intellectuellement, d’abord, je n’en vois pas la nécessité et, physiquement aussi, je dis non. C’est bien simple, tout mon corps se rétracte avant même d’en éprouver la sensation, à cette seule idée. Ma peau glabre se hérisse comme le poil d’un chat livré aux chiens. Mon sexe se replie, se recroqueville, quasiment s’invagine dans une tentative désespérée de trouver en lui-même la volupté dans ce monde hostile. Chose certaine, il ne se dressera pas, ne se tendra pas, ne pointera nulle direction qui serait encore celle d’un pôle, il ne veut rien avoir à faire avec le froid, ni brisez la glace ni fendre du bois pour le feu.
Le froid est un bien lamentable phénomène. Nous voici à claquer des dents comme pour mettre en pièces un gibier – et pourtant, quel maigre repas de squelette ! Nos lèvres bleuissent. La mort a posé son doigt sur elles. Nos mains gourdes ont renoncé aux caresses, à la musique, aux délicats travaux de couture ou d’écriture. Oui, nous pouvons encore assommer un phoque avec ces battoirs, et c’est à peu près tout.
Nous nous couvrons. Nous sommes les prédateurs impitoyables du mouton. Nous le guettons depuis de hautes branches et nous lui tombons dessus avec une sauvagerie qui l’incline à préférer la compagnie du loup. Nous revêtons ses défroques ; jusqu’à ses pattes grêles qui nous fournissent inexplicablement deux paires de chaussettes épaisses. En grattant entre ses oreilles son crâne lisse et ras avec nos ongles, nous lui arrachons même un pompon pour notre bonnet.
Peine perdue. Le froid s’infiltre sous ces lainages comme une lame. A son tour, il nous tond, il nous écorche vifs. A notre tour, nous ne savons que bêler dans le phylactère de buée attaché à nos lèvres. Quant au rhume, il nous pend au nez. La morve goutte à nos canalisations gelées. Transis jusqu’aux moelles, grelottant, nous n’éprouvons plus rien, aucune des sensations fines qui nous distinguent de la bûche ; à l’instar de celle-ci, d’ailleurs, nous rêvons aux flammes qui nous rendraient nos couleurs et notre esprit crépitant. Nous sympathisons avec les chenets à tête de sphinx ; immobiles et taciturnes, ils sont nos plus joyeux lurons et francs camarades.
Alors que faire ? Je ne vois qu’une solution : chauffons ! Chauffons, mes amis, brûlons tout ! Ce monde inflammable ne demande qu’à s’embraser. Croyez-vous que la fine allumette – première pousse de l’incendie qui sera le futur jardin d’Eden –, après avoir ravagé la forêt, laissera de bois nos charpentes, qu’elle laissera de marbre la banquise ? Puis nous irons sur les neiges fondues, sur les braises ardentes, sur les cendres moelleuses, dans un hammam aux dimensions du monde, attendris jusqu’à la pâmoison par la douceur nouvelle des choses.
 
Eric Chevillard, Péloponnèse, Fata Morgana, 2013, p. 45 à 47.
 
http://www.fatamorgana.fr/images/livres/original/1805-001-131008164448.jpg

dimanche 22 décembre 2013

la congélation est un pari déjà perdu sur les forces en présence


D’un certain point de vue la congélation est un pari déjà perdu sur les forces en présence et sur l’odeur des immensités. Ce qui ne nous empêche en rien de congeler à un rythme effréné, car la congélation habite bientôt chaque geste de son acteur, refus incarné de la résignation. On prend vite l’habitude, par exemple lorsqu’on fait un tour dehors le soir, de congeler complètement de travers toute chose rencontrée sur le chemin du retour. L’apparence dépeignée et gonflée de sommeil de l’objet qu’on capture en pleine nuit ou au petit matin est si semblable à la congélation et cependant si différente qu’on ne peut s’empêcher de partir d’un agréable rire au beau milieu de la chaussée, entre les magasins vides aux vitrines éclairées. Or on oublie souvent qu’une chose congelée est une éventualité supplémentaire de chose décongelée. Oh, mes pauvres amis, comme la congélation est désespérément contraire à son contraire, comme chaque avancée d’espoir est la promesse d’un cruel désespoir. Et tout ce qu’on risque d’obtenir à la longue est un monde puant de tissus meurtris par la vigueur du froid. Comme si les choses n’allaient déjà pas assez mal. A l’inverse de ce qu’on pourrait croire, le congeleur ne doit donc pas rechigner à s’enivrer. La perte de mémoire accompagnée d’inconséquence insouciante dans l’action sont pour lui les meilleurs moyens de rester enthousiaste et assidu à la tâche.
 
Emmanuelle Pireyre, Congélations et décongélations et autres traitements appliqués aux circonstances, Maurice Nadeau, 2000, p. 45.
 
Quand on a vraiment aimé les livres les plus récents d’un auteur par soi tardivement découvert, on ne court pas grand risque à se plonger dans les premiers.
http://ste.litteraire.pagesperso-orange.fr/images/concours/missiv99.jpg

Commentaires

Eh bien, comme je me suis toujours très bien portée de suivre vos pistes de lecture, j'irai sur celle-là....
Commentaire n°1 posté par Michèle le 22/12/2013 à 12h05
Prenez vos patins : elle est gelée.
Réponse de PhA le 23/12/2013 à 13h48
Comme je lis à l'envers, je vois où tu veux en venir...
Commentaire n°2 posté par tor-ups le 24/12/2013 à 19h19
Hé hé !
Alors ceci n'avait pas dû t'échapper non plus.
Réponse de PhA le 24/12/2013 à 19h25

samedi 21 décembre 2013

les plaisirs de la grammaire


Vous n’aurez pas manqué de remarquer la présence indispensable de deux conjonctions de coordination dans votre organisme. Il paraît que pour aujourd’hui vous avez le droit d’en retirer une – mais ne vous trompez pas !
http://www.bfmtv.com/i/580/290/376436.jpg

vendredi 20 décembre 2013

une carte - de mon jeune grand-père

C'est celle du 26 février 1917, qui me tient particulièrement à coeur.


La mention "19 mars" au crayon est sans doute de la main de mon arrière-grand-père ou de mon arrière-grand-mère, ce doit être la date à laquelle la carte est parvenue à ses destinataires.
Elle mesure 16 cm sur 9.


 Mais vous pouvez cliquer pour voir plus grand que nature.

mercredi 18 décembre 2013

Mon jeune grand-père (20)

Le 26 février 1917. Mes chers parents
Je vais obéir à maman, je vais faire quelques travaux de Kerbschnitt comme Jean vous l’a dit. Comme je ne vois pas du tout de quoi il s’agit (ni qui est Jean, d’ailleurs), je profite pour une fois de ce que je recopie ces cartes sur un ordinateur connecté. Jusqu’à présent je n’y avais pas pensé. Ça ne me disait rien, mais puisque ça vous fait plaisir je vais m’y mettre. Je n’aurais peut-être pas dû regarder si tôt. J’aurais peut-être dû attendre de comprendre, peut-être qu’en lisant la suite j’aurais compris tout seul de quoi il s’agit. J’ai commencé hier sur une planche d’essai et j’ai vu que je n’étais pas trop maladroit c’est sûr, j’aurais compris tout seul ; ça ne fait pas l’ombre d’un doute et ce matin j’ai commencé un ouvrage, c’est une petite boîte à épingles à cheveux que je reconnais comme rien d’autre dans ces cartes que j’avais eu en rabiot et que du plus loin que je me souvienne j’ai toujours vue sur le bureau de mon père. J’ai aussitôt fait une commande. J’ai l’intention de faire pour maman 1 cadre, pour papa un encrier, pour Geneviève une glace à main ces objets je les vois au moment même où Edmond les énonce, son projet et ma mémoire se confondent pour Louis un service à fumeur. Si un autre objet convenait mieux dites-le moi. Je savais, bien sûr je savais que ces objets étaient l’œuvre de mon grand-père quand il était prisonnier en Allemagne, avec même un peu d’incrédulité au départ pour cette habileté dont je n’ai pas hérité. Je tâcherai de faire aussi quelque chose pour les autres membres de la famille et aussi donnez-moi des idées. Quand j’en aurai fait quelques-uns, j’en ferai un paquet que je vous enverrai. D en a envoyé un qui est très bien arrivé. Voici le courrier reçu ces jours-ci – la lettre de maman du 11, cartes de papa des 12, 13 & 14 (je vois un 8 mais ce doit plutôt être une esperluette). J’ai reçu aussi une lettre de Wallard qui me dit que papa lui a donné de mes nouvelles. Encore un nom inconnu. Merci, réponds-lui encore une fois, il m’envoie les amitiés de la famille Constant. Comme colis j’ai reçu les paquets poste n° 21-28-29-1-2 et 2 colis de pain des 26 et 20 janv. Encore une fois ce n’est pas régulier, mais enfin puisque que ça finit par arriver presque tjs ce n’est que 1/2 mal. Je vous quitte mes chers parents en vs embrassant bien fort tous les 2 ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tt son cœur. Edmond
 
Cette carte, en plus de ce qu'elle me dit, a été écrite à la date qui deviendra l'anniversaire de son fils, mon père.

mercredi 11 décembre 2013

L’homme, qui n’est pas un animal, n’est pas un animal.


L’homme est ainsi fait qu’il passe son temps à inventer des choses qui ne lui servent strictement à rien. Disons plutôt qu’il ne se contente pas de se conformer à l’axiome un peu plan-plan reproduction + survie, autrement dit besogner maman et se bâfrer comme un goinfre. Ce serait à la longue un peu limité. L’homme n’est pas un animal. Raie de côté, collection de sous-bocks, travers de porc braisé au romarin et sa fricassée de petits légumes, césure à l’hémistiche, balles dum-dum, stradivarius et bain moussant, l’homme passe son temps à inventer des choses qui ne lui servent strictement à rien. Voilà, pourquoi, entre autres, l’homme, qui n’est pas un animal, n’est pas un animal.
Mais l’homme, qui n’est pas un animal, est pourtant capable – c’est trop bête ! – de se laisser mourir d’ennui dans un bureau huit heures par jour, cinq jours par semaine pendant quarante-deux ans aux seules fins de se payer une Mégane qui le conduira au bureau. Comme on le voit, pas toujours très malin. Mais c’est ainsi. Corriger le tir ou se donner du courage, amuser la galerie et se laver à l’eau chaude. L’homme n’est pas un animal. A la longue, pourtant, l’inutile finit par lui devenir indispensable. C’est le début de la résistance. En même temps que de l’aliénation.
Dans le catalogue des actions étrangères à l’axiome reproduction + survie, figure l’art de s’agiter tout seul dans son coin ou en bande organisée, pour pas grand-chose, et disons même pour trois fois rien. Par exemple, aller nulle part et en revenir, mais en se dépêchant, ou, pour le dire autrement, transpirer en faisant du surplace. Courir, en somme. Comme Zatopek.
Le fait est qu’un beau jour, un type, au fond des âges, « quand le temps n’avait pas encore de barbe » (Lichtenberg), un type donc se met à courir. Et à courir pour rien. Point de message urgent à remettre en main propre, aucune bestiole furibarde à mâchoire-cisaille lancée à ses trousses.
Il n’a pas même l’air d’être en retard vu que, de toute façon, en ces temps reculés, personne ne paraît très pressé d’inventer le rendez-vous. Non, un type un jour se met à courir, pour rien, tout seul comme un grand ; et il trouve ça absolument extraordinaire.
 
Jean-Michel Espitallier, L’invention de la course à pied (et autres trucs), Al dante, 2013, p. 3 à 5.
 
Couvrez-vous bien quand même avant de vous lancer car il y a quand même un léger risque de froid dans le dos au bout de la course.
 
http://al-dante.org/WordPress3/wp-content/themes/themeAl-dante/images/espitalliercouv.jpg


Commentaires

Certains félins et peut-être d'autres animaux jouent les prédateurs au-delà de leurs besoins. Alors, même si votre texte qui rhabille l'humain, idée à laquelle j'adhère, est très intéressant, ne sommes nous pas des animaux ?
Commentaire n°1 posté par Sabine le 16/12/2013 à 19h37
Ah mais moi je me sens en effet très animal (d'ailleurs ce texte, qui n'est pas de moi, joue aussi de la prétention de l'homme à n'être pas un animal).
Réponse de PhA le 16/12/2013 à 21h03

lundi 9 décembre 2013

Mon jeune grand-père (19)

Le 21 février 1917. Mes chers parents
Je vais maintenant tout à fait bien la carte précédente disait presque la même chose – mais pas tout à fait dans le même ordre : « tout à fait bien » était avant « maintenant » – et était sans doute moins vrai : et suis complètement remis de mon indisposition. J’ai reçu plusieurs lettres dont quelques-unes en retard. J’ai reçu les cartes de papa dans l’ordre suivant 7, 5, 6 février 27 janv 9 fév la lettre de maman du 28 janv et celle de Geneviève du 10 février. Dans ce souci du détail, détail d’un désordre constaté, d’un coup c’est la jeunesse qui me saute aux yeux. A certains égards ce jeune officier est encore presque un enfant. Je remercie particulièrement cette dernière de sa gentille lettre, je suis toujours content de recevoir les lettres, mais c’est malheureusement trop rare. Les cartes de « papa » sont si régulières qu’elles finissent par s’effacer dans le quotidien trop quotidien. Une lettre de la grande sœur reste un événement. Les colis sont bien arrivés. En 3 jours j’ai reçu 3 colis de 5 kgs les n°s 1, 2, 3. Le n° 1 était abîmé, quelques œufs avaient disparus. Un s inhabituel pour ces œufs précieux disparus. Les œufs sont gelés, mais ils sont quand même très bons. J’ai reçu les colis poste 26 et 27 et le n° 25 de la série précédente qui ne m’était pas encore parvenu. J’ai porté tout de suite mes bottines au cordonnier, c’est très bien. J’ai été bien peiné aussi d’apprendre la maladie de Jacqueline, pauvre petite ! elle est si gentille. Tant mieux que ce soit passé, j’en suis bien content. Pauvre Louis ! il n’a vraiment pas de chance avec ses pauvres pieds. Je crois me rappeler que Louis avait du mal à marcher quand je l’ai vu, c’est si ancien – mais si récent aussi que ça n’a sans doute aucun rapport. Cette pauvre tante est bien malheureuse, elle doit se faire du mauvais sang. Le doute me prend. S’agirait-il d’un autre Louis ? Edmond passe d’un sujet à l’autre en évitant les liens logiques et les paragraphes, faute de place. Il se peut aussi que cette phrase soit une réponse à une autre phrase de la dernière carte reçue. Enfin il n’y en a peut-être plus pour longtemps. J’ai bien peur qu’il parle de la guerre, comme dans la carte du 3 février. Le temps continue à ne plus être si froid, aujourd’hui il fait même un beau soleil. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille sans oublier les 2 diables. Votre fils qui vous aime de tout son cœur.
Edmond

dimanche 8 décembre 2013

la littérature invisible


Alors si j’ai bien compris, la littérature blanche, c’est ce qui n’est du polar ni de la SF ; pour faire simple. Le polar, la science-fiction, c’est de la littérature de genre (vous m’arrêtez si je dis des bêtises). A l’intérieur d’un genre, on peut jouer avec les codes mais le roman relève d’un genre essentiellement par son sujet (pour faire large, hein). Le sujet, c’est un peu la contrainte du genre, avec laquelle on peut jouer aussi, bien sûr. C’est un peu comme les contraintes formelles de l’Oulipo sauf que c’est le contraire, quoi. En tout cas dans les deux cas l’auteur choisit délibérément ses propres contraintes et c’est un beau moyen de marquer sa liberté dans ce monde.
Mais je m’écarte de la littérature blanche, là. Autrement dit le reste. Présentée comme ça, la littérature blanche ressemble un peu au troisième groupe en conjugaison : c’est là qu’on fourre ce qu’on ne sait pas classer ailleurs. (Quand j’étais petit j’ai essayé de reclasser les verbes du troisième groupe. Eh bien je vous le dis : c’est un travail inutile.) Mais en réalité quand on parle de littérature blanche, c’est surtout un moyen commode de désigner le roman qui n’est pas noir ou d’anticipation (manière d’anticiper sur la définition desdits genres qui ne se laissent pas faire si facilement non plus) mais qui est quand même du roman, quoi. Donc un genre tout de même.
Mais alors comment va-t-on appeler la littérature qui n’est même pas du roman non plus ? Celle qui crée son propre genre à chaque livre ou presque ? Assurément en toute logique c’est une littérature plus blanche encore que la blanche. On ne va quand même pas l’appeler la littérature nouvel Omo ? Si je me rappelle bien mon Coluche, plus blanc que blanc, ce n’est pas possible. Pourtant, si l’on regarde bien (il faut bien regarder en effet) la visibilité de la littérature qui n’est même pas du roman tout court ni aucun des autres genres habituellement répertoriés, on doit bien se rendre compte que l’appellation s’impose d’elle-même : c’est la littérature invisible.
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jeudi 5 décembre 2013

La Botanique parallèle de Leo Lionni


Je viens de terminer la lecture d’un livre tout à fait étonnant. Ce n’est pas un roman, ni même un récit ; ce n’est pas de la poésie ni du théâtre ; ce n’est pas non plus un essai. Non : c’est de la botanique parallèle. Ce qui signifie que ce n’est pas non plus de la botanique – car il m’arrive aussi, je le confesse, de lire de la botanique. Quand la littérature me gonfle ou me déprime, c’est comme une respiration, je lis de la botanique. Ou de la zoologie. Ou de la mycologie. Aucun règne ne m’arrête. Mais là, ce n’est donc pas non plus à proprement parler de la botanique : c’est de la botanique parallèle. D’ailleurs c’est écrit dessus, en lettres d’un magnifique vieil argent : LA BOTANIQUE PARALLELE.
Le titre n’est pas mensonger ; car tel est, en effet, le sujet de ce beau livre (on pourrait aussi, pourquoi pas, être tenté de le classer dans la catégorie des « beaux livres », de ceux qu’on offre pour les fêtes, tant en effet il est beau, et illustré qui plus est). Le titre n’est pas mensonger, et le contenu en effet joue essentiellement de son rapport à la réalité, cette chose que l’homme à toute force prétend saisir, au point d’avoir développé des membres aux capacités préhensiles d’une extrême finesse, et même le cerveau qui va avec, histoire de mieux sentir combien elle lui échappe, cette réalité. A preuve : cette botanique parallèle.
Car il existe – ou plutôt il pourrait exister –, nous dit Leo Lionni, tout un règne inaperçu, ou entraperçu du coin de l’œil au fil des siècles. Leo Lionni, donc. Le texte est de Leo Lionni. Les illustrations, superbes, sont de Leo Lionni. Je vous le dis parce que je l’ai lu. Car Leo Lionni fait tout pour nous le faire oublier, pour se faire oublier. Son objet est bien trop vaste. Un règne, donc, disais-je : celui des plantes parallèles. Ces plantes qui n’en sont pas, qui n’en sont plus, qui n’existent pas mais dont pourtant on nous présente les traces, les caractéristiques, les circonstances de leurs découvertes, les légendes qui s’y rattachent. « Qui n’existent pas » n’est sans doute pas bien dire, car elles existent plutôt dans un temps arrêté, constituent un règne par leur caractère organique et en même temps relèvent du non-vivant sans pour autant être mortes.
Le livre lui-même se présente comme une somme, l’état des connaissances en matière de botanique parallèle à l’époque de sa première publication dans les années 70. Les plantes y sont minutieusement décrite, nommées – les noms vernaculaires, tirelles, solées, tournelunes ou pinces des bois, y côtoient les appellations scientifiques linnéennes, Tirillus maculatus, Sigurya barbulata, Taluma labirintiana et autres Camporana erecta, car comme le disait un conseiller en horticulture de ma connaissance, sans le latin il n’est pas possible de savoir de quoi l’on parle. La dimension narrative cependant n’est pas absente de la Botanique parallèle, car chaque découverte est une aventure, parfois tragique, toujours troublante par ce qu’elle révèle. Comme par ailleurs l’homme a toujours côtoyé les plantes parallèles qui peut-être n’attendaient que lui pour accéder à un degré supérieur de matérialité, il est bon de se plonger dans telle légende wombasa, en Afrique, où il est manifestement question de la tournelune, ou de lire la fable, bien connue au Tarzistan puisqu’elle a pour cadre le village de Zibersk, du Tchavo aux feuilles d’argent, qui n’est autre, à n’en pas douter, selon les dernières découvertes, qu’une solée, l’un des cas les plus troublants de plantes parallèles. Cette fable nous est d’ailleurs rapporté par Leo Lionni, le célèbre auteur de livres pour enfants qui, nous dit une note, « n’a rien à voir avec l’auteur de ce livre ».
 

 
La fameuse Sigurya barbulata, dessinée par Leo Lionni.
 
 La Botanique parallèle, de Leo Lionni, vient donc de reparaître à l’initiative des toutes jeunes éditions des Grands Champs.

mardi 3 décembre 2013

Mon jeune grand-père (18)

Le 16 février 1917. Mes chers parents
  Je vais tout à fait bien maintenant, je ne tousse presque plus. Le temps du reste est beaucoup moins froid et le soleil se montre de temps en temps. L’écriture aussi est particulièrement fine et élégante, la mine du crayon parfaitement taillée. J’ai reçu un assez volumineux courrier, la plupart des lettres en retard sont arrivées. J’ai reçu dans l’ordre lettre de maman du 4, cartes de papa des 29, 31, 1er 2 et 3 et une superbe lettre de Lucie du 28. Un vrai journal, 15 pages, c’est très gentil, je lui envoie mille gros baisers comme remerciements, d’autant plus qu’elle me donne son emploi du temps et qu’elle a très peu de moments inoccupés. Louise y joint un petit mot en anglais, c’est très bien, félicitations ! (le mot, coupé en bout de ligne, se réduit plutôt à « félications ») Comme colis, j’ai reçu les paquets poste n°7, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 17. Tout était très bien, merci à Geneviève pour les chocolats. La carte de papa du 1er était arrachée, il lui en manquait un morceau. J’ai quand même pu comprendre à peu près tout. Non merci mon cuisinier n’a pas besoin de tablier (qui avait blagué dans une des lettres aller ? papa ? maman ?), mais ce que nous serions contents d’avoir, c’est des chiffons pour essuyer la table, les casseroles et pour enlever la poussière. J’espère que vous avez pu tous passer cette période de froid sans rien attraper. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la famille. Votre fils qui vs aime EA Il n’y a pas la place pour en mettre plus, il manquera donc le traditionnel « de tout son cœur » qui y est bien quand même. « EA » est en tout petit sous la dernière ligne, tout à fait dans l’angle en bas à droite.

lundi 2 décembre 2013

le nuage serait un instrument de précision

ce serait
des hypothèses
vérifiantes
 
l’ici
donnerait
le la
 
le nuage serait
un instrument
de précision
 
il y aurait
diapason
au moindre
brin d’herbe
 
on verrait
les rayons
du citron
 
on connaîtrait
les raisons
de la tomate
 
elles ne seraient pas
différentes
de la tomate
 
 
Laurent Albarracin, Le citron métabolique, éditions Le grand os, 2013, p. 38-39.
 
(Cliquez donc sur le lien pour en savoir un peu plus.)
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiWaCT2rElIBzGfHFai8Qs1dIUrkKab54X3fql4oFnTYzro_j9h2bW8vr9lYQZxu7lFF40rjcW7NaGaF7PKcx97fFR4X3yfH0dh98LvuYzTNnBWQkBrvncvHGhlRXuC0be0RrJJnRcxuPHB/s400/CouvCitron.jpg