mardi 23 avril 2019

la question de l'oeuvre qui met l'oeuvre en question


Œuvres presque accomplies est-elle une œuvre accomplie ? Œuvres presque accomplies est le nouveau livre de Guy Benett, qui vient de paraître aux éditions de l'Attente, traduit comme les deux précédents, Poèmes évidents, rappelez-vous, et Ce livre, souvenez-vous, par Frédéric Forte. Il est constitué de projets conçus et jamais réalisés, notés, reclassés, et finalement vivants, des reproductions de ces projets, de réflexions sur la question de l’œuvre et sur l’œuvre même qui met l’œuvre en question.

8.VI.15

Concernant « Œuvres presque accomplies » comme titre alternatif : apparemment, j'étais dans l'erreur – Pessoa avait écrit « sensaçoes quase cumpridas » [« sensations presque accomplies »], « œuvres presque accomplies » n'est donc pas de Pessoa après tout, mais une fausse lecture / un faux souvenir de Pessoa. Cela en fait un pseudépigraphe, je suppose.



jeudi 18 avril 2019

Seule la nuit tombe à côté.


Enfin une critique franchement négative ! (C'est ici, cliquez donc.) Je la lis avec intérêt et ne suis pas loin de partager l'avis de son auteur sur ce qui est raconté dans Seule la nuit tombe dans ses bras (je parle du contenu, pas du roman). En revanche il est probable que nous n'avons la même conception de la littérature : « notre simple réflexe de lecteur candide consiste à chercher le plaisir là où, naturellement, le roman les dispense, à travers une histoire attrayante et des personnages consistants, auxquels on a la faiblesse de s’attacher ». J'avoue que mon simple réflexe de lecteur, car j'en suis un aussi, consiste à chercher le plaisir partout ailleurs que « là où naturellement le roman les dispense ». J'ai du mal à croire à des personnages qui existeraient au-delà de leur inconsistance ; et c'est leur inconsistance même que je creuse quand j'écris. (Flaubert oui, Balzac non, si vous voulez). Quant à raconter une histoire attrayante, le ciel m'en préserve : la vie ne l'est pas et je me prends pour Dieu.
Ce qui m'intéresse surtout, en fait, en lisant ce billet, c'est la question de l'horizon d'attente. La littérature serait supposée être ceci, ou cela. Comme nous, quoi. Nous aussi, nous vivons dans l'éternelle injonction à être ceci ou cela. Difficile dans la vie de faire autrement, mais au moins dans l'écriture prenons le risque de rester sourds aux injonctions. Dans une première version de Seule la nuit, le récit lui-même était mal écrit, par souci de cohérence avec le sujet. J'ai eu la faiblesse, ou la sagesse, c'est pareil, de corriger ça un peu parce que même pour moi ça devenait illisible – c'est pour ça aussi qu'il me fallait un narrateur écrivain. Mais pour les échanges eux-mêmes, la pauvreté de leur écriture est un hommage à celle de nos propres échanges, à nous tous, dès lors que nous écrivons sur une messagerie numérique. Cette pauvreté, et celle des moyens déployés par Coline et Herbert pour faire durer un peu leur histoire, peut-être est-ce elle qui, regardée hors de tout jugement moral, peut avoir quelque chose d'émouvant, dans leur caractère dérisoire même. « Rien de ce qui crée la dépendance virtuelle, née d’un fantasme, ne nous sera épargné. » Bon, je n'ai pas tout raté alors.

mardi 16 avril 2019

variété, éternité


"... il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales que cette façade où, successivement et à la fois, les trois portails creusés en ogive, le cordon brodé et dentelé des vingt-huit niches royales, l'immense rosace centrale flanquée de ses deux fenêtres latérales comme le prêtre du diacre et du sous-diacre, la haute et frêle galerie d'arcades à trèfle qui porte une lourde plate-forme sur ses fines colonnettes, enfin les deux noires et massives tours avec leurs auvents d'ardoise, parties harmonieuses d'un tout magnifique, superposées en cinq étages gigantesques, se développent à l'œil, en foule et sans trouble, avec leurs innombrables détails de statuaire, de sculpture, et de ciselure, ralliés puissamment à la tranquille grandeur de l'ensemble ; vaste symphonie en pierre, pour ainsi dire ; œuvre colossale d'un homme et d'un peuple, tout ensemble une et complexe comme les Iliades et les romanceros dont elle est sœur ; produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d'une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l'ouvrier disciplinée par le génie de l'artiste ; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité.
Et ce que nous disons ici de la façade, il faut le dire de l'église entière ; et ce que nous disons de l'église cathédrale de Paris, il faut le dire de toutes les églises de la chrétienté au Moyen Âge. Tout se tient dans cet art venu de lui-même, logique et bien proportionné. Mesurer l'orteil du pied, c'est mesurer le géant."

Victor Hugo

mercredi 10 avril 2019

dix ans liquides


Il y a dix ans quasi jour pour jour paraissait Liquide. Les éphémères éditions Melville venaient de disparaître, heureusement en roulant sur la Nationale 10 j'avais découvert Quidam, grâce à l'Ami Butler de Jérôme Lafargue et aux mardis littéraires de Pascale Casanova ; j'ai déjà raconté ça. Mais c'est important pour moi parce que Quidam, depuis, a cru en mon travail ; cinq autres titres y sont parus. Le livre a reçu un bel accueil critique, et m'a valu quelques amitiés qui durent encore.
Je travaillais sur la personne. Et plus que jamais, j'avais le sentiment que la personne, c'était personne. Alors j'avais tenté, sans savoir si c'était possible, d'aller jusqu'au bout de ma tendance naturelle à l'effacement de la personne : j'ai écrit ce roman à la personne zéro. J'ai installé le lecteur, comme je fais presque toujours, dans la tête du protagoniste ; mais cette fois jamais, je ne l'ai désigné par la 1ère personne, ni par la deuxième, ni par la troisième, le protagoniste. Je l'ai dessiné en creux. Parce que le monde, ou plutôt parce que ce que l'on prend pour le monde et qui n'est que, disons, la société, nous efface. « Liquide est celui qui ne s'est jamais vu rien faire d'autre que de bien remplir comme des récipients les rôles successifs imposés par la vie », ai-je écrit en quatrième de couverture. Liquide est devenu aussi l'autre contrainte de ce livre écrit sous contraintes, comme on vit sous contraintes. Et l'inévitable titre.
La personne zéro, le concept est peu décrit en linguistique ; il échappe. Merci au regretté Michel Arrivé, grand professeur de linguistique à Nanterre, d'avoir été le premier, je crois bien, à noter dans sa lecture cet effacement de la personne. Ce n'était pas écrit pour être vu, mais ça fait plaisir à l'auteur, quand c'est bien vu.



mardi 9 avril 2019

Un conseil de votre conseiller


Après Tardigrade et Clonck et ses dysfonctionnements, Pierre Barrault se lance dans un récit ouvertement autobiographique, l'Aide à l'emploi, qui vient de paraître aux éditions Louise Bottu. Autobiographique, mais aussi universel. Vous y apprendrez, notamment, pourquoi ces hommes sont venus, chez vous aussi, fixer au sol de votre séjour et de votre salle de bain ces détestables lapins rouges en résine dans lesquels vous vous cognez chaque matin. Vous y apprendrez aussi – et surtout – pourquoi vous êtes plusieurs, si vous êtes encore plusieurs, ce que je vous souhaite vivement. Et si déjà vous n'êtes plus plusieurs, lisez aussi ce livre, il vous multipliera.



lundi 8 avril 2019

Nouveau logis


De Julien Nouveau j'avais beaucoup aimé le premier livre, Eloge des arborinidés. Le logis, qui vient de paraître aux éditions des Grands Champs, est encore plus beau. Je pourrais vous recopier un passage, mais finalement non : je vais vous recopier la table des matières. C'est comme un menu, j'ai tout goûté, j'ai tout aimé :
La ville sous le lit
Le papier peint à la main
Aspirer au flou
Comme une serre dans la salle de bain
La fenêtre au vitrage déformant
Des billes de verre à facettes
Passage de la lune
Une seiche dans un verre
De la ferveur des collectionneurs
La cache aux odeurs
Un goût pour la géométrie
Le balcon
Les visites du dehors
Danse, élégance et mécanique
La machine à éroder
La machine à singer les grillons
Une vie minérale

Comme toujours aux Grands Champs, le livre est illustré – mais cette fois, par l'auteur lui-même.




vendredi 5 avril 2019

Le pouvoir extraordinaire des robiniers

Le magazine GEO vient de faire paraître un magnifique Hors série signé Marie Martinez et intitulé Le Pouvoir extraordinaire des arbres. Un extrait de mes Notes sur les noms de la nature y est cité, tout fier de figurer dans une si belle bibliographie.