vendredi 27 avril 2018

père repère


Débarqué est le nouveau livre de Jacques Josse qui vient de paraître aux éditions de la Contre Allée. « Débarqué » dit en un mot l'état de cet homme qui, pour raison de santé, n'a jamais pu s'embarquer comme son capitaine de père, breton bien sûr, et qui n'a pu voyager que dans ses rêves et dans les livres. Cela quand il ne n'était pas occupé à gagner sa vie et celle de sa famille en remettant le courant à ses voisins qui le perdait sans cesse – électricien qu'il était devenu dans le hameau un peu perdu qu'ils habitaient. De ce hameau on croise aussi les habitants qui, eux, trop souvent, croisent la mort. La mort bien sûr parce que le temps passe, on sent grandir le jeune Jacques, oui c'est lui qui raconte, Jacques Josse, qui évoque plutôt qu'il ne raconte la figure paternelle ; mais quand même la mort est là un peu plus présente qu'ailleurs, c'est comme ça quand les vies ne sont pas faciles. Celle du père non plus ne l'est pas, mince et frêle silhouette de héros hanté par le haut mal, régulièrement terrassé par ses crises et s'accrochant à la terre, solidaire de tous malgré tout, solide quand même en fait, on s'en rend compte peu à peu, car il dure, droit comme un phare dans la tempête, comme le repère qu'il ne cesse d'être même quand il a cessé d'être.



jeudi 26 avril 2018

Nouvelles très brèves (1)


Comme elle était en retard de dix minutes à notre rendez-vous, pendant que je l'attendais j'ai écrit un recueil de nouvelles très brèves. Celle-ci est la première.



vendredi 20 avril 2018

Abiographie d'un auteur effacé : la Dissipation, par Nicolas Richard


Parler de son sujet ce n'est vraiment pas parler du livre, me dis-je en refermant ce livre-ci qui, si j'en résumais son contenu en trois mots, pourrait faire penser à ce livre-là, alors qu'il n'y a pas plus éloigné, non il n'y a pas plus éloigné de Toutes les pierres de Didier da Silva que la Dissipation de Nicolas Richard ; même si les deux évoquent des figures d'écrivains, vraiment j'insiste : rien à voir – sauf à dire le plaisir que chacun très différemment m'a procuré ; foin de l'apparent sujet, je suis le seul point commun (c'est le lot du lecteur).
La Dissipation en revanche ne cache pas sa référence à la Disparition, un sipa y remplace un pari ; Nicolas Richard en effet en fait un autre. Car c'est moins la lettre que l'être qui dans la Dissipation non pas disparaît mais en effet se dissipe, au point que du nom l'écrivain ne reste que l'initiale, de l'être demeure la lettre, bien sûr que c'est un P, bien sûr que non ce n'est pas Perec ; l'auteur de ce livre est aussi traducteur, je vous laisse chercher qui se dissipe, c'est facile. Car le traducteur ne veut pas trop en dire, je parle à présent de celui qui dans ce livre parle, c'est aussi l'un des personnages, traducteur de P soucieux de préserver l'effacement de son auteur, en correspondance avec une étudiante en thèse, mais l'est-elle vraiment ? Roman d'espionnage est-il précisé sous le titre et à la lire c'en est un, tous les ingrédients y sont. D'autres voix font rumeur autour de P, dont celle de « celui qui va trop loin », par les yeux duquel le roman d'espionnage le redevient au pied de la lettre.
La figure de l'écrivain est un trou noir, jusqu'à quel point P en joue nul ne peut le dire. Il y a aux Etats-Unis une mise en scène de l'écrivain à laquelle certains sont tentés de résister, comme on les comprend ; en Europe aussi sans doute mais la mesure y est moindre. Ce P qui refuse d'apparaître n'en devient que davantage un centre de gravité des fantasmes ; le plus anodin détail, la plus banale anecdote s'y pare soudain de l'aura des mythes, résonne comme un oracle sibyllin. L'abiographie de l'auteur effacé devient l'un de ses plus fameux roman : son traducteur Nicolas Richard l'a traduit.


jeudi 12 avril 2018

Relis-toi.


J'ai écrit ça, je croyais que c'était bon mais à la relecture c'était mauvais. Alors j'ai laissé reposer et puis je l'ai réécrit et là j'avais vraiment l'impression que c'était bon mais à la relecture, eh bien c'était mauvais. Donc j'ai laissé reposé, et puis j'ai tout remis à plat et puis je l'ai réécrit mais alors complètement différemment et alors là j'avais vraiment l'impression que c'était bon, mais quand je l'ai relu le lendemain en fait c'était quand même mauvais. Je crois que je vais le laisser reposer un peu et puis j'essaierai de le réécrire.

mardi 10 avril 2018

vivre de soi-même




Je poste ça là, bien que ça n'ait a priori aucun rapport avec la littérature – plutôt avec la botanique, une autre littérature pour moi. C'est une photo, prise à l'instant, d'une grosse branche de saule, de Salix erythroflexuosa pour être précis, en début de feuillaison. Ce serait parfaitement compréhensible en cette saison si cette branche, je ne l'avais pas sciée moi-même, à la fin de l'été dernier, et laissée dans le jardin où, je précise, elle ne s'est pas enracinée (je l'ai déplacée moi-même il y a un mois et demi à peu près). Elle vit donc encore, toute seule ; elle vit d'elle-même.

samedi 7 avril 2018

Vers Quélen


Dominique Quélen est le récent auteur de deux livres qui pour ne pas être parus chez le même éditeur (le premier l'est chez mes chères éditions Louise Bottu, qui confirment leur bon goût, l'autre dans la précieuse collection Poésie des éditions Flammarion) n'en sont pas moins jumeaux, comme leurs titres, Avers pour l'un, Revers pour l'autre, ne le cachent pas. Évidemment « jumeaux » ne veut pas dire « mêmes », vous en connaissez sans doute chez les humains, chez les livres c'est pareil. Mais il y a entre eux une affinité intérieure, de page à page. Par exemple, comme à la page 46 d'Avers je lis ceci

j'ouvre Revers à sa page jumelle, 46 aussi donc, pour y lire cela

Mais ne vous y trompez pas. Ce que je vous dis là n'est qu'une piste, et la lecture de l'un ou de l'autre peut suffire à sa lecture, si ce n'est que celle-ci ne sera pas la lecture des deux – voire des trois, car je lis en quatrième de couverture de Revers que celui-ci achève ce que, peut-être abusivement, j'appellerai un cycle non de deux, mais de trois, car il me manque le premier, Basses contraintes, paru celui-là aux éditions Théâtre Typographique.

lundi 2 avril 2018

Traversée d'océan, de chevaux et de taureaux ; moutons sur l'Atlantique


Traversée est à ma connaissance le premier livre de Francis Tabouret, récemment paru aux éditions POL. C'est un livre qui ne raconte presque pas. Un peu quand même : la traversée de l'Atlantique, d'un homme chargé de convoyer des chevaux, des taureaux, des moutons, de la métropole aux Antilles, sur un porte-container, équipage mi-français mi-philippin ; le Fort-Saint-Pierre. Entre les deux, l'océan. Il ne se passe rien que ce qui doit se passer. Pas de rebondissements, pas d'intrigue : les professionnels connaissent leur métier. Une fois le bateau parti, il n'y a plus comme événement que l'unique et rituelle ouverture de la « cave » : chacun y fait ses achats. Ça se passe donc comme ça doit se passer. Et tout cela est dit sans esbroufes. C'est un journal, il y a les dates, les lieux, du 24 septembre au terminal à containers Moulineaux de Rouen, jusqu'au 8 octobre, à la Pointe des Grives à Fort-de-France. La langue est plutôt élégante mais factuelle. Même pour dire ce qui est ressenti, elle s'emploie à dire ce que sont les choses – occurrences nombreuses du verbe être, notamment en début de fragments : « La mer est une plaine », « Le bateau est un monde de ponctualité et de routine » et en approchant de la côte – de la fin « La perte de l'horizon est un deuil ». Et c'est là, peut-être, au moment de le refermer, qu'on prend conscience de ce qui fait la force de ce livre discret : on y serait volontiers resté encore, on est un peu triste qu'il soit fini. On s'y était attaché, aux taureaux, aux chevaux, même aux moutons. D'ailleurs c'est vrai, en fait, tout au long de la lecture, on ne l'a pas lâché un instant, ce livre.
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