lundi 30 avril 2012

ce que tu cherches tu le connais déjà


Le vénérable soupire, quitte l’antenne de la voiture et va se poser sur une plante minuscule, couverte de poussière, qui végète au pied d’un panneau du rond-point. Le jeune l’y rejoint en veillant à ne pas s’empoussiérer les ailes et fixe son tourmenteur avec des yeux – de luciole morte.
– Quand tu cherches, tu sais ce que tu cherches, sinon tu ne le chercherais pas ? lui demande l’Ancien qui finit par céder.
– Oui.
– Donc, ce que tu cherches tu le connais déjà, tu l’as déjà imaginé, et tu es déjà en train de l’espérer ?
– Oui, possible.
– Dès lors, tu tournes en rond en trouvant ce que tu espères. Il y a là peut-être une reconnaissance, mais en tout cas aucune vraie connaissance.
– Comment cela ?
– La connaissance survient d’abord dans ce que l’on est incapable d’imaginer, et qu’il nous a été impossible jusqu’alors d’espérer.
 
Patrick Chamoiseau, Le papillon et la lumière, éditions Philippe Rey, 2011, p. 76.
http://www.potomitan.info/chamoiseau/images/papillon.jpg
 
Ma lecture est égoïste. Je ne peux m’empêcher de lire ce « ce que tu cherches tu le connais déjà » comme un avertissement au lecteur incurieux (alors que ce n’est pas que cela), de même que je lis Chamoiseau pour redonner des couleurs à la moitié d’Antillais délavé que je suis aussi.


Commentaires

(... dans votre hublot, une lessive qui lave et qui délave)
Commentaire n°1 posté par Gilbert Pinna le 30/04/2012 à 20h13
Vous avez pensé à apporter votre linge ?
Réponse de PhA le 01/05/2012 à 00h19
Vous seriez une moitié d'antillais délavé ? Comme c'est bizarre! j'aurais cru que vous apparteniez à la moitié de français vitaminé.
Commentaire n°2 posté par Zoë Lucider le 30/04/2012 à 21h29
Mais oui. Je raconte un peu ma vie en disant ça et ce n'est pas vraiment intéressant, mais je le dis quand même puisque après tout ceci est un blog : en plus de ce qu'il dit, Chamoiseau toujours me rafraîchit la mémoire - et ici, notamment, la noirceur de la nuit et la taille des papillons de nuit. J'ai l'air blanc, j'ai toujours vécu en métropole et je ne parle pas un mot de créole, et cette identité que je ne peux pas revendiquer n'est sans doute pas indifférente, contrairement à ce que j'ai longtemps pensé, aux questions qui se posent dans mes texte.
Réponse de PhA le 01/05/2012 à 00h19
Pardon, Antillais majuscule, bien-sûr.
Commentaire n°3 posté par Zoë Lucider le 30/04/2012 à 21h30
Majuscule, n'exagérons rien quand même - en ce qui me concerne.
Réponse de PhA le 01/05/2012 à 00h20
Je m'en vais vite voir les papillons rouges voler au-dessus de la Bastille.
Commentaire n°4 posté par Dominique Hasselmann le 01/05/2012 à 15h17
Bon vent !
Réponse de PhA le 01/05/2012 à 20h52

samedi 28 avril 2012

comme si rien ne m’était propre


Est-ce une méprise de vouloir toujours prendre ainsi les mots des autres comme si rien ne m’était propre – parfois je ne sais pas je me demande – ou l’équivalent d’un sommeil – mais non c’est une excitation au contraire et si rien ne m’est propre justement c’est une joie d’essayer d’inventer ma forme impropre à l’intérieur de mots qui ont déjà servi et que je répète – je trouve toujours le monde tel qu’il est formidable.
 
Caroline Dubois, Arrête maintenant, éditions de l’Attente, 2001, 2010, p.12.
 
Ce qui rend possible l’écriture. Echo à un travail en cours.
http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e2014e861b6053970d-150wi

mercredi 25 avril 2012

comme un basculement symbolique


Aux images traumatiques de jeunes soldats américains rapatriés dans leur cercueil depuis les bases militaires du Vietnam étaient venues se saccéder en un sanglant souci de symétrie historique les images de jeunes soldats soviétiques tués, blessés et humiliés par les irréductibles combattants des montagnes afghanes. La perte de plusieurs milliers de ces soldats russes tombés dans les opérations de harcèlement constant et les innombrables traquenards mitonnés pour eux par des moudjahidin pareillement pourvus de fusils d’assaut AK-47 avait constitué une étape décisive, sans doute même la première, dans le processus de démantèlement de l’empire communiste ; ces pertes accumulées dans les rangs de l’Armée rouge étaient le signe manifeste d’un soulèvement de l’organisme soviétique contre lui-même, comme si la simple présence de ces armes parmi les ennemis de l’intérieur afghans contenait déjà la promesse biologique d’un cancer à. venir. Il y avait aussi dans l’humiliation de cette guerre perdue d’avance contre ces insurgés musulmans quelque chose de l’ordre du basculement symbolique, de la perte d’aura idéologique, puisque l’arme jusque-là brandie pour l’affranchissement des peuples était désormais en partie employée à l’asservissement et à la domination de ces peuples : la part émancipatrice de l’AK-47 avait été dès lors comme subrepticement retirée aux mouvements progressistes et laïcs pour être peu à peu allouée à des forces politiques se réclamant du conservatisme et de la religion – et la révolution islamique se déroulant presque au même moment en Iran où circulaient aussi des milliers d’exemplaires de l’AK-47 apportait à cet égard la confirmation de ce basculement à une échelle encore plus importante, à l’échelle d’une nation tout entière – la redistribution symbolique se concluant enfin tout juste quelques années plus tard avec la formation du parti de Dieu libanais, groupe armé soutenu par la nation islamique iranienne alors en guerre contre l’agresseur laïc irakien, et dont le drapeau jaune vif exhibe en son centre une Kalachnikov couleur vert bouteille.
 
Oliver Rohe,  Ma dernière création est un piège à taupes, p. 57 à 59, Inculte, 2012.
  
 « Mikhaïl Kalachnikov, sa vie, son œuvre », c’est le sous-titre. On avait presque oublié que Kalachnikov fut d’abord le nom d’un homme, dont l’histoire alterne en pointillé avec celle de son œuvre, qui lui a pris son nom, est devenue un symbole autant qu’une arme, un symbole qui bascule avec l’Histoire.
Le Matricule des Anges du mois d’avril consacre son dossier à Oliver Rohe.

http://www.lmda.net/imnavig/unes/couv132.jpg

Commentaires

La "Kalach", mythe automatique, avec son inventeur déjà auréolé d'une gloire mondiale.
Dans la littérature à chargeurs, le petit "clairon" français fait pâle figure...
 
Commentaire n°1 posté par Dominique Hasselmann le 26/04/2012 à 09h07
Tiens, la seule arme que j'ai tenue (bien forcé) entre mes mains.
Réponse de PhA le 26/04/2012 à 15h40
Comme quoi qui crache en l'air ne tarde pas à se prendre un mollard sur le crâna.
Commentaire n°2 posté par Lza le 28/04/2012 à 09h59
Ou bien : on n'est jamais sûr du sens du vent.
Réponse de PhA le 28/04/2012 à 17h25

lundi 23 avril 2012

La bergère a récupéré ses moutons.


bergère
La bergère a récupéré ses moutons. Bien sûr, on aurait préféré qu’il en manquât davantage à l’appel, mais au fond, on aurait bien dû se douter que, dans la mesure où le siphon de Sarkozy ne fonctionne plus (on a vu hier soir Jean-François Copé actionner désespérément la pompe, ça faisait « Et le droit de vote des étrangers ? Et le droit de vote des étrangers ? Et le droit de vote des étrangers ? Et le droit de vote des étrangers ? Et le droit de vote des étrangers ? Et le droit de vote des étrangers ? Et le droit de vote des étrangers ? Et le droit de vote des étrangers ?... »), dans la mesure, disais-je, où le siphon de Sarkozy ne fonctionne plus, on aurait bien dû se douter que la mécanique des fluides reprendraient ses droits.
La mécanique des fluides serait-elle une fatalité ? En regardant d’un peu plus près les résultats dans la banlieue ouvrière où j’ai grandi, je constate non sans plaisir que Marine Le Pen, à 13,7 %, y arrive derrière Mélenchon, et que celui-ci y est au coude à coude avec Sarkozy – tandis que Hollande est loin devant. Mais ce qui fait à mes papilles la saveur de ce résultat, c’est surtout la comparaison avec les scores de 2002, où le père Le Pen, avec près de 23 % des voix, arrivait carrément en tête. La mécanique des fluides n’est pas une science exacte.


Commentaires

bravo, Philippe, moi ça me remonte le moral, ça. Pour ma journée d'hier et pour celle d 'aujourd'hui.
tracté dans les quartiers très populaires ici, ZUP. Les jeunes ont été formels : ils préfèrent Hollande, mais qu'on aille voter sans eux. Eux, si on besoin de faire du bruit, du bazar, ils seront là. Pour leur voix, non, faut pas y compter, on ne vient les voir que pour ça, alors... qu'on se débrouille sans eux, et de toute façon...
Commentaire n°1 posté par marie cosnay le 24/04/2012 à 15h24
Et je crois qu'il y a quelques autres villes qui montrent la même évolution ; Mantes la Jolie, peut-être Dreux, à vérifier.
Réponse de PhA le 25/04/2012 à 17h45
Dans la région où j'ai planté mon igloo, Mélenchon a fait plus de 18 %. Lointain héritage des maquis qui a repoussé la "vague Marine" à seulement 13-14 %. Seulement? Il y a cinq ans, elle ne dépassait pas 6 %. J'ai la gueule de bois.
Commentaire n°2 posté par Anonyme le 28/04/2012 à 09h15
Il vaut mieux comparer avec les résultats de 2002 ; en 2007 le siphon avait faussé la réalité.
Réponse de PhA le 28/04/2012 à 17h03
Je n'ai pas été claire : la gueule de bois à cause de la montée de la vague... J'avais rêvé d'un nouveau temps des cerises.
Commentaire n°3 posté par Anonyme le 28/04/2012 à 09h19
J'avais bien compris - mais il reviendra : le temps des cerises.
Réponse de PhA le 28/04/2012 à 17h05
Vous avez raison en ce qui concerne les comparaisons : si mes souvenirs sont bons (car les chiffres étaient si bas qu'ils ne m'avaient pas frappée), en 2002, c'était autour de 4 % pour le FN. Cette année pourtant, certains villages, mais pas le mien, ont placé Hollande et Mélenchon en tête au premier tour : il y a, en Limousin, des forteresses de gauche depuis la Deuxième Guerre Mondiale. La montée du FN s'explique en grande partie par les fermetures massives de PME, le chômage non moins massif des jeunes, l'appauvrissement des paysans et le rôle des médias qui font leurs choux gras, pendant des jours et des jours, de faits divers bien ciblés... Mais je crois que vous connaissez tout ça.
En dépit du temps pourri, il y aura quelques cerises cette année. Je crains qu'elles n'aient le goût de l'eau.
Commentaire n°4 posté par Anonyme le 29/04/2012 à 08h13

samedi 21 avril 2012

Anaïs ou les Gravières, de Lionel-Edouard Martin.


Je viens de terminer Anaïs ou les Gravières, le roman de Lionel-Edouard Martin tout récemment paru aux éditions du Sonneur et je me disais deux ou trois choses. Je pensais au récit poétique, et au Récit poétique, cet essai de Jean-Yves Tadié que j’ai lu il y a bien trop longtemps pour en dire encore quelque chose de pertinent mais quand même, quand même : cette envie d’en rapprocher cette Anaïs, et aussi cette réflexion que le roman ne me fatigue pas quand il prend cette forme (puisque le roman, monopoliste lexical, prend toutes les formes). Je me disais d’autres choses en vrac, vous trouverez vous-même les rapports entre elles s’il y en a, je ne vais quand même pas faire tout le travail pour vous. Qu’au fond il est difficile de raconter une histoire qui ne soit pas d’une certaine manière une enquête, moi-même en essayant de faire à chaque fois autre chose je n’ai jamais fait que ça, et qu’alors c’est pas plus mal d’assumer la chose : le narrateur d’Anaïs est clairement un enquêteur. (Evidemment on a tôt fait de virer l’en-.) Si les enquêteurs professionnels pratiquent l’identification, c’est une pratique qu’ils ont en commun avec les gens qui écrivent : le narrateur d’Anaïs est clairement les deux. Anaïs, jeune fille assassinée d’un fait divers, n’est donc pas seulement Anaïs, se superpose à la propre histoire intime du narrateur en deuil, tandis que celui-ci recherche le père absent de la victime, disparu depuis des lustres, et que dans son imagination pour un temps il incarne : même haute stature, et malgré ses cheveux que contrairement à l’autre il a bruns et ras – histoire que le lecteur aussi s’identifie : tous les livres ont été écrits pour moi. Car cette histoire est aussi histoire d’imagination : le narrateur, tout journaliste (à l’Echo du Poitou) qu’il est supposé être, laisse au fil des pages une place croissante à l’imagination, au point qu’on ne sait plus si l’on doit prendre pour argent comptant ce qui est raconté. Et là bien sûr, l’amateur en moi de récits conjecturaux ne peut que se réjouir. Au point que je me demande parfois si l’avenir du roman n’est pas dans le récit conjectural. Si ce n’est pas là l’un des moyens de retrouver l’honnêteté perdue dans la fiction thétique. L’autre moyen honnête, c’est de faire en sorte que ce récit à la première personne soit vraiment écrit par le narrateur ; et il l’est : on le voit à l’œuvre, parfois en différé mais tout de même ; ce qu’on lit est ce que le narrateur avait besoin d’écrire, la présence du texte entre nos mais a un sens, la mise en abyme n’est pas là seulement pour décorer.
Je ne suis pas sûr de bien me faire comprendre. Le mieux c’est de lire le livre.
http://storage.canalblog.com/58/86/189369/74209409.jpg

Commentaires

Mais si, c'est très clair. Même si l'enquête doit demeurer irrésolue.
Commentaire n°1 posté par Dominique Hasselmann le 22/04/2012 à 07h31
Irrésolue mais lue.
Réponse de PhA le 22/04/2012 à 16h10
je l'ai, depuis peu, tout près de moi, il s'approche s'approche - je viens de finir le voleur de morphine de Sandoval et c'est extraordinaire, j'en suis retournée. Je finis Manuel Villas et Triptyque de Claude Simon, commencé, jamais lu avant - puis Anaïs, j'ai hâte
merci !
Commentaire n°2 posté par marie cosnay le 24/04/2012 à 15h27
Pour moi, brièvement : un livre bouleversant, qui dit tout à partir de trois fois rien par la magie de l'écriture...
Commentaire n°3 posté par Anonyme le 11/05/2012 à 08h58

mercredi 18 avril 2012

Mais de quoi (ou pourquoi) parlent-ils ?


Frédéric Beigbeder n’est pas d’accord avec Charles Dantzig à propos de la littérature française contemporaine. Ils ont un avis sur la question. Un avis autorisé. D’ailleurs dans autorisé il y a auteur. Moi je n’ai pas d’avis, c’est à peine si j’ai compris le sujet de la controverse, j’aime ma bêtise et je la soigne ; je n’ai pas d’avis parce que je ne lis pas les mêmes livres, yaka voir en bas à gauche.
(A force j’arrive quand même à la fin de l’article et là je comprends mieux : il n’était pas du tout question de littérature.)




https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiycd7T7LvPvECZHPpt3esVo5NkCoc1qdNL84hqr8XFvG-igaoYrYprUi30Oh0s4e-KcN4PKgEAx94wjsxyB-36o1l_pV56jK5LQp5wyZChwbv0DB91JfjSBaZnIpenE4fyXJwpzPQqwGI/s1600/muppet-show.jpg

Commentaires

Je vous avais bien dit que je ne les lisais pas! Ce qui d'ailleurs n'est pas à mon honneur : comment se faire une idée si on ne va pas voir? Au moins, vous, vous savez de quoi vous parlez....
Commentaire n°1 posté par Anonyme le 18/04/2012 à 12h11
Oh je ne vais plus tellement voir non plus. Non, ce qui m'agace, c'est ce ton, ces généralités comme si la littérature contemporaine, ils connaissaient, ils pouvaient donner un avis ; alors qu'ils n'ont à peu près rien lu. Ce n'est pas que j'ai lu davantage, peut-être même moins, mais simplement autre chose. Le corpus est bien trop immense pour qu'un seul lecteur puisse l'embrasser - mais ça, ça n'est jamais dit. En l'occurrence, on a l'impression ici que la littérature se limite à Gallimard, Grasset et Flammarion. (Il y a bien quelques bonnes choses encore par-ci par-là chez Gallimard, mais il y a bien longtemps qu'ils ne découvrent plus grand-chose. Chez Grasset, deux ou trois bons auteurs servent d'alibis à un catalogue vraiment médiocre. Chez Flammarion, heureusement qu'il y a la collection poésie - que personne ne lit, d'ailleurs, et c'est bien dommage.)
Réponse de PhA le 19/04/2012 à 11h08
Ah ah ah! Là, vraiment, je vous adooore Pha!
Commentaire n°2 posté par Ambre le 18/04/2012 à 13h25
Vous avez raison : j'adore être adoré.
Réponse de PhA le 19/04/2012 à 11h09
Rédaction de niveau lycée avec de jolies citations d'auteurs. Et que je t'enchaîne les truismes, les lieux communs, les simplifications... Et que c'est confus. J'ai beaucoup aimé, entre autres, cette belle raffarinade : " il n'était pas né que le vérisme était déjà ancien".
Commentaire n°3 posté par AppAS le 19/04/2012 à 10h16
Frédéric devait être très bon au lycée. J'adore néanmoins ceci : "Le roman français fait une pause car il est fatigué par le surréalisme, Les Gommes, l'Oulipo, les expériences de toutes sortes, une litanie de belles révolutions manquées." C'est ce qu'on appelle l'art du vrac. Et ceci : "on se fiche du sujet d'un livre, du moment qu'il est réussi" - qui devrait être vrai, bien sûr, sauf aujourd'hui où si souvent le sujet fait la putain pour son prox d'auteur.
Réponse de PhA le 19/04/2012 à 11h18
hein? quoi? qui ça? Bouvard et Pécuchet? ils se disputent? bah, "il faut voir les choses du bon côté" qu'ils disent.
Enfin, s'il reste encore des choses...
Commentaire n°4 posté par aléna le 19/04/2012 à 11h55
Je n'ai pas trop suivi... Cependant, j'avoue que même si je lis beaucoup (une vingtaine de livres par mois), je ne fréquente surtout que les auteurs morts et enterrés... Bien sûr, je reconnais qu'il faut donner sa chance aux vivants (je suis bien placé pour le savoir), mais mes affinités me poussent plus vers Balzac, Stendhal, Flaubert, Proust... que les romans sans style d'aujourd'hui...
Commentaire n°5 posté par Marc Lefrançois le 21/04/2012 à 11h58
C'est une polémique absolument sans intérêt, qui ne mérite d'être relevée que par sa vacuité symptomatique. La littérature française contemporaine souffre de sa propre représentation bien plus que d'un manque de créativité ; il est bon de temps en temps de rappeler par qui elle est représentée, et de sonder (puisque c'est la saison) la profondeur de leurs réflexions.
Réponse de PhA le 21/04/2012 à 15h28

mardi 17 avril 2012

Bastard Battle, de Céline Minard.


"Ouvre ce bréviaire monseigneur, belle dame."
 
Elle est bien, vraiment, cette collection LaureLi des éditions Léo Scheer. C’est ma quatrième bonne pioche de lecteur avec le dernier – pardon, le nouveau – roman de Céline Minard : Bastard Battle. C’est un drôle d’objet, ce Bastard Battle : dans une langue truculente farcie de médiévismes croustillants et parée de ci de là de quelques incongrus anglicismes, Céline Minard – ou plutôt « Denisot-le-clerc, dit le Hachis et Spencer Five » – nous narre l’épopée d’une petite coalition de résistants bien typés, résistant aux violences et perfidies de l’infâme Bastard Aligot de Bourbon, auquel ils ont repris la ville de Chaumont, prise d’assaut par ce dernier. Bien typés les personnages, et bien trempés les characters, pardon, les caractères ; jugez plutôt : autour de Denisot-le-clerc, se sont rassemblés le chevalier Enguerrand de Montorell, dit « à la charrette » ; le maigre Billy ; le vieux samouraï Akira qui vous sabre une puce sur la joue sans vous laisser d’égratignure ; Tartas le fort ; Dimanche-le-loup le faux-saulnier et parfait pipeur ; et la « démone » Vipère-d’une-toise, anachronique maîtresse en l’art du Kung-fu, douée de l’accent qui va avec. Vous comptez bien : c’est bien une sorte de remake made in chez nous des Sept samouraïs – voire des Sept mercenaires (Billy a même des piftolets !), que nous offre Céline Minard. Les combats y sont fameux, tantôt joutes à l’ancienne, tantôt félins et virevoltant quand menés par le petit paysan Brucelet, transcendé par l’enseignement de Vipère-d’une-toise. On s’amuse beaucoup, on s’étonne d’une telle invention ; c’est si endiablé d’un bout à l’autre qu’on se surprend tout soudain, huitième samouraï, à provoquer à haute voix le Bastard (heureusement que maman n’entend pas) : « Avoûtre, vessard, tu chies dans tes chausses ! Amène-toi qu’on en finisse ! Eh bastard ! Bastard tu es par la fendance de ta mère mais vray bastard, tu t’es fait toi-mesme ! »
 
Novembre 2008.
 
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C’était la première fois que je lisais Céline Minard. Ce n’était pas la dernière.


Commentaires

Ventrebleu!
Commentaire n°1 posté par Anonyme le 17/04/2012 à 18h34
C'est le mot, en effet. (Un livre formidable, je trouve encore une fois mon billet un peu faiblard pour bien en rendre compte.)
Réponse de PhA le 18/04/2012 à 10h55
Je viens de terminer Olimpia qui décoiffe...   Splendide écriture qui donne envie "d'y aller".....
Commentaire n°2 posté par Anonyme le 28/04/2012 à 09h23
Céline Minard est un auteur merveilleux. Je le dis bêtement, mais je le pense.
Réponse de PhA le 28/04/2012 à 17h18

dimanche 15 avril 2012

des poètes dans la nature


« Cette forêt est l’ancien parc du château. Des cartes des années 1900 nous enseignent ce qu’on ne saurait soupçonner maintenant : que du temple de l’Amour, on pouvait apercevoir le château de la Duchesse d’Uzès, la « sportwoman » aux deux mille cerfs, qui faisait de la publicité pour la Phosphatine Fallières et qui, paraît-il, détestait les fleurs. »
 https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiCWl8eIiuO-LUoCy0x8v7ns9QjQfxkKnqMYzJ6SAEQFXPvNPyJpXhN0g4U_1eU_SuQTbvWITw57p7aO2E0j-NJRihYF7yUcSjxk6EU2dzOerD3B_IIl8hQ_MMljrnt7bw-Aej1FGEegko/s1600/Des+po%25C3%25A8tes+dans+la+nature.jpg
Cet usage caractéristique des deux points devant conjonctive ne laissent aucun doute : nous sommes bel et bien sur les traces de Pascale Petit, échappée de Sharawadji et arpentant le Parc de Bonnelles, dans le cadre d’un lâcher de poètes organisé par la Maison de la poésie de Saint-Quentin dans le Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse. Elle y côtoie Sophie Loizeau et sa Ninon, Roland Nadaus, Mario Urbanet, Hervé Martin, Lydia Padellec. C’est donc un livre, une promenade poétique à plusieurs parue aux éditions de l’Amandier. Je vous aurais bien mis en illustration quelques-unes des photos avec lesquelles les textes dialoguent, elles sont d’Adrienne Arth et très sensuelles, mais franchement si je les scanne ça ne va rien donner ; alors je mets plutôt les miennes, car après tout ce parc est aussi un peu le mien.
for-t-011.jpghttp://a34.idata.over-blog.com/1/07/60/07/2/bouleaux-18-19-novembre-2009-007.jpg http://idata.over-blog.com/1/07/60/07/3/sur-ma-planete--novembre-2009.jpg

Commentaires

... et les petites trompettes vertes de la Renommée qui foisonnent et qui claironnent... (troisième photographie)
Commentaire n°1 posté par Gilbert Pinna le 15/04/2012 à 20h33
Oui, c'était lors d'un concert de jazz comme il y en a souvent au fond des bois.
Réponse de PhA le 16/04/2012 à 11h12
Les bouleaux, comme les mâts de La Rochelle?
Commentaire n°2 posté par Anonyme le 16/04/2012 à 08h33
Le fait est : je suis très sensible à l'accumulation des verticales.
Réponse de PhA le 16/04/2012 à 11h12
La duchesse d'Uzès, je l'aperçois chaque année : elle se promène, le soir venu, avec Jean Racine au pied de la tour Fenestrelle.
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 16/04/2012 à 09h48
Les duchesses sont éternelles.
Réponse de PhA le 16/04/2012 à 11h13
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. Délicieux celui de Gilbert Pinna
. Votre réponse ne l'est pas moins.
(De la fraîcheur dans ce monde de...)
Commentaire n°4 posté par Ambre le 16/04/2012 à 13h47
Il faut croire que la nature inspire encore.
Réponse de PhA le 18/04/2012 à 10h48

samedi 14 avril 2012

La seule fois de l’amour, de Jacques Jouet.


http://www.pol-editeur.com/photos/livre-la-seule-fois-de-l-amour.jpgIl y a des titres qu’il faut oser, et Jacques Jouet pour le faire.
Il y a des personnages féminins un peu décalés, un peu à côté, qui s’incarnent en un livre (c’était un peu ça déjà dans Une mauvaise maire, celle de la Chapelle où précisément a grandi l’héroïne de ce roman-ci), un livre où le lecteur vient prendre sa place dans la longue file des amoureux sans espoir de l’héroïne, côte à côte avec les personnages dont il découvre au beau milieu du livre que tiens, même le narrateur a priori extérieur est en fait aussi l’un d’eux.
Car notre amour ne se réalisera pas : La seule fois de l’amour, ce n’est pas que ce titre délicieusement penché juste au bord du ridicule, c’est aussi le projet de vie de Victoire, si bien et mal nommée, qui a décidé de n’en avoir qu’un, avec lequel elle ne le fera qu’une fois. Un projet qui s’élabore comme une contrainte aux règles qui s’affinent au fil de ce texte écrit par un qui sait ce que cache la contrainte, puisque Jacques Jouet est un Oulipien, ici déplaçant la contrainte de l’écriture à l’écrit lui-même, en faisant le sujet même du livre, et son rapport essentiel et impossible à la vie.


Commentaires

Je me suis toujours demandé (c'est authentique) en quoi le fait de se prénommer Victoire pouvait influer sur un destin. A ma naissance, je n'ai pas reçu de nom. Mes parents n'avaient souhaité qu'un Jean-Pierre qui leur fit faux bond. Il durent ensuite se jeter sur le premier prénom qui leur vint à l'esprit afin de se plier aux exigences de l'Etat-Civil. Alors je suis curieuse de faire la connaissance de la Victoire que vous évoquez....
Commentaire n°1 posté par Anonyme le 15/04/2012 à 09h19
 

mercredi 11 avril 2012

Un séjour à Fresnes


Au fil des jours et des nuits, il m’agaçait de plus en plus par ses allées et venues dans la cellule, par son manque de savoir-vivre et son désœuvrement.
Ne lisant pas, n’écoutant que très peu la radio – Michel et moi lui avions fait comprendre que cela nous gênait –, il vivait dans un ennui absolu. Sa seule occupation était de nous regarder et de nous imiter. Et ainsi, un matin, je m’aperçus qu’il me regardait tandis que je faisais ma toilette. Sans arrière-pensée, d’ailleurs, simplement pour voir quelque chose. C’est du moins ce que je suppose. Comme Michel dormait encore, je m’approchai de José et lui dis à voix basse :
– Je préfère que tu ne m’observes pas pendant que je me lave.
De ce jour, il fut convenu que nous tendrions une couverture entre le lit et le mur pour la toilette. Mais, quand une cause de friction disparaissait, une autre surgissait.
Depuis que je cantinais des fruits et des laitages, José devenait de plus en plus difficile à contenter sur le plan alimentaire. Il repoussait son assiette en disant :
– Je ne peux pas manger ça.
Et je lui offrais de partager les provisions. Mais, comme cela devint systématique, je finis par me montrer plus réticent. Semblable en cela à tous les violeurs que j’ai pu voir autour de moi, il était très attiré par les plaisirs de la table, aussi ne put-il s’empêcher d’insister :
– Si je te demande une tomate, tu vas m’envoyer chier ?
Irrité, je répondis en le regardant :
– Oui.
Si bien que la tension s’accrut encore et, un peu plus tard, il trouva l’occasion de dire :
– Je ne suis vraiment pas méchant mais un jour tu pourrais bien en prendre une sur la gueule.
– Je ne te conseille pas de me menacer, lui répondis-je.
Et lui, du fond de son immense et pathétique faiblesse, marmonna :
– Je ne te menace pas.
Néanmoins, je pris l’habitude de dormir en conservant une certaine vigilance, et en même temps des pensées très violentes me traversaient l’esprit. Je comprenais comment certaines histoires de coups de tabouret pouvaient survenir.
Au cours d’une promenade, je suggérai à Michel de faire remplacer José par quelqu’un d’autre.
– Je connais ce genre de gars, me répondit-il, il faut que tu fasses attention. Mais, si on demandait un changement, on pourrait tomber sur bien pire… par exemple un type qui écoute la radio ou regarde la télé toute la journée… Nous serions vite abrutis.
Je savais qu’il avait raison. Il y a tant de cellules où le téléviseur n’est jamais éteint, et nous étions l’une des rares à ne pas en vouloir.
Peu de temps après, un soir, José formulait la même idée :
– Tu as tort de te plaindre de moi, tu sais… Il y a des types avec qui tu serais plus malheureux, comme ceux qui font du sport toute la journée. Dès le matin, ils comptent leurs pompes : … treize, quatorze, quinze… Crois- moi, tu souffrirais.
Et il nous raconta un souvenir personnel :
– Une fois à Fresnes, j’étais avec un mec, un vieux, qui marchait du matin au soir dans la cellule en récitant : « Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne… » De temps en temps il s’arrêtait et il criait : « Les femmes, c’est toutes des salopes ! »
 
Christian Molinier, Un séjour à Fresnes, L’Anabase, 1992, 2e édition 2011, p. 34 à 36.
 
Je vous lis juste la quatrième de couverture : « L’auteur de ce témoignage sur la prison de Fresnes enseignait la sociologie lorsqu’il fut accusé à tort de tentative d’assassinat et condamné à dix ans de réclusion criminelle. Il a été libéré après cinq ans et trois mois de détention dans divers établissement pénitentiaires. »
 
J’aurais pu recopier aussi le passage où, de la fenêtre de sa cellule, le narrateur passe la soirée à regarder deux détenus qui, parvenus sur le toit du couloir central, en face de lui, regardent le paysage, avant d’être, comment dit-on, arraisonnés ? par les policiers et leur grand chien dont la silhouette se profilait sur l’arête du toit à la lumière de la lune. Mais cet épisode n’est qu’une parenthèse dans un récit d’une terrible quotidienneté.
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Commentaires

La pire des choses que d'être privé de liberté... 
Commentaire n°1 posté par Françoise le 11/04/2012 à 17h49
"Le temps se fige et englue l'âme." (p. 26)
La promiscuité, aussi.
Réponse de PhA le 11/04/2012 à 18h39
Je ne sais pas ce qui peut être pire que l'obligatoire promiscuité. Au moins pouvoir vivre seul de temps à autre ou si on préfère devrait être la règle.
Commentaire n°2 posté par Zoë Lucider le 11/04/2012 à 19h13
Après un exceptionnel moment de solitude, l'auteur s'entend dire qu'il a "rajeuni", tant l'effet est sensible.
Réponse de PhA le 13/04/2012 à 08h27
Ah oui, la promiscuité... mais c'est lié
Commentaire n°3 posté par Françoise le 12/04/2012 à 14h10
La promiscuité, certes, mais, surtout l'intolérable de l'espace si réduit pour chacun des "cohabitants" qu'il conduit certainement à toute forme de "violences" dues -peut-être- à l'exacerbation d'une profonde et extrême solitude? 
Commentaire n°4 posté par chris le 13/04/2012 à 17h26

mardi 10 avril 2012

Pennac joue son corps.


Si je trouve qu’un livre est bon c’est qu’il l’est. Je suis comme ça, moi ; je ne doute de rien. Ça fait partie des certitudes nécessaires à mon confort. Et si un livre a trop de succès ça réveille mes préjugés d’auteur dont les livres en ont moins – encore une histoire de confort, quoi. Alors si un livre a trop de succès et que je le trouve bon c’est qu’il est bon et que je suis d’accord avec la majorité : position inconfortable, j’ai perdu l’habitude.
Le coupable c’est Pennac et son Journal d’un corps. Je l’ai lu, je l’ai aimé, donc il est bon. (C’est moi qui ai dit que j’avais du mal avec la critique littéraire ? Mais non, voyons. D’ailleurs la critique doit être faite un peu partout, cette fois ne comptez pas sur moi.) Mais comment cela peut-il se faire, qu’un livre soit bon et en même temps qu’il ait du succès ? La question mérite d’être posée, en se grattant l’occiput de préférence. La facilité de la lecture, peut-être. Souvent les livres que j’aime et ceux que j’écris ne sont pas très faciles à lire. Encore que. Qu’est-ce qu’on appelle « pas très faciles » ? Et puis il y a aussi des livres que je trouve très bons et qui sont néanmoins très accessibles, parfois très drôles aussi tout en donnant à penser, sans pour autant rencontrer le succès qu’ils méritent. Tiens, ceux de Michel Arrivé, par exemple. Bien sûr, là derrière il y a la puissance de feu de l’éditeur. (Oui : puissance de feu. Il ne fait aucun doute que le livre en tant qu’objet est d’abord un projectile. Le stock, c’est des munitions.) Mais ça n’explique pas tout. Il y a aussi des livres qui paraissent chez Gallimard, puisque là c’est chez Gallimard, et qui se vendent peu ou mal. Notamment des bons.
Dans notre cas, c’est aussi que le nom de l’auteur fait office de marque : Pennac c’est bien. Il a fidélisé son lectorat, comme on dit. Je vais aimer son livre parce que j’ai aimé ses précédents. (Là je ne parle pas pour moi, qui n’en ai pas tant lu, et fonctionne différemment.) Supposer que l’on va aimer le nouveau livre d’un auteur parce que l’on a aimé les précédents, c’est une position (une supposition) légitime. En effet, à qui d’autre mieux qu’à l’auteur qu’on a déjà lu et aimé, à qui d’autre faire confiance ?
Toutefois je ne vois pas vraiment les choses comme ça. Un peu quand même, bien sûr, mais pas seulement comme ça. Moi j’aime bien jouer gros jeu. En tant qu’auteur, et même un peu en tant que lecteur. Pour moi chaque livre est la littérature à lui tout seul. Remettre tout en question.
Et justement, en lisant le Journal d’un corps de Pennac, j’ai l’impression qu’il y a un peu quelque chose de cet ordre. Bien sûr, le lecteur y retrouvera le caractère de l’auteur, et notamment ce regard attentif et chaleureux sur l’enfance qui lui vaut une part de sa cote d’amour – mais surtout il trouvera autre chose. Une vraie réflexion sur le sujet, notamment. Un déplacement du regard traditionnel du romancier : sur le corps, singulier ou commun, en lieu et place des habituelles tribulations de l’âme. Un refus délibéré de raconter les événements d’une vie habituellement répertoriés comme seuls significatifs. Une réflexion sur l’être, aussi, donc. Quelque chose d’assez essentiel, quoi. Mais qui devient quand même une histoire parce que cet auteur-là est aussi un conteur – et sacrément bon à l’oral, on a pu le constater l’autre samedi à l’Esperluète, la librairie de Chartres où Olivier L’Hostis le recevait. Bon à l’oral sans doute parce que venu avec son corps.
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg4u7UdoY0SB0xU0lMu87SAbNPmC2tyx8OGNs6MnpRbdormUEQu8lz40TgZwiHCRQVHcrZmdqws4nCE5djzCnBMNUxej_SUWGO_pq81gUWZjo7Tvt5ivir9n5zUvpk05ftVd0UKLAx1jCF0/s1600/Journal+d%27un+corps.png

Commentaires

Daniel Pennac était déjà doté d'une fée carabine : normal qu'il l'ait ajouté à la "puissance de feu" (à traduire... en anglais) de Gallimard !
Effectivement, la critique semble unanime : alors pourquoi bouder son plaisir (pas lu, ce livre) si littérature - et explosions - il y a !
Commentaire n°1 posté par Dominique Hasselmann le 10/04/2012 à 14h46
Je ne connais pas bien Pennac mais j'ai le sentiment, ou plutôt l'intuition, que dans son oeuvre, c'est un texte qui compte, peut-être plus que d'autres.
Réponse de PhA le 10/04/2012 à 18h57
Comme Dominique (je suis heureuse de vous avoir attiré ce lecteur-ci !) je n'ai pas lu ce Pennac-là et, comme vous, persuadée de l'aimer, je n'ai pas jugé utile de me précipiter ; j'aime attendre un peu un plaisir à peu près assuré...
Vous voyez bien que vous faites un parfait critique, comme on aime. Non pas un môssieur-je-sais-tout-et-je-vous-impose-mes-goûts, mais quelqu'un qui partage.
Commentaire n°2 posté par Françoise le 10/04/2012 à 17h37
Mais Dominique est un vieil habitué !
En fait je ne suis pas vraiment un lecteur habituel de Pennac. J'ai lu la Fée Carabine comme un pur divertissement, ce qui n'est pas rien ; mais je trouvais qu'il appuyait un peu trop fort sur sa plume. Ce n'est pas du tout le cas pour ce livre-ci, pour lequel j'ai en effet eu l'intuition qu'il avait vraiment quelque chose à me dire. Mais je ne suis jamais sûr d'aimer un livre à l'avance (et quand c'est un auteur pour lequel j'ai de l'amitié c'est même une source d'inquiétude à chaque fois renouvelée) : pour moi, tout est en jeu à chaque fois.
Réponse de PhA le 10/04/2012 à 19h09
Je dois être une parfaite imbécile : quand je tombe sur un livre qui m'enthousiasme, je vais voir tout ce qui est signé du même auteur (avec, effrectivement, une forme d'inquiétude et de remise en jeu à chaque fois). Il s'ensuit, car le temps n'est pas extensible, que se creusent ailleurs des gouffres d'ignorance. Il s'ensuit également que l'enthousiasme n'est pas forcément au rendez-vous avec les autres lectures. Mais, même dans les situations de déception, est-ce de la perversité, réfléchir à ce qui ne (me) va pas me procure un autre type d'exercice qui ne me déplaît pas.
Oui, c'est vrai, les commentaires de ce blog sont très agréables à lire. Ne pas être un Monsieur-je-sais-tout, ne rien asséner, est, entre autre, une forme d'élégance.
Commentaire n°3 posté par Anonyme le 10/04/2012 à 19h42
En même temps, c'est justice de lire l'oeuvre plutôt qu'un livre isolé : le livre prend aussi son sens par rapport à l'oeuvre - quand il y en a une. La lecture est en soi un dilemme.
Réponse de PhA le 11/04/2012 à 18h08
Je suis d'accord, ce livre est un des meilleurs sinon le. J'avais aimé "Chagrin d'école" et "Comme un roman" (et les Malaussène pour d'autres raisons). Mais celui-là, il est d'une acuité extraordinaire sur l'observation du corps et de l'être qui le (ou encore qu'il) véhicule. Puissant et émouvant dans sa façon directe et amicale de raconter l'intime. J'ai eu la chance d'écouter Pennac lire Bartleby, un enchantement. Cet homme est également très sympathique.
Commentaire n°4 posté par Zoë Lucider le 10/04/2012 à 21h25
C'est vrai, il a une vraie présence chaleureuse - et je pense que le corps n'y est pas pour rien.
Réponse de PhA le 11/04/2012 à 18h10
ça alors... j'ai des amis qui sont amis et je ne l'avais pas remarqué ! De fait, ça ne m'étonne pas et je m'en réjouis. 
Commentaire n°5 posté par Françoise le 11/04/2012 à 09h59
Moi aussi !
Réponse de PhA le 11/04/2012 à 18h11
Je me suis bien amusée avec"messieurs les enfants!"
Commentaire n°6 posté par Lza le 11/04/2012 à 10h00
Oui, et c'est bien qu'un auteur qui sait en effet amuser se frotte aussi à autre chose.
Réponse de PhA le 11/04/2012 à 18h13
Pas seulement amusée!
Commentaire n°7 posté par Lza le 12/04/2012 à 10h45

dimanche 8 avril 2012

La Walkyrie et le professeur, de Michel Arrivé.


« L’écriture en pointe »
 
Dans la Walkyrie et le professeur, deux récits s’alternent. Une femme raconte sa vie, depuis la passion que très tôt, dans sa toute petite enfance, elle contracte pour l’écriture – avant même celui de la lecture, avant même de connaître le son des lettres qu’elle dessine ; et cela bien sûr n’est pas anodin –, son adolescence marquée par la perte précoce et douloureuse de ce qu’elle vivait comme un don, jusqu’à sa maturité, où – peut-être, elle l’a retrouvé ; puisqu’on la lit. En italiques, alternant avec le récit féminin qui ouvre et clôt le livre, un pharmacien mycologue, vaguement romancier du dimanche, rapporte en commençant par la fin – une tentative d’étranglement qui n’émeut guère ni l’étrangleur ni l’étranglée –, sa liaison orageuse avec sa maîtresse, dont la passion se concentre surtout… sur les mots-valises, sujet de sa thèse.
Comme dans Une très vieille petite fille, le récit d’une vie se joue dans le rapport de l’être à l’écriture, que ce soit pour Kriemhild dont la passion naissante, sous les auspices des frères Grimm, de Heinrich Heine et d’une grand-mère attentive (initiatrice à la « Spitzschrift », « l’écriture en pointe » gothique), est entravée par le conformisme paternel aux idées de son époque – le nazisme – et plus encore par le manque d’amour maternel ; ou pour Jacques, devenu écrivain – plutôt raté – afin de précisément se conformer au désir de sa propre mère, et à son patronyme : Lécrivain. L’homme comme la femme restent dans la maturité déterminés parce qu’ils ont vécu, qui fait d’eux au présent des êtres dérisoires (il y a toujours un peu de férocité dans l’humour de Michel Arrivé), des personnages aux attitudes de marionnettes – comme les mains de Kriemhild au moment de l’amour – auxquels seul le récit rétrospectif de leur vie rend une dimension humaine et émouvante.
A vouloir nommer avec quelque précision la qualité du plaisir goûté à cette lecture, me revient cette expression, « l’écriture en pointe », qui, pourquoi pas, pourrait aussi bien qualifier celle de l’auteur.
 
 
Janvier 2008.
 http://www.decitre.fr/gi/85/9782876734685FS.gif
Du même auteur, voir aussi Un bel immeuble et le tout récent Homme qui achetait les rêves.

jeudi 5 avril 2012

Un bel immeuble, de Michel Arrivé.


Un bel abyme
 
L’impossibilité d’écrire est à l’œuvre dans l’œuvre et l’écriture de Michel Arrivé. Elle présidait à la « désécriture » d’Une très Vieille petite fille – pour l’héroïne, c’était l’écriture ou la vie –, elle faisait le malheur de la Walkyrie et du professeur dans le roman suivant. Dans Un bel immeuble, c’est Joël Escrivant, nouvelle figure d’écrivain, qui va s’y confronter. Ecrivain par le nom (comme l’était le Jacques Lécrivain de la Walkyrie et le professeur), Joël Escrivant ne l’est pas officiellement : ce n’est qu’un écrivain du dimanche, qui profite de sa retraite (de marchand de voitures de sport – Jacques Lécrivain était lui-même plus pharmacien et mycologue que véritable écrivain) pour assouvir sa passion.
C’est qu’il y a une discrète et assez féroce dégradation de la figure de l’écrivain chez Michel Arrivé, et particulièrement dans ce Bel immeuble. Les tourments et les exigences littéraires de Joël Escrivant – il en a, lui qui a détruit systématiquement toutes ses précédentes productions – frisent souvent le dérisoire : un refus quasi superstitieux de l’autobiographie (qui le pousse avec une hypocrisie somme toute assez littéraire à situer son roman au 26 bis rue Pougens à Montrouge, alors qu’il a lui-même vécu… au 26 de la même rue !) ; une fascination pour l’outil statistique de son traitement de texte consulté à tout bout de champ (alerté par ces considérations quantitatives, le lecteur familier ne manquera pas de remarquer que tiens, pour cet Arrivé-là, les éditions Champ Vallon sont passées au grand format) ; sans parler des accusations de plagiat par anticipation dont se retrouvent accusés Lesage et son Diable boiteux, Zola et son Pot-bouille, Perec et sa Vie mode d’emploi.
Car le roman de Joël Escrivant est aussi l’histoire d’un immeuble, « le 26 bis rue Pougens », dont les habitants sont les personnages. Afin de mieux s’y retrouver, Joël Escrivant a même dessiné schématiquement le plan en coupe de l’immeuble, avec les noms des différents occupants – sur la durée approximative d’une décennie, les année cinquante, dont le souvenir est encore frais dans sa mémoire. Entrecoupé par les tribulations littéraires et statistiques de Joël Escrivant rapportées en italiques, l’essentiel du roman est constitué par le roman même de l’auteur fictif : Un bel immeuble, malgré la couverture qui nous dit le contraire, est d’abord l’œuvre de Joël Escrivant. On y fait connaissance des nombreuses familles du 26 bis, et les ragots se muent en matière littéraire : Mesdames Gandillot et Pinaudier, qui vivent leur commérage comme une authentique mission, deviennent, dans une discrète mise en abyme, des avatars de plus en plus dégradés de la figure l’écrivain ; et pourtant on se surprend, vil lecteur, à se passionner pour leurs cancans ! Mais elles ne sont pas les seuls habitants du 26 bis à représenter l’écriture dans l’écriture – elles-mêmes se limitent d’ailleurs à faire vivre la tradition orale. Deux autres personnages : le docteur Ménétrier – médecin raté à la hauteur des succès de sa doctoresse d’épouse – et « ce demeuré de Bornichet », qui nous offre le seul récit à la première personne du roman (car les velléités littéraires du bon docteur resteront lettre morte) éprouvent soudain l’impérieuse nécessité de l’écriture.
C’est dans cette pulsion, qui dépasse les personnages et qui va en faire les authentiques protagonistes d’Un bel immeuble, que réside le caractère le plus trouble et le plus fascinant du roman : comme dans Une très Vieille petite fille, comme dans la Walkyrie et le professeur, la mort – voire le meurtre – n’est pas loin. C’est de ce côté, peut-être, que Joël Escrivant devrait enquêter ; peut-être y trouverait-il la clef de son mystère : cette érosion inexplicable et croissante de son roman, que lui signale impitoyablement à chaque consultation l’outil statistique de son traitement de texte.
 
Janvier 2010.
http://multimedia.fnac.com/multimedia/images_produits/ZoomPE/4/2/2/9782876735224.jpg
Michel Arrivé vient de faire paraître l’Homme qui achetait les rêves.

mercredi 4 avril 2012

L’Homme qui achetait les rêves, de Michel Arrivé.


Les vieilles tongs du père Manouvrier
 
Michel Arrivé aime croiser les destins. Cette croisée s’organise souvent sous la forme d’un récit polyphonique : c’était le cas dans ses deux derniers romans, la Walkyrie et le professeur* et Un bel immeuble**, c’est encore le cas avec l’Homme qui achetait les rêves, tout récemment paru, comme les précédents, aux très estimables éditions Champ Vallon.
Le récit commence par le journal intime (intime ? peut-être pas le plus intime de ses écrits) du personnage qui donne son titre au roman, le père Manouvrier, quinquagénaire avancé – nous sommes dans les années 80 – féru de mycologie et vivant de peu dans ce qui n’est presque pas une maison, et dont les préoccupations récurrentes concernent ses chaussures (plus précisément les tongs par lesquelles il a cru pouvoir remplacer ses traditionnelles espadrilles) ; ses rêves, devenus trop pauvres et trop simples pour qu’il puisse en faire l’usage qu’il désire (mais quel usage ?) ; ses livres dont il se débarrasse selon un protocole singulier ; enfin l’épineuse question de la validité de la méthode du père Béhanzin, son grand-père, dont on ne dira rien de plus afin de ne pas déflorer l’histoire. Ce « Journal du père Manouvrier » alterne avec les « Souvenirs de la Senhora Doutora », échouée depuis son Brésil natal dans cette Champagne reculée (quelque part entre Troyes et Bar-sur-Aube) pour y exercer une forme singulière de psychothérapie inspirée à la fois des écrits du « grand Sigmundo Freud » et des préceptes scrupuleusement (scrupuleusement ?) respectés de sa confession baptiste. Une troisième forme de récit enfin alterne avec les deux précédentes, un récit au narrateur très dépersonnalisé, presque officiel, assez mystérieux finalement, qui donne au lecteur les informations qui manquent, à la fois géographiques – la description des lieux est assez étonnante dans son extrême précision – et biographiques concernant le passé des deux protagonistes.
L’écriture, les rêves, la mort ; les thèmes majeurs des romans de Michel Arrivé (qui occupent aussi une place non négligeable dans ses ouvrages universitaires, comme le linguiste et l’inconscient) se conjuguent pour livrer l’un de ses récits les plus mystérieux, sous son apparente clarté et sa bonhomie caustique.
 
 
*/** : Je posterai dans les jours qui viennent un petit commentaire sur ces deux précédents romans.
http://www.decitre.fr/gi/06/9782876735606FS.gif

Commentaires

A force de lire vos commentaires alléchants, je vais finir... en tongs (dans un igloo, c'est très léger). Il se trouve aussi que cette Champagne reculée que vous citez est précisément la région où j'ai grandi.
Commentaire n°1 posté par Anonyme le 04/04/2012 à 23h38
Mais c'est très élégant, les tongs, surtout dans un igloo !
Réponse de PhA le 06/04/2012 à 22h40
Alors j'aurais dû dire : en arête de poisson. Mais avec la tête tout de même, parce que j'ai commandé les deux derniers ainsi que les Chroniques imaginaires... Sans vos commentaires ni votre blog, je ne serais pas allée les chercher. Je manque d'imagination.
Commentaire n°2 posté par Anonyme le 06/04/2012 à 23h13
Mais je vais vous ruiner ! (Quel bonheur !)
Réponse de PhA le 07/04/2012 à 13h48
Plque des tongs, achetez des champignons farcis ! 
Commentaire n°3 posté par michèle perret le 18/04/2012 à 19h48
Vaut-il mieux les préparer soi- même ? (Je n'en dis pas plus.)
Réponse de PhA le 19/04/2012 à 11h11
Si vous aimez la vie et la bonne cuisine. Je n'en dis pas plus. Lisez le livre et vous rirez bien !
Commentaire n°4 posté par michèle perret le 20/04/2012 à 08h07
Je sais que les détails personnels ne sont pas de mise sur un blog mais je ne résiste pas. Mon grand-père était chef de gare à quelques kilomètres des Riceys. J'ai joué dans les baraques alentour. Mon arrière-grand-père possédait des vignes que ma grand-mère, rude campagnarde devenue veuve, vendit pour survivre pendant la dernière guerre. Ces vignes sont devenues des terres à champagne (mutation évoquée par M. Arrivé). Mais ce n'est pas pour ces détails que j'ai beaucoup aimé le livre.
Commentaire n°5 posté par Anonyme le 08/05/2012 à 10h38
Ah oui, j'imagine que ce roman a dû vous parler ! Il y a un fort ancrage historique et géographique dans les romans de Michel Arrivé, et même si en effet ce n'est pas l'enjeu essentiel, ça donne une épaisseur supplémentaire au propos.
Réponse de PhA le 09/05/2012 à 15h14
Un roman fantasque, avec une touche lacanienne qui fait jubiler. Sourire. J'ai évidemment relevé la recette des cêpes farcis à la lepiota helveola, accompagnés d'un chablis. Quant aux tongs, ce n'est pas le genre de tatanes qu'on trouve chez mon Ernest chausseur... mais encadrées, elles conduiront à une gloire posthume évidente ! 
Bravo, Michel Arrivé, pour ce roman qui se lit en un seul rêve (éveillé, tout de même).
Commentaire n°6 posté par Katz le 19/05/2012 à 22h28
Je me permets de recopier votre avis, qui n'est pas bien lisible, ce qui est d'autant plus dommage que je le partage volontiers (vous apercevrez d'ailleurs par ces hublots d'autres romans de Michel Arrivé) :
"Un roman fantasque, avec une touche lacanienne qui fait jubiler. Sourire. J'ai évidemment relevé la recette des cêpes farcis à la lepiota helveola, accompagnés d'un chablis. Quant aux tongs, ce n'est pas le genre de tatanes qu'on trouve chez mon Ernest chausseur... mais encadrées, elles conduiront à une gloire posthume évidente ! 
Bravo, Michel Arrivé, pour ce roman qui se lit en un seul rêve (éveillé, tout de même)."
Réponse de PhA le 20/05/2012 à 15h27