samedi 28 décembre 2019

Avant que j'oublie

 J’ai enfin lu le livre d’Anne Pauly, Avant que j’oublie. Je ne vais pas être très long. Le sujet est universel, la mort du père, et singulier, c’est la mort du sien, à nul autre pareil évidemment, il suffit de penser à celui qu’on a aussi. Car le narrateur est Anne Pauly et ne fait pas mine d’autre chose. C’est écrit sans esbroufes, ça évoque autant que ça raconte. Ça ne va pas comme on voudrait, forcément, comment pourrait-il en être autrement. Et c’est drôle, quand même, souvent, même au pire moment ; et ça donne envie de se prendre par l’épaule, aussi, et de plus en plus tandis qu’on avance dans la lecture, parce que quand même, merde, vous voyez ce que je veux dire, mais oui vous voyez.


dimanche 22 décembre 2019

Fårö Une nuit avec Ingmar Bergman


Une jeune femme, une petite fille la veille encore, débarque un soir, à la nuit tombée, en étrangère, chez un vieil homme. Elle s’appelle Joëlle Varenne, et même son nom est incompréhensible à l’homme qu’elle prétend rencontrer.
Joëlle.
Was ?
Joëlle.
Yulie ? Yulia ?
No, Joëlle.
Was dis namn ?! Skriv it !
Même son nom, mais d’abord sa présence, car le vieil homme est Ingmar Bergman, au soir de sa vie, farouchement retiré sur l’île de Fårö, qui donne au livre son titre. Elle est étudiante en cinéma, et elle est venue rencontrer celui qui ne reçoit plus personne. Il s’ensuit un dialogue d’abord de quasi sourds, la barrière de la langue y aidant, car si les deux parlent anglais, chacun parle son anglais qui n’a pas grand-chose en commun avec l’anglais de l’autre, et cela donne lieu à des échanges qui sont d’abord cocasses, vraiment, avant de devenir émouvants quand on commence à comprendre que ce qui a amené la toute jeune Joëlle Varenne, vingt-deux ans à l’époque, à rencontrer le cinéaste ermite, c’est peut-être sans le savoir l’attente, dans cette circonstance incredibole, d’entendre son propre nom, et peut-être aussi l’injonction de l’écrire.


Joëlle Varenne - Farö, une nuit avec Ingmar Bergman.

mardi 10 décembre 2019

Nuée de Gremeaux


Nuée, le nouveau livre de Michel Gremeaux, est une machine à faire tourner l’imagination – la vôtre. Le narrateur nous montre des choses, nous montre ce qu’il veut, ou ce qu’il peut, de loin, de ce qui se passe aux abords et à l’intérieur d’une demeure retirée au-dessus d’un lac. On y voit une femme recueillir une adolescente, une blessure trop bien dessinée sur une cuisse, la même sur un jean, une surveillance autour de la maison, plusieurs surveillances peut-être, une attention extrême portée aux objets, aux personnes qui passent, qu’elles fassent ou non vraiment partie de l’histoire que le lecteur est en train de construire, presque tout seul, avec ce qui lui est donné, avec le même plaisir qu’il avait enfant à assembler des blocs géométriques pour bâtir des architectures variées.



samedi 30 novembre 2019

Darmstadtium


Le Système poétique des éléments vient de paraître aux éditions Invenit, regardez sous le lien. Il contient comme il se doit 118 éléments. J’en suis un.



lundi 18 novembre 2019

Écrase ma prune sur ton genou


– Écrase ma prune sur ton genou que son noyau au grand jour paraisse, que mon jus à ton poil se lie.
– Sois si près de mon œil des deux yeux fondus, prends la plus longue lèvre, trouve ce que la gousse cache de grains, dis-m’en le nombre.
– Garde mon sein dans ta main, suce l’autre dans ta bouche, tiens les deux, lèves-en un, suce l’autre.
– Fends ma figue du tranchant de ta main que la partie gauche de la droite s’écarte, que dans l’écart l’ergot darde.
– Sois en moi, passe l’os, dis bonjour à ma pondeuse, dis coucou à mon œuf, il se cassera demain.
– Ramone ma moelle jusqu’à la tête, porte en avant puis en arrière pour mieux avancer comme fait la grande balançoire.
– A califourchon j’irai plus vite, demain sur ton genou poilu, cheval, à cheval sur ton dos et mes lèvres à la pointe de tes vertèbres, j’irai plus vite.

Gruche copule avec Matelin et cela fait de nombreux Gruche-Matelin dont une branche donne des académiciens et des régisseurs et une autre des coquins et des maquerelles à profusion, certains muets ou sourds et d’autres aphasiques ou apraxiques. Mignon se lie avec Uranie, une Uranie-Mignon est alpiniste dans les massifs rocheux de Ligurie. Une Flambonne-Ivry eut quinze fois en vingt ans douzaine de garçons qui forment à présent des bandes de cambrioleurs-violeurs portant son nom de jeune fille et sévissant en Russie dans la province de Krasnoïark…

et les familles s’organisent, le père parle au chien…

– Merde puante, insiste-t-il sur chaque consonne, donne-moi donc ton glaive, frère humain, merde puante, donne-moi donc ton glaive, que je tranche de ma dextre la tête du serpent, donne-moi mes cisailles, frère humain, qu’enfin je me sépare de ses œufs et que la douleur m’envoie au ciel comme pétard d’artifice. Ah, malheureux que je suis ! Les potiers ne font plus de ces grands canthares, mais de petits et de bien polis, comme si c’était le vase et non le vin qu’on dut avaler.

Eugène Savitzkaya, Ode au paillasson, « Peuples périssables », éditions Le Cadran ligné, 2019.



samedi 16 novembre 2019

(Mon) enfance de la littérature


Alors dans la série Enfance de la littérature, j’ai été interviewé sur Radio Ritournelle pour parler de mon enfance de la littérature. C’est un sujet qui m’intéresse, j’ai deux ou trois choses à dire dessus, et même à raconter. On peut m’écouter en cliquant sur ce lien :
Et demain dimanche, je serai toute la journée au Salon desEssarts-le-roi (à la salle polyvalente de la mairie, rue du 11 novembre), avec quelques-uns de mes titres.

dimanche 10 novembre 2019

Il faut bien que les gens vivent.

En phrases décousues, nous avons expliqué que les travaux causaient beaucoup de bruit et de poussière, il fallait voir notre jardin, on était complètement envahis, ce n’était pas possible.
– On termine demain, a répondu Arnaud sur le ton cordial dont il ne se départait jamais, après on nettoie tout.
C’était un bon commerçant. Il savait amadouer la clientèle. Puis Annabelle a renchéri :
– Il faut bien que les gens vivent. Si vous aviez eu des enfants, vous sauriez ce que c’est que la vie.
J’ai songé à la fraction identique d’humanité et, de moi-même, je l’ai mise sur le compte de mon imagination. Un brouillard se formait devant mes yeux. Ce devait être la faim, la fatigue. Je ne me sentais plus très bien lorsque, à travers une épaisseur de coton, je t’ai entendu menacer :
– Écoute-moi bien, salope : soit tu te calmes, soit c’est moi qui vais te calmer.
Les Lecoq n’ont pas bronché. Ils nous ont toisés. Un léger sourire de mépris ou d’autre chose a flotté sur les lèvres d’Arnaud. Et très lentement il a refermé la porte, la retenant une dernière seconde avant de la claquer sous notre nez.

Julia Deck, Propriété privée, Minuit, 2019.

jeudi 7 novembre 2019

Dans la nuit du 4 au 15, je demande le 7.


« Evidemment, c’est une question de verre à moitié vide ou plein, on n’en a jamais fini avec cette vaisselle : le calendrier aussi bien est une maternité à ciel ouvert, une infinie couveuse, trois cents pipettes pleines de gamètes, une ode à la sève.
Prenez le 7 novembre : certes, décanillent Steve McQueen (son cœur s’arrête dans son sommeil, en 1980, au Mexique), Lawrence Durrell (même chose dans le Gard, dix ans plus tard) et Leonard Cohen, mais regardez un peu qui rapplique, que des cadors : un mystique maniériste, Zurbaran, un navigateur intrépide, James Cook, un magicien ès lettres Villiers de l’Isle-Adam, la radieuse Marie Curie, cette tête de pioche de Léon Trotski, l’absurde Albert Camus, n’en jetez plus, tout ce qu’il faut pour faire un monde », nous apprend Didier da Silva ; or à ce monde il manquait encore un livre, que Quidam a résolu de faire paraître précisément le 7 novembre, mais 2019, l’année compte pour du beurre, écrit par ce même Didier da Silva, « dans la nuit du 4 au 15 » répondra-t-il à la récurrente question « quand écrivez-vous ? », livre dont, sans aucun calcul, j’achève à l’instant la lecture, en ce même 7 novembre 2019 encore, ajoutant à cette date ma propre aventure de lecteur. Vous avez saisi l’idée : depuis l’Ironie du sort (paru chez l’Arbre vengeur en 2014), Didier da Silva attrape l’infini par un pan de sa chemise, et tire dessus, pour voir.



dimanche 3 novembre 2019

Un libraire impromptu

Demain, c’est la rentrée. Je vais retrouver mes élèves, éternels 6e notamment depuis des années ; je ne vous dirai pas combien. J’en parle rarement sur ce blog, dévolu à une autre activité ; en effet il y a la plupart du temps, et je le déplore, trop peu de relations entre l’enseignement du français en collège et la littérature contemporaine. Il arrive pourtant que les deux se croisent, et parfois de façon tout à fait impromptue – on ne saurait mieux dire. Il s’est ouvert à l’hiver dernier, au 48 rue Sedaine dans le 11e arrondissement de Paris, une librairie ainsi nommée que j’ai découverte il y a quelques semaines à l’occasion d’une rencontre en l’honneur du quarantième anniversaire des belles éditions Verdier. Or voici que le maître des lieux et hôte de la rencontre me regarde avec insistance, avec un sourire qui, mais oui, je connais ce visage, mais bon sang, où donc ? avant de m’appeler « Monsieur Annocque ». Or s’il arrive parfois qu’un libraire me reconnaisse, c’est plutôt « Philippe Annocque » qu’il interpelle. C’est que Jérémie Derny n’avait pas l’habitude de m’appeler autrement lorsque, dans une autre vie, je fus son professeur de français en 6e. C’était, avouons-le, il y a plus de vingt ans, et pourtant je me rappelle parfaitement sa bonne humeur sans faille et son enthousiasme, que m’avait annoncés son grand frère que j’avais en classe l’année d’avant – l’une de ces phrases qui se gravent dans la mémoire d’un professeur. Cette bonne humeur et cet enthousiasme de Jérémie, il est pour vous aussi maintenant, si vous passez par la rue Sedaine, même le soir, par exemple jeudi prochain pour y écouter Sébastien Smirou et Yaël Pachet. Quant à moi, je le remercie de réconcilier mes deux métiers, et souhaite un bel avenir à l’Impromptu.

samedi 26 octobre 2019

Henri Galeron dans mon oreille


Henri Galeron a été le très inspiré illustrateur de mon unique (à ce jour) livre jeunesse. Dans une interview accordée à Axelle Vianney, il revient sur cinquante années de travail durant lesquelles il a illustré les auteurs les plus fameux, aussi ne suis-je pas peu fier de la mention spéciale qu’il y fait de Dans mon oreille (éditions Motus, 2013). Cest ici.

Pour l’anecdote, il m’avait confié que le poème ci-dessus était celui qui lui avait été le plus difficile à illustrer. Je crois que son dessin est celui que je préfère.  

lundi 14 octobre 2019

Femmes animales


Femmes animales est je crois le premier livre de Laure Belhassen et la toute dernière publication des éditions des Grands Champs. Y sont recensées la plupart des métaphores animales évoquant les femmes dans une langue qui est plutôt, il faut bien le dire, celle des hommes. Il y a de quoi faire : tout un livre n’y suffit pas puisqu’il y manque encore le chameau, seule lacune que j’y ai trouvée. J’ai bien envie de vous en recopier un échantillon mais comme je suis paresseux je me contenterai d’un très léger, et qui vous vous en doutez n’est pas non plus le plus vache (mais oui, elle y est aussi). Voici donc le colibri :

Dans les Caraïbes, compliment adressé aux jolies femmes de 4 grammes passant leur vie à butiner, se nourrissant de nectar et privilégiant la compagnie des fleurs sans dédaigner celle des hommes.

Comme toujours chez les Grands Champs le livre est joliment illustré, c’est un cadeau à faire pourvu qu’on fasse attention où placer le marque-page.



samedi 5 octobre 2019

Le temps est à l’orage


J’ai lu Le temps est à l’orage, le nouveau roman de Jérôme Lafargue. Une histoire de filiation, qui se passe maintenant et autrefois, entre la forêt et la mer, dans ces Landes qui lui sont chères. Je l’ai lu et maintenant j’attends la suite, impatiemment. Car nul doute qu’il y en aura une.



lundi 23 septembre 2019

Adelphe a lu. Moi aussi.


Tiens j’ai lu un livre paru à cette rentrée. C’est Adelphe, d’Isabelle Flaten, publié par le Nouvel Attila. C’est l’histoire d’un homme qui a lu un livre qu’une femme lui a mis entre les mains. C’est l’histoire d’un pasteur qui a des doutes. C’est l’histoire d’un fils et c’est l’histoire d’un père. C’est l’histoire d’un homme mais c’est surtout l’histoire des femmes qui l’ont croisé. C’est l’histoire des amours qu’on ne raconte pas. C’est l’histoire des libertés qui se conquièrent. C’est un beau roman qui se lit avec quand même un peu de larmes.


Isabelle Flaten - Adelphe.

samedi 21 septembre 2019

Radieux


Marc Giai-Miniet est emboîteur. Il y a quelques années, j’ai consacré un billet de ce blog à son travail ; voilà, c’est ici, cliquez.
Nous avons aussi fait un livre, ensemble ; voyez donc.
Son univers m’évoque irrésistiblement celui d’Antoine Volodine. Je le lui ai dit, il ne connaissait pas encore.
En ce moment et pour un mois environ, il expose ses boîtes à la Galerie Rauchfeld, 22 rue de Seine, à Paris. J’en ai photographié une. Elle me réservait une surprise.







samedi 14 septembre 2019

considération sur la lecture

Il arrive que des milliers de personnes lisent le même livre en même temps. C'est comme une vaste partouze, sauf que c'est quand même un peu dégoûtant.

mercredi 11 septembre 2019

fil en question


Je perds souvent le fil de mon propos. En cours, c’est un problème ; les élèves me regardent et je ne sais plus ce que je leur disais parce que déjà je leur dis autre chose. On me dit que c’est parce que j’ai une pensée arborescente. Ça me fait plaisir parce que j’aime les arbres. Et puis je regarde les fils de mes écouteurs, que je suis en train d’essayer de démêler depuis une bonne demi-heure. Heureusement que j’ai perdu mes cheveux, ça me fait des nœuds en moins.

samedi 7 septembre 2019

et des désirs surhumains et les forces pour les réaliser


Il enleva son chapeau et sa chevelure se répandit comme si elle était vivante, comme dans une abondance tropicale, en partie liée en tresses, en partie dans sa sauvagerie originelle. Sa tête était puissante, mais la masse de la chevelure était si grande qu’elle semblait appartenir à une tête encore bien plus puissante, la tête sous elle semblait petite. Mais en cela la vision n’avait rien de ridicule, elle était surtout effrayante, c’était comme si cette chevelure surhumaine exhibait et des désirs surhumains et les forces pour les réaliser.

C’est un fragment des Derniers cahiers de Kafka, publiés par les éditions Nous en 2017 et traduits par Robert Kahn.



mercredi 4 septembre 2019

A propos des rentrées d’Herbert


Tiens puisque c’est la rentrée littéraire, c’est peut-être l’occasion de rappeler que Herbert Kahn, dont le roman Même la nuit tombe dans ses bras est paru l’an dernier sous un titre légèrement modifié par mes soins, rappelez-vous, avait déjà été lui-même le protagoniste d’une ancienne rentrée littéraire, en 2001 aux éditions du Seuil ; il était tout jeune à l’époque, pas même sorti de l’école et avec bien du mal à rentrer où que ce soit, c’était bien là son problème. On en avait parlé un peu dans la presse, cliquez donc, et si ça vous intéresse rappelez-vous que Quidam a ressorti ce roman, dans une version retravaillée par mes soins, et sous un titre déjà légèrement modifié ; il ne faudrait pas que ça devienne une habitude.


samedi 31 août 2019

En pleine nuit au milieu de la forêt

En plein milieu de la nuit à 4h36 ils lui ont téléphoné pour lui dire de ne pas s’inquiéter que sa mère était tombée alors il est sorti à pied et il est allé en plein milieu de la forêt en fait juste à l’orée mais il préfère dire en plein milieu mais contrairement à la dernière fois il n’y avait rien dans la forêt.

En plein milieu de la nuit, à 4h36, ils lui ont téléphoné pour lui dire de ne pas s’inquiéter, que sa mère était tombée, alors il est sorti à pied et il est allé en plein milieu de la forêt, en fait juste à l’orée, mais il préfère dire en plein milieu, mais, contrairement à la dernière fois, il n’y avait rien dans la forêt.

4h36 est-ce que c’est en plein milieu de la nuit ? Le milieu de la nuit ne le reste pas. Le temps d’arriver à l’orée de la forêt il y avait déjà une vague lueur à l’est. C’est peut-être pour ça qu’il n’y avait rien à l’orée de la forêt. Mais peut-être qu’en plein milieu il y avait quelque chose.

Peut-être qu’ils ne lui ont pas téléphoné pour lui dire de ne pas s’inquiéter. Peut-être que dire de ne pas s’inquiéter est une autre manière de dire de s’inquiéter.
Peut-être qu’aller dans la forêt au milieu de la nuit est une autre manière de s’inquiéter.
Peut-être que la différence entre aller à l’orée ou en plein milieu de la forêt change quelque chose à la manière dont on s’inquiète.

La dernière fois il n’était pas 4h36. La dernière fois sa mère n’était pas tombée. La dernière fois ils n’avaient pas téléphoné. C’était la dernière fois mais ce n’était pas vraiment la dernière fois. Ce n’était pas étonnant que ce soit si différent dans la forêt.

Pourtant c’était déjà l’orée. Oui, l’orée, au lieu du milieu. La dernière fois il avait senti ses poils d’animal diurne se dresser. Alors que cette fois, non. En pleine nuit à l’orée de la forêt, il n’avait rien senti. En pleine nuit à l’orée de la forêt, en plein milieu ça aurait été pareil, il pensait à sa mère qui était tombée mais qui n’était pas blessée.

vendredi 30 août 2019

Billet de rentrée (4)

"Rentrée" est un terme ambigu. Par exemple, "rentrée littéraire" et "rentrée d'argent" sont deux choses différentes.

jeudi 29 août 2019

Billet de rentrée (3)

C'est la rentrée. Sortons ! se disent les livres. Tout le monde reprend le travail, personne n'aura le temps de nous lire ; on ne risque rien.

lundi 26 août 2019

Billet de rentrée (2)

- Pourquoi ne parlez-vous que des livres dont tout le monde parle ?
- C'est parce que sinon je risquerais de parler tout seul et ça me fait peur.

dimanche 25 août 2019

mardi 9 juillet 2019

Brèves animales (23)


L'escargot est réputé pour sa lenteur, pourtant l'accouplement ne dure que de dix à quinze heures.




lundi 8 juillet 2019

Quelle comédie la vie


Quelle comédie la vie

Heureusement
j'ai choisi
le rôle du souffleur


Où est l'aube

Je ne vois
qu'un espace sans nom
dans le ciel qui hésite


Estelle Fenzy, La Minute bleue de l'aube, éditions La Part commune, 2019.



mardi 2 juillet 2019

Billet furtif


Disons les choses complètement dans le désordre. C'est un roman engagé. C'est un roman sur l'amitié. C'est un roman d'aventures. C'est un roman sur le langage. C'est un roman d'amour. C'est un roman expérimental. C'est un roman populaire. C'est un roman à suspense. C'est un roman sur la musique. C'est un roman de science-fiction. C'est un roman sur la famille. C'est un roman choral. C'est un roman sur la vie. C'est un roman presque oulipien par moment. C'est un roman sur la joie. C'est un roman qui mériterait un long billet car c'est aussi un roman qui pèse 985 grammes pour ne pas dire qu'il pèse un kilo. Le nihiliste inavoué en moi va peut-être trouver que c'est un roman un peu bisounarchiste sur les bords si l'on veut chipoter mais c'est un roman tellement émouvant (et tout simplement passionnant) qu'on va s'en abstenir. C'est un best-seller, une fois n'est pas coutume dans mes lectures, et c'est bien mérité.



lundi 1 juillet 2019

dimanche 23 juin 2019

Brèves animales (16)


Chez certains animaux, la tête est difficile à distinguer de la queue. Par exemple : le coucou.




mercredi 19 juin 2019

mardi 18 juin 2019

Brèves animales (13)


C’est quand les bois du cerf tombent qu’il les quitte pour le désert dont deux dunes désormais gonflent le dos de ce chameau.




lundi 17 juin 2019

mercredi 12 juin 2019

Brèves animales (7)


Épris de simplicité, le serpent serpente et le lézard lézarde tandis que, dans sa maladroite et innocente tentative pour les imiter, le crocodile croque Odile.



mardi 11 juin 2019

Brèves animales (6)


La rhamphothèque est le tégument corné du bec, elle permet à l'oiseau d'oublier qu'il tombe aussi sur un os lorsqu'il tombe sur un bec.



dimanche 9 juin 2019

Brèves animales (5)


Le bec du toucan est si gros qu'au moins il sait que c'est surtout sur le sien qu'il risque de tomber.




mardi 4 juin 2019

lundi 3 juin 2019

Petites nausées (5 et dernière)

(Vers Petites nausées 1, Petites nausées 2, Petites nausées 3, Petites nausées 4)



Cette sensation m’est familière, si discrète qu’elle ait su se faire. J’ai parlé des boutons (et autres petits objets à prendre entre les doigts), j’ai parlé de Renoir ; en réalité, je pourrais bien la retrouver ailleurs. Pour preuve : dès que j’imagine de répertorier, de mettre en liste les causes diverses de mes dégoûts irrationnels, une autre à l’instant se présente à mon esprit, dans toute son écœurante évidence : mon prénom.
Là encore, dire avec précision ce qui se passe n’est pas facile. Un improbable lecteur se fourvoiera sans doute dans ses interprétations, à cause de ma propre incapacité à discerner l’essentiel.
Mon prénom est un prénom courant. Je suis même obligé de le préciser : c’est un prénom vraiment très commun, tout au moins dans ma génération ; il paraît même que ce fut le prénom masculin le plus donné en France l’année de ma naissance.
Mais déjà je regrette presque ces précisions, honnêtes, objectives tout au moins, mais qui ne disent rien de ce que je ressens, et qui risquent d’induire une fausse piste : prénom commun, trop commun, qui n’est plus un nom propre, qui à la limite usurpe sa majuscule, ne la mérite pas.
Il ne s’agit pas de ça.
Il ne s’agit pas davantage du prénom lui-même, de ses sonorités ; pas davantage de quelque éventuel prédécesseur, qui l’aurait porté avant moi et entaché d’une souillure indélébile ou auréolé d’un prestige exorbitant. Non, disons les choses clairement : que ce soit « Philippe » n’a rien à voir là-dedans. Je ne trouve pas ce prénom plus vilain qu’un autre. Ç’aurait été Patrick ou Alain ou Eric, ç’aurait été exactement pareil.
En réalité, ce n’est pas vraiment « Philippe » ; c’est juste que moi, je sois « Philippe ». C’est un peu comme si j’étais obligé de porter des vêtements d’emprunt. (J’ai toujours détesté enfiler des vêtements d’emprunt. Dégoût, encore. D’autres, j’imagine, me comprendront.) « Philippe », ce n’est pas moi. Parfois, dans la conversation, il arrive qu’on m’appelle « Philippe », sans que ce soit vraiment nécessaire ; qu’on utilise ce mot un peu à la manière d’un signe de ponctuation. « Ne m’appelez pas « Philippe », suis-je alors tenté de dire à mon interlocuteur. » Mais lui, forcément : « Comment voulez-vous que je vous appelle ? Vous vous appelez bien Philippe ! » « Ne m’appelez pas. »
Ce serait inconvenant, je m’en rends bien compte. C’est pourquoi, la plupart du temps, je me laisse appeler « Philippe ».
Qu’en dire ? Il me semble, mais je peux me tromper, que les choses auraient été atténuées, non pas annulées mais simplement atténuées si mon prénom avait été plus court (plus proche de rien) ; et qu’elles auraient été aggravées s’il avait été plus long. Mais je n’en suis pas sûr. Ou plutôt : il y a sûrement du vrai là-dedans, mais les choses ne sont pas si simples.
Parfois, souvent même, je dois le reconnaître, « Philippe » passe inaperçu. Pour peu que son emploi soit vraiment justifié, indiscutable, je ne le remarque plus. Ce n’est qu’en forçant ma mémoire que je me rends compte que tiens ! on m’a appelé « Philippe », et que, curieusement, je n’ai pas bronché. Comme, évidemment, il est rare que je force ma mémoire sur ce sujet ; il est très probable que de nombreux « Philippe » passent ainsi à l’oubliette, comme les boutons de ma braguette ou les reproductions des peintures de Renoir dans les manuels scolaires.
Mais d’autres fois – les fois qui comptent –, au moment où, effectivement, on m’appelle « Philippe », je me sens appelé « Philippe ». Et voilà, je dois donc être « Philippe » ! je dois incarner « Philippe » ! Je n’en ai pas le choix, on vient de me sommer de l’être. Je n’ai plus qu’à me conformer : « Philippe », c’est moi.



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dimanche 2 juin 2019

Petites nausées (4)

(Vers Petites nausées 1, Petites nausées 2, Petites nausées 3)


Mais c’est donc que, dans les deux cas, face au bouton, face au tableau de Renoir, je suis tenté de penser à quelque chose (quelque chose à quoi les autres, a priori, ne penseraient pas), que seule la volonté m’a appris à occulter.
Face au bouton, il y a cette conscience nauséeuse qu’il s’agit d’un objet manufacturé, de petite taille, destiné à être pris entre les doigts.
Face au tableau de Renoir, cette espèce de flou fuyant écœurant, de flou en mouvement (mouvements contradictoires, quasi tiraillement ; mais ce n’est pas cela, non vraiment ce n’est pas cela) ; cela même qui me permet de reconnaître à coup sûr Renoir – et de n’éprouver aucune répulsion devant l’œuvre médiocre d’un pâle imitateur.
Peut-être faut-il dire aussi (j’en suis moins certain, mais tout de même je le dis, par honnêteté : parce qu’on ne sait jamais) que le bouton, aussi, par sa petite taille, est susceptible d’être improprement porté à la bouche, notamment par un jeune enfant.
Le mal nommé flou fuyant de Renoir me suggère peut-être avec trop de violence que les choses ne peuvent pas demeurer en l’état. (Mais pourquoi seulement le flou de Renoir ? Peut-être les sujets des tableaux ont-ils plus d’importance que je ne veux bien leur accorder.)
Dans les deux cas, un unique réflexe (heureusement stoppé par les effets d’une bonne éducation) : vomir.
Vomir, j’imagine, est un réflexe de défense de l’organisme, qui se débarrasse par le chemin le plus direct de ce qui le met en péril. Nul doute qu’il y a, dans les peintures de Renoir, comme dans les petits objets manufacturés, quelque chose qui me menace. (J’allais écrire : « qui menace ma santé ». Ça n’aurait pas de sens. J’ai vu suffisamment de tableaux de Renoir, j’ai ramassé suffisamment de boutons pour savoir que ce n’est pas ma santé physique qui est menacée.)


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samedi 1 juin 2019

Petites nausées (3)




C’est plutôt de l’écœurement. Fugitivement, face au bouton (surtout si je suis obligé de m’en saisir), face à la peinture de Renoir, ce qui me prend – sans toutefois aboutir –, c’est une envie de vomir.
Rien à voir avec le sujet du tableau ! Ce n’est pas dans ce qu’il représente qu’il faut chercher la source de l’écœurement. Elle est plutôt dans ce qui fait que l’on reconnaît que c’est un « Renoir » (d’aucuns diraient la patte, la main, la manière ; mais je ne crois pas que cela ait à voir avec les mains).
Pourtant, si j’y pense, pour le bouton ; contrairement au tableau, ce qu’il représente compte. Si le bouton, arraché (ou neuf, non encore cousu ; pour moi, cela revient au même) n’en était pas un ; si c’était un objet véritablement tout autre ; surtout, si c’était un produit de la nature : une graine, un caillou auquel le hasard aurait donné l’apparence approximative d’un bouton – dans ce cas alors je crois, j’ose penser qu’il n’y aurait pas chez moi la moindre trace d’écœurement. Je n’aurais pas besoin de lutter contre, comme je le fais depuis si longtemps (au point que je suis devenu aujourd’hui en réalité tout à fait capable – au prix d’un effort prolongé de ma volonté – de mettre une chemise et d’aller visiter – je dirais même d’apprécier – une exposition Renoir). Je n’y penserais pas.
Bien sûr je m’embrouille. Un bouton ne « représente » pas au sens où un tableau « représente ». Là n’est pas sa fonction.
Mais c’est donc que, dans les deux cas, face au bouton, face au tableau de Renoir, je suis tenté de penser à quelque chose (quelque chose à quoi les autres, a priori, ne penseraient pas), que seule la volonté m’a appris à occulter.


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mardi 28 mai 2019

Petites nausées (2)



Comment donc se fait-il que, contraint chaque matin de manipuler les inévitables boutons qui me restent (au moins celui de ma braguette), rien ne vient m’empêcher ? Que se passe-t-il qui me vaut cette apparente libération ? Le même travail intérieur sans doute (mais remontant à un temps bien plus ancien, dont j’ai perdu la mémoire) que celui qui encore a lieu (mais de moins en moins, à force) face à un tableau de Renoir, maintenant que je parviens à la maturité – la maturité qui me permet, non sans peine, de faire face au tableau de Renoir.
Plus jeune, vers l’adolescence, je disais que je n’aimais pas Renoir. On s’étonnait. On me demandait pourquoi. Je ne savais pas trop quoi répondre. Parfois, poussé dans mes derniers retranchements, je disais juste « C’est flou. » Puis j’ai renoncé à cet argument, qui ne convainquait pas mes interlocuteurs, et que je trouvais moi-même bien insuffisant – quoique sincère. D’ailleurs j’aimais Monet. Je restais fasciné devant des esquisses de Turner. Et puis je n’ai jamais rien eu à reprocher au flou en général, je n’ai jamais rien eu ni contre ni pour le flou.
Je savais bien au fond de moi que ce « je n’aime pas Renoir », qui choquait tout le monde, ne disait pas ce qu’il y avait à dire. Il était d’ailleurs bien faible, par rapport à ce que j’éprouvais vraiment. Ce que j’éprouvais vraiment, c’était plutôt de la répulsion, du dégoût. On n’éprouve pas, me semble-t-il, de la répulsion pour les œuvres qu’on n’aime pas. (Il y a des œuvres, des choses en général que je n’aime pas ; et rares sont celles qui me provoquent, à proprement parler, de la répulsion). Et cette répulsion, maintenant que j’y pense, est du même ordre que celle que j’éprouve entre autres pour les boutons arrachés de la chemise (surtout s’ils sont petits et vaguement nacrés, tels qu’on les voit si souvent.) Et honnêtement, dire que « je n’aime pas » les boutons de chemise ; non, vraiment, ça n’aurait pas de sens.


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lundi 27 mai 2019

Petites nausées (1)


Qu’un bouton s’arrache de ma veste, j’aurais peine à le ramasser. Pire encore si c’est de ma chemise. (Et pourtant rien de plus désagréable qu’un vêtement auquel manque un bouton !)
Pour peu qu’il ne m’appartienne pas et que je ne sois pas seul au moment de sa découverte, je souhaite à toute force qu’un autre le ramasse. Sinon, le plus souvent, je fais celui qui n’a rien vu.
Ainsi en est-il aussi des tout petits jouets d’enfants (d’autant plus s’ils portent des traces d’usure), pièces de jeux, fèves de galette des rois.
Mais les boutons, je suis bien contraint d’y toucher au moins quand, bien cousus, ils remplissent leur office. (Cela dit, le cas se fait plus rare. Les gens qui me connaissent me voient rarement en veste, encore moins en chemise. Je préfère – quoique non sans réserve, à cause de la languette à tirer – les fermetures éclair. Rien de tel en final que les t-shirts, les sweat-shirts.)
Comment donc se fait-il que, contraint chaque matin de manipuler les inévitables boutons qui me restent (au moins celui de ma braguette), rien ne vient m’empêcher ? Que se passe-t-il qui me vaut cette apparente libération ?


(A suivre)

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vendredi 24 mai 2019

Ce qui pour Claire ne l'est pas


Un cadenas sur le cœur est le premier roman de Laurence Teper, dont j'ai beaucoup aimé le travail d'éditrice. Et j'aime aussi beaucoup ce roman, récemment paru chez Quidam.
L'héroïne s'appelle Claire, et rien n'est clair pour elle qui ne voit pas ce qui pour tout le monde, même pour le lecteur à qui pourtant on ne le dit pas, est clair dès le départ. Il y a des choses qui sont en évidence sous notre nez et que nous ne voyons pas. Il y a des choses qui sont en évidence sous notre nez et que nous sommes conditionnés pour ne pas voir. Et ça peut faire du mal. C'est tragique, Un cadenas sur le cœur ; le titre le dit bien. Ce qu'il ne dit pas, c'est que cette histoire triste à pleurer, Laurence Teper a trouvé un ton pour la raconter qui parvient à tirer un sourire au lecteur, un rire parfois.