Je passe toujours autant de temps à écrire mais je n’écris pas
grand-chose. J’ai l’impression qu’écrire est indissociable de
la conscience de son empêchement. Les derniers textes que j’ai
lus, relus plutôt, avant de m’arrêter, ce sont ceux de Beckett.
L’Innommable, surtout. Comment écrire encore quelque chose
d’un peu long ? Je ne vois pas comment je pourrais faire plus
que quelque chose comme ça (ça doit dater de 1993 ou 1994, et ça
s’intitule Derniers recours ; rien que le titre est un
programme) :
Après
plusieurs effondrements ne se soulèvent plus que des grains épars
et isolés. Puis le silence s’abat comme une averse molle. Seuls
vestiges d’un tourment révolu des ondulations toujours plus vagues
s’effacent dans une apparence de poussière en suspension et de
mornes lointains. Le temps même se fixe en un présent accompli, la
personne ne se distingue pas de l’univers d’essence restreinte.
Rien n’offre de prise. On ne tentera pas de saisir ce qui n’est.
C’est
tout. D’un côté,
j’aime bien les raisins secs. D’un autre côté : mais quand
même. Beaucoup de proses brèves sont à l’avenant, sauf
certaines, plus oniriques, que je commence à voir se constituer
comme un ensemble, celui qui finira par donner Mémoires
des failles.
Je
ne lis plus de romans. Je crois que je lis encore un peu de poésie
quand même, pourvu que le texte soit court. Disons que la lecture de
la poésie fait de la résistance ; elle finira quand même par
rendre les armes, vers
1993, je dirais.
Comme
j’avance de moins en moins dans Par
temps clair, je me
donne un autre projet à long terme, une sorte de journal littéraire
(en plus du petit Carnet vert, que je tiens toujours). Ça s’appelle
Se voir se voir
et je ne sais plus bien ce qu’il y a dedans.
C’est
à ce moment-là que j’entends une
voix à l’extérieur,
ce n’est pas moi qui parle mais
c’est une
voix qui me
dit ce que je n’ose pas penser – et soudain c’est exactement ce
que je pense :
« Quand
même, avec tout le temps que tu passes à écrire, ce serait bien
que tu écrives quelque chose qui soit publié. »
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