vendredi 14 février 2020

Écrire et publier ou pas (7) (1991-1995)


Je passe toujours autant de temps à écrire mais je n’écris pas grand-chose. J’ai l’impression qu’écrire est indissociable de la conscience de son empêchement. Les derniers textes que j’ai lus, relus plutôt, avant de m’arrêter, ce sont ceux de Beckett. L’Innommable, surtout. Comment écrire encore quelque chose d’un peu long ? Je ne vois pas comment je pourrais faire plus que quelque chose comme ça (ça doit dater de 1993 ou 1994, et ça s’intitule Derniers recours ; rien que le titre est un programme) :

Après plusieurs effondrements ne se soulèvent plus que des grains épars et isolés. Puis le silence s’abat comme une averse molle. Seuls vestiges d’un tourment révolu des ondulations toujours plus vagues s’effacent dans une apparence de poussière en suspension et de mornes lointains. Le temps même se fixe en un présent accompli, la personne ne se distingue pas de l’univers d’essence restreinte. Rien n’offre de prise. On ne tentera pas de saisir ce qui n’est.

C’est tout. D’un côté, j’aime bien les raisins secs. D’un autre côté : mais quand même. Beaucoup de proses brèves sont à l’avenant, sauf certaines, plus oniriques, que je commence à voir se constituer comme un ensemble, celui qui finira par donner Mémoires des failles.
Je ne lis plus de romans. Je crois que je lis encore un peu de poésie quand même, pourvu que le texte soit court. Disons que la lecture de la poésie fait de la résistance ; elle finira quand même par rendre les armes, vers 1993, je dirais.
Comme j’avance de moins en moins dans Par temps clair, je me donne un autre projet à long terme, une sorte de journal littéraire (en plus du petit Carnet vert, que je tiens toujours). Ça s’appelle Se voir se voir et je ne sais plus bien ce qu’il y a dedans.
C’est à ce moment-là que j’entends une voix à l’extérieur, ce n’est pas moi qui parle mais c’est une voix qui me dit ce que je n’ose pas penser – et soudain c’est exactement ce que je pense :
« Quand même, avec tout le temps que tu passes à écrire, ce serait bien que tu écrives quelque chose qui soit publié. »



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