Le Seuil m’envoie une photographe à domicile. Les photos pourront
servir pour la presse, et pour la quatrième de couverture. Elles
serviront aussi pour le bandeau. J’emploie le pluriel parce que je
crois qu’il y en a deux qui ont servi, alors qu’on y a passé
tout une après-midi. Dans le parc de Rambouillet, notamment. On a
beau être au mois de mai, il fait un froid de canard. Non mais il
neige, carrément ! Est-ce pour ça que je ressemble tellement à
Gérard Jugnot ?
Ça
y est, le livre est imprimé. Ça doit faire quelque chose, d’avoir
son livre imprimé entre les mains. Je ne m’en souviens pas. Je
crois que ça m’a juste fait m’étonner de ne pas ressentir
grand-chose. C’est juste un objet, il n’est même pas encore en
librairie.
Je
suis convié à venir dédicacer les exemplaires envoyés en service
de presse. Les SP, quoi. Ça ne se passe pas au 27 rue Jacob mais
dans un autre immeuble un peu plus loin, dans une pièce au sous-sol.
Les auteurs de la rentrée littéraire, ceux qui sont dans la région
en tout cas, ont devant eux des piles énormes à dédicacer. J’ai
la mienne. On doit être six ou sept, sur onze. Je me souviens d’une
femme venue avec son lézard sur l’épaule, un gros lézard
exotique. J’ai la liste des noms des dédicataires. Pour la
plupart, je ne les connais pas. C’est un peu étrange, de dédicacer
des bouquins à des gens qu’on ne connaît pas, qui ne sont pas là,
et qui pour la plupart n’ouvriront même pas le livre. Mais ça se
fait. C’est bizarre aussi de dédicacer un bouquin à Bernard
Pivot. C’est encore plus bizarre d’en dédicacer à Alain
Robbe-Grillet. Bien sûr à cette époque il est toujours vivant,
mais si je lui en dédicaçais un maintenant, je ne pense pas que ça
me paraîtrait plus bizarre. Je mets la même chose à tout le monde.
C’est Bertrand Visage qui me dit quoi mettre, et où l’écrire ;
je ne sais pas dédicacer. J’abats la besogne, je finis le premier.
En
juin, je crois que c’est en juin, il y a un cocktail organisé sur
une péniche ; quelque part vers Bercy. On y va en taxi, depuis
le Seuil, avec Bertrand Visage et Régine Detambel, dont le roman
paraît aussi à la rentrée. Des libraires importants ont été
invités, venus de toute la France. De tous les noms de personnes
qu’on me présente, je n’en retiens aucun. Je ne sais pas trop ce
que je fais là, sauf qu’à un moment chaque auteur est amené à
parler de son livre. Mais comment fait-on pour parler de son livre à
des gens qui ne l’ont pas lu ? Quand les gens l’ont lu,
c’est facile. C’est même agréable, même s’ils ne l’ont pas
aimé. Mais quand ils ne l’ont pas lu, et qu’il faut leur donner
l’envie de le vendre ? Face à eux, je réponds aux questions
de mon éditeur d’une voix monocorde que je ne reconnais pas, qui
n’est pas la mienne lorsque je parle en public, encore maintenant.
C’est idiot, mais la timidité de l’auteur est un handicap. C’est
idiot parce que c’est le livre, qu’il faut vendre, pas l’auteur.
Oui mais non. On vend les deux. C’est comme ça. Le repas est bon,
la promenade est belle. Je m’échappe un moment dans les jardins de
Bercy.
L’été,
il ne se passe rien. J’ai acheté un téléphone portable, quand
même. (J’ai oublié de dire que le fichier de texte pour mon
roman, je l’ai envoyé sur disquette !) A Concarneau, je
reçois un appel de « mon » attachée de presse. Pour une
enquête du Figaro, il faudrait que je nomme deux ou trois de mes
auteurs contemporains préférés. Voilà ce que c’est de ne plus
lire depuis presque dix ans. Heureusement Julien Gracq n’est pas
mort. Et je cite Edmond Baudouin, aussi. Bien sûr c’est un auteur
de BD, et alors ? Il est vraiment vivant.
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