Une fois, je n’en peux déjà plus et je ne réussis pas à
renoncer. Le roman, de science-fiction comme d’habitude, est encore
plus mauvais que les autres. Mais il n’est plus possible de
s’arrêter, il faut que je continue. (Aujourd’hui encore, quand
je lis des textes mauvais, ou faibles, écrits par des gens que je ne
connais pas, il m’arrive de les aimer. Il faut aimer ce qui est
insuffisant. On ne sait pas ce qu’il y a derrière, on ne sait pas
d’où ça vient. On ne sait pas ce qu’il y aura après.)
Je
grandis. Je suis à un âge où l’on grandit vite. Mon esprit
critique grandit plus vite que mes capacités à écrire quelque
chose de valable. J’écris ce roman, toujours le même, qui se
défigure sous mes yeux, tout en restant différemment illisible. Je
commence à écrire des poèmes, aussi. À cet âge-là, on écrit
forcément des poèmes. J’en retire plus de satisfaction. De courts
textes en prose, aussi. Bref.
Et
puis, à dix-sept ans, mon professeur de français me fait lire
Beckett.
(Elle
mérite bien une parenthèse, mon professeur de français. Et même
un paragraphe. C’est la première personne à qui je fais lire un
texte, ce qui pour moi à l’époque est à peu près inimaginable.
Il faut dire que les conditions sont exceptionnelles : nous
sommes neuf élèves en classe. Elle lance un club théâtre. Je
découvre que j’aime ça. J’en ferai pendant vingt ans –
j’arrêterai au moment de la première publication. Sur son conseil
aussi, je lis Kafka, Flaubert. Elle s’appelle Danielle Auby.
Interrogez Google si son nom ne vous dit rien. Elle a publié
quelques très beaux livres chez Flammarion, chez Champ Vallon, à la
Chambre d’écho. Mais cela, je ne le découvrirai qu’après avoir
moi-même publié plusieurs livres.)
Donc
j’ai dix-sept ans et je découvre Beckett. Et je découvre Beckett
précisément au moment où je commence tout seul à prendre
conscience que mon insuffisance, je peux en faire quelque chose. Que
c’est précisément l’incapacité de dire qui peut, qui doit
devenir le moteur paradoxal de mon écriture. Mon roman, mon si
mauvais roman que je traîne comme une honte depuis déjà trois ans,
il faut que je le continue.
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