Il se trouve qu’à cette époque je fais des études d’anglais et
qu’à cette occasion je découvre la poésie de Coleridge ; ça
fera un Sam de plus à mon Panthéon personnel. Je me lance aussitôt
dans une adaptation du Vieux Marin en alexandrins. Six-cents,
quand même. Quelques-uns sont encore lisibles. En fait depuis
quelque temps, et même de plus en plus souvent, à force, il
m’arrive d’écrire des textes qui restent lisibles. (Encore
faut-il, pour avoir la possibilité de s’en rendre compte, avoir le
courage de ne rien jeter, et de relire de temps en temps les pires
niaiseries. Savoir d’où on vient.) Mais alors que c’est
éparpillé ! Ça part vraiment dans tous les sens. A côté de
proses plutôt d’avant-garde, j’écris toujours mes sonnets, je
tente une première fois de monter ma pièce de théâtre, une fois
mon Vieux Marin achevé j’enchaîne avec une adaptation de
Koubla Khan (et, tiens, c’est de mieux en mieux) et surtout
je continue toujours mon vieux roman, devenu pour le coup
complètement expérimental, auquel je mettrai un point que je
croirai final au début de l’année 1986, soit dix ans après
l’avoir commencé.
Cet
éparpillement, je n’en ai pas vraiment conscience, à l’époque.
Je ne cherche pas à savoir s’il a un sens. Je ne sais pas à
quelle profondeur il est ancré, et je ne me doute pas qu’il
deviendra mon principal obstacle éditorial.
A
ce propos, j’emprunte la vieille Remington de ma maman, et je tape
le roman à la machine. Je dis « le roman » pour ne pas
dire le titre. Il lui manque encore quelque chose pour être lisible
mais aujourd’hui encore je considère que c’est lui qui m’a
fait et que c’est sans doute ce que j’ai écrit de plus
important. Mais il lui manque incontestablement quelque chose pour
être lisible. Des quatre ou cinq gros éditeurs auxquels je l’envoie
(par la poste évidemment, à l’adresse recopiée à l’intérieur
d’un bouquin), seul Grasset, tiens donc, parle de « curieux
manuscrit ». Le reste, des lettres-types. Je n’enverrai plus
rien avant longtemps. De toute façon je n’ai jamais cru que
c’était possible, d’être publié. Des amis me sollicitent pour
monter ma pièce de théâtre. On s’y met. En juin 1986, nous
jouons sur des planches modestes, mais parisiennes quand même.
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