lundi 17 février 2020

Écrire et publier ou pas (10) (printemps 2001)


Savoir qu’on va être publié, ça fait quelque chose. Ça fait écrire, notamment. Ou écrire autrement. Je consulte le Carnet vert. Le 3 avril, Hors est donc accepté par les éditions du Seuil. Le 14, je projette d’arrêter l’écriture de Se voir se voir, qui rétrospectivement n’avait de sens que hors de toute publication, et d’arrêter aussi Par temps clair, de n’en garder que le titre pour un roman à la deuxième personne, dont l’idée survient semble-t-il d’un coup, sur la « verbalisation de la pensée ». Le 30 avril, j’en écris les premières lignes : « Tu es mort. » (C’est un message de jeu vidéo, déjà. Un message de partie perdue.) Le même jour, j’ai l’idée d’intégrer Croissance au sein du récit de sa relecture, des années plus tard. Je doute du résultat. Je m’y lance quand même.
Tiens, je vois que j’ai eu aussi un projet de remaniement de Se voir se voir, dans les jours qui ont suivi. J’avais complètement oublié. Je ne comprends même plus vraiment de quoi il s’agit, je n’ai pas envie de faire l’effort.
Et toujours des récits brefs et oniriques qui viendront nourrir Mémoires des failles.
Être publié, ça fait lire aussi. La même voix extérieure qui m’a poussé à la publication me fait remarquer que maintenant que je vais être publié, ce serait bien que je me remette à lire, notamment mes contemporains. C’est vrai que c’est un peu gonflé de prétendre être publié sans lire ses contemporains. Un jour, à Chartres, je vais à la librairie. Je regarde. Tous les livres présentés me tombent des mains avant d’être ouverts, ou presque. Et puis, dans les rayons, peu visible, je tombe sur les Absences du Capitaine Cook, d’Eric Chevillard. Je lis la première page. Je n’en reviens pas. C’est donc encore possible. (Je ne m’étale pas davantage, j’ai déjà raconté ça ailleurs.) Voilà, c’est comme ça que je me remets à lire. Très loin de ce que fait Chevillard, je ne tarderai pas à lire Hubert Mingarelli, dont une photo orne le mur du bureau de Bertrand Visage, au 27 rue Jacob. C’est bon aussi de lire un auteur aussi différent de soi. (En 2020, il vient de mourir. N’oubliez pas ses livres.)
La publication de Hors, devenu Une affaire de regard, est prévue pour la rentrée littéraire de septembre 2001. Je suis convié par mon éditeur à en parler devant les représentants chargés de la diffusion. Certains l’ont déjà lu. Apparemment j’ai su capter l’air du temps. Je me demande bien comment j’ai fait, il me semble pourtant que je ne vis pas du tout dans le temps. Certains aussi s’étonnent, avec insistance, que le roman n’ait pas été publié chez Minuit (le Seuil Diffusion diffuse aussi Minuit, les représentants connaissent parfaitement le catalogue). C’est vrai, pourquoi ? Comment se fait-il ? J’écoute mon éditeur parler du livre. C’est la même personne qui a parlé du même livre devant moi dans son bureau, mais les mots ne sont pas les mêmes. Il insiste beaucoup sur le sexe et sur l’humour, j’ai l’impression qu’il ne reste plus que ça. C’est vrai qu’il y a des scènes de sexe et qu’elles sont drôles, mais quand même. Je commence à deviner qu’éditer, c’est peut-être sélectionner un texte sur ses qualités essentielles, puis le vendre pour ce qui attirera a priori le lecteur. Bien sûr que c’est ça.



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