Bütow, le 28 Janvier 1918 Mes
chers Parents.
J’ai été bien heureux d’apprendre que vous avez enfin reçu de mes
nouvelles. J’espère que cette carte n’aura pas été seule et que d’autres auront
suivi aussitôt. Quant à moi le courrier est redevenu régulier. J’ai reçu cette
semaine des lettres ou cartes des 5-5-8-9-10-11-12- plus une lettre de Lucie du
8 J et une de ma tante du 11. Je ne
pense pas que les deux 5 à la suite soient une erreur d’Edmond. Ça doit plutôt
signifier que le 5 janvier il a reçu deux cartes, ou une carte et une lettre.
Je le devine attaché au détail, à force. Maniaque. Et sans doute aussi la
captivité exacerbe-t-elle ce caractère. Je remercie bien ma tante de
sa bonne lettre affectueuse qui m’a touché beaucoup. Merci également à Lucie
qui, comme elle s’en excuse du reste, ne paraissait pas dans son assiette. J’ai
aussi reçu des nouvelles d’un camarade (le 3e dans notre chambre à
Reisen Je ne me souviens pas que ce
troisième ait jamais été nommé – le deuxième étant certainement Daussy.)
qui est arrivé en Suisse. J’en suis content pour lui, car il était bien touché
le pauvre type (éclat d’obus dans la tête). Voilà
donc la raison. La correspondance d’Edmond est un interminable euphémisme en
même temps qu’un signe de vie. Un éclat d’obus n’y avait pas sa place. C’est
peut-être pour ça aussi qu’il va à la ligne, alors qu’il avait largement la place
d’écrire le « J’ai » qui suit.
J’ai enfin reçu mon hamac qui est arrivé en bon état ainsi que le
chocolat qui l’accompagnait. Hamac
et chocolat. Des mots de paradis. Il est très bien, peut-être même
un peu trop beau. Edmond en avait
demandé un dans la carte du 22 septembre précédent. Adressez mes
remerciements à qui de droit. Il est tendu sur mon lit et forme un sommier
assez doux ; je suis très bien couché maintenant. Remerciez bien pour moi
la bonne de ma Tante pour son chocolat, elle est bien gentille de penser à moi.
Un gouffre sépare la vie de mon
grand-père de ce que sera celle de ses enfants. Mais c’est un autre sujet.
J’ai reçu quelques autres colis cette semaine : ce sont le gros n°23 et
les petits n°s 26 et 28. Ils étaient en bon état ; il n’y avait que les
pommes qui étaient bien malades. La confiture en pot de carton est très bien
arrivée, elle est très bonne. Mon cuisinier trouve que les cubes « petite
marmite » sont bien supérieurs à tous les autres. Ah, voilà Daussy. Le dégel
continue, il fait même très bon ; pour un peu on croirait que c’est le
printemps. On ne dirait pas que nous sommes au mois de Janvier. Je vous quitte,
mes chers Parents, en vous embrassant bien bien fort tous les deux ainsi que
Geneviève, Louis, Ma Tante et toute la famille. Votre fils qui vous aime de
tout son cœur. EAnnocque
Vous avez raison : dans ces cartes, volontairement banales et accrochées aux petites choses du quotidien, l'éclat d'obus n'avait pas sa place, il s'agit de ne pas inquiéter la famille. Et cependant, Edmond a cédé à l'émotion de savoir son camarade peut-être sauvé puisqu'il en parle quand même....
RépondreSupprimerEdmond efface la guerre : de ses deux camarades de chambrée, le blessé est passé sous silence avant d'arriver en Suisse, et l'autre devient "mon cuisinier", blague récurrente.
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