La lecture du Château a
été l’une des plus grandes réjouissances de la fin de mon adolescence, et
figurez-vous que la relecture du Château a été l’une des plus grandes
réjouissances de mes vacances : très étonnamment la même. Ça m’a fait la
même chose pour Molloy en juin, et je n’en finis pas de m’étonner de
cette persistance en moi d’un même lecteur. Je l’ai d’ailleurs relu dans le
même exemplaire, mon Folio un peu jauni quand même, et sa traduction par
Vialatte.
A la même époque, j’avais déjà lu
et relisais encore la quasi-intégrale de Gaston Lagaffe ;
Franquin était encore de ce monde mais il avait déjà les Idées noires.
Mais c’était sans doute un autre lecteur en moi que celui de Kafka, car je ne
me souviens pas d’avoir vu venir dans ce passage du Château (pages 92 à
94)
– C’est une autre question, dit
le maire, ce n’est pas à moi de la trancher ; je puis cependant vous
expliquer comment la méprise a pu se produire. (…) Mizzi, dit-il,
s’interrompant soudain, à la femme qui ne cessait de s’agiter incompréhensiblement
dans la pièce, regarde donc, s’il te plaît, dans l’armoire, peut-être y
trouveras-tu le décret. Ce décret date, dit-il à K. en manière d’explication,
des premiers temps de mes fonctions : à ce moment-là je gardais encore
tout.
La femme ouvrit immédiatement
l’armoire. K. et le maire regardaient. Quand l’armoire s’ouvrit on vit tomber à
terre deux grosses liasses de rouleaux liés en cylindre comme des fagots ;
c’étaient des pièces officielles ; la femme, effrayée, fit un bond de côté.
– Il pourrait être en bas… En
bas ! lança le maire dirigeant l’opération du haut du lit.
Docilement la femme plongea les
deux bras dans les papiers, sortant les documents à pleins tabliers pour
arriver à ceux d’en bas. Les pièces couvraient déjà la moitié de la chambre.
d’avoir vu venir dans ce passage
du Château, disais-je, l’hypotexte probable de cette gastonnerie-ci,
retrouvée avec bien de la peine en quasi-ouverture du Gang des gaffeurs,
c’est le gag 760 (qui une fois n’est pas coutume fait vraiment suite au
liminaire 759) dont je vous colle ici la première demi-planche, cliquez donc dessus
pour mieux voir
, tandis que pendant ce temps,
quelques dizaines d’années plus tôt, toujours chez le maire du village du
Château mais cette fois à la page 107 :
– Vous parlez tout le temps, dit
K., de mon engagement au futur ; mais je suis déjà engagé ! Voici la
lettre de Klamm.
– La lettre de Klamm, dit le
maire, est respectable par la signature de Klamm qui semble bien être
authentique, mais par ailleurs… – mais je n’ose pas me prononcer seul
là-dessus. Mizzi ! appela-t-il, puis il cria : mais que faites-vous
donc ?
Les deux seconds, qui étaient
restés en surveillance depuis longtemps, n’ayant probablement pas, non plus que
Mizzi d’ailleurs, retrouvé la pièce cherchée, avaient voulu tout remiser dans
l’armoire, mais le désordre qui régnait dans cet excès de dossiers ne le leur
avait pas permis. C’est alors que leur était venue l’idée qu’ils essayaient
maintenant de réaliser.
Ils avaient étendu l’armoire sur
le plancher, tassé dedans les papiers en vrac, puis ils s’étaient assis avec
Mizzi sur la porte du meuble et cherchaient ainsi à la fermer lentement.
Et si j’ose ainsi gâter le gag du
gaffeur à gogo en en annonçant la chute, c’est bien sûr parce que Kafka l’a
fait avant moi, et bien avant que Franquin ne dessine ce qui suit (mais cliquez
donc, bon sang de bois !) :
Voilà. Kafka à coup sûr n’était
pas seul à trouver drôles ses romans les plus inquiétants. Et inversement la
représentation de la vie de bureau qui court à travers Gaston Lagaffe,
si l’on y regarde de près, n’est sans doute pas sans présenter quelques points
communs avec celle que nous donne à lire le Château.
Post-Scriptum du 8 septembre 2023 : Je constate à l'instant, en consultant mes statistiques, que cet article ancien intéresse encore. Il a eu des prolongements plus récemment : Monsieur de Mesmaeker dans le Château de Kafka ou : la mouche et la fenêtre, un hommage à Fran(z)quin et aussi En lisant "Un monde sans Kafka", de Pierre Bayard.
Merci pour m'avoir fait replonger dans mes beaux souvenirs de lecture et de sourire d'adolescence, c'était si bon. Les livres de Franquin ne sont pas qu'humoristiques, contrairement à ce que pensent ceux qui ne l'ont pas lu !
RépondreSupprimerEt ceux de Kafka sont drôles aussi ! (notamment)
SupprimerUne drôlerie qui a quelque chose d'universel, non?
RépondreSupprimerC'est vrai - ce qui n'empêche que j'aie l'impression de quelques affinités cachées entre Franquin et Kafka (car ce gag commun peut très bien en effet n'être qu'une coïncidence).
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