vendredi 28 août 2015

Mon jeune grand-père (97)



Bütow, le 21 mai 1918. Mes bien chers parents. Encore deux semaines d’intervalle, c’est sûr qu’il manque des cartes. Celle-ci est identique à la précédente, adressée aussi à Forges les Eaux mais cette fois Edmond a bien écrit « rue Marette ». En revanche aucun trait oblique ne la barre.
A cause des fêtes de la Pentecôte, ce n’est qu’aujourd’hui, mardi que je vous écris ma carte de la semaine. J’ai un peu le cafard ces jours-ci en pensant que depuis hier soir, il y a 2 ans que je suis en Allemagne ! Même sans se faire tuer, on peut se faire voler de la vie. Heureusement qu’il n’y en a plus pour aussi longtemps. Je serais heureux de savoir si l’opinion de Papa sur mon internement est basée sur des tuyaux sérieux ou si c’est simplement son avis. J’ai reçu pas mal de courrier, mais je n’ai pas encore celui en retard. Voilà ce que j’ai eu : cartes de Papa des 12-13-15-22-23-24 avril et 7 mai, et les lettres de Maman des 14 A. et 5 mai. J’ai eu en outre une carte de la cousine Adélaïde du 3 avril. Adélaïde. Dans la carte du 11 août  1917 Edmond accusait réception d’une carte de la cousine Adélaïde datée du 21 juin. Je ne sais pas du tout qui est la cousine Adélaïde. Elle ne reçoit plus de nouvelles de personne. Jeanne est séparée de la mère Aldegonde. Tante Stella doit être bien inquiète ; elle me demande aussi des nouvelles de Maurice. Tous ces noms me sont inconnus. Ils ne sont pas passés dans la mémoire familiale. Sur les modestes notes généalogiques que j’avais prises autrefois figure tout de même un Maurice Helleboid qui devait être un cousin issu de germain d’Edmond. C’est peut-être lui, « Maurice ». Suit un de ces tirets qu’Edmond utilise pour signifier le changement de paragraphe tout en l’économisant : _ J’ai reçu aussi quelques colis, tous en bon état ce sont les n°s 7-9-10-11. Merci, les abricots sont arrivés à propos. D. voulait faire de la tarte pour la Pentecôte, aussi il en a fait une aux abricots et une à la marmelade de poires. C’était très bon, c’est un pâtissier épatant. Pas de doute, c’est bien Daussy ; il a changé de camp avec Edmond. Nous avons mangé aussi la boîte de gigot avec des flageolets, c’était très bon. Merci bien. Merci aussi pour la farine annoncée ; mais surtout ne vous privez pas pour moi. Nous allons de nouveau en promenade ce soir ; on a retardé l’heure, nous sortirons à 4h1/2. Il fera encore bien chaud ; car depuis quelque temps le soleil est brûlant et nous étouffons dans nos baraques. Et puis il y a le sable qui augmente encore la chaleur. Pauvre Madeleine, comme elle doit bien regretter Maman Lucie ! Ce doit être la sœur de Jean, hébergée pendant un temps avec son frère chez mes arrière-grands-parents ; et « Maman Lucie », c’était sans doute ainsi qu’elle appelait mon arrière-grand-mère. J’ai fait venir ces jours-ci quelques objets de Kerbschnitt. Je crois que ce sont les derniers que j’achète. Je vais avoir de quoi contenter tout le monde, c’est suffisant. Au revoir, mes bien chers parents, je vous embrasse bien, bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis, ma tante et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tout son cœur. E. Annocque L’écriture d’Edmond était très serrée sur les deux tiers supérieurs de la carte, les interlignes se sont espacés par la suite et maintenant il lui resterait bien la place pour écrire trois lignes encore mais il n’y a plus rien à dire.

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