La meute des chiens qui jappaient
fendait les groupes de réfugiés, aboyait contre des jambes éreintées, se
dispersait. Dans un premier temps, Anna ne vit que l’escadron des bêtes, une
masse de poils hérissés gris é des gueules glapissantes rouge vif remplies d’aboiements
rauques et de crocs acérés. Les chiens hurlants arrachaient des lambeaux à la
puanteur et s’excitaient par les rues. Ils s’en revinrent en une large boucle –
alors seulement Anna remarqua le petit chien en tête, 1 femelle affamée avec
des plaies purulentes sur les flancs é au cou, 1 patte blessée, peut-être l’animal
s’était-il récemment dégagé d’un piège, il ne pouvait pas courir aussi vite que
ses poursuivants, quelques bonds encore, et la meute l’avait rattrapé. La bête
haletante paraissait sans défense sur ses pattes maigres, ses flancs meurtris
palpitaient, la salive coulait des babines en fils pommelés –. Un chien massif
bondit hors de la meute, une boule hirsute de poils noirs, un bélier de muscles
é de fureur, il frappa vite é à plusieurs reprises le museau du plus petit avec
sa patte de devant comme s’il voulait l’assommer, la maigre bête éreintée s’affaissa
en glapissant, les pattes dressées en l’air en signe de capitulation. Alors la
meute déferla sur elle. Lames de scie répugnantes, les morsures déchiquetèrent
le cou, les flancs é l’abdomen – l’animal-à-terre poussait des cris stridents –
et les crocs mordaient encore et encore le corps tremblant ; durant l
court instant Arma vit un œil du petit chien tourné vers elle : il vivait
toujours, mais son regard semblait étrangement calme, préparé à sa mort é conscient
de sa fin. Comme si la faible lueur du soir avait gommé toute douleur de ce
regard d’animal – sans crainte car, à présent, il n’aurait plus à se défendre. Le
tas de fourrure&muscles&pattes dévora rapidement la forme dans la
poussière – le râle vorace et baveux de la meute..... – Anna n’attendit pas que
le sang coulât, elle savait ce qui arriverait. !Voilà : le cri pointu
et strident chevrotant dans le glapissement plaintif – , 1 fil de vie rompu, 1
vie de merde..... – Des voix beuglantes s’élevèrent derrière elle, des gens qui
partaient à l’assaut de la meute des chiens : ils s’étaient amusés=ensemble,
à présent, chacun voulait bouffer é: redevenait 1 ennemi=pour l’autre.
Reinhard Jirgl, les Inachevés, traduction de Martine Rémond, Quidam, 2007, p.49-50.
Cet été, j’ai enfin lu les
Inachevés – rappelez-vous Renégat. Et ces chiens courent toujours
dans ma tête.
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