vendredi 21 août 2015

gommé toute douleur



La meute des chiens qui jappaient fendait les groupes de réfugiés, aboyait contre des jambes éreintées, se dispersait. Dans un premier temps, Anna ne vit que l’escadron des bêtes, une masse de poils hérissés gris é des gueules glapissantes rouge vif remplies d’aboiements rauques et de crocs acérés. Les chiens hurlants arrachaient des lambeaux à la puanteur et s’excitaient par les rues. Ils s’en revinrent en une large boucle – alors seulement Anna remarqua le petit chien en tête, 1 femelle affamée avec des plaies purulentes sur les flancs é au cou, 1 patte blessée, peut-être l’animal s’était-il récemment dégagé d’un piège, il ne pouvait pas courir aussi vite que ses poursuivants, quelques bonds encore, et la meute l’avait rattrapé. La bête haletante paraissait sans défense sur ses pattes maigres, ses flancs meurtris palpitaient, la salive coulait des babines en fils pommelés –. Un chien massif bondit hors de la meute, une boule hirsute de poils noirs, un bélier de muscles é de fureur, il frappa vite é à plusieurs reprises le museau du plus petit avec sa patte de devant comme s’il voulait l’assommer, la maigre bête éreintée s’affaissa en glapissant, les pattes dressées en l’air en signe de capitulation. Alors la meute déferla sur elle. Lames de scie répugnantes, les morsures déchiquetèrent le cou, les flancs é l’abdomen – l’animal-à-terre poussait des cris stridents – et les crocs mordaient encore et encore le corps tremblant ; durant l court instant Arma vit un œil du petit chien tourné vers elle : il vivait toujours, mais son regard semblait étrangement calme, préparé à sa mort é conscient de sa fin. Comme si la faible lueur du soir avait gommé toute douleur de ce regard d’animal – sans crainte car, à présent, il n’aurait plus à se défendre. Le tas de fourrure&muscles&pattes dévora rapidement la forme dans la poussière – le râle vorace et baveux de la meute..... – Anna n’attendit pas que le sang coulât, elle savait ce qui arriverait. !Voilà : le cri pointu et strident chevrotant dans le glapissement plaintif – , 1 fil de vie rompu, 1 vie de merde..... – Des voix beuglantes s’élevèrent derrière elle, des gens qui partaient à l’assaut de la meute des chiens : ils s’étaient amusés=ensemble, à présent, chacun voulait bouffer é: redevenait 1 ennemi=pour l’autre.



Reinhard Jirgl, les Inachevés, traduction de Martine Rémond, Quidam, 2007, p.49-50.



Cet été, j’ai enfin lu les Inachevés – rappelez-vous Renégat. Et ces chiens courent toujours dans ma tête.




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