Le onze novembre, les Alliés sont
entrés dans la ville. Elégants, bien nourris, fumant des cigarettes parfumées. Pour
nous mettre à la page, nous apprîmes La Madelon.
Il y avait des gens qui ne nous
envoyaient pas dire que nous étions des traîtres et des accapareurs, aussi dûmes-nous
déménager précipitamment.
Jalousie !
La vérité est que nous nous montrâmes
à la hauteur des circonstances. On était, avant tout, tricolores et on le fit
bien voir.
De grandes heures sonnaient à l’horloge
de l’Histoire. Pour le retour triomphal des héros, nous étions accrochés sur
une échelle à vingt francs et mêlions nos pleurs, ma mère et moi.
Ce fut un défilé mémorable.
En tête, le Roi-Chevalier et la
famille royale. Tous à cheval.
« Vive le Roi ! Vive la
Reine ! »
Et après, les petits soldats,
tous les petits soldats qui restaient.
« Vivent les petits soldats ! »
Suivaient les nègres, les Arabes,
les Canadiens, les Portugais…
« Vivent les nègres ! »
Les tanks, les canons…
« Et vivent les tanks ! »
A la fin, nous avions la gorge
irritée. Dans la soirée, la foule a défoncé les vitrines des vendus notoires et
rasé la tête d’une douzaine de prostituées de la rue Saint-Laurent, qui avaient
commercé de leurs charmes avec les vaincus. On en a déshabillé quelques-unes en
pleine rue. Quelle rigolade !
Des patriotes exaltés opinèrent
qu’il eût été bon de les livrer à la flamme purificatrice du bûcher, mais cette
idée ne fut pas retenue.
On avait tous avalé le drapeau,
avec la hampe.
Henri Calet, La
belle lurette.
(Et on en profite pour saluer La Belle Lurette.)
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