C’est
sans doute influencé par ces jeunes qu’il se mit à fréquenter ces
endroits où une agitation prenait l’aspect d'une résistance.
Il hanta les grèves, où on défilait devant des C.R.S. De temps en
temps, ces gens d’ordre envoyaient une grenade ou distribuaient
deux-trois coups de boutou. M. Balthazar Bodule-Jules se retrouva
aux premières lignes des ouélélés qui se menaient contre la moindre
exaction policière ou de force officielle. Tout devenait le signe tant
attendu de la brutalité coloniale. Grévistes que les
gendarmes postés dans les campagnes n’arrêtaient pas de fusiller.
Fermetures d’usine qui laissaient aux abois des femmes et des enfants.
Conflits autour de la canne, de la banane, de l’ananas ou
du rhum qui n’en finissaient pas d’agoniser… À chaque fois, M.
Balthazar Bodule-Jules était là, debout, vociférant contre le
colonialisme. Le temps passa. Le pays devint un peu plus calme. Les
dernières usines avaient fermé. La plupart des champs se mirent à
vivoter sous des torrents de subventions. Tout un chacun percevait
six-sept allocations. Quant aux défenseurs du peuple, ils
s’étaient trouvé (à mesure de leur cote) des postes électifs où ils
représentaient on ne sait quoi et percevaient d’engourdissantes
indemnités.
Mis à
part sa guérilla syndicaliste, M. Balthazar Bodule-Jules lutta contre
une nouvelle lubie : le tourisme à tout-va. Des
promoteurs surgissaient de partout. Ils décrétaient que ce pays
disposait d’une vocation touristique. Ils voulaient transformer chaque
commune en hôtel. Installer des agences de voyages à
l’entrée des églises. Poser des gîtes sous les grands arbres.
Dresser des papillons pour qu’ils dansent à l’entour des guinguettes.
Transformer les pêcheurs en guides pour charters. Les
agriculteurs devaient suivre des cours d’art dramatique pour animer
des saynètes bucoliques autour de la canne et de l’ananas. Les
touristiqueurs se proposaient de peindre les merles en bleu, de
parfumer les manicous, et de récompenser les jeunes capables de
sourire aux couvées de touristes. Ils embauchaient des milliers de
jeunes filles, déguisées en doudous, et qui devaient danser dans
les aéroports et les débarcadères. Ils dispensaient des formations
d’électricien-tourisme, maçon-tourisme, entrepreneur-tourisme,
ingénieur-tourisme, journaliste-tourisme,
informaticien-tourisme… Une université spéciale fut montée (en kit)
pour délivrer par an sept millions de diplômes touristiques. Les
terres agricoles du pays, plus ou moins dévitalisées,
subirent un assaut sans précédent. Plus besoin de cultiver ou de
produire quoi que ce soit. Seuls devaient pousser hôtels, piscines et
marinas, touring-clubs et auberges de jeunesse
villages-vacances et casinos, bateaux-à-frites et musées de rivage…
Patrick
Chamoiseau, Bibliques des derniers gestes, p. 700-701, Gallimard, 2002.
Parce qu’une belle lecture m’a ramené pour quelques pages à mes propres
origines (l’île bien surnommée des revenants), peu après avoir pris connaissance chez Dominique Hasselmann du manifeste de neuf intellectuels antillais pour “des sociétés
post-capitalistes”.
Commentaires
texte fort actuel :)
Commentaire n°1
posté par
Gondolfo
le 27/02/2009 à 09h54
Oui, tout ça n'est pas né d'hier.
Commentaire n°2
posté par
PhA
le 27/02/2009 à 10h15