mardi 17 février 2009

délivré des noms

J’oublie son nom, et son prénom plus encore. Parfois il me faut plusieurs minutes pour les retrouver. Ils ne cadrent plus avec ce que je dis de lui. Sa figure se des­sine. Délivrée des nom et prénom, sa figure se dessine. Je le peins en nomade, émergeant péniblement du brouillard, clopin-clopant, dans des frusques aux cou­leurs sourdes, bleu mauve, brun presque noir, rouge étouffé, couleurs de ses Palissade qui ont l’air amples et somptueuses quand elles ne sont que des collages, recoller les morceaux afin qu’on se fasse prendre, qu’on n’y voie que du feu, qu’on ne sache plus l’éparpillement dont elles procèdent. Je le peins en nomade. Pour ne pas quitter ses brumes, il s’est fait nomade, il a accompli le minuscule voyage qui tient dans un département ou presque, l’immense voyage, le seul qui vaille : soulever l’ailleurs alors qu’on est dedans.
 
Maryline Desbiolles, les draps du peintre, p. 95
Editions du Seuil, Fiction & Cie, 2008.
 
Comment en effet évoquer quelqu’un par son nom ? comment se résoudre à une telle réduction de la personne ? (Surtout, bien sûr, quand le nom est si évocateur – mais même.) L’amour, notamment, sait bien cela.
A propos de cette belle peinture de peintre, un article sur Sitaudis, une interview dans le Matricule, une autre dans le Magazine des Livres

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