Me voici de passage dans la ville où j’ai grandi.
Des
regards s’y échangent, faits de reconnaissances, plus souvent de
non-reconnaissances, de retrouvailles et de pertes
où finalement je me retrouve ; je me retrouve sous vos yeux à en
parcourir les rues, sur une étroite chaise à moteur. L’objet est tout
compte fait d’une utilisation assez pratique, et c’est
sa petitesse sans doute qui permet sa maniabilité, même si elle est
peut-être aussi la cause d’une confuse insécurité.
Je
dois manquer d’attention, sans aucun doute ; des pans entiers
m’échappent. C’est toujours comme ça, je le
sais ; il est nécessaire que vous aussi surtout vous le sachiez.
(Par ailleurs ma chaise est rapide et silencieuse, elle se faufile
partout ; prenez-y garde à ma poursuite.) C’est ainsi
que je me trouve tout surpris de me voir dans l’unique librairie de
la ville, déjà vraiment à l’intérieur, sans même pouvoir certifier
qu’elle est toujours où je l’ai connue
autrefois.
L’intérieur
a bien changé. Ces hauts murs et ces vieux rayonnages surprennent, dans
une banlieue dont l’essor est encore
récent, et parmi tous ces livres déjà jaunis par le temps je ne
reconnais rien. Pas un titre, pas un nom. Sans doute ne suis-je pas au
bon rayon.
Il
apparaît qu’il y a un étage, au-dessus, où peut-être je trouverai ce
que je cherche. Je monte l’escalier, un spacieux
escalier de bois qui tourne à angles droits. De vastes paliers
représentent une importante place perdue : on pourrait sans problème
installer là de larges rayonnages. Peut-être est-ce prévu,
d’ailleurs, il y a clairement dans tout cet aménagement quelque
chose de provisoire. C’est
pour cela qu’il faut monter, encore, monter au-dessus de
ce qui aurait dû être le premier étage, pour enfin revoir des
livres. Ici les rayonnages sont récents, et sans doute aussi les livres –
c’est difficile à dire : ils sont encore loin.
Il y a de la couleur, en tout cas, même sur le sol, et la lumière ici
est bien plus franche. Tout cela est bien tentant. Mais il y a du vide
aussi,
beaucoup de vide, et les passerelles oranges (ou vertes) sont
vraiment trop peu larges, sans aucun garde-fou, pour qu’on s’y aventure.
Certains clients l’ont fait cependant, qui vont paisiblement
d’un rayon à l’autre. Moi je préfère y renoncer, de tels risques me
paraissent peu raisonnables.
Mais voici un employé, tout de même, soudain présent, pour répondre à mes désirs. Sans doute en ai-je, car figurez-vous
que je m’entends lui demander s’ils ont des livres de Houellebecque, et de Dantecque. Je l’écoute à
peine me dire oui, je l’interromps presque : « … et d’…cque ? » connaissant d’avance la réponse négative. Il ne connaît pas.
D’ailleurs je ne me reconnais pas,
je me trouve bien audacieux de lui glisser qu’à ma connaissance, s’ils
voulaient bien organiser une séance de
dédicace, il est probable que ce dernier participerait volontiers.
Cependant le jeune homme mince au front dégarni n’est pas né de la
dernière pluie : le voilà qui suggère courtoisement avec
un léger sourire non dénué de cruauté que, peut-être, il s’adresse à
l’auteur lui-même. Je suis bien obligé de l’admettre (même si, en toute
bonne foi, je pourrais encore discuter la chose), et
le sourire que je lui renvoie ne m’est qu’une précaire protection.
Mais oui, pourtant, pourquoi pas ? Il semble intéressé.
Commentaires
Oui, mais c'était il y a un an et moi non plus je ne connaissais pas ...ocque. Tsss! (mais un libraire, tout de même, pfff!)
Commentaire n°1
posté par
Ambre
le 09/01/2010 à 14h12
Des étages, des escaliers, des vides, de la place perdue, des
passerelles, du lointain, des détours autour des noms, le chemin est
long jusqu'à ce que le jeune homme semble intéressé.
Commentaire n°2
posté par
Michèle
le 19/06/2013 à 19h11