Ce qui suit n’est toujours pas Pas
Liev, c’est encore seulement Liev. J’avais besoin de voir Liev
bouger un peu devant moi avant de commencer à raconter son histoire. Ou pas.
Derrière la double porte, il a
fallu un temps à Liev pour se rendre compte que la salle était presque vide, il
n’avait que l’embarras du choix pour s’asseoir. A l’écran il y avait un visage
en gros plan, à l’envers. Les yeux étaient soulignés par les sourcils, les
sourcils eux aussi étaient soulignés par les rides profondes du front. Dans
l’oreille de Liev, une voix a chuchoté « par ici » tandis que le
faisceau d’une lampe électrique orientée vers le sol y révélait quelques
détritus anonymes. C’était là, sur cette surface éclairée, qu’il fallait
marcher. C’était sur ce siège éclairé, en bout de rangée, qu’il fallait
s’asseoir. Liev a d’abord déposé sa valise sur le siège à côté de lui, puis il
l’a reprise et l’a posée par terre, devant le siège à côté de lui.
A l’écran maintenant les
personnages étaient à l’endroit.
Un peu plus tard, Liev s’est
rendu compte qu’il n’entendait rien. A l’écran, il y avait de profil les
visages de gens qui regardaient, ou qui attendaient. Leurs lèvres étaient
immobiles. En tout cas, ils n’avaient pas de raisons de faire du bruit. On ne
pouvait pas décider si ce silence était intentionnel de la part du cinéaste, ou
s’il s’agissait seulement d’une panne. Derrière Liev, quelqu’un a chuchoté
« Remboursez ! » C’était juste chuchoté. On ne pouvait pas
savoir si ces mots avaient été prononcés sérieusement ou non. Peut-être la
personne avait-elle dit autre chose.
Quand le rideau s’est refermé, la
lumière est revenue ; Liev est resté assis. Il a juste reculé ses jambes
pour laisser passer un couple entre deux âges. Il n’y avait pas beaucoup de
place. La femme portait une jupe droite, elle a dévisagé Liev au passage, il a
serré ses jambes contre la banquette.
Les spectateurs étaient peu
nombreux. La salle a fini de se vider. Liev est resté seul. Il s’est rendu
compte qu’il n’était pas tout à fait au milieu, face à l’écran, alors il a
changé de place.
La fille de la caisse, qui
faisait aussi l’ouvreuse, a descendu l’allée centrale. Elle devait faire une
sorte d’inspection, mais ça ne se voyait pas vraiment. Elle a jeté un coup
d’œil à Liev, qui lui a fait un petit signe de la main ; en fait il lui a
montré son siège. Elle n’a pas eu l’air de le reconnaître, on n’aurait pas dit
qu’elle lui avait parlé un peu auparavant. C’était peut-être sa sœur. Elle est
repartie comme elle était venue. De nouveau la salle était vide, il y avait
juste Liev. Il s’est encore décalé d’un siège vers la droite, mais au bout de
quelques secondes il s’est ravisé. Le milieu de la salle devait se trouver
entre deux sièges.
(A suivre, encore.)
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