Obéissant à l’injonction présidentielle, « lisez !
(je le veux) », je me suis lancé illico dans la lecture de
Monotobio, le Chevillard nouveau, avec le soutien du
coronavirus qui n’existe que pour ça, sachez-le : nous
replonger dans nos livres, vous aussi mes chers élèves si vous
passez par-là ne faites pas ceux qui ne sont pas concernés – le
président l’a dit, obéissez à votre professeur.
On
voit comme tout est clair, comme tout est limpide, quand
fallacieusement l’on remet des liens de cause à effet entre nos
actions en racontant sa vie. Alors qu’en réalité, je l’avoue,
les choses ne se sont pas passées comme cela mais plutôt comme
ceci : comme j’avais cassé le bracelet de ma montre en
raccrochant le téléphone, je suis passé à la librairie acheter
Monotobio dont j’ai sur-le-champ entamé la lecture ;
c’est pourquoi Emmanuel Macron a jugé bon de déclarer le
confinement national et que je n’ai pas retrouvé le sèche-cheveux,
puisqu’il était rangé à sa place à côté du sac à charbon.
Oui,
c’est bien plutôt ainsi, telles que racontées dans le paragraphe
juste ci-dessus que les choses se sont passées ; je n’ai que
ma bonne foi pour vous en assurer mais c’est ainsi.
Car
dans Monotobio c’est bien son autobio que nous fait
Chevillard, du moins les dix dernières années ou un peu plus mais à
peine. Or comme il faut tout de même moins de temps à la lire (et
l’on soupçonne l’auteur lui-même d’avoir passé une partie de
ces mêmes dix années à faire autre chose que l’écrire), il n’a
pu y mettre qu’un événement par jour environ, et pourquoi choisir
celui-ci plutôt que celui-là ? L’autobiographie est un genre
arbitraire qui pose plus qu’un autre la question du sujet :
privilégier un événement sur un autre est suspect. Un auteur
honnête ne peut en avoir qu’une conscience aiguë, c’est
pourquoi celui de Monotobio enfile ses actions comme un
collier fantaisie, rajoutant parfois facétieusement ici et là un
lien logique qui aurait pu nous échapper. En résulte une
autobiographie à la fois intime et vraiment expérimentale, une
réflexion sur le choix essentiel qu’on fait de dire ou de taire,
et une belle acceptation, souvent émouvante, de l’absurdité de
notre destin, auquel on ne saurait toutefois faire la grimace quand
il nous adresse deux sourires de fillettes.
Voilà bien un article dans l'esprit même du texte commenté. Pour un.e lecteur.rice de Chevillard, il est savoureux de retrouver au fil des pages l'orang outang ou la tortue et touchant de reconnaître dans les gestes infimes d'une vie ordinaire ce que l'auteur met en partage de son humanité et en toute dérision. Exercice de haute littérature, à son habitude. Un régal.
RépondreSupprimerOui, il y a cette connivence aussi, j'aurais pu en dire un mot.
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