Bütow, le 15 novembre 1917. Mes
chers parents.
Notre nouveau système postal n’a
pas encore été modifié, et c’est aujourd’hui que je dois écrire une
lettre ; je la remplace par 2 cartes pour pouvoir écrire à ma tante Maria.
« C’est aujourd’hui que je
dois écrire. » Une lettre. A côté des cartes, il y a aussi des lettres. Je
les ai aussi, les lettres. Instinctivement, j’ai commencé par les cartes :
un paquet bien homogène, au format unique, plus facile à manier que les lettres
pliées au papier fragilisé par le temps. Ce n’est pas du tout comme ça qu’il
aurait fallu faire. Il aurait fallu tout ouvrir, tout classer par ordre
chronologique. C’est ça qu’il aurait fallu faire. Je n’ai du reste
pas grand’chose à vous dire, vous ayant écrit il y a trois jours et n’ayant pas
reçu de lettres depuis. La vie a déjà repris son petit trin-trin (sic) ordinaire (« ordinaire » surcharge un autre
mot que je ne lis pas) et les événements ne sont pas bien nombreux. Un changement de camp n’est pas un
changement. Ce manque de correspondance correspond paraît-il à une
fermeture de frontière de plusieurs semaines. C’est bien ennuyeux pour nous,
car cela supprime les seuls moments de joie que nous pouvons avoir. Enfin nous
en prenons notre parti, car il est inutile de se laisser (Je n’arrive pas à lire, on dirait
« déballer ».) J’ai reçu un seul colis le n°19 en très bon
état. Mais demain je serai plus heureux : la liste est déjà affichée et je
suis inscrit huit fois. Demain je
serai plus heureux. Voudriez-vous m’envoyer une paire de gants
quelconque en laine par exemple (j’en avais une paire dans ma cantine) car la
seule que je possède (en peau) commence à être usée. J’aurais besoin aussi d’un
képi, le mien commence à ne plus être mettable et mon casque m’a vite été pris
par les autorités allemandes. et une paire de bandes molletières (ces derniers mots, « une paire de
bandes molletières » ont été rajoutés dans le minuscule interligne
au-dessus du début de la phrase suivante) Je voudrais un képi rouge
ancien modèle, car c’est assez la mode. Je vous rappelle ma pointure (57). Dans
cinq jours j’aurai dix-huit mois de captivité. Si l’accord est conclu je n’aurai
plus longtemps à rester ici, mais j’ai bien peur que cela n’arrive jamais. (Les
prisonniers sont des gens qui ne comptent et qui ne méritent pas qu’on s’occupe d’eux !!!) Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant ts de tt
mon cœur. EAnnocque
La distraction opérée par le changement s'est effritée très vite. Le moral du prisonnier semble même pire qu'avant.... Il a pris conscience qu'il ne représente rien aux yeux des autorités allemandes.
RépondreSupprimerOui. A Reisen il lui arrivait d'évoquer le parc, rien de tel pour le moment à Bütow.
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