Le 29 octobre 1917. Ecrite le même jour, donc. Mais cette
fois-ci c’est de nouveau la toute petite écriture serrée sur la carte tenue
verticalement. A l’encre, toutefois. Mon cher Papa. Voir ma nouvelle
adresse au dos. Cette
mention rajoutée en tout petits caractères sur le seul espace resté libre.
« Adresse au dos » n’est peut-être pas à proprement souligné, c’est
peut-être juste un trait pour séparer du corps de la lettre.
Au
dos, l’adresse est bien « Offiziergefangenenlager Bütow in Pommern »
comme sur la carte précédente ; elle corrige « Reisen in Posen »
qui est raturé. Le contenu me dira sans doute si elle a été écrite avant
qu’Edmond ait été informé de son changement de camp.
J’espère que cette carte te
parviendra avant le 20 novembre ; car c’est à elle que je confie mes vœux
de bonne fête à l’occasion de la Saint-Edmond. Mon arrière-grand-père aussi s’appelait Edmond. Peut-être
était-on dans un monde où l’on croyait encore à la reproduction du même. Edmond
était devenu officier comme Edmond avant lui. Je crois même savoir qu’Edmond,
père d’Edmond, aurait pris part à la guerre de 1870, auquel cas il aurait été
encore plus jeune que son fils. Je souhaite que ta santé se
maintienne toujours bonne Je
regarde les dates. Le
père est mort neuf mois après le fils. Gestation inversée. et que tu
ne souffres pas trop de ton estomac. Ici
encore, mimétisme filial. Mais je n’ai pas connaissance que ce soit par l’estomac
que mon arrière-grand-père soit parti. C’était un vieil homme en 1929.
Je fais également des vœux pour nous soyons bientôt tous réunis. L’année
dernière à pareille époque, j’espérais être auprès de toi cette année pour
t’embrasser du meilleur de mon cœur. Puisque Dieu ne l’a pas voulu, je me
résigne en espérant être plus heureux (surcharge :
il avait d’abord écrit « en espérant que cette fois ») en
1918. Le 20 novembre, Edmond, tu
seras sur des charbons ardents. Mais à Amiens ? Déjà ? Je n’y crois
pas. Je profite de cette occasion pour te remercier une fois de plus
de tout le mal que tu donnes (« te »
manque) pour me faire plaisir et pour adoucir mon sort _ Maintenant
j’ai une nouvelle à vous annoncer. Voilà.
Je change de camp. Ce midi nous avons été prévenus que cent officiers devaient
partir et je suis parmi eux. Je ne sais pas encore où nous allons. La carte précédente est donc en réalité la
carte suivante, et les deux ont dû être postées en même temps. A
part l’ennui du retard qui sera causé aux lettres et aux paquets, cela me va
assez. Je tomberai peut-être plus mal, mais cela m’est égal ; il y a trop
longtemps que j’étais au même endroit : le changement me fera du bien. Le changement de camp est donc aussi un « changement »
– après tout. Le temps de se faire une nouvelle installation sera du
temps qui passera très vite. Et
c’est important que le temps passe vite. Le temps n’est pas encore
mauvais Le temps et le temps sont
les deux sujets. , et si le voyage doit être long, nous n’avons pas
à craindre de souffrir du froid _ J’ai été assez favorisé ces jours-ci par la
correspondance. J’ai reçu les cartes de Papa des 5, 2, 6, 8, 9, 10, 11, 13 et
les lettres de maman des 7 et 14. La carte du 11 était censurée après ce que tu
me dis des manteaux. Je suis content de savoir que Louis va mieux, j’espère que
cela va continuer et qu’il sera bientôt remis. Je comprends qu’avec son
caractère . il doit se morfondre de rester enfermé Il y a un point assez net quoique immotivé après
« caractère ». Il est peut-être dû au fait que Louis avait ce
qu’Edmond et sans doute toute la famille appelaient un « caractère ». ,
mais dis-lui qu’il faut savoir se résigner _ Comme colis je n’ai reçu que le
n°15 _ C’est aujourd’hui que vous vous mettez en route, je vous suis par la
pensée et je fais des vœux pour que vous fassiez un bon voyage. Quimper-Amiens. Je te quitte, mon
cher Papa, en renouvelant mes vœux de bonne fête et en t’embrassant bien fort
ainsi que ma chère maman, Geneviève, Louis, mes 2 tantes et toute la famille. _
Nous partons demain matin _ Ces
mots ont été rajouté en minuscule juste au bord bas de la carte. Ton
fils qui t’aime de tout son cœur
Ce jeune homme ne craint pas de se retrouver dans une situation pire, pourvu que ça change! Qu'il se passe enfin quelque chose!
RépondreSupprimerIronie : c'est lui qui dit en parlant de Louis "il doit se morfondre de rester enfermé" puis "il faut se résigner" : Edmond sait de quoi il parle.
Oui, ce moment où n'importe quoi devient préférable à rien.
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