dimanche 17 mai 2015

Mon jeune grand-père (82)



Le 29 octobre 1917. Ecrite le même jour, donc. Mais cette fois-ci c’est de nouveau la toute petite écriture serrée sur la carte tenue verticalement. A l’encre, toutefois. Mon cher Papa. Voir ma nouvelle adresse au dos. Cette mention rajoutée en tout petits caractères sur le seul espace resté libre. « Adresse au dos » n’est peut-être pas à proprement souligné, c’est peut-être juste un trait pour séparer du corps de la lettre.
Au dos, l’adresse est bien « Offiziergefangenenlager Bütow in Pommern » comme sur la carte précédente ; elle corrige « Reisen in Posen » qui est raturé. Le contenu me dira sans doute si elle a été écrite avant qu’Edmond ait été informé de son changement de camp.
J’espère que cette carte te parviendra avant le 20 novembre ; car c’est à elle que je confie mes vœux de bonne fête à l’occasion de la Saint-Edmond. Mon arrière-grand-père aussi s’appelait Edmond. Peut-être était-on dans un monde où l’on croyait encore à la reproduction du même. Edmond était devenu officier comme Edmond avant lui. Je crois même savoir qu’Edmond, père d’Edmond, aurait pris part à la guerre de 1870, auquel cas il aurait été encore plus jeune que son fils. Je souhaite que ta santé se maintienne toujours bonne Je regarde les dates. Le père est mort neuf mois après le fils. Gestation inversée. et que tu ne souffres pas trop de ton estomac. Ici encore, mimétisme filial. Mais je n’ai pas connaissance que ce soit par l’estomac que mon arrière-grand-père soit parti. C’était un vieil homme en 1929. Je fais également des vœux pour nous soyons bientôt tous réunis. L’année dernière à pareille époque, j’espérais être auprès de toi cette année pour t’embrasser du meilleur de mon cœur. Puisque Dieu ne l’a pas voulu, je me résigne en espérant être plus heureux (surcharge : il avait d’abord écrit « en espérant que cette fois ») en 1918. Le 20 novembre, Edmond, tu seras sur des charbons ardents. Mais à Amiens ? Déjà ? Je n’y crois pas. Je profite de cette occasion pour te remercier une fois de plus de tout le mal que tu donnes (« te » manque) pour me faire plaisir et pour adoucir mon sort _ Maintenant j’ai une nouvelle à vous annoncer. Voilà. Je change de camp. Ce midi nous avons été prévenus que cent officiers devaient partir et je suis parmi eux. Je ne sais pas encore où nous allons. La carte précédente est donc en réalité la carte suivante, et les deux ont dû être postées en même temps. A part l’ennui du retard qui sera causé aux lettres et aux paquets, cela me va assez. Je tomberai peut-être plus mal, mais cela m’est égal ; il y a trop longtemps que j’étais au même endroit : le changement me fera du bien. Le changement de camp est donc aussi un « changement » – après tout. Le temps de se faire une nouvelle installation sera du temps qui passera très vite. Et c’est important que le temps passe vite. Le temps n’est pas encore mauvais Le temps et le temps sont les deux sujets. , et si le voyage doit être long, nous n’avons pas à craindre de souffrir du froid _ J’ai été assez favorisé ces jours-ci par la correspondance. J’ai reçu les cartes de Papa des 5, 2, 6, 8, 9, 10, 11, 13 et les lettres de maman des 7 et 14. La carte du 11 était censurée après ce que tu me dis des manteaux. Je suis content de savoir que Louis va mieux, j’espère que cela va continuer et qu’il sera bientôt remis. Je comprends qu’avec son caractère . il doit se morfondre de rester enfermé Il y a un point assez net quoique immotivé après « caractère ». Il est peut-être dû au fait que Louis avait ce qu’Edmond et sans doute toute la famille appelaient un « caractère ». , mais dis-lui qu’il faut savoir se résigner _ Comme colis je n’ai reçu que le n°15 _ C’est aujourd’hui que vous vous mettez en route, je vous suis par la pensée et je fais des vœux pour que vous fassiez un bon voyage. Quimper-Amiens. Je te quitte, mon cher Papa, en renouvelant mes vœux de bonne fête et en t’embrassant bien fort ainsi que ma chère maman, Geneviève, Louis, mes 2 tantes et toute la famille. _ Nous partons demain matin _ Ces mots ont été rajouté en minuscule juste au bord bas de la carte. Ton fils qui t’aime de tout son cœur

2 commentaires:

  1. Ce jeune homme ne craint pas de se retrouver dans une situation pire, pourvu que ça change! Qu'il se passe enfin quelque chose!
    Ironie : c'est lui qui dit en parlant de Louis "il doit se morfondre de rester enfermé" puis "il faut se résigner" : Edmond sait de quoi il parle.

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    1. Oui, ce moment où n'importe quoi devient préférable à rien.

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