Au fil des jours et des nuits, il m’agaçait de plus en plus par ses allées et venues dans la cellule, par son manque de
savoir-vivre et son désœuvrement.
Ne
lisant pas, n’écoutant que très peu la radio – Michel et moi lui avions
fait comprendre que cela nous gênait –, il vivait
dans un ennui absolu. Sa seule occupation était de nous regarder et
de nous imiter. Et ainsi, un matin, je m’aperçus qu’il me regardait
tandis que je faisais ma toilette. Sans arrière-pensée,
d’ailleurs, simplement pour voir quelque chose. C’est du moins ce
que je suppose. Comme Michel dormait encore, je m’approchai de José et
lui dis à voix basse :
– Je préfère que tu ne m’observes pas pendant que je me lave.
De ce jour, il fut convenu que nous tendrions une couverture entre le lit et le mur pour la toilette. Mais, quand une cause de
friction disparaissait, une autre surgissait.
Depuis que je cantinais des fruits et des laitages, José devenait de plus en plus difficile à contenter sur le plan alimentaire.
Il repoussait son assiette en disant :
– Je ne peux pas manger ça.
Et
je lui offrais de partager les provisions. Mais, comme cela devint
systématique, je finis par me montrer plus réticent.
Semblable en cela à tous les violeurs que j’ai pu voir autour de
moi, il était très attiré par les plaisirs de la table, aussi ne put-il
s’empêcher d’insister :
– Si je te demande une tomate, tu vas m’envoyer chier ?
Irrité, je répondis en le regardant :
– Oui.
Si bien que la tension s’accrut encore et, un peu plus tard, il trouva l’occasion de dire :
– Je ne suis vraiment pas méchant mais un jour tu pourrais bien en prendre une sur la gueule.
– Je ne te conseille pas de me menacer, lui répondis-je.
Et lui, du fond de son immense et pathétique faiblesse, marmonna :
– Je ne te menace pas.
Néanmoins, je pris l’habitude de dormir en conservant une certaine vigilance, et en même temps des pensées très violentes me
traversaient l’esprit. Je comprenais comment certaines histoires de coups de tabouret pouvaient survenir.
Au cours d’une promenade, je suggérai à Michel de faire remplacer José par quelqu’un d’autre.
–
Je connais ce genre de gars, me répondit-il, il faut que tu fasses
attention. Mais, si on demandait un changement, on pourrait
tomber sur bien pire… par exemple un type qui écoute la radio ou
regarde la télé toute la journée… Nous serions vite abrutis.
Je savais qu’il avait raison. Il y a tant de cellules où le téléviseur n’est jamais éteint, et nous étions l’une des rares à ne
pas en vouloir.
Peu de temps après, un soir, José formulait la même idée :
– Tu as tort de te plaindre de moi, tu sais… Il y a des types avec qui tu serais plus malheureux, comme ceux qui font du sport
toute la journée. Dès le matin, ils comptent leurs pompes : … treize, quatorze, quinze… Crois- moi, tu souffrirais.
Et il nous raconta un souvenir personnel :
–
Une fois à Fresnes, j’étais avec un mec, un vieux, qui marchait du
matin au soir dans la cellule en récitant :
« Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que
votre règne… » De temps en temps il s’arrêtait et il criait : « Les
femmes, c’est toutes des
salopes ! »
Christian Molinier, Un séjour à Fresnes, L’Anabase, 1992, 2e édition 2011, p. 34 à
36.
Je
vous lis juste la quatrième de couverture : « L’auteur de ce témoignage
sur la prison de Fresnes enseignait la
sociologie lorsqu’il fut accusé à tort de tentative d’assassinat et
condamné à dix ans de réclusion criminelle. Il a été libéré après cinq
ans et trois mois de détention dans divers établissement
pénitentiaires. »
J’aurais
pu recopier aussi le passage où, de la fenêtre de sa cellule, le
narrateur passe la soirée à regarder deux détenus qui,
parvenus sur le toit du couloir central, en face de lui, regardent
le paysage, avant d’être, comment dit-on, arraisonnés ? par les
policiers et leur grand chien dont la silhouette se
profilait sur l’arête du toit à la lumière de la lune. Mais cet
épisode n’est qu’une parenthèse dans un récit d’une terrible
quotidienneté.
La promiscuité, aussi.