Aux
images traumatiques de jeunes soldats américains rapatriés dans leur
cercueil depuis les bases militaires du Vietnam étaient
venues se saccéder en un sanglant souci de symétrie historique les
images de jeunes soldats soviétiques tués, blessés et humiliés par les
irréductibles combattants des montagnes afghanes. La
perte de plusieurs milliers de ces soldats russes tombés dans les
opérations de harcèlement constant et les innombrables traquenards
mitonnés pour eux par des moudjahidin pareillement pourvus de
fusils d’assaut AK-47 avait constitué une étape décisive, sans doute
même la première, dans le processus de démantèlement de l’empire
communiste ; ces pertes accumulées dans les rangs de
l’Armée rouge étaient le signe manifeste d’un soulèvement de
l’organisme soviétique contre lui-même, comme si la simple présence de
ces armes parmi les ennemis de l’intérieur afghans contenait
déjà la promesse biologique d’un cancer à. venir. Il y avait aussi
dans l’humiliation de cette guerre perdue d’avance contre ces insurgés
musulmans quelque chose de l’ordre du basculement
symbolique, de la perte d’aura idéologique, puisque l’arme jusque-là
brandie pour l’affranchissement des peuples était désormais en partie
employée à l’asservissement et à la domination de ces
peuples : la part émancipatrice de l’AK-47 avait été dès lors comme
subrepticement retirée aux mouvements progressistes et laïcs pour être
peu à peu allouée à des forces politiques se
réclamant du conservatisme et de la religion – et la révolution
islamique se déroulant presque au même moment en Iran où circulaient
aussi des milliers d’exemplaires de l’AK-47 apportait à cet
égard la confirmation de ce basculement à une échelle encore plus
importante, à l’échelle d’une nation tout entière – la redistribution
symbolique se concluant enfin tout juste quelques années
plus tard avec la formation du parti de Dieu libanais, groupe armé
soutenu par la nation islamique iranienne alors en guerre contre
l’agresseur laïc irakien, et dont le drapeau jaune vif exhibe
en son centre une Kalachnikov couleur vert bouteille.
Oliver Rohe, Ma dernière création est un piège à taupes, p. 57 à 59, Inculte, 2012.
« Mikhaïl
Kalachnikov, sa vie, son œuvre », c’est le sous-titre. On avait presque
oublié que Kalachnikov fut
d’abord le nom d’un homme, dont l’histoire alterne en pointillé avec
celle de son œuvre, qui lui a pris son nom, est devenue un symbole
autant qu’une arme, un symbole qui bascule avec
l’Histoire.
Le Matricule des Anges du mois d’avril consacre son dossier à Oliver Rohe.
Dans la littérature à chargeurs, le petit "clairon" français fait pâle figure...