mercredi 25 avril 2012

comme un basculement symbolique


Aux images traumatiques de jeunes soldats américains rapatriés dans leur cercueil depuis les bases militaires du Vietnam étaient venues se saccéder en un sanglant souci de symétrie historique les images de jeunes soldats soviétiques tués, blessés et humiliés par les irréductibles combattants des montagnes afghanes. La perte de plusieurs milliers de ces soldats russes tombés dans les opérations de harcèlement constant et les innombrables traquenards mitonnés pour eux par des moudjahidin pareillement pourvus de fusils d’assaut AK-47 avait constitué une étape décisive, sans doute même la première, dans le processus de démantèlement de l’empire communiste ; ces pertes accumulées dans les rangs de l’Armée rouge étaient le signe manifeste d’un soulèvement de l’organisme soviétique contre lui-même, comme si la simple présence de ces armes parmi les ennemis de l’intérieur afghans contenait déjà la promesse biologique d’un cancer à. venir. Il y avait aussi dans l’humiliation de cette guerre perdue d’avance contre ces insurgés musulmans quelque chose de l’ordre du basculement symbolique, de la perte d’aura idéologique, puisque l’arme jusque-là brandie pour l’affranchissement des peuples était désormais en partie employée à l’asservissement et à la domination de ces peuples : la part émancipatrice de l’AK-47 avait été dès lors comme subrepticement retirée aux mouvements progressistes et laïcs pour être peu à peu allouée à des forces politiques se réclamant du conservatisme et de la religion – et la révolution islamique se déroulant presque au même moment en Iran où circulaient aussi des milliers d’exemplaires de l’AK-47 apportait à cet égard la confirmation de ce basculement à une échelle encore plus importante, à l’échelle d’une nation tout entière – la redistribution symbolique se concluant enfin tout juste quelques années plus tard avec la formation du parti de Dieu libanais, groupe armé soutenu par la nation islamique iranienne alors en guerre contre l’agresseur laïc irakien, et dont le drapeau jaune vif exhibe en son centre une Kalachnikov couleur vert bouteille.
 
Oliver Rohe,  Ma dernière création est un piège à taupes, p. 57 à 59, Inculte, 2012.
  
 « Mikhaïl Kalachnikov, sa vie, son œuvre », c’est le sous-titre. On avait presque oublié que Kalachnikov fut d’abord le nom d’un homme, dont l’histoire alterne en pointillé avec celle de son œuvre, qui lui a pris son nom, est devenue un symbole autant qu’une arme, un symbole qui bascule avec l’Histoire.
Le Matricule des Anges du mois d’avril consacre son dossier à Oliver Rohe.

http://www.lmda.net/imnavig/unes/couv132.jpg

Commentaires

La "Kalach", mythe automatique, avec son inventeur déjà auréolé d'une gloire mondiale.
Dans la littérature à chargeurs, le petit "clairon" français fait pâle figure...
 
Commentaire n°1 posté par Dominique Hasselmann le 26/04/2012 à 09h07
Tiens, la seule arme que j'ai tenue (bien forcé) entre mes mains.
Réponse de PhA le 26/04/2012 à 15h40
Comme quoi qui crache en l'air ne tarde pas à se prendre un mollard sur le crâna.
Commentaire n°2 posté par Lza le 28/04/2012 à 09h59
Ou bien : on n'est jamais sûr du sens du vent.
Réponse de PhA le 28/04/2012 à 17h25

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