Les vieilles tongs du père Manouvrier
Michel Arrivé aime croiser les destins. Cette croisée s’organise souvent sous la forme d’un récit polyphonique : c’était le
cas dans ses deux derniers romans, la Walkyrie et le professeur* et Un bel immeuble**, c’est encore le cas avec l’Homme qui achetait les rêves, tout récemment paru,
comme les précédents, aux très estimables éditions Champ Vallon.
Le
récit commence par le journal intime (intime ? peut-être pas le plus
intime de ses écrits) du personnage qui donne son
titre au roman, le père Manouvrier, quinquagénaire avancé – nous
sommes dans les années 80 – féru de mycologie et vivant de peu dans ce
qui n’est presque pas une maison, et dont les
préoccupations récurrentes concernent ses chaussures (plus
précisément les tongs par lesquelles il a cru pouvoir remplacer ses
traditionnelles espadrilles) ; ses rêves, devenus trop pauvres
et trop simples pour qu’il puisse en faire l’usage qu’il désire
(mais quel usage ?) ; ses livres dont il se débarrasse selon un
protocole singulier ; enfin l’épineuse question de
la validité de la méthode du père Béhanzin, son grand-père, dont on
ne dira rien de plus afin de ne pas déflorer l’histoire. Ce « Journal du
père Manouvrier » alterne avec les
« Souvenirs de la Senhora Doutora », échouée depuis son Brésil natal
dans cette Champagne reculée (quelque part entre Troyes et
Bar-sur-Aube) pour y exercer une forme singulière de
psychothérapie inspirée à la fois des écrits du « grand Sigmundo
Freud » et des préceptes scrupuleusement (scrupuleusement ?) respectés
de sa confession baptiste. Une troisième
forme de récit enfin alterne avec les deux précédentes, un récit au
narrateur très dépersonnalisé, presque officiel, assez mystérieux
finalement, qui donne au lecteur les informations qui
manquent, à la fois géographiques – la description des lieux est
assez étonnante dans son extrême précision – et biographiques concernant
le passé des deux protagonistes.
L’écriture, les rêves, la mort ; les thèmes majeurs des romans de Michel Arrivé (qui occupent aussi une place non
négligeable dans ses ouvrages universitaires, comme le linguiste et l’inconscient) se conjuguent pour livrer l’un de ses récits les plus mystérieux, sous son apparente clarté et sa
bonhomie caustique.
*/** : Je posterai dans les jours qui viennent un petit commentaire sur ces deux précédents romans.
Bravo, Michel Arrivé, pour ce roman qui se lit en un seul rêve (éveillé, tout de même).
"Un roman fantasque, avec une touche lacanienne qui fait jubiler. Sourire. J'ai évidemment relevé la recette des cêpes farcis à la lepiota helveola, accompagnés d'un chablis. Quant aux tongs, ce n'est pas le genre de tatanes qu'on trouve chez mon Ernest chausseur... mais encadrées, elles conduiront à une gloire posthume évidente !
Bravo, Michel Arrivé, pour ce roman qui se lit en un seul rêve (éveillé, tout de même)."