Si
je trouve qu’un livre est bon c’est qu’il l’est. Je suis comme ça,
moi ; je ne doute de rien. Ça fait partie des
certitudes nécessaires à mon confort. Et si un livre a trop de
succès ça réveille mes préjugés d’auteur dont les livres en ont moins –
encore une histoire de confort, quoi. Alors si un livre a
trop de succès et que je le trouve bon c’est qu’il est bon et que je
suis d’accord avec la majorité : position inconfortable, j’ai perdu
l’habitude.
Le coupable c’est Pennac et son Journal d’un corps. Je l’ai lu, je l’ai aimé, donc il est bon. (C’est moi qui ai dit
que j’avais du mal avec la critique littéraire ?
Mais non, voyons. D’ailleurs la
critique doit être faite un peu partout, cette fois ne comptez pas
sur moi.) Mais comment cela peut-il se faire, qu’un livre soit bon et en
même temps qu’il ait du succès ? La question
mérite d’être posée, en se grattant l’occiput de préférence. La
facilité de la lecture, peut-être. Souvent les livres que j’aime et ceux
que j’écris ne sont pas très faciles à lire. Encore que.
Qu’est-ce qu’on appelle « pas très faciles » ?
Et puis il y a aussi des livres que je trouve
très bons et qui sont néanmoins très accessibles, parfois très
drôles aussi tout en donnant à penser, sans pour autant rencontrer le
succès qu’ils méritent. Tiens, ceux de Michel Arrivé,
par exemple. Bien sûr, là derrière il y a la puissance de feu de
l’éditeur. (Oui : puissance de feu. Il ne fait aucun doute que le
livre en tant qu’objet est d’abord un projectile. Le stock, c’est des
munitions.) Mais ça n’explique pas tout. Il y a aussi
des livres qui paraissent chez Gallimard, puisque là c’est chez
Gallimard, et qui se vendent peu ou mal. Notamment des bons.
Dans notre cas, c’est aussi que le nom de l’auteur fait office de marque : Pennac
c’est bien. Il a fidélisé son
lectorat, comme on dit. Je vais aimer son livre parce que j’ai aimé
ses précédents. (Là je ne parle pas pour moi, qui n’en ai pas tant lu,
et fonctionne différemment.) Supposer que l’on va aimer
le nouveau livre d’un auteur parce que l’on a aimé les précédents,
c’est une position (une supposition) légitime. En effet, à qui d’autre
mieux qu’à l’auteur qu’on a déjà lu et aimé, à qui
d’autre faire confiance ?
Toutefois
je ne vois pas vraiment les choses comme ça. Un peu quand même, bien
sûr, mais pas seulement comme ça. Moi j’aime bien
jouer gros jeu. En tant qu’auteur, et même un peu en tant que
lecteur. Pour moi chaque livre est la littérature à lui tout seul.
Remettre tout en question.
Et justement, en lisant le Journal d’un corps de Pennac, j’ai l’impression qu’il y a un peu quelque chose de cet ordre.
Bien sûr, le lecteur y retrouvera le caractère de l’auteur,
et notamment ce regard attentif et chaleureux sur l’enfance qui lui
vaut une part de sa cote d’amour – mais surtout il
trouvera autre chose. Une vraie réflexion sur le sujet,
notamment. Un déplacement du regard traditionnel du romancier : sur le
corps, singulier ou commun, en lieu et place des
habituelles tribulations de l’âme. Un refus délibéré de raconter les
événements d’une vie habituellement répertoriés comme seuls
significatifs. Une réflexion sur l’être, aussi, donc. Quelque
chose d’assez essentiel, quoi. Mais qui devient quand même une
histoire parce que cet auteur-là est aussi un conteur – et sacrément bon
à l’oral, on a pu le constater l’autre samedi à
l’Esperluète, la librairie de Chartres où Olivier L’Hostis le
recevait. Bon à l’oral sans doute parce que venu avec son corps.
Effectivement, la critique semble unanime : alors pourquoi bouder son plaisir (pas lu, ce livre) si littérature - et explosions - il y a !
Vous voyez bien que vous faites un parfait critique, comme on aime. Non pas un môssieur-je-sais-tout-et-je-vous-impose-mes-goûts, mais quelqu'un qui partage.
En fait je ne suis pas vraiment un lecteur habituel de Pennac. J'ai lu la Fée Carabine comme un pur divertissement, ce qui n'est pas rien ; mais je trouvais qu'il appuyait un peu trop fort sur sa plume. Ce n'est pas du tout le cas pour ce livre-ci, pour lequel j'ai en effet eu l'intuition qu'il avait vraiment quelque chose à me dire. Mais je ne suis jamais sûr d'aimer un livre à l'avance (et quand c'est un auteur pour lequel j'ai de l'amitié c'est même une source d'inquiétude à chaque fois renouvelée) : pour moi, tout est en jeu à chaque fois.
Oui, c'est vrai, les commentaires de ce blog sont très agréables à lire. Ne pas être un Monsieur-je-sais-tout, ne rien asséner, est, entre autre, une forme d'élégance.